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s’alloit esbattre au bois de Vincennes, et s’asseyoit au pied d’un chêne (v. CHÊNE) et nous faisoit tous seoir auprès de lui. Ceux qui avoient affaire à lui venoient lui parler, sans qu’aucun huissier ni autre leur donnât empêchement, et il leur demandoit hautement, de sa propre bouche, s’il y avoit nul qui eût partie (procès) ; et quand il y en avoit aucun, il les expédioit l’un après l’autre. »

Cette simplicité de mœurs, il la portait dans tous ses actes. Doué de toutes les qualités du cœur et pratiquant les vertus privées sans aucun apparat, il était, d’ailleurs, livré aux pratiques de la plus minutieuse dévotion ; cette piété toute monacale, exclusive, étroite, était déjà un sujet de critique pour les contemporains ; on lui reprochait d’être moins un roi qu’un moine. Ce caractère étant bien connu, il n’y a pas à s’étonner de sa haine contre les hérétiques, de la protection qu’il accorda à l’inquisition et de ses rigueurs excessives contre les juifs, les blasphémateurs, etc. En réalité, il semble s’être regardé moins comme le chef politique d’un grand peuple que comme le soldat de l’Église, ou comme un justicier chargé de réprimer les pécheurs et le péché. Toutefois, malgré sa piété ardente, il montra une grande indépendance à l’égard de la cour de Rome. L’appel des sentences ecclésiastiques à la cour du roi, l’appel comme d’abus, ainsi que la pragmatique, notamment, ont fourni aux légistes de puissants moyens pour résister à la cour romaine, constituer le gallicanisme et commencer l’affranchissement du pouvoir civil et de la société laïque. Il est assez remarquable que les premiers coups portés à la suprématie ecclésiastique l’aient été par la main d’un saint.

Il faut citer encore de Louis IX la réforma monétaire qu’il accomplit et qui fut fort utile à cette époque, où quatre-vingts seigneurs environ avaient le droit de monnayage et étaient tous autant de faux-monnayeurs ; et enfin la réunion en un recueil de toutes les coutumes des métiers, sorte de code industriel et commercial qui fut comme l’origine des libertés bourgeoises, et qui, à cette époque, par les soins du prévôt Étienne Boileau, passa de l’état de coutumes orales à celui de législation écrite.

Cette seconde partie du règne de saint Louis fut une des époques les plus paisibles et les plus prospères qu’eût encore connues notre patrie, et elle contrastait avec l’état de troubles et de guerres où était alors plongée l’Europe. Malheureusement, le pieux monarque n’avait pas cessé de nourrir au fond de son âme le dessein d’une nouvelle croisade. La délivrance des lieux saints lui paraissait un objet d’une bien autre importance que les soins à donner à la direction de son royaume et de son peuple. Les nouvelles désastreuses de l’Orient vinrent raviver en lui cette pensée funeste. En 1270, après de grands préparatifs, il fit son testament, confia la régence du royaume à l’abbé de Saint-Denis et au comte de Ponthieu, et partit pour une nouvelle croisade. Comme dans la première de ces folles et héroïques aventures, il s’embarqua à Aigues-Mortes et alla débarquer sur la côte de Carthage ; il s’était déterminé à cet itinéraire assez singulier par des motifs plus ou moins chimériques, et surtout d’après les instances de son frère Charles d’Anjou, roi de Naples, qui avait des projets de conquête sur cette partie de l’Afrique. Les mêmes fautes militaires de la première expédition se renouvelèrent dans cette courte et fatale campagne. En attendant l’arrivée de son frère, Louis et son armée campèrent dans les restes misérables de l’antique Carthage et aux environs, exposés aux ardeurs meurtrières du climat, harcelés par le roi de Tunis, qui évitait tout engagement sérieux, et bientôt décimés par les maladies épidémiques et par la plus cruelle de toutes, la peste. Le roi lui-même fut atteint et mourut un mois et quelques jours après son arrivée (25 août). Il n’était âgé que de cinquante-six ans et en avait régné quarante-quatre. Charles d’Anjou fit porter comme reliques ses entrailles dans l’abbaye de Montréal, en Sicile ; les ossements furent transportés à Saint-Denis. On a cru découvrir le cœur de saint Louis à la Sainte-Chapelle, mais l’authenticité de cette relique est fort douteuse. Voyez, à ce sujet, une note sur les cœurs conservés comme reliques et que nous avons placée à la suite de l’article cœur.

