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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 2, An-Ar.djvu/74

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— Au pl. et par ext., Souffrances physiques très-violentes : Nous regardons la mort, non-seulement comme le plus grand malheur, mais encore comme un mal accompagné de la plus vive douleur et des plus pénibles angoisses. (Buff.) Atteint d’une maladie douloureuse, il en supporta les longues et cruelles angoisses avec une sérénité stoïque. (Mignet.)

Ah ! si dans mes tourments vous descendiez, mon père,
Je vous arracherais des larmes de pitié,
Les angoisses du corps n’en sont qu’une moitié.

C. Delavigne.

— Fig. Douleur morale profonde, affliction mêlée d’inquiétude, de crainte : Vivre dans d’extrêmes, de mortelles ANGOISSES. Le roi de France avait grande angoisse au cœur, quand il voyait ses gens ainsi desconfire. (Froissart.) Mille douleurs, mille afflictions nous persécutent sans cesse, et les angoisses nous trouvent toujours trop facilement. (Boss.) Immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, je suais d’ angoisse. (St-Sim.) Toute la terre est un lieu de tribulations et d’ angoisses pour une mauvaise conscience. (Fén.) Les angoisses de l’amour maternel se peignent dans tous les traits de Niobé. (Mme de Staël.) Clisson éprouvait des angoisses de repentir et désirait qu’on ne lui eût pas obéi. (Anquet.) Déjà les peuples n’habitent que des décombres ; ils sentent en eux comme une grande angoisse. (Lamenn.) Le bonheur tranquille disparut, elle fut en proie à toutes les angoisses des passions. (H. Beyle.) Moi, sans croyances décidées, j’ai souvent inspiré de splendides visions de l’éternité qui faisaient oublier aux malheureux les terreurs de la mort ou les angoisses de la vie. (E. Sue.) C’est avec une inexprimable angoisse que chacun attendait le moment où Othello reparaitrait. E. Sue.) Quelle terrible angoisse agitait son cœur ! (Balz.) Toute joie terrestre est suivie d’ANGOISSES, de mécontentement. (Balz.) En ce moment, une sueur plus froide lui passa sur le front, une angoisse plus mortelle lui serra le cœur. (Alex. Dum.) Mais c’est là que l’embarras devint plus insoluble et l’ANGOISSE plus déchirante entre nous. (Lamart.) Il faut à celui qui gouverne la manœuvre ou le feu, la sérénité au visage dans l’ angoisse du cœur, pour faire lire la confiance dans les yeux du chef. (Lamart.) Le but de la femme est la maternité, avec toutes ses angoisses et toutes ses sollicitudes. (G. Sand.)

. . . Angoisse prévue est à demi passée.

Alain Chartier.

Ce n’est pas ce qu’on croit que d’entrer chez les dieux ;
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.

La Fontaine.

L’air résonne des cris qu’au ciel chacun envoie :
Albe en jette d’angoisse, et les Romains de joie.

Corneille.

. . . Quelle angoisse mortelle
Me causait de ses bras l’étreinte paternelle !

C. Delavigne.

— Philol. Au sujet des vers de Corneille, cités plus haut, Voltaire fait la remarque suivante : « On ne dit plus guère ANGOISSE. Quel mot lui a-t-on substitué ? Douleur, peine, affliction ne sont pas des équivalents. angoisse exprime la douleur pressante et la crainte à la fois. » Cette dernière partie de l’observation de Voltaire est d’une grande justesse ; mais les exemples que nous venons de citer prouvent surabondamment que ce mot est d’un emploi très-fréquent, du moins en prose.

— Hortic. Poire d’angoisse, Espèce de poire très-âpre, même quand elle est arrivée à sa complète maturité. Dans certains pays, on appelle ces sortes de poires trivialement, mais énergiquement, des serre-gueule.

— Par anal. Instrument de torture dont on se servait autrefois pour bâillonner quelqu’un. On introduisait dans la bouche du patient la poire d’angoisse, qui s’ouvrait au moyen d’un ressort, se développait en forme de poire et étouffait complètement les cris. Les voleurs s’en servaient également pour bâillonner ceux qu’ils dépouillaient. Cet instrument paraît avoir été inventé par un certain Gaucher, capitaine qui servait au temps de la Ligue dans le parti espagnol, et on l’aurait ainsi appelée à cause de sa ressemblance avec la poire d’angoisse, qui, elle-même, devrait son nom à Angoisse, petit village du Périgord où ce fruit a été trouvé. Mais il est plus probable que le fruit doit son nom à son âpreté, et l’instrument, à sa forme d’abord, puis à la douleur qu’il cause.

