Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 4, Au-Az.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

9S8 AUG

d’Auguste, et qu’elle fut illustrée par Horace, Virgile, Tite-Live, Salluste, Ovide, Trogue-Pompée, Denys d’Halicarnasse, Diodore, Strabon, Athênodore, Nicolas de Damas, et tant d’autres hommes de génie ou de talent, dont quelques-uns, il est vrai, ont été patronnés par Mécène et protégés par Auguste, mais qui, sans aucun doute, se fussent tout aussi bien développés sous la république. La tyrannie n’est pas nécessairement un astre favorable a l’éclosion du génie, et l’abaissement des caractères n’est pas indispensable à l’élévation des pensées. Ce n’est pas parce qu’Auguste a daigné restituer à Virgile son petit domaine, dont il avait été violemment dépouillé par les soldats, comme tant d’autres, que le poète a ■ fait l’Enéide ; c’est parce qu’il était Virgile et qu’il avait le génie, que la volonté du maître n’aurait pu ni lui donner ni lui retirer. C’est vraiment un grand abus de langage que de faire partager à Auguste la gloire de ses illustres contemporains. Le siècle d’Auguste est simplement le siècle de Virgile, d’Horace, etc. Ce n’était point la poésie, l’éloquence et les arts que l’héritier do César portait-dans les plis de sa toge impériale, mais bien plutôt, si l’on peut ainsi parler, le principe de toutes les tyrannies et de toutes les corruptions.

Auguste, d’ailleurs, ne fut pas complètement étranger a la culture littéraire de son temps. Il avait, lui-même, composé une tragédie d’Ajax, des mémoires et quelques autres écrits dont il ne reste que des fragments. Suivant une tradition, c’est a lui que nous devrions la conservation de l’Enéide, que le poète en mourant avait condamnée aux flammes.

Pendant sa longue domination, Auguste feignit plusieurs fois de vouloir abdiquer le pouvoir, que le sénat le suppliait toujours de conserver. Il songea même, ait Suétone, à rétablir la république ; mais, naturellement, il ne donna aucune suite à cette idée de renoncement, qui ne dut pas le préoccuper bien vivement, il est permis de le croire.

Auguste fut marié trois fois, et ne conserva de ses trois mariages qu’une fille, Julie, qu’il avait euedéScribonia, et dont la conduite fut le scandale de sa maison et la honte de Rome ; il finit par l’exiler dans 111e de Pandataria, après lui avoir fait épouser successivement Marcellus. Agrippa et Tibère. Ce dernier était fils de la fameuse Livie, troisième femme d’Auguste, qui l’avait eu précédemment de son époux Claudius Néron, et qui parvint à le faire adopter après la mort mystérieuse des héritiers d’adoption et des petits-fils d’Auguste. On sait que le maître du monde n’osa faire une enquête sur ces événements si douloureux pour lui, dans la crainte peut-être de vérifier des soupçons qui s’étaient portés sur Tibère et sur Livie. Cette femme avait pris sur lui un empire qu’on attribuait à la lâche complaisance avec laquelle elle favorisait sa lubricité, en lui fournissant elle-même de nouveaux objets

Four raviver ses sens émoussés par l’âge et abus des plaisirs.

Les mœurs d’Auguste étaient fort dépravées. « Dès sa première jeunesse, dit Suétone, il subit l’infamie de plusieurs genres de débauches. » Le même auteur rapporte aussi divers témoignages à l’appui des soupçons flétrissants dont le jeune Octave fut l’objet. Et

Elus loin il explique de cette étrange manière îs dérèglements d’Auguste : ■ Ses amis mêmes ne nient point qu’il n’ait commis beaucoup d’adultères ; ils l’excusent en disant que, de sa part, ce n était point volupté, mais calcul, pour mieux connaître par les femmes de chacun les projets de ses adver Et plus loin encore :

« Les plaisirs des sens exercèrent toujours

tait même a l’en pourvoir.

On sait aussi quels soupçons se répandirent sur le genre d’attachement qu’il avait pour sa fille Julie, dont les mœurs déréglées sont d’ailleurs connues, et qu’il n’aurait reléguée à Pandataria que par une jalousie incestueuse.

C’est même à cette cause qu’on a voulu rattacher l’exil d’Ovide. Voici ce que dit à ce sujet un écrivain moderne, après cent autres qui ont cherché le mot de cette énigme : ■

« Quelle a été la cause de l’exil d’Ovide ? c’est encore un mystère. Cependant, la colère d’Auguste contre le poëte ne peut guère être expliquée que par ces deux vers de Voltaire :

Amont incestueux de sa fille Julie,

De son rival Ovide il proscrivait les vers. Le poète, en effet, s’accuse d’avoir vu ce qu’il ne devait pas voir, et se compare à Actéon ; les expressions voilées dont il se sert se rapportent très-bien à, un amour incestueux d’Auguste pour Julie. Julie, en ce genre, était capable de tout, et les mœurs d’Auguste étaient détestables ; enfin, Caligula disait que sa mère était née de cet inceste. Cependant il n’y a pas certitude, mais il y a probabilité ; ce soupçon flétrissant est, dans tous les cas, une juste punition du mystère qu’Auguste a laissé planer sur la faute d’Ovide. « Ampère, l’Histoire romaine à Rome.

Outre sa lubricité, qui ne fit que s’accroître avec la vieillesse, Auguste avait une passion effrénée pour le jeu. Il était aussi fort superstitieux, tremblait au bruit du tonnerre, à la lueur des éclairs, et portait toujours sur lui une peau de veau marin comme un talisman

AUG

contre la foudre. Malgré ce préservatif, dès qu’un orage éclatait, il allait se réfugier dans la pièce la plus retirée de son palais.

Auguste gouvernait le monde depuis quarante-quatre ans, à compter de la bataille

d’Actium, lorsque dans un voyage qu’il entreprit pour accompagner jusqu’à Bénévent Tibère, qui partait pour l’Illvrie, il fut atteint d’une dyssenterie, assez bénigne dans le principe pour lui permettre de poursuivre son voyage. Il resta quelques jours sur les côtes de Campanie, dans l’espoir de reprendre des forces au grand air de la mer ; mais, désespérant d’y parvenir, il se décida à retourner à Rome. Pendant la route, son mal s’aggrava, etil fut obligé de s’arrêter à Nola, dans la maison même qu’avait habitée son père, et où il était mort. Lorsqu’elle le vit si faible, Livie, qui suivait d’un œil attentif les progrès de la maladie, envoya des courriers pour tâcher de rejoindre Tibère, et le faire revenir en toute hite auprès du lit de mort de l’empereur. En même temps, en femme prudente, elle avait soin que rien de ce qui se passait dans la maison du moribond ne transpirât au dehors. Suétone rapporte qu’a l’arrivée de Tibère, Auguste vivait encore, et qu’ils eurent ensemble un long et suprême entretien ; d’un autre côté, Tacite nous met en garde contre cette assertion, en prétendant que ce fut sans doute une histoire forgée par Livie, et que nul n’a pu savoir si Auguste n’était pas déjà mort lorsque Tibère arriva à Nola. Suétone rapporte qu’au moment d’expirer dans les bras de sa femme, Auguste lui adressa ces mots : «Adieu, Livie ; souvenezvous de notre longue union» (an 14 de J.-C). Il avait soixante-seize ans. Suétone ajoute qu’au dernier moment il demanda un miroir, se fit coiffer avec soin, et recommanda les moyens à prendre pour dissimuler autant que possible la maigreur de ses joues. Puis s adressant à ses amis : « Trouvez-vous, leur dit-il, que j’ai bien joué la comédie de la vie ? Alors, si vous êtes contents, battez des mains. » C’était la formule qui terminait les pièces de théâtre.

On fit de splendides funérailles à cet homme qui proclamait ainsi que sa vie n’avait été qu’une longue comédie, et quand son corps eut été solennellement brûlé dans le champ de Mars, il se trouva un sénateur qui, pour 10,000 sesterces, affirma par serment qu’il avait vu l’âme d’Auguste monter au ciel. On éleva partout des temples à la nouvelle divinité, qui avait quitté le monde en lui léguant Tibère.

