Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 4, Au-Az.djvu/149

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AVENTURÉ, ÉE (a-van-tu-ré), part. pass. du v. Aventurer. Hasardé, risqué : Procès aventuré. Argent aventuré. Cette affaire est extrêmement aventurée. (Acad.) Son argent court grand risi/ue, le tien est aventuré. (Mol.) Un corps de quatre mille hommes fut aventuré en Toscane. (Thicrs.) Voilà douze mille francs bien aventures. {Balz.) H Livré aux aventures, exposé à des hasards : La femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit ; Sois belle, si tu peux ; sage, si tu •jeux ; mais sois considérée, il-le faut. (Beaumarch.) Une existence aussi large, aussi répandue, aussi inventiue en bien des sens et aussi aventurée que celle de Beaumarchais ne saurait se resserrer en peu de mots. (Ste-Beuve.)

aventurer v. a. ou tr. (a-van-tu-rérad. aventuré). Hasarder, risquer : Aventurer sa personne. Aventurer sa fortune, ses capitaux dans une entreprise. Il faut aventu-

. v. pr. Se hasarder, s’exposer : Il est d’un homme sage de se conserver aujourd’hui pour demain, et de ne pas s’aventurer tout entier en un seul jour. (Damas-Hinard.) Il Pénétrer, en courant quelque risque : Je ne voudrais pas m’aventurer la nuit dans ce quartier. Il prit son sabre dans ses dents, un pistolet à chaque main, et s’aventura dans l’escalier. (G. de Nerv.) Peu d’hommes avaient la hardiesse de s’aventurer dans les récifs pour gagner les bords de la mer. {Balz.) On S’aventure dans un petit batelet charmant, manœuvré avec un aviron en forme de pelle. (V. Hugo.) Il s’aventurait souvent sur les flots de la mer avec ses camarades, en leur servant de pilote. (Mignet.)

— Fig. S’engager dans quelque entreprise douteuse ou dangereuse : S’aventurer dans une discussion. Un avare se donnerait bien de garde de s’aventurer dans une mauvaise entreprise. (Grimm.) Les savants de nos jours s’AVENTURENTpea dans les questions générales. (Ste-Beuve.) il Avancer quelque chose de hasardé, s’exposera être démenti, désapprouvé ou critiqué : Vous vous aventurez 'beaucoup en affirmant de pareilles propositions. Nous voulons n’omettre aucun trait de l’esquisse à laquelle nous mous sommes aventurés.(V. Hugo.)

— Syll. Aventurer, baaarder, riaquer. Hasarder s’emploie quand on veut indiquer le plus ou moins grand degré de hardiesse ou de témérité de ta personne : Ils cherchent quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les deniers de sa caisse. (La Bruy.) Misquer s’emploie s’il s’agit de porter l’attention sur la chose même qui est exposée, et particulièrement sur sa quantité : Il n’était jamais permis aux marchands de risquer te bien d’autrui, et ils ne pouvaient même risquer que la moitié du leur. (Fén.) Aventurer suppose de l’ignorance et de l’étourderie : Aventurer sa fortune dans une folle entreprise.

AVEntureusement adv. (a-van-tu-reuze-man

— rad. aventureux). D’une manière aventureuse, en s’exposant à quelque péril : Pénétrer aventureusement en pays ennemi. Il D’une façon risquée, sans raison certaine ou probable : Emettre aventureusement une opinion. Ces peuples, on les a identifiés aventureusement, sur la foi du culte, à des Juifs de Palestine. (D’Avezac.)

AVENTUREUX, EUSE adj. (a-van-tu-reu, eu-ze — rad. aventure). Qui s’expose, qui so hasarde : C’est un homme fort aventureux dans ses entreprises, au jeu. (Acad.) Il n’y avait rien de si chevaleresque, ni de si aventureux que ce jeune prince. (De Barante.) Aventureux et ordonné passionné et méthodique, il n’y a jamais eu d’être plus chimérique et plus positif que moi. (Chateaub.)

Si tu veux t’envoler aux sphères éternelles.

Poète aventureux, laisse croître tes ailes.

Lacuambeaudie.

Il Livré aux aventures, abandonné aux hasards : Vte, existence aventureuse. Frédéric

(Villem.) L’Arabe recommence ses courses aventureuses à travers cet océan de sable. (A. Atartin.) Vous le savez, les jeunes gens minent une vie si aventureuse et si passionnée en quittant les bancs de l’école, qu’il faut se retrouver pour savoir comment on s’aime encore. (Balz.) Vous avez, je crois, besoin d’être guidé dans ^’aventureuse carrière que vous avez entreprise. (Alex. Dum.) Toute imagination aventureuse eût créé avec plus ou moins de bonheur ce personnage diabolique. (Alex. Dum,) On ne saurait trop admirer /’aventureuse grandeur de la célèbre classification de Bacon, qui partage toutes les sciences humaines en histoire, poésie et philosophie. (Lerminier.) Le malheur lui avait donné la force de supporter les rudes fatigues de la vie aventukeuse qui désormais devait être son partage. (Mérimée.) Sa vie aventureuse et romanesque a prêté à des mémoires apocryphes fabriqués de son vivant. (Ste-Beuve.) u Livré à des aventures galantes : Elle a cet air cavalier, qui varait au premier abord original, mais qui ne sied qu’aux femmes de vie aventureuse. (Balî.)

— Substantiv. Personne aventureuse :

Le raisonneur parti, l’aventureux se lance,

La Fontaine.

— s. m. Ce qui est aventureux, ce qui tient

du hasard, de l’aventure : Un des côtés saillants du caractère de Buckingham était la recherche de Vaventureux et t/amour du romanesque. (Alex. Dum.)

— Antonymes. Circonspect, discret, méticuleux, prudent.

AVENTURIER, 1ÈRE s. (a-van-tu-rié. iè-re

— rad. aventure). Personne qui cherche, qui court les aventures : Ces hardis aventuriers ne s’effrayèrent pas des difficultés de l’entreprise. (Acad.) Celui-ci ne passa-que pour un aventurier audacieux, parce qu’il ne réussit pas. (Volt.) Je me suis repris de goût pour cette aventurière. (Volt.) Il tient que les combats sentent l’aventurier. Corneille.

Ainsi s’avançaient pas à pas,

Nez a nez nos aventurières. La Fontaine. Seigneur aventurier, s’il te prend quelqu’envie De voir ce que n’a vu nul chevalier errant, Tu n’as qu’a passer c<

Toutvaiitre aventurier, au

Aurait fui : celui-ci, loin ce tourner le aos, Veut vendre au moins sa vie et mourir en héros. La Fontaine.

— Par anal. Personne qui s’abandonne à une vie d’intrigues ou de hasard ; se prend presque toujours en mauvaise part : C est un aventurier, une aventurière. D’héroïne d’un grand parti, la duchesse de Longuevitle en devint /’aventurière. (De Retz.) Ce sont deux aventurières qui cherchent fortune. (Campistr.) Follement épris de quelque aventurière, voulez-vous vous faire un point d’honneur de lui être fidèle ? (Le Sage.) Une conduite aussi soutenue, dans une passe aussi difficile pour une aventurière, de quelque vspèce qu elle fûtj aurait ouvert les yeux à un

—’- J’—prévention.

La Fontaine.

homme susceptible de re

(Cazotte.) Il avait traîné sa misère et ; s nité, au milieu de Paris et de Londres, dans cessentines d’infamie où pullulent les aventuriers et les pamphlétaires. (Lamart.) Le marquis de Favras était ’un de ces hommes qui agitent sans cesse leur fortune de l’agitation de leur âme, et dont le bon sens n’arrête jamais la témérité ; aventuriers de guerre, de cour et de partis, qui courent après toutes les occasions, et qui s’offrent à tous les servicespour devenir importants en devenant nécessaires. (Lamart.)

moyen âge, allait a la guerre,

mais aussi sans être astreint rigoureusement à !a discipline militaire : Eurymaque.était un aventurier qui s’était donné à Nestor. (Fén.) Les aventuriers formaient le fond des milices non féodales du moyen âge ; c’étaient, presque tous, des serfs échappés à la alèbe. (Génér. Bardin.) Il y avait aussi sur la flotte normande une multitude ^’aventuriers accourus par toutes les routes du nord et du midi. (H. Taine.) il Nom donné aux pirates qui infestaient les mers d’Amérique, et que l’on appelait aussi flibustiers, boucaniers.

— Mar. Navire de commerce qui, en temps de guerre, s’expose aux hasards d être saisi, et navigue sans escorte, mais qui est arme pour résister en cas d’attaque.

— Adjectiv. Aventureux. ; Vie, existence aventurière. Ces hommes alertes, intrigants, aventuriers, qui paraissent subitement... (La Bruy,) Robert Guiscard n’est qu’un bras héroïque conduit par un génie aventurier". (Villem.) Il est des esprits aventuriers gui n’attendent et ne reçoivent leurs idées que du hasard. (Joubert.) Elle resta aventurière, poupée de parade, girouette, jusqu’au bout. (H. Taine.)

— Fig. Hasardé, risqué : Combien de ces mots aventuriers, gui paraissent subitement durant un temps, et que bientôt on ne revoit plus. (La Bruy.)

— Encycl. Rïst. Le régime féodal, t

publique j

vrant l’Europe d’une multitude de petits tyrans,

— : i, détruit toutes les garanties que la sécurité

peutattendre de la loi dans les sociétés

s ; mais il n’avait-pas effacé lésentiment même de la justice et il avait exalté celui de l’honneur : c’est à ces deux sentiments qu’il faut attribuer l’institution de la chevalerie, dont le but hautement proclamé était de défendre la faiblesse et de redresser les torts. Mais, comme toute médaille a son revers, la chevalerie, si généreuse et si belle en elle-même, devait nécessairement produire des abus d une nature toute nouvelle dans un siècle où il était si facile d’abuser de tout : les chevaliers, toujours prêts à tirer l’épée et a mettre la lan’ee en arrêt pour Dieu, pour le roi, pour la défense de l’opprimé et pour leur belle, devaient engendrer les aventuriers, toujours disposés à vendre leurs services au plus offrant, faisant de la guerre un métier, rançonnant les pauvres habitants des villes et des campagnes, vivant de pillage et de brigandage dans les rares intervalles où des trêves, bientôt rompues, les laissaient sans emploi. Malheureusement il arriva, ce qui arrive presque toujours, que le mal surpassa de beaucoup le bien, et le fléau des aventuriers fut mille fois plus funeste à notre pays que la chevalerie, dans le temps même où elle jeta

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le plus vif éclat, ne lui fut utile. C’est surtout depuis le règne de Louis le Jeune, vers mo, et jusqu’en 13-O, sous Charles V, que notre pays eut it souffrir de ces bandes formées le plus souvent de serfs fugitifs, de déserteurs, de soldats licenciés, de gens sans aveu de toutes sortes, et recrutées par des chefs qui se donnaient à eux-mêmes le titre de capitaines, seigneurs ruinés pour la plupart, et quelquefois anciens soldats pleins d audace qui voulaient se faire un titre de noblesse de leur audace même et conquérir un rang à la ppinte de leur épée. Nous les voyons apparaître dans notre histoire sous une foule de noms différents, tirés tantôt de la province d’où ils sortent, tantôt du théâtre de leurs exploits ou de leurs excès, tantôt de la nature même des excès qu’ils commettent. Allaquais, Aragonais, Armagnacs, bandes noires, bandits, bandouillers, barbutes, bélîtres, bidaux, Brabançons, brigants, cantatours, chaperons, compagnies blanches, condottieri, cottereaux ou cotereaux, écorcheurs, fainéants, grandes compagnies, guilleris, lances vertes, lansquenets, laquais, linfards, mainades, malandrins, marauds, margots, mille diables, Navarrais, paillers, pastoureaux, piquichins, retondeurs, ribauds, routiers, rustres, soudoyers, tardvenus, tondeurs, tuchins et varlets -. tels sont les plus connus de ces noms : on les trouvera pour la plupartà leur ordre alphabétique, avec les détails particuliers à chacun d’eux. On vit souvent plusieurs de ces bandesjexister simultanément dans les mêmes lieux, et. devenues rivales, se combattre avec un acharnement extrême : en 1185, un rassemblement d’aventuriers, composé des mercenaires licenciés par Philippe-Auguste et par Henri II d’Angleterre, est écrasé par les chaperons, qui en tuent dix-sept mille entre l’Aquitaine et la Bourgogne. Lorsque Charles V monta sur le trône, les malheurs du règne précédent avaient porté le mal à son comble, et la France était couverte d’aventuriers, qui, sous le nom de grandes compagnies, désolaient toutes les parties du royaume. Cependant l’empereur d’Allemagne, Charles IV, ayant offert au pape Urbain V ’de défrayer les compagnies dans leur passage à travers l’empire, si elles voulaient se rendre en Hongrie pour aller combattre les Turcs, le roi de France crut l’occasion favorable, et il chargea l’archiprêtre Arnaud de Cervolles, un des plus fameux chefs d’aventuriers de ce temps, de décider ceux qu’il avait sous ses ordres à accepter les offres de l’empereur. Arnaud en entraîna plusieurs milliers vers le Rhin, et ces bandits pillèrent en passant la Champagne et la Lorraine ; mais les populations d’Alsace se levèrent en masse et se défendirent si bravement, que les aventuriers furent obligés de rentrer en France, où l’arcAipr^fre ne tarda pas à être massacré par eux. Mais une autre occasion se présenta bientôt : Henri de Transtamare, frère du roi de Castille Pierre le Cruel, ayant résolu de combattre ce tyran, à qui Charles V avait à reprocher l’assassinat de sa belle-sœur Blanche de Bourbon, offrit de prendre à son service les grandes compagnies et de les emmener en Espagne. Charles V accepta de

