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déjà trop puissante, et la race carlovingienne était condamnée. Louis passa sa vie à guerroyer assez misérablement contre les seigneurs. En 939, il fit la guerre au roi de Germanie, Othon le Grand, dont il avait épousé la sœur Gerberge, pour joindre la Lorraine à ses États ; mais il vit ses grands vassaux se joindre à Othon, qu’ils proclamèrent roi des Gaules, et, après avoir échoué dans son entreprise, il dut signer la paix avec son beau-frère. En 944, il voulut retenir à la cour le jeune duc de Normandie, Richard sans Peur, dans l’intention de s’emparer du duché ; mais, s’étant rendu à Rouen, il y fut fait prisonnier et livré à l’ambitieux comte de Paris, Hugues le Grand, qui ne lui rendit la liberté qu’en échange du comté de Laon (944). L’empereur d’Allemagne et le pape intervinrent plusieurs fois dans ces guerres civiles. Pour se venger de Hugues, il le fit anathématiser par un concile, obtint des secours d’Othon, reprit Reims et Laon, mais vit ses terres ravagées, ses châteaux incendiés par le comte de Paris, et finit par faire avec lui la paix. Il mourut d’une chute de cheval, laissant le trône à son fils Lothaire.


LOUIS V, le Fainéant, dernier roi de France de la race carlovingienne, né en 966, mort en 987. Il succéda à son père Lothaire en 980. Depuis longtemps, la maison ducale de France dominait la maison royale et ne faisait pour ainsi dire que la tolérer sur le trône. Hugues Capet, fils de Hugues le Grand, jugea que le moment était venu de renverser les carlovingienS et d’asseoir sa propre race au sommet de l’édifice féodal. Il ne s’opposa pourtant pas au couronnement de Louis ; mais, au bout de quatorze mois d’un règne dont les événements sont peu connus, le jeune prince, qui avait fait preuve de quelque valeur au siège de Reims, mourut, empoisonné, dit-on, à l’instigation du duc de France (987), qui se fit alors proclamer roi par une assemblée de barons et d’évêques réunis à Noyon. En lui commença la dynastie capétienne.


LOUIS VI, dit le Gros, roi de France, né vers 1078, mort en 1137. Il fut associé à la royauté par son père Philippe Ier, en 1100, et devint seul roi en 1103. Le domaine royal, à cette époque, se composait seulement de l’Île-de-France et d’une partie de l’Orléanais ; et encore s’en fallait-il de beaucoup que ce petit pays fût entièrement soumis à l’autorité royale. Aussi la vie tout entière de Louis se consuma-t-elle dans des guerres continuelles contre les seigneurs de son étroit domaine, qui infestaient les routes, rançonnaient les voyageurs, et exerçaient leurs brigandages jusqu’aux portes de Paris. Pendant ces luttes contre les barons, Louis s’engageait aussi dans une guerre contre Henri Ier, roi d’Angleterre, à qui il voulait enlever la Normandie. Battu à Brenneviîle (1119), il signa la paix. Il repoussa ensuite une invasion de l’empereur Henri V, que le roi d’Angleterre avait armé contre la France (1124), donna la Flandre à Guillaume de Cliton (1127), convoqua un concile à Étampes (1130) au sujet de la rivalité des deux papes Innocent II et Anaclet, se prononça pour le premier et vit ses États mis en interdit (1134). Ce roi avait montré une grande activité et laissait la royauté beaucoup plus puissante qu’au commencement de son règne. C’est à cette époque qu’éclata dans les villes le mouvement révolutionnaire des communes. Louis n’affranchit pas les communes dans le sens absolu du mot, comme on s’est plu à le répéter ; il confirma seulement, par des chartes qu’il faisait chèrement payer, les franchises municipales déjà conquises sur les seigneurs par quelques cités de son domaine ; encore fit-il plusieurs fois la guerre à des communes pour leur enlever ces libertés. Cependant il faut reconnaître que l’ensemble de sa politique fut favorable à cette émancipation, par ses luttes contre la féodalité et par la nécessité où il se trouvait de s’appuyer sur le tiers état grandissant. Ce prince eut pour ministre le sage Suger. Ce fut sous son règne qu’on vit paraître pour la première fois l’oriflamme dans les armées royales. De son mariage avec Adélaïde de Savoie, qui, après sa mort, se remaria avec le connétable Matthieu de Montmorency, il avait eu sept fils et une fille. Les deux aînés étaient Philippe, associé à la couronne, mort par accident en 1131, et Louis, qui devint roi sous le nom de Louis VII.