Nous compléterons cet article en insérant ici quelques appréciations de divers écrivains sur le caractère et l’œuvre de ce personnage fameux :

■ Auguste n’était pas de cette première race d’hommes qui font les révolutions ; il était de cette race secondaire qui en profite, et qui pose avec adresse le couronnement dont une main

Elus forte a creusé les fondements : il avait à fois l’habileté et la médiocrité nécessaires au maniement des affaires, qui se détruisent également par l’entière sottise ou par la complète supériorité. »

Chateaubriand, Études historiques. ’... La postérité a trop applaudi à cette longue mystification dont, sur son lit de moi t, Auguste faisait le cynique aveu, pareille a ces spectateurs qui aiment à être trompés, et applaudissent -un acteur qui joue bien, même quand ils ne peuvent l’estimer. Non, je ne t’applaudis pas pour avoir trompé le monde, qui ne demandait qu’à l’être, et pour être parvenu, avec un art que la soif de la servitude rendait facile, à fonder, en conservant les dehors de la liberté, un despotisme dont nous verrons se développer sous tes successeurs les inévitables conséquences. Et qu’as-tu fait pour être applaudi ? Le peuple romain était fatigué, tu as profité de sa fatigue pour l’endormir. Quand il a été endormi, tu as énervé sa virilité. Tu n’as rien préparé, rien renouvelé ; tu as étouffé, tu as éteint. Quand ton successeur et ton continuateur, Tibère, viendra, il s’écriera : < 0 hommes préparés pour la servitude ! » Mais qui les y avait préparés, si ce n’est toi ?....

, Sans doute, il eut besoin d’un

savoir-faire véritable pour arriver à l’empire ; cependant ce savoir-faire même, on ne doit pas se l’exagérer. Octave eut, pour gagner les soldats, la double séduction du nom et de l’héritage de César. Il employa tous les moyens ; on le vit tour à tour s’appuyer sur le sénat ou se déclarer contre lui, s unir ou se brouiller avec Antoine. Il s’allia, quand il le fallut, à Decimus Brutus, le plus odieux des meurtriers de César, dont il était le familier et semblait être l’ami ; il est vrai qu’en même temps Octave cherchait à le faire assassiner. Et puis, y avait-il réellement de l’habileté à réussir par les monstruosités du triumvirat, quand chacun des trois scélérats qui le composaient livrait aux deux autres ses propres amis pour acheter par leur sang le sang de ses ennemis, quand on faisait prendre la toge virile à un enfant pour avoir le droit de le tuer ? Dans le considérant de la loi des proscriptions, il était prescrit de s’en réjouir ; mais la postérité n’est pas forcée de se soumettre à cet édit ; pour elle, l’assassinat n’est pas de la politique ; l’absence absolue de scrupules est un don rare ; là où il se trouve il procure de grands avantages, seulement il ne faut pas l’admirer outre

mesure Quel a été le résultat

de toute cette dissimulation, tantôt seulement prudente, tantôt effrontée ? À quoi ont abouti

toutes ces ruses, tous ces artifices ? Auguste a donné la paix au monde, ou plutôt il l’a maintenue, car César avait tout vaincu ; mais cette paix était celle qui, comme dit Tacite, est un nom de la servitude. Il a fondé l’organisation de l’empire, c’est-à-dire la désorganisation de la société romaine, dont la vie était la liberté, et la désorganisation, comme toujours, a produit la mort. Auguste a construit avec un art patient une odieuse machine de tyrannie, un

fouvernement d’étouffement et de servilité, ans lequel il n’y avait qu’une chose à bénir : c’est qu’il portât en lui, par l’excès du despotisme, le principe de sa ruine, et qu’il ait dû plus tard, juste châtiment, livrer aux Barbares le peuple dégénéré qui l’avait laissé fonder... » Ampère, l’Histoire romaine à Borne.

’ Auguste a eu trois bonheurs ; Horace et Virgile l’ont loué, Tacite n’a pas parlé de lui, et sa vie, par Plutarque, est perdue. Il jouit d’un honneur plus grand encore. Lui que ses crimes placent à côté des Marius et des Sylla, des Néron ou des Domitien, son nom s’applique proverbialement aujourd’hui à tout prince protecteur des lettres et restaurateur de la paix publique, t Arnold.

« Une tête froide, un cœur insensible et une âme timide lui firent prendre, à l’âge de dix-neuf ans, le masque de l’hypocrisie que jamais il ne quitta. Il signa de la même main, et probablement dans le même esprit, la mort de Cicéron et le pardon de Cinna. « Gibbon.

> Auguste était un fort méchant homme, indifférent au crime et à la vertu, se servant également des horreurs de l’un et des apparences de l’autre, uniquement attentif à son seul intérêt, n’ensanglantant la terre et ne la pacifiant, n’employant les armes et les lois, la religion et Je plaisir, que pour être le maître et sacrifier tout à lui-même. » Voltaire.

« II.a été donné à Auguste d’établir le despotisme militaire, mais il n’a pu fonder une dynastie... » De Champagny, les Césars.