— Fig. Manger, avaler des poires d’angoisse, Eprouver des mortifications sensibles, de grands chagrins : Le poète Villon se plaignait de ce qu’en prison on lui avait fait manger maintes poires d’angoisse. Il lui a fait avaler des poires d’angoisse. (Acad.) Ceux de Guise, ayant ainsi commencé avec les princes de Bourbon, leur ioulurent faire avaler d’autres poires d’angoisse. (Régnier de la Planche.)

Syn. Angoisse», affres, transes. V. Affres.

ANGOISSÉ, ÉE (an-goi-sé) part. pass. du v. Angoisser : L’homme est tourmenté par le présent, ennuyé du passé, angoissé par l’advenir. (Charron.) Nous sommes affligés au dedans et au dehors par la tentation ; mais nous ne sommes pas angoissés, c’est-à-dire resserrés dans notre cœur. (Boss.)

ANGOISSER v. a. ou tr. (an-goi-sé - rad. angoisse). Causer de l’angoisse, tourmenter, chagriner : Olivier sent que la mort moult l’angoisse. (Chanson de Roland.) La vue des


maux d’aultrui me tourmente, et les angoisses des aultres m’ angoissent naturellement. (Montaigne.)

— Ce mot, que la plupart des lexicographes traitent de néologisme, est très-ancien, de plus très-expressif, et l’on doit savoir gré à Mme George Sand d’avoir cherché à le rajeunir : Il ne s’agit pas de cela, mais de Joset, dont la santé m’ angoisse beaucoup le cœur. (G. Sand.) Ce qui m’ angoisse et à quoi je ne veux pas me soumettre, c’est que je vois venir vos peines. (G. Sand.)

S’angoisser, v. pr. Exprimer la douleur, l’angoisse ; se dit des choses : Et sa voix s’angoissa, une larme brilla dans ses yeux : je ne l’oublierai de ma vie. (A. Chevalier.)

ANGOISSEUSEMENT adv. (an-goi-seu-zeman rad. angoisse). Avec angoisse, avec anxiété, douleur : Il faut acquérir son vivre angoisseusement en mariage pour plusiëurs personnes. (Gerson.)

ANGOISSEUX, EUSE adj. (an-goi-seu, eu- ze - rad. angoisse). Tourmenté, inquiet, chagrin : Celle nuit fut la royne bien angoisseuse quant lon lui dist qu’ils ne viendroient huy. Lancelot du Lac.) Vous êtes trop angoisseuse. (Boss.) || Pénible, douloureux, en parlant des choses : Je tiendrai la partie de grâce si me faites promptement mourir, plutôt que me laisser languir plus longtemps en ces angoisseuses misères. (Montaig.) Celui qui assemble richesses est toujours angoisseux et en souci. (Le Songe du Vergier.) Ne vous faites pas de la confession un exercice angoisseux. (Boss.) Dans tous les temps, l’homme a enfanté des pensées vaines et gratuitement angoisseuses. (Ballanche.)

Dame, fait-il, je meurs pour vous ;
Mon cœur en est moult angoisseux.

Marie de France.

Mon corps et mon esprit vaquoient sans nulle cesse,
Les soucis me faisoient une angoisseuse presse.

Ph. Desportes.

ANGOLA s. m. (an-go-la). Ling. Langue parlée dans le royaume d’Angola.

ANGOLA, contrée de l’Afrique, dans la Nigritie méridionale, baignée à l’O. par l’Atlantique, bornée au N. par la rivière Danda, qui la sépare du Congo ; au S., par la rivière de Coanza, qui la sépare du Benguela, et à l’E. par le pays de Malemba, encore peu exploré situé entre 8° 20’et 9° 15’de lat. S., et entre 11° 40’et 16° 40’de long. E. ; environ 560 kilom. de longueur de l’E. à l’O. et 100 kilom. du N. au S. pop. 2,000,000 hab. Ville principale, St-Paul-de-Loanda, dont la population indigène est évaluée 15,000 hab., et la population européenne à 1,200 hab. Ce pays, sillonné de montagnes peu élevées, est arrosé par de nombreux cours d’eau, dont les principaux sont : le Danda, le Coanza, la Benga ; le sol est très-fertile en productions des régions tropicales ; on y trouve des mines de ter et des mines de cuivre, de l’or en poudre, du pétrole en abondance, de la gomme etc., que les indigènes échangent avec les Portugais. Les Angolais obéissent à un chef nommé Angola, d’où le pays tire son nom ; ils sont soumis aux grossières superstitions du fétichisme cependant on rencontre quelques familles chrétiennes, restes des missions florissantes que les jésuites firent autrefois dans ces parages. || La côte d’Angola, qui comprend généralement, dans les cartes marines, le littoral depuis la baie d’Ambriz jusque St-Philippe-de-Benguela, fut découverte en 1486, par le navigateur portugais Diégo Cam ; peu après les Portugais fondèrent des établissements sur divers points du littoral et bâtirent St-Paul-de-Loanda (1578), qui est resté la résidence du gouverneur. Leurs possessions s’étendent à l’intérieur jusqu’a une distance de 450 kilom., néanmoins tout ce territoire n’est pas sous la domination du Portugal, qui ne possède en somme que quelques forts et des comptoirs ou feiras, situés à de grandes distances les uns des autres.