La consternation fut grande dans l’armée chrétienne, abattue déjà par tant de souffrances ; cependant elle dut rester deux mois encore sur ce funeste rivage avant de pouvoir se rembarquer. Charles d’Anjou y gagna un traité avantageux pour la Sicile qu’il parvint à imposer au roi de Tunis.

Louis IX avait eu de son mariage onze enfants, parmi lesquels Philippe le Hardi, son successeur, Pierre, comte d’Alençon, et Robert, comte de Clermont, souche de la branche de Bourbon.

Louis IX fut canonisé en 1297 par Boniface VIII. Sa vie a été écrite par son ami Joinville, sénéchal de Champagne, et par son confesseur, Guillaume de Nangis ; et, parmi les modernes, par Filleau de La Chaise, l’abbé de Choisy, M. de Villeneuve de Trans, etc. Voyez aussi : Essai sur les institutions de saint Louis, par Beugnot ; De la féodalité, des institutions de saint Louis et de la législation de ce prince, par Mignet, etc.

Jugements et appréciations. « Louis IX, a dit Voltaire, paraissait un prince destiné à réformer l’Europe, si elle avait pu l’être ; il a rendu la France triomphante et policée, et il a été en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui était celle d’un anachorète, ne lui ôta point les vertus royales ; sa libéralité ne déroba rien à une sage économie ; il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange. Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est guère donné à l’homme de pousser la vertu plus loin. »

Voici l’appréciation de M. Henri Martin : « La gloire de Louis IX, tout enveloppé que Louis se soit trouvé dans la plus fatale erreur de son temps, a survécu à toutes les vicissitudes de l’opinion, à toutes les révolutions politiques et religieuses ; les ennemis les plus implacables du passé ont rendu hommage à cette grande figure dans laquelle se résume tout ce qu’il y eut de pur et d’élevé dans le catholicisme du moyen âge. Le nom de saint Louis a protégé ses descendants durant des siècles, et c’est dans son souvenir qu’on doit surtout chercher l’origine de cette religion de la royauté qui a subsisté si longtemps en France, qui a eu, à certains égards, de dangereuses conséquences, mais qui, par la création d’une grande force morale propre à notre nation, a servi puissamment à nous empêcher de retomber sous le joug ultramontain, alors que l’ultramontanisme n’était plus qu’un obstacle à la marche de la civilisation et aux destins de l’humanité. »

M. Mignet a écrit de son côté : « Ce roi, qui était le plus religieux et le plus juste des hommes, et qui, durant le cours d’une longue vie, ne manqua pas une seule fois à la morale du christianisme suivie dans toute sa rigidité, profita de l’accroissement de sa puissance, du respect et de la confiance sans bornes qu’il inspirait, pour opérer des réformes appropriées au nouvel état social de la France. Il rattacha plus fortement à la couronne les trois classes des ecclésiastiques, des bourgeois et des feudataires, que leur législation indépendante en isolait trop, et il prépara leur réunion prochaine dans les états généraux. Il rendit le clergé national par la Pragmatique sanction, qui posa des limites à l’autorité qu’exerçait et aux impôts que levait sur lui la cour de Rome, et qui lui donna le roi pour chef temporel et pour appui. Tout en conservant aux villes la libre élection de leurs magistrats et leur administration intérieure, il les soumit à ses officiers en ce qui concernait la justice et les armes. Il plaça la noblesse féodale dans une dépendance plus étroite de la couronne, en faisant relever ses tribunaux de la juridiction royale, et en modifiant d’une manière grave le régime sous lequel elle vivait… Ce système d’administration, qui rendit amovibles les fonctions que le régime précédent avait rendues héréditaires, et qui fit une magistrature de ce qui était devenu un patrimoine, remplaça peu à peu le système féodal sur le territoire. Ainsi saint Louis créa un nouvel ordre de choses, et c’est de lui que date la monarchie moderne, sous le rapport politique, comme elle date de Philippe-Auguste sous le rapport territorial. Ses institutions et sa sagesse portèrent leurs fruits pendant sa vie même ; « car, dit Joinville, le royaume se multiplia tellement par la bonne droiture qu’on y voyoit régner, que le domaine, censive, rente et revenu du roi, croissoit tous les ans de moitié. »