II n’est que trop certain que le monde fut ravagé, depuis l’Euphrate jusqu’au fond de l’Espagne, par un homme sans pudeur, sans foi, sans honneur, sans probité, fourbe, ingrat, avare, sanguinaire, tranquille dans le crime, et qui, dans une république bien policée, aurait péri par le dernier supplice au premier de ses

Cependant on admire encore le gouvernement d’Auguste, parce que Rome goûta sous lui la paix, les plaisirs et l’abondance. Sénèque dit de lui : ■ Clémentiam non voco lassam cru- delitatem, je n’appelle point clémence la > lassitude de la cruauté... >

■ Comment peut-on tenir compte à un brigand enrichi et affermi de jouir en paix du fruit de ses rapines, et de ne pas assassiner tous les jours les fils et les petits-fils des proscrits, quand ils sont à genoux devant lui et qu’ils ladorent ?...

Il est donc permis aujourd’hui de regarder Auguste comme un monstre adroit et heureux. » Voltaire, Dictionn. philos.

« Trois cents sénateurs et deux mille chevaliers périrent à Rome sous le poignard 1 Un cri de supplication s’éleva ; mais Octave répondit qu’il ne cesserait de frapper que le jour où tout lui serait soumis et dévoué. Cet adolescent taciturne, que les hommes d’État prenaient pour un agneau, se trouva un tigre : il trompa tous les partis, et, arrivé au pouvoir suprême, ne leur laissa le choix qu’entre l’apostasie ou la mort. »

Emile Souvestre.

« Les soldats se sentaient nécessaires, et ils ne croyaient pas que leurs chefs, en souffrant leur indiscipline et leurs exigences, payassent trop cher le pouvoir qu’ils leur avaient donné. Toute la ville tremblait devant cette soldatesque recrutée de bandits et d’esclaves échappés de leurs bagnes. Après les exécutions vinrent les exigences fiscales. Tous les habitants de Rome et de l’Italie prêtèrent la dlme de leurs biens et donnèrent leurs revenus d’une année. Alors Octave et Antoine voulurent bieD déclarer la proscription finie, et le sénat ne rougit pas de leur décerner des couronnes civiques comme aux sauveurs de la patrie. » Victor Duruy.

Enfin, terminons par ces beaux vers de Corneille

. Tout

lûtes,

La perte de

Le ravage des champs, le pillage des villes. Et les proscriptions, et les guerres civiles, Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix Pour monter sur le trûne et nous donner des lois.. AUGUSTE (siècle d’). La littérature et les arts comptent quatre siècles remarquables par l’éclat et la perfection d’une foule d’œuvres qui, de nos jours encore, excitent l’admiration générale. Le premier appartient à la Grèce, c’est celui de Périclès ; le second appartient aux Romains, c’est le siècle d’Auguste ; l’Italie moderne nous a donné le troisième, connu sous le nom de siècle des Médicisou deLéon X ; et, enfin, c’est à la France qu’est dû le quatrième, celui de Louis XIV. On pourrait trouver étrange que des siècles qui doivent aux arts et aux lettres tout leur éclat n’aient pas été distingués par des noms d’artistes ou de poètes ; l’histoire, à la vérité, nous apprend que Périclès fut un grand orateur ; mais Auguste n’est connu que par les succès d’une politique plus adroite que généreuse, Léon X