ANGOLAN ou ANGOLAM s. m. (an-go-lan). Bot. Nom vulgaire du genre alangion.

ANGOLI s. m. (an-go-li). Ornith. Poule sultane des Indes.

ANGON s. m. (an-gon du gr. agkos, crochet). Antiq. Javelot ou demi-pique des Francs : On lançait l’angon, ou l’on s’en servait pour combattre de près. (Acad.) Les Francs tiennent une espèce de javelot nommé angon où s’enfoncent deux fers recourbés. (Chateaub.) Quand nos aïeux élevaient sur le pavois les rois de la première race, ils leur mettaient dans la dextre l’angon. (Gén. Bardin.) || On dit aussi ancon.

Angon cabalistique, Machine de guerre formée d’un arbre sur pied dépouillé de ses branches, ou d’un montant de bois vert, planté verticalement en terre et courbé de force au moyen d’un cordage. Lorsqu’on lâchait la corde, l’arbre, se relevant brusquement, venait frapper un trait ou une pierre qu’il lançait au loin.

— Péch. Espèce de lance barbelée dont on se sert pour tirer les crustacés d’entre les rochers

ANGONE s. f. (an-go-ne-du gr. agchonè. suffocation). Pathol. Constriction du larynx qui fait craindre la suffocation : L’angone est un symptôme fréquent de l’hystérie et de quelques autres affections nerveuses (Nysten.)


ANGOPHORE s. m. (an-go-fo-re du gr. agkôn, coude, angle ; phoros, qui porte). Bot. Genre de myrtacées, renfermant quelques arbres propres à l’Australie et cultivés dans les serres.

ANGOR s. m. (an.-gor mot lat., même sens). Pathol. Anxiété morale ou physique.

ANGORA adj. (an-go-ra). Se dit d’une certaine variété de chats, de chèvres, de lapins originaires d’Angora, remarquables par leur poil long et soyeux : Un chat, une chèvre angora. Je lui ai parlé du beau chat angora que j’ai vu dans votre salon, et il lui a pris une si grande envie de l’avoir que vous devriez lui en faire cadeau. (G. Sand.)

— S’empl. substantiv. Là dominait un angora, le chat favori de madame Popinot. (Balz.) Elle avait une petite jeannette en velours, qui brillait sur son cou comme l’anneau noir que la fantasque nature met à la queue d’un angora blanc. (Balz.)

Chaque nouveau guerrier sur l’angora s’élance,
Et réveille le chat qui dort. Florian.

— Gramm. On dit souvent chat, lapin, etc., angola. Alors on confond Angola, contrée de l’Afrique, avec Angora, ville de la Turquie d’Asie. C’est une faute que signalent toutes les grammaires.

ANGORA, ancienne Ancyre, en turc Engour, ville forte de la Turquie d’Asie, dans le pachalik d’Anatolie, ch.-lieu de district, à 330 kiloni. S.-E. de Constantinople ; pop. 60,000 hab. Evêché arménien commerce d’opium, de miel, de cire et de fruits excellents ; fabriques d’étoffes en poil de chèvre, dites angora. Ville très-ancienne, fondée, dit-on, par le roi Midas, Angora fut, avant la conquête romaine, le ch.-lieu des Gaulois Tectosages établis en Asie Mineure ; son importance s’accrut encore sous la domination de Rome ; mais au déclin de l’empire, elle fut exposée aux ravages de divers ennemis : les Perses, les Arabes, les Turcs s’en emparèrent successivement enfin, en 1401, elle fut témoin de la victoire de Tamerlan sur Bajazet. Nombreux restes de monuments romains, qu’explique la prédilection qu’Auguste avait pour cette ville.