— Iconogr. Une des plus anciennes figures que nous possédions de Louis IX est une statue en bois d’if, exécutée au XIIIe siècle, qui est au musée de Cluny (no 1964). Elle provient de la décoration de l’ancien retable de la Sainte-Chapelle. Les vêtements sont rehaussés de couleurs et le manteau est orné de fleurs de lis d’or. On voit, dans la collection des portraits des rois de France et dans la collection des figures de saints, au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, à Paris, un grand nombre de gravures relatives à saint Louis. Dans la galerie de Versailles, il y a un portrait équestre de Louis IX, peint en 1844 par M. Émile Signol. Le même musée possède, entre autres toiles historiques relatives à ce monarque : Louis IX vainqueur à Taillebourg, par Eugène Delacroix ; le Débarquement de saint Louis en Égypte ; Saint Louis recevant à Ptolémaïs les envoyés du Vieux de la montagne ; Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes ; Saint Louis médiateur entre le roi d’Angleterre et ses barons, et la Mort de saint Louis, par Rouget ; Saint Louis recevant à Damiette le patriarche de Jérusalem, par Oscar Gué. Nic.-Aug. Hesse a peint Saint Louis visitant la Sorbonne ; Sébastien Cornu : Saint Louis faisant ses adieux à la reine Blanche au moment de partir pour la croisade (Salon de 1833) ; Bergeret : Saint Louis délivrant des prisonniers chrétiens et Saint Louis secourant les pestiférés en Égypte ; Lethière : Saint Louis à Damiette (gravé au trait par Réveil, dans la Galerie des arts, V, pl. 383) ; Jouvenet : Saint Louis soignant les blessés sur le champ de bataille de La Massoure (chapelle du château de Versailles) ; Ducornet, peintre né sans bras : Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes (Salon de 1831).

La mort de saint Louis a été peinte par Belloc (Salon de 1838) ; par Glaize fils, pour l’église de Saint-Louis-d’Antin, à Paris (Salon de 1872) ; par Félix Barrias (église de Saint-Eustache, à Paris). Pour cette dernière église, M. Barrias a exécuté deux autres peintures murales : Saint Louis faisant la dédicace de la Sainte-Chapelle et Saint Louis faisant enterrer les chrétiens massacrés à Sion. Un tableau de Lesueur, qui est au musée de Munich, représente saint Louis assistant à une messe où l’hostie prend la forme lumineuse de Jésus. J. Mariette a gravé, d’après J.-B. Corneille, la Communion de saint Louis. L’Apothéose de saint Louis a été peinte par Lagrenée (Salon de 1765), Bodem (Salon de 1827), liesse (pour la chapelle de l’École militaire), J.-B. Corneille (gravé par Mariette). Sous ce titre : la Glorification de saint Louis, M. Cabanel a exécuté une grande composition dont nous donnons ci-après la description.

Un bas-relief de la chapelle de Versailles, par M.-A. Slodt, représente Saint Louis servant les pauvres. M. Gaston Guitton a exposé au Salon de 1850 un groupe figurant Saint Louis consolant un blessé.

Simon Vouet a peint, pour l’église de Saint-Louis-du-Marais, à Paris, quatre tableaux relatifs à saint Louis. Une peinture de ce maître, représentant Saint Louis enlevé au ciel par les anges, appartient au musée de Dresde.

— Allus. hist. Saint Louis sous le chêne de Vincennes. V. CHÊNE.

Louis (saint) ou la Couronne reconquise, poëme héroïque du P. Lemoyne, jésuite (1658). Cette composition a dix-huit chants et vingt mille vers. Laharpe, tout en la critiquant, en a fait encore un trop grand éloge, quoiqu’il lui dénie sa seule véritable qualité, qui est d’être fort amusante. Après la Magdelaine du Père Pierre de Saint-Louis et les Loyales amours du sieur Scalion de Virbluneaux, qui sont les chefs-d’œuvre du genre, la palme reviendrait sans conteste au Père Lemoyne. La Pucelle de Chapelain est certainement mnoins drôle.

Le Père Lemoyne, dont Pascal s’est tant moqué à propos de son traité de la Dévotion aisée, faisait, paraît-il, non moins aisément les vers. Il a dit de lui-même que les perles, l’or et les diamants sortaient de sa plume sans qu’il les comptât. Dans la préface de son Saint Louis, il se discute et s’apprécie avec le plus grand sang-froid, persuadé qu’il a fait un chef-d’œuvre. « Quoique je donne ce poëme achevé, dit-il, je ne pense pas le donner parfait. Il y auroit de la présomption à le promettre et de l’imprudence à s’y attendre. La perfection, je dis la consommée et la dernière perfection, n’est pas des ouvrages de cette étendue et de cette force. Un château de cartes se fait en jouant et s’achève en moins d’une heure ; le Louvre n’est pas encore achevé, depuis tant d’années qu’il est commencé. Et si nous en croyons les disciples de Vitruve, Fontainebleau ne s’est pas achevé sans beaucoup de fautes. » Le modeste poète compare son œuvre au Louvre, au palais de Fontainebleau ! puis il gourmande Virgile qui a calomnié Didon, et le Tasse qui n’est pas assez sérieux. Pour lui, sans doute, il se croit moral et grave ; il n’a réussi qu’à être réjouissant.

Le sujet de son poëme est la conquête de la couronne d’épines que garde le sultan, aidé d’un dragon de papier peint. Comme composition épique, c’est un travail complet. Le Père Lemoyne ayant saisi son sujet in medias res, suivant le précepte, quand saint Louis est déjà à Damiette, il fait ingénieusement savoir le commencement de l’aventure à l’aide de tapisseries que l’on montre à des ambassadeurs et qui retracent la vie du roi jusqu’à son débarquement. Le moyen était nouveau et le Père Lemoyne abonde en ce genre d’imagination. Les chants suivants sont consacrés à des récits qui achèvent de mettre le lecteur au courant ; puis on assiste à un tournoi, le plus grotesque à imaginer, au bout duquel saint Louis est emmené au ciel par quatre chérubins, ce qui remplace avec avantage la traditionnelle descente aux enfers. Quel innovateur que ce Père Lemoyne ! Saint Louis à peine redescendu, l’on tombe dans un long épisode : Archambault, sire de Bourbon, va pourfendre un monstre dans les forêts ; le tout entremêlé d’amours de haut goût. Le sultan aime Lisamante, Archambault aime Almazonte ; Zahide, Alzir, Meledor, Alfazel opèrent un chassé-croisô d’intrigues. Cependant une grande bataille est livrée, les Français sont vainqueurs, le camp sarrasin est envahi. Saint Louis tue le dragon farouche et remporte la couronne d’épines. Olim efflorescet ! Auparavant, les héroïnes et les amoureux se sont tous tués dans un malentendu ; ils avaient pris des déguisements, de sorte qu’Almazonte tue Alzir, croyant tuer Archambault ; Zahide tue Meledor, croyant tuer le sire de Culans, et, pour comble, Alfazel tue Zahide, croyant tuer Lisamante. Telle est la contexture du poëme par lequel le Père Lemoyne croyait faire un grand tort à la Jérusalem délivrée.

La niaiserie de la composition n’a d’égale que celle du style. Le Père Lemoyne se flattait que son poème « répondroit sans déchet aux clairons de la gloire ; » c’est là son style. Ce travail peut se lire encore, mais le déchet est considérable. Les descriptions surtout, — et il y en a des milliers de vers — sont curieuses ; il met dix vers à dire que le vent roule des feuilles ou que l’eau coule dans la rivière. Les comparaisons valent leur pesant d’or. Voici une des plus jolies ; il a à peindre la surprise « pleine d’horreur » d’un de ses héros :

Ainsi, quand le chasseur trouve, au lieu de la beste
Qu’il poursuit dans un bois, un spectre qui l’arreste,
Immobile et perclus, sans pouls et sans chaleur,
Il perd avec les sens le souffle et la couleur ;
Sa voix meurt en sa gorge et son poil se hérisse,
Le froid qui le saisit dans ses veines se glisse,
Son arme entre ses mains paroît en frissonner,
Et le chien qui le suit semble s’en étonner.

Cette arme qui frissonne et l’étonnement du chien ne sont-ils pas de vraies trouvailles ? Le Père Lemoyne aime, du reste, à associer la nature à tous ses petits événements ; saint Louis n’avance pas le pied sans que le Nil tremble ; un pas de plus et il s’enfuit à la mer, par sept bouches à la fois ! Le jour se revêt de deuil pour faire cortège à ses morts ; le soir, le soleil se couche dans son lit ; l’hiver, le printemps se retire dans sa maison. Son triomphe, c’est, dans les batailles, la description des derniers moments d’un héros. L’âme du mourant va quitter le corps ; le Père Lemoyne la voit, il la guette sortir, sous l’apparence d’un souffle ; la voici déliée, elle est sur la porte, elle ouvre ses ailes (un souffle qui ouvre ses ailes !) ; elle est emportée par le vent. Une telle peinture exige chez lui une vingtaine de vers.

Comme couleur locale, ce poëme est précieux par le choix des noms donnés aux héros. Il faut absolument s’intéresser à Siracon, Algofran, Méledin, Mulécasse, Almirondart. Le baroque de telles appellations séduit le Père Lemoyne et amène de temps à autre des tirades comme celle-ci :

Le calife Erafit, encore tout sanglant De la barbare mort du jeune Aridoglant, Qu’Arazel destinait à sa fille Orifrale…

Tout cela mérite d’être lu et est plus amusant qu’on ne pense. Un admirateur de ce poëme l’a réduit en huit chants et fait imprimer de nouveau (Besançon, 1816, in-8o). Malgré tout, on n’en connaît guère que ce vers excentrique cité dans tous les cours de littérature :

Déjà dans notre sang ils trempent leur pensée !

Louis IX, tragédie en cinq actes et en vers, d’Aucelot (Théâtre-Français, 5 novembre 1819). Conçue dans toutes les règles, cette pièce est un des derniers modèles de la vieille tragédie classique. Louis IX, Marguerite de Provence et le jeune Philippe, leur fils, le sire de Joinville, Châtillon, Montmorency et une foule d’autres chevaliers chrétiens sont prisonniers d’Almodan, Soudan d’Égypte. Châtillon, égaré par le sentiment des maux qu’il souffre et de ceux dont le menace une plus longue captivité, ose reprocher à son roi les malheurs de tant de guerriers ; les autres chevaliers s’indignent de l’injustice de ses reproches ; laissez, leur dit Je saint roi :

Laissez, je lui pardonne ; il n’offense que moi.

Cependant les fers de Louis et de ses compagnons d’infortune vont être brisés. Un traité vient d’être signé avec le Soudan ; mais celui-ci, excité par son vizir Raymond, chrétien apostat, rétracte sa parole. Cette déloyauté exaspère les musulmans eux-mêmes, qui se révoltent contre leur souverain, sous la conduite de Nouradin ; les rebelles, auxquels se joignent des chevaliers français, offrent la couronne d’Égypte à saint Louis, qui ne se contente pas de la refuser ; il veut combattre pour son ennemi et s’écrie avec beaucoup plus de magnanimité que de vraisemblance ;

Non ; marchons au Soudan que son peuple abandonne ;
C’est peu de nos rançons, rendons-lui sa couronne !

La pièce offre quelques scènes dramatiques et des incidents pleins d’intérêt. L’auteur a su enchâsser avec art quelques mots historiques. Ainsi la reine, craignant pour son honneur au milieu de la révolte des musulmans, supplie son écuyer, Joinville, de la tuer plutôt que de la laisser tomber entre leurs mains : « J’y songeais, » répond naïvement l’écuyer. Le style de cette tragédie, sans avoir un grand éclat, est toujours noble et soutenu.

Louis IX en Égypte, tragédie en cinq actes et en vers de Népomucène Lemercier (Odéon, août 1821). La pièce ne fait guère que reproduire la donnée de celle d’Ancelot, et c’était bien inutile. Louis est tombé, avec ses principaux chevaliers, au pouvoir des infidèles. Chargés de fers, ils sont renfermés dans le camp des Arabes. Louis IX a près de lui son frère et le brave Joinville. Le soudan paraît et demande aux prisonniers français qui d’entre eux est leur roi. Tous seront épargnés s’ils le désignent, tous périront s’ils se taisent. Joinville cherche à égarer sur lui les soupçons du farouche Almodan ; mais celui-ci ne prend pas le change, et l’ordre fatal va s’exécuter. Louis IX alors se déclare. Cette scène est pathétique. Mais l’auteur n’est encore qu’à son troisième acte, et les deux premiers ont presque été entièrement remplis par les débats qui divisent la famille du soudan, par ses soupçons contre Zaïme et