frand cœur cette proposition ; mais il fallait écider les grandes compagnies elles-mêmes à entrer dans ce marché, et cela n’était pas facile. Le papeUrbainV, qui favorisait les desseins de Henri de Transtamare, aida Charles V à payer la rançon de Bertrand Duguesclin, prisonnier des Anglais depuis la bataille d’Auray, et ce fut à cet illustre chevalier que le roi de France confia la mission de délivrer le royaume de toutes ces bandes. Aussitôt Duguesclin envoya un messager chargé de demander un sauf-conduit aux chefs des aventuriers, qui étaient alors réunis aux environs de Chalon-sur-Saône, Le sauf-conduit fut accordé sans difficulté, carie chevalier breton était en grand honneur parmi ces hommes accoutumés à regarder la bravoure comme la vertu par excellence ; il se rendit donc au milieu d’eux, il leur promit 200,000 florins de —la part du roi et autant de la part du pape, qui devait leur donner cette somme à leur passage par Avignon, avec l’absolution de tous leurs péchés et le salut de leurs âmes par-dessus le marché ; en même temps il ne manqua pas de faire briller à. leurs yeux l’espérance d’un riche butin qui les attendait au delà des Pyrénées.

■ Les bandits se laissèrent attendrir, dit M. Henri Martin ; vingt-cinq capitaines engagèrent leur foi à messire Bertrand et rendirent aux gens du roi les forteresses dont ils étaient maîtres ; puis le gros de l’armée, assemblé à Chàlon, descendit-la Saône et le Rhône ; beaucoup de seigneurs et de chevaliers rejoignirent les compagnies chemin faisant.

Charles V leur avait donné pour général titufaire un prince du sang, Louis de Bourbon, comte de la Marche, et ce jeune homme allait venger sa cousine Blanche à la tête des meurtriers de son père ; car il était le fils du comte Jacques, battu et tué à Brignais par les compagnies. Duguesclin était-le chef de l’expédition ; le jeune prince devait ouvrer en toutes choses par son conseil. Arrivé en vue d’Avignon, Bertrand Duguesclin envoya au pape la confession de ses gens et lui fit demander les 200,000 pièces d’or qu’il avait promises aux compagnies en son nom, sacs le consulter. Le seigneur pape trouva la requête moult déplaisante. « On a coutume, lui fait dire Cuvelier, de nous donner grandes sommes d’or et d’argent pour être absous de tout péché, et U faut

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que nous absolvions ceux-ci à leur vouloir, et encore que nous leur donnions du nôtre : c’est bien contre raison, ■ Il fallut néanmoins céder ; car déjà les compagnies saccageaient tout le Venaissin. Le pape leva les excommunications qu’il avait lancées précédemment

contre les bandits et envoya l’argent. Mais Bertrand s’enquit au prévôt du pape si le saintpère avait pris tous ces écus en sa trésorerie. ■ Nenni, sire, dit le prévôt ; le commun peuple d’Avignon en a payé chacun sa portion, afin que le trésor de Dieu n’en fût point amoindri.