LOUIS VII, dit le Jeune, surnommé aussi le Pieux, roi de France, né en 1119, mort à Paris en 1180. Il succéda à son père, Louis VI, en 1137. Ce long règne est rempli d’événements et peut se diviser en trois périodes : 1° la croisade ; 2° la guerre contre les seigneurs ; 3" la guerre contre le roi d’Angleterre. Ce fut saint Bernard qui prêcha cette croisade. Louis prit la croix (1146) pour expier le crime qu’il avait commis, pendant sa guerre contre Thibaut, comte de Champagne, en brûlant 1,300 personnes réfugiées dans l’église de Vitry (1143). On sait quelle fut l’issue de cette croisade (1149). Trompé par les Grecs, Louis éprouva des pertes considérables en Asie Mineure, assiégea vainement Antioche et Damas, et fut obligé de revenir en France. Grâce à son ministre Suger, son royaume n’avait pas souffert de son absence. Peu après (1152), il répudia son épouse. Èléonore de Guyenne, qui épousa, la même année, Henri II d’Angleterre et lui apporta en dot le Poitou et la Guyenne. Ce divorce impolitique, qui enlevait de riches provinces à la France, entraîna Louis dans des guerres interminables contre l’Angleterre. Comme son père Louis le Gros, il eut à lutter contre les rébellions continuelles de ses grands vassaux, et il confirma l’affranchissement de plusieurs communes ; mais une dévotion outrée le poussa à d’odieuses persécutions contre les hérétiques. Le couronnement de son fils Philippe-Auguste (1179) et l’expulsion des juifs marquèrent les dernières années de sa vie.


LOUIS VIII, dit Cœur de Lion, roi de France, fils de Philippe-Auguste, né en 1187, mort en 1226. Il succéda à son père en 1223. Avant son avènement, il avait été proclamé roi d’Angleterre par la noblesse de ce pays, qui combattait Jean sans Terre ; mais il ne put se maintenir et revint en France (1217). Il parvint à enlever aux Anglais le Poitou, le Limousin et le Périgord (1224), fit une guerre sanglante aux albigeois, et s’empara d’Avignon après avoir battu Raymond VII. Il mourut pendant une nouvelle croisade contre ces hérétiques, à Montpensier (Auvergne), après un règne de trois ans. On crut à un empoisonnement. Louis VIII avait épousé en 1200 Blanche de Castille, dont il eut onze enfants.

Louis VIII (faits et gestes de), chronique en vers du XIIIe siècle, due à Nicolas de Bray, doyen de l’église de ce nom. L’auteur était contemporain des faits qu’il a chantés avec autant d’exactitude que de naïveté ; il a dédié son poème à Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris de 1228 à 1248, ce qui permet d’en fixer approximativement la date. Il est à peu près certain que Nicolas de Bray assista aux deux grands faits qui sont surtout l’objet de ses récits : le siège d’Avignon et le sacre de Louis VIII à Reims. L’autour s’attache moins à narrer les événements qu’à retracer les mœurs, les fêtes, les repas, enfin toute la vie pittoresque de ses contemporains. Par là son livre est très-précieux pour l’histoire de la vie privée au moyen âge. Bien que le seul manuscrit qu’on possède du poème de Nicolas soit tronqué sur la fin, il est probable que nous en possédons tout ce qu’il y avait de plus important. Le poème est, du reste, conçu classiquement. Il débute par une invocation à la Muse qui va raconter avec lui les exploits du roi Louis. On y voit figurer les Parques, auxquelles le poète reproche d’avoir coupé trop tôt la trame de cette vie royale. Apollon est invoqué « pour verser sur l’esprit du poète la rosée de sa sagesse. » C’est après ces invocations successives, qui indiquent une sorte de renaissance païenne dès le XIIIe siècle, que le poète dédie son œuvre à l’évêque Guillaume d’Auvergne. Mais bientôt la mythologie païenne cède le pas à la mythologie chrétienne, et toutes deux se confondent bizarrement comme dans l’épopée de Camoens.

