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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/45

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XLV
PRÉFACE.

Dictionnaire français illustré et encyclopédie universelle, publié par M. Bertet Dupiney de Vorepierre. Cet ouvrage, commencé en 1847 et interrompu par la révolution de 1848, fut repris en 1855 et achevé en 1863. Destiné, dans la pensée de l’auteur, « à tenir lieu de tous les vocabulaires et de toutes les encyclopédies, » ce livre contient deux parties très-distinctes, la partie lexicologique et la partie encyclopédique, la première ressemblant aux dictionnaires ordinaires de la langue, la seconde donnant des notions sur les diverses branches des connaissances humaines. Cette division, que nous avons adoptée à l’exemple de M. Dupiney, offre l’avantage de séparer, par la différence des caractères typographiques, deux ordres très-différents de recherches. On peut, en effet, consulter un dictionnaire tel que celui dont nous parlons, soit pour lui demander la définition claire et précise de tel ou tel mot, soit pour obtenir des renseignements plus ou moins étendus sur telle ou telle question. À ne s’en tenir qu’au titre de l’ouvrage, M. Dupiney semble avoir compris que son livre devait satisfaire à ces deux besoins. Examinons comment il y satisfait.

Un simple coup d’œil jeté sur la partie lexicologique montre combien l’auteur est loin, dans cette partie, de remplir le programme qu’il s’est tracé. À la place de cet idéal, un livre tenant lieu de tous les vocabulaires, nous avons la plus maigre des réalités, un lexique incomplet et insuffisant à tous les points de vue. Cherchez les mots usuels de la langue, vous y trouverez rarement toutes les acceptions dans lesquelles on les emploie ; rien ne vous indiquera le passage de l’une à l’autre ; la détermination de celles que l’on ne peut vraiment se dispenser de donner n’est pas toujours heureuse, et, comme si elle craignait le contrôle, elle n’invoque que l’autorité anonyme de l’usage, au lieu de s’appuyer sur des citations empruntées aux auteurs. M. Vapereau a noté avant nous cette incroyable lacune : « Dans cette partie consacrée à la langue, dit-il, on devrait trouver, à propos de chaque acception d’un mot, des citations de nos bons auteurs, comme exemples et pour sanction. »

J’ouvre le Dictionnaire de M. Dupiney de Vorepierre au mot Art ; je dois m’attendre à y trouver au moins les quatre sens principaux de ce mot : 1o l’art conçu comme application de la science humaine à la réalisation d’une conception quelconque (en ce sens il est opposé à science théorique et à pratique spontanée ou routinière) ; 2o l’art conçu comme objet de l’esthétique (en ce sens il est opposé à science et à industrie) ; 3o l’art conçu comme effort, travail de l’homme, par opposition à nature ; 4o l’art considéré comme synonyme d’apprêt, de recherche, d’affectation. Eh bien, le second de ces sens brille par son absence. Quant aux deux derniers, M. Dupiney les estime assez voisins l’un de l’autre pour ne pas les distinguer. M. Dupiney se soucie peu des nuances. Pascal distingue quelque part l’esprit fin et l’esprit géométrique : c’est sans doute l’esprit géométrique qui caractérise M. Dupiney.

Si des mots de la langue générale, de la langue littéraire, nous passons à ceux des langues scientifiques, des nomenclatures, nous trouvons matière à des critiques d’un autre genre. La grande préoccupation de M. Dupiney paraît être de faire en sorte que la partie lexicologique ne fasse pas double emploi avec la partie encyclopédique. Il abuse vraiment du renvoi. Nous comprenons les renvois dans la partie encyclopédique, pourvu cependant qu’on s’impose certaines limites, et qu’on ne réunisse pas les notions qu’offre cette partie dans un petit nombre d’articles devenus de véritables traités ; mais ce que nous ne comprenons pas du tout, c’est que le vocabulaire pour les mots scientifiques et techniques nous renvoie constamment à l’encyclopédie. Un dictionnaire qui, pour me donner la définition d’un mot, me contraint d’étudier une question n’est plus un dictionnaire. Je cherche le sens du mot Artérite : M. Dupiney aurait pu me le donner en une ligne ; il me condamne à lire d’un bout à l’autre l’article encyclopédique qu’il consacre au mot Artère. Je veux savoir ce que mon médecin entend par Artériotomie : j’ouvre l’ouvrage de M. Dupiney, à ce mot ; j’apprends qu’artériotomie est un substantif du genre féminin, venant de deux mots grecs, άρτηρία et τέμνω, et que c’est un terme de chirurgie ; M. Dupiney ne veut pas, en cet endroit, m’en dire davantage ; il me renvoie, si je pousse plus loin la curiosité, au mot Saignée, c’est-à-dire au second tome de son immense répertoire ; il a vraiment l’air de me dire facétieusement : Cherchez, et… si vous trouvez, ce ne sera pas sans peine.

Si la partie lexicologique du livre de M. Dupiney fait assez pauvre figure à côté des dictionnaires qu’elle affiche la prétention de remplacer (à côté du dictionnaire Poitevin et du dictionnaire Dochez, par exemple), en revanche la partie encyclopédique est assez riche ; elle ne se contente même pas d’être riche, elle frappe l’œil par le luxe qu’elle étale : des gravures ! des gravures ! — Était-il bien nécessaire, dira-t-on, de nous offrir l’image d’un âne, à l’article âne. — On pouvait peut-être s’en passer, répondrons-nous ; mais, après tout, si cela n’apprend rien, cela peut amuser les enfants de voir au milieu de ce texte ces oreilles si connues. Et vraiment il suffit de lire quelques articles encyclopédiques de M. Dupiney, pour voir que l’Illustration convient au public auquel il s’adresse ; sauf peut-être dans les articles d’économie politique, il ne peut satisfaire que des intelligences encore sur les bancs ; il n’entend pas dépasser la sphère de l’enseignement officiel ; aucun bruit des idées nouvelles, des théories nouvelles, des sciences nouvelles, ne pénètre dans ce temple. Ce n’est pas là que vous trouverez l’exposition impartiale des travaux et des vues philosophiques de Lamarck, d’E. Geoffroy Saint-Hilaire et de Blainville en histoire naturelle, ceux de Gerhardt et de Williamson en chimie, de Grove en physique, de Cl. Bernard en physiologie ; ce n’est pas à que vous apprendrez à connaître et à juger les grandes constructions philosophiques de l’Allemagne ; à discerner ce qu’il