ANGOSTURA ou SANTO TOME DE LA NUEVA GUYANA, ou BOLIVAR, ville de la république de Venezuela, sur l’Orénoque, ch.- lieu de la province de Guyane, à 55 kilom. S.-E. de Caracas ; 8,000 hab. Evéché, commerce de cacao, indigo, coton, sucre, tabac, bœufs, chevaux, peaux et viandes desséchées ; tout le commerce se fait par la voie de l’Orénoque, bien que la côte du Nord soit peu éloignée, mais elle est séparée d’Angostura par une chaîne de montagnes élevées et sans issue.

ANGOSTURE s. f. (an-go-stu-re). Bot. Syn. d’angusture. V. ce mot.

ANGOT (Jean). V. Ango.

ANGOT (Madame), un de ces types populaires dans lesquels se résument tous les ridicules d’une époque. On a souvent comparé les révolutions a ces mouvements violents qui se produisent quelquefois au sein des eaux et qui amènent à la surface, du fond de la vase, des objets, des détritus inconnus dont on ne pouvait soupçonner l’existence. Le même phénomène se manifeste à la suite de nos bouleversements sociaux. Mme Angot semble avoir pris naissance au temps trop fameux des opérations de Law, où tant de fortunes de hasard sortirent comme par enchantement de la rue Quincampoix ; puis elle grandit pendant la Révolution et s’épanouit enfin dans tout son lustre sous l’Empire. Mme Angot, comme personnalité distincte, n’a certainement jamais existé mais elle n’en reproduit pas moins, avec de frappants caractères, ce coté ridicule d’une société, que chez nous l’on sait saisir avec une si impitoyable justesse. A chaque phase que le cours des événements fait ainsi parcourir a nos habitudes et à nos mœurs nationales, il surgit un type nouveau dont s’empare la malignité publique ; c’est une sorte de bouc émissaire que le peuple moqueur, railleur, frondeur, satirique par excellence, accable de tous les traits d’une verve inépuisable. Après 1815, ce fut Chauvin qui défraya cet impérieux besoin du rire et de la plaisanterie ; depuis 1830, ère nouvelle ouverte à la classe moyenne, nous avons mis sur la scène Mayeux, ce garde national fier de lui-même et gonflé de ses nouveaux droits ; puis M. Prudhomme, ce type du bourgeois ignorant et prétentieux, pédant, à maintien d’une gravité grotesque, déclamateur de phrases creuses et sonores. Mme Angot vivait une époque de déplacement dans les fortunes, époque où il n’était pas rare de se lever valet, ou pis encore, pour se coucher millionnaire, et réciproquement. Mme Angot devait donc fournir à la médisance et à la raillerie un aliment bien autrement fécond. Partie de bas étage pour arriver subitement à la richesse, habitant des hôtels superbes, se pavanant à Longchamp, à l’Opéra, à la Comédie-Française, partout, sans avoir eu le temps de mettre son ton et ses manières au niveau de son appareil extérieur, elle présente à tous les moments une suite de contrastes des plus divertissants. Après avoir été tour à tour vivandière, dame de compagnie sur un corsaire, dame de comptoir à un Lion-d’Or quelconque, puis dame de la halle, à Paris, elle s’enrichit en vendant du saumon, et la voilà tout à coup transfor-


mée en dame de paroisse, en dame que l’on encense au banc d’oeuvre, et qui fait des rosières. De ces dames Angot, il y en eut plusieurs à la fois, jeunes et vieilles, laides et jolies, brunes et blondes ; il leur manquait à toutes la modestie. Un jour, on vit l’une d’elles paraître dans un char élégante au Longchamp régénéré ; sur ce trône que n’eut pas dédaigné de décrire Parny, elle régnait demi-nue dans les fleurs, le front ceint d’un diadème de perles, laissant flotter à tous vents sa robe d’azur étoilée d’or. Parée, adulée, titrée quelquefois, faisant noble souche et presque dynastie, Mme Angot se fit appeler femme de la nouvelle France ; elle laissa prudemment dans l’ombre le nom de son père, celui de son premier mari, celui du second ; prit un ton, des airs, instruisit ses valets à lui parler avec respect, à lui porter la queue, mais ne fit que rendre plus réjouissante l’antithèse de sa personne et de sa fortune. Femme d’embonpoint superbe et de proportions athlétiques, à lèvre moustachue, elle imite lourdement les manières des petites-maîtresses, dont elle outre toutes les nuances délicates, qu’elle fait tomber dans la caricature. Cette virago à voix enrouée prend du lait d’anesse, parce que sa faible constitution l’exige. Si de temps en temps, pour achever la contrefaçon elle juge à propos de se trouver mal ou d’avoir ses nerfs, c’est à un verre d’eau-de-vie qu’elle demande le rétablissement de son état normal. Voilà pour le ton et les habitudes ; quant à sa conversation, on peut juger qu’elle n’avait jamais passé par l’étamine de l’Académie. Mme Angot aimait à vanter sa rondeur, sa franchise ; elle n’était point façonnière, et vous prenait vite en amitié ; elle vous demandait vos affaires et vous contait les siennes à l’oreille. Vous appreniez d’elle que sa compagne — une autre dame Angot — était fille d’un pécheur de Saint-Malo, et qu’elle avait gagné du bien à brocanter des assinats contre du solide. Celle-ci, en revanche, vous racontait sur l’autre une légende qui brillait encore moins par la charité. Cependant Mme Angot découvrant qu’elle faisait rire à ses dépens, prit des leçons au cachet, copia les airs et le langage des femmes des anciennes grandes maisons, et se décida à exhumer son époux, qu’elle représenta comme tué à l’armée des princes. On ne vit plus que des veuves de généraux et de colonels. Ces dames de la nouvelle France avaient loge à la Comédie, où elles venaient étaler leurs diamants. Alors, on faisait avancer leur carrosse, et un valet en livrée demandait : Où va madame ? A l’Enfant du malheur, c’est bien plus mignon. » Le mélodrame devint leur passion favorite c’était bien plus mignon que les Horaces.

Qu’on juge, d’après ce qui précède, et dans un pays comme le nôtre, quelle avalanche de railleries, de sarcasmes et de brocards dut tomber sur ces parvenues de mauvais aloi. Quelle mine à exploiter pour le roman et le théâtre ! Bientôt Mme Angot eut envahi toutes les affiches, et elle y régna à plus juste titre que dans les salons, où ses pieds glissaient à chaque instant et s’embarrassaient dans les tapis des Gobelins. Une parade représentée en 1795, à la Gaîté, fut le point de départ des pièces nombreuses dont Mme Angot a fourni le sujet ; elle était, intitulée la Nouvelle parvenue, et fut reprise en 1797 sous le titre de Madame Angot ou la Poissarde parvenue. Un acteur, Labenette-Corsse, se fit une grande réputation dans le rôle de Mme Angot, et la pièce rapporta cinq cent mille francs au théâtre ; elle avait été payée cinq cents francs à l’auteur, Eve, dit Maillot, qui donna ensuite : Le Repentir de madame Angot ou le Mariage de Nicolas, 1799, et Dernières folies de madame Angot,1803. Cette même année, Aude fit jouer à l’Ambigu-Comique Madame Angot au sérail de Constantinople, drame, tragédie, facétie, pantomime en 3 actes, qui eut deux cents représentations successives, et qui acheva de populariser le nom et le personnage de Mme Angot. Le même auteur donna ensuite Madame Angot au Malabar ou la Nouvelle veuve. Toute la bonne société de Paris, toutes les dames Angot qui ne voulaient pas l’être se pressèrent à ces représentations bouffonnes, dans des loges d’apparat, étalant des éventails appelés la Grammaire des rentiers, où était conjugué en lettres d’or : Je fus, tu fus, il fut, etc. La province accourut à son tour, puis l’étranger ; ce fut une vogue inouïe.

En dehors du théâtre, nous retrouvons Mme Angot dans les Œuvres badines et Poissardes de Vadé (Paris, 1798), dans le Déjeuner de la Rapée, par l’Ecluse, et dans divers ouvrages de la même époque, dont le plus connu est l’Histoire populaire de madame Angot, reine des Halles. La belle poissarde avait une fille qui lui ressemblait en tout point, et qu’elle maria à un jeune homme de MarseiHe, nommé Fanfan. Les nouveaux époux, partis pour la cité phocéenne en compagnie de Mme Angot, sont pris par des corsaires dans une promenade en mer et emmenés en captivité à Tunis, puis vendus au pacha comme esclaves. Celui-ci reconnaît Mme Angot pour l’avoir vue jadis à Paris. Dans un moment de belle humeur, il lui laisse croire qu’il est amoureux d’elle, et lui fait rendre les mêmes honneurs qu’à ses favorites. Mais lorsque Mme Angot enivrée croit toucher au faite des grandeurs, elle reçoit tout à coup, sous prétexte d’une feinte conspiration, l’ordre de s’étrangler elle-même. Après avoir joui de ses terreurs, le pacha lui