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XXIII
PRÉFACE.

que le Grand Dictionnaire, placé dans les mêmes nécessités, pourrait, dans sa périlleuse carrière, soulever la même accusation de la part de certains lecteurs superficiels. Mais, comme nous l’avons déjà insinué, le Dictionnaire du XIXe siècle a été fait si volumineux, qu’aucun lecteur ne sera tenté de le prendre pour un livre de messe.

Encyclopédie du xviiie siècle, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, par Diderot et d’Alembert, plus généralement désignée par le simple titre d’Encyclopédie, comme, Rome se nommait la Ville, Urbs ; comme la révolution de 1789 se nomme la Révolution.

Salut à cette œuvre immortelle ; découvrons-nous, inclinons-nous devant ce monument de l’esprit humain, comme nous le ferions au parvis du Parthénon, de Saint-Pierre de Rome ou de Notre-Dame de Paris, que nous contemplerions pour la première fois. Qu’on nous pardonne ce naïf élan du cœur ; mais, génie à part, notre infime personnalité va se reconnaître à chaque ligne, se retrouver dans chaque épisode de cet enfantement laborieux qu’on nomme l’Encyclopédie du xviiie siècle. La mythologie rapporte qu’Hercule grandit au milieu des serpents qui se dressaient et sifflaient autour de son berceau ; Diderot a été l’Alcide de l’idée au xviiie siècle, et l’on sait quels furent les reptiles qu’il dut étouffer dans ses bras vigoureux pendant la carrière de près de trente années qu’il parcourut pour achever l’Encyclopédie. Cette entreprise littéraire, la plus vaste qui ait été formée depuis l’invention de l’imprimerie, fut la première pierre d’un édifice que le temps pourra modifier ou perfectionner sans cesse, mais qui sera toujours pour son fondateur un titre incontestable à la reconnaissance de la postérité. Ce fut certainement une belle et grande idée que celle de réunir dans un seul livre toutes les notions acquises jusqu’alors sur les sciences et les arts, d’en faire l’arche du savoir, le dépôt des connaissances humaines.

Vers 1748, l’encyclopédie anglaise de Chambers, compilation imparfaite, extraite en grande partie de livres français, venait d’être traduite en italien et avait du retentissement dans notre pays. Un libraire, un de ces libraires qui flairent le succès, sans doute de la famille de celui qui disait à un auteur hollandais : Faites-moi des Lettres persanes, faites-moi des Contes moraux de Marmontel, vint proposer à Diderot de traduire l’encyclopédie anglaise. Diderot se mit aussitôt à l’œuvre ; mais le philosophe comprit bientôt l’insuffisance de ce travail, et le projet d’une œuvre plus complète ne tarda pas à germer, à bouillonner dans ce cerveau, nous pourrions dire dans ce volcan. Du premier coup, il imagina de dresser un inventaire des connaissances humaines, de rassembler, de classer dans un immense dépôt tout le savoir humain, tous les résultats du progrès et de la civilisation. Mais, quels que fussent son courage et sa prodigieuse facilité, il comprit qu’il devait être secondé dans un travail de cette importance, et il s’en ouvrit à d’Alembert, son ami, qui était l’homme le plus propre à soutenir dignement l’écrasant fardeau d’une aussi prodigieuse entreprise. Insensiblement l’idée grandit dans la tête des deux associés. Diderot rédigea tout d’abord le prospectus (novembre 1750), ainsi que le Tableau des connaissances humaines. Ce prospectus, où il expose son plan, est une page magnifique écrite à la glorification des arts et métiers, du travail manuel. Par un instinct prophétique, il faisait entendre les paroles les plus nobles à cette industrie qui était à la veille d’entrer dans une carrière de prodiges jusque-là sans exemple. — « Ici, dit M. Henri Martin, Diderot, si souvent exagéré, si souvent emphatique, est simple parce qu’il est vraiment grand. Il sent la haute moralité d’une œuvre qui est la réhabilitation du travail manuel, du travail qu’on avait appelé jusque-là servile ; il se fait l’historien, autant qu’on peut l’être, de cette longue suite de générations sacrifiées qui n’avaient jamais eu d’histoire, et auxquelles cependant la civilisation doit son bien-être, et l’intelligence ses indispensables instruments ; il annonce aux classes ouvrières qu’il va leur élever un monument par l’exposé de la science des métiers, legs admirable des génies anonymes de ces classes humiliées. »

En même temps, d’Alembert prenait la plume pour écrire cette préface immortelle, ce fameux Discours préliminaire, majestueux portique d’un prodigieux édifice, et dont Voltaire écrivait : « J’ose dire que ce discours, applaudi de toute l’Europe ; est supérieur à la Méthode de Descartes et égal à tout ce que l’illustre chancelier Bacon a écrit de mieux. » Aucun genre de gloire ne manqua à ce morceau : Palissot, ce détracteur acharné des philosophes, comprenant qu’il ne pouvait pas y mordre, l’attribua à un certain abbé Canaye. — Ce nom était on ne peut mieux choisi. — Les deux auteurs associèrent à leur œuvre tout ce que la France comptait alors de savants, d’hommes de lettres et de philosophes. Diderot se chargea de la partie importante des arts et métiers, de l’histoire de la philosophie ancienne et de la coordination générale de tous les matériaux qui devaient être apportés au réservoir commun ; travail immense, dont celui qui trace ces lignes connaît tout le poids, bien qu’il n’ait entrepris la publication du Grand Dictionnaire qu’après y avoir travaillé seul pendant vingt années, chaque jour, chaque heure qui s’écoulait venant toujours apporter sa pierre à ce monument qui, lui aussi, restera imparfait…… D’Alembert, le plus savant mathématicien de son siècle, se chargea des sciences mathématiques. Voltaire, qui s’enrôlait avec passion sous le drapeau des nobles idées, parla de l’Encyclopédie avec cet enthousiasme qu’il savait si bien rendre contagieux. Alors, tout ce qu’il y avait en France de libres penseurs accourut se ranger sous la bannière de l’Encyclopédie. Rousseau se chargea de la musique ; Daubenton, de l’histoire naturelle ; l’abbé Mallet, de la théologie ; l’abbé Yvon, de la métaphysique, de la logique et de la morale ; l’avocat Toussaint, de la jurisprudence ; Eidous, du blason ; l’abbé La Chapelle, des sciences élémentaires ; Le Blond,