— Par la foi que je dois à la sainte Trinité, s’écria Bertrand, nous n’en prendrons un denier de ce que pauvres gens y auront ordonné, si le pape ne nous l’a délivré du sien, et si ce n’est de l’avoir du clergé ; et nous voulons que tout cet argent soit rendu à ceux qui l’ont payé, sans qu’ils en. perdent une maille. » Il n’y avait pas à répliquer à ce terrible homme ; les habitants d’Avignon rentrèrent dans leur bien, et le seigneur pape paya du sien ; mais il se dédommagea en imposant un décime sur tout le clergé de France. »

Cependant Duguesclin n’avait emmené pour cette expédition de Castille que la plus redoutable des bandes d’aventuriers qui désolaient la France ; le mal était considérablement atténué, mais il n’était pas détruit. Plus tard, de nouvelles troupes se formèrent encore, et en 1523 François Ier publia une ordonnance royale qui les déclarait ennemis de l’État, et autorisait ceux oui pourraient les détruire à le faite par tous les moyens. Voici un passage de cette curieuse ordonnance : « Et par lesdites longues guerres se sont levez quelques aventuriers, gens vagabonds, oiseux, perdus, méchands.flagitieux, abandonnez à tous vices, larrons, . meurtriers, rapteurs et violeurs de femmes et de filles, blasphémateurs et renieurs de Dieu, cruels, inhumains, immiséricordieux, qui font de vice vertu et sont précipitez en

I abîme de tous maux ; loups ravissants, faits pour nuire à chacun, et qui ne veulent et savent nul bien ne service faire ; lesquels sont coutumiers de manger et dévorer le peuple, le dénuer et dépouiller de tout son bien, perdre, gâter et dissiper tout ce qu’ils trouvent, battre, mutiler, chasser et mettre le bon homme hors de sa maison, tuer, meurtrir et tyranniser nos pauvres sujets et leur faire plus d’oppressé, de violence et cruauté que nuls ennemis, fussent-ils Turcs ou infidèles, ne voudraient faire ne penser. »

Encouragées par cette ordonnance, plusieurs villes levèrent des milices, marchèrent contre les aventuriers, en tuèrent un grand nombre et dispersèrent les autres. Mais le fléau reparut pendant la captivité du roi à Madrid, et lorsque celui-ci eut recouvré sa liberté, il se vit forcé d’accepter les services des bandes pour lutter contre Charles-Quint. Elles ne disparurent entièrement que lorsque Henri IV eut constitué une armée permanente et régulière. Brantôme, qui écrivait sous le règne de ce prince, nous a laissé, dans son style naïf et piquant, une peinture qui donne une idée fort exacte de ces hommes moitié soldats, moitié bandits, et que nous allons rapporter tout entière : ■ Vous tes trouverez représentez dans les vieilles peintures, tapisseries et vitres des anciennes maisons ; et Dieu sait comment représentez et habillez, plus à la pendarde vraiment, comme on disoit de ce temps, qu’à la propreté, portant des chemises à longues et grandes- manches, comme Bohèmes de jadis et Mores, qui leur duroient vêtues plus de deux ou trois mois sans changer, ainsi que je l’ai ouï dire à aucuns, montrant leurs poitrines velues et pelues et toutes découvertes, les chausses plus bigarrées, découpées, déchiquetées et balafrées ; et la plupart montroient la chair de la cuisse, voire des fesses. C’étoient la plupart gens de sac et de corde, méchnnts garnements échappez à la justice, et surtout force marquez de la fleur de lys sur l’épaule, essorillez, et qui cachoient les oreilles, a dire vray, par longs cheveux hérissez, barbes horribles, tant pour cette raison que pour se montrer effroyables à leurs ennemis. •

Dans ces temps, où la force décidait de tout, on comprend que la France n’ait pas été le seul pays désolé par ces bandes indisciplinées.

II y en avait en Allemagne, en Espagne, en Italie surtout, et là elles turent désignées sous le nom de condottieri, tjui d’abord fut donné à leurs chefs ou capitaines, mais qui fut ensuite étendu aux soldats. Les guerres civiles qui désolèrent l’Italie pendant le moyen âge offraient à ces condottieri de fréquentes occasions d’exercer leur métier, et on les vit souvent passer d’un camp à l’autre quand ils y trouvaient leur avantage. Souvent aussi les deux camps opposés comptaient à la fois dans leurs rangs des condottieri, qui avaient grand soin de s’épargner les uns les autres dans les batailles ; car, tout en servant des partis ennemis, ils se regardaient toujours comme unia entre eux par les liens d’une espèce de fra Les flibustiers, connus d’abord sous le nom de frères de la côte, peuvent être considérés comme des aventuriers maritimes, avec cette différence pourtant que, loin de se mettre au service des autres, ils restèrent toujours indépendants et ne combattirent que pour leur

propre compte. Les colonies d’Amérique, surtout celles qui appartenaient aux Espagnols, furent le principal théâtre de leurs exploits. On ne les vit disparaître que vers lu fin du xvuic siècle.

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