AUG

par son faste, Louis XIV par son orgueil, appuyé d’abord sur des victoires, puis humilié par de grands désastres : qu’y a-t-il de commun entre Auguste et les vers de Virgile et d’Horace, entre Léon X et le pinceau de Raphaël, entre Louis XIV et les chefs-d’œuvre de Corneille et de Racine ? Faut-il voir une épigramme ou une flatterie dans ce nom tout politique donné à un siècle littéraire ? Ce peut ■être une épigramme, si l’on veut faire entendre que le siècle d’Auguste, par exemple, n’est digne aujourd’hui d’exciter notre admiration que par les œuvres immortelles des Virgile, des Horace, etc. ; mais c’est une flatterie si l’on veut dire qu’une part quelconque du génie de ces hommes illustres doit être attribuée à l’impulsion qu’Auguste avait donnée à son siècle. Avouons que les poètes, les littérateurs, les artistes en général, ont souvent prouvé, par leurs paroles ou par leurs actes, qu’ils ne savaient pas assez s’abstenir de flatter les puissants ; mais reconnaissons aussi qu’ils ont su quelquefois revendiquer noblement le droit de l’art en disant aux rois et aux empereurs que, si la puissance politique règne sur le présent, c’est le génie seul qui commande à la postérité et qui peut décerner une gloire durable. En réalité, nous croyons que les let très et les arts se développent progressivement, suivant une loi générale sur laquelle les chefs des États ne peuvent exercer qu’une influence très-limitée ; l’art naît quand les mœurs, les institutions sociales d’une nation lui permettent de naître ; il est enfant d’abord, et son enfance se prolonge d’autant plus que les mœurs résistent davantage aux modifications qu’il tend à produire ; puis il devient jeune, hardi, réformateur ; enfin, il arrive à son complet épanouissement, et il est alors le produit général de tous ses développements antérieurs. L’action du prince dans cette marche, dont la voie est tracée par la nature même des choses, est toute négative -, un méchant prince peut la retarder en rendant les peuples si malheureux qu’ils oublient la culture de l’art ; le meilleur service qu’un bon prince puisse rendre aux lettres et aux arts, c’est de ne pas s’en occuper et de les laisser libres. Marc-Aurèle surpassait de beaucoup Auguste par sa valeur personnelle ; Napoléon 1er avait plus de génie que Louis XIV, c’est du moins l’opinion générale, et leur siècle n’a produit rien de remarquable dans les lettres ni dans les arts.

Le siècle d’Auguste, puisque ce nom est consacré, comprend tout le temps qui s’est écoulé depuis la mort de Sylla (78 ans av. J.-C.), jus. qu à celle d’Auguste (14 ans après J.-C). C’est un siècle purement littéraire ; il-y avait encore d’habiles artistes en Grèce, mais Rome n’en possédait aucun dont le nom soit venu jusqu’à nous, à moins qu’on ne veuille compter Vitruve comme un artiste ; mais s’il a dirigé la construction de monuments vraiment remarquables, il n’a guère fait qu’imiter les monuments grecs, et son génie a été plus pratique que créateur.

Parmi les prosateurs les plus illustres, on compte : Hortensius, que Cicéron proclamait le premier des orateurs, et qui le fut en effetjusqu’au jour où celui-ci conquit lui-même le premier rang par l’abondance et l’éclat d’une éloquence qui n’ajamais été surpassée ; César, qui ne se contentait pas d’étonner le monde par le bruit de sesvictoires, mais qui, en les racontant lui-même, s’élevait au premier rang des historiens par la simplicité, la netteté, l’élégance et la rapidité de son style j Salluste, historien également admirable, mais par des qualités d une nature bien différente, par la peinture des caractères, par l’éloquence des harangues, par la disposition savante des matériaux ; Cornélius Nepos, connu par ses Vie* des excellents capitaines ; Tite-Live, qui consacra sa vie tout entière à écrire l’histoire de Rome, qui fut comparé à Hérodote, et dont la célébrité était si grande, pendant sa vie même, qu’un habitant de Gadès fit le voyage de Rome tout exprès pour le voir, et, après l’avoir vu, s’en retourna sans vouloir regarder les monuments de la ville ; Trogue-Pompée, auteur d’une histoire générale intitulée les Philippiques. On peut encore citer Varron, ■ auteur fort estimé d’un traité de la langue latine et d’un livre sur l’agriculture, et Vitruve, qui composa sur l’architecture dix livres, dont sept seulement nous ont été conservés en entier. C’est Vitruve qui dirigea la construction de tous ces magnifiques monuments qui transformèrent la capitale du monde et qui furent érigés par les ordres d’Auguste ; c’est dans son livre que nous trouvons des renseignements précis sur l’art de bâtir, tel qu’il était pratiqué de son temps, sur le choix des matériaux, sur la mise en œuvre, sur les moyens d’unir l’élégance à la solidité ; les architectes l’ont lu de tout temps avec profit, et pendant une longue suite de siècles il eut parmi eux la même autorité qu’Aristote dans nos écoles de philosophie. Nous avons déjà parlé de Cicéron comme orateur ; mais il nous a laissé d’excellents ouvrages sur l’art oratoire lui-même et sur la philosophie. Quelle que soit la nature de son sujet, on retrouve toujours en lui le grand écrivain, et souvent le penseur profond ; nul n’a mieux connu le génie de la langue latine, nul n’a mieux montré comment elle se pliait à tous les genres en restant toujours noble et pure.

Le siècle d’Auguste compte peut-être encore plus de grands poètes que d’éloquents écrivains en prose. Lucrèce parait d’abord,