Le sacre à Reims est longuement décrit, en témoin oculaire ; il en est de même de l’entrée du roi à Paris, du siège d’Avignon et du siège de La Rochelle. Les Faits et gestes de Louis VIII ont été traduits par M. Guizot, au tome II de sa Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France.


LOUIS IX ou SAINT LOUIS, roi de France, fils et successeur du précédent, né à Poissy le 25 avril 1215, mort devant Tunis le 25 août 1270. Il n’avait pas douze ans quand il succéda à son père, en novembre 1226. Sa mère, l’énergique Blanche de Castille, prit la régence, malgré l’attitude suspecte et menaçante des grands barons et des seigneurs, se hâta de conduire son fils à Reims pour ajouter le prestige du sacre à ses droits d’héritier, et fit avorter une première tentative de soulèvement en gagnant à sa cause un des plus puissants feudataires, Thibaut, comte de Champagne. Néanmoins, les seigneurs renouèrent leurs trames et se rassemblèrent en force à Corbeil, pour enlever le jeune roi à son passage d’Orléans à Paris. Mais Blanche s’arrêta prudemment à Montlhéry et envoya demander des secours aux Parisiens, qui sortirent en foule et obligèrent les coalisés à battre en retraite (fév. 1227). Les années suivantes, elle eut des luttes sérieuses à soutenir contre Mauclerc, duc de Bretagne, contre le duc de Bourgogne, les barons de Guyenne, de Poitou, etc., comme il a été dit au mot Blanche de Castille, auquel nous renvoyons le lecteur pour les détails relatifs à la reine mère et qui ne peuvent trouver place ici. Il suffira de rappeler que, par sa vigueur, ainsi que par d’adroites négociations, Blanche brisa en partie la ligue de ses puissants ennemis et termina la guerre civile par la trêve de Saint-Aubin-du-Cormier (1231). Ce fut la fin des troubles de la minorité de Louis IX. Cette période orageuse avait encore été marquée par la continuation de l’implacable guerre contre les albigeois, par l’établissement de l’inquisition à Toulouse, par la dissolution et la reconstitution de l’Université de Paris, et par quelques autres événements de moindre importance.

En 1234, Blanche fit épouser au jeune roi Marguerite de Provence ; mais le mariage ne fut consommé que plusieurs années après, la jeune princesse n’étant pas encore nubile. Marguerite eut beaucoup à souffrir du caractère impérieux de sa belle-mère, jalouse de toute autre influence que de la sienne, et qui, jusqu’à sa mort, continua à gouverner de fait le royaume et la famille royale. Elle avait élevé son fils dans les sentiments d’une piété ardente, en même temps qu’elle le dressait à une obéissance absolue ; la soumission de Louis IX était si entière, que souvent il se cachait pour jouir de la conversation et de la compagnie de sa femme, la reine mère séparant le plus qu’elle le pouvait les deux jeunes gens, dans la crainte de voir diminuer son ascendant.

Peu de temps après son mariage, Louis fit une expédition en Bretagne (la trêve venait d’expirer), et contraignit Mauclerc à renouveler l’hommage féodal, à livrer trois châteaux et à renoncer aux fiefs qu’il possédait hors de son duché (nov. 1234). Une nouvelle trêve conclue avec l’Angleterre et le départ d’un grand nombre de barons pour la terre sainte assurèrent mieux encore la tranquillité du royaume.

Déclaré majeur en 1236, le roi prit en main la conduite des affaires, sans cesser, d’ailleurs, de se soumettre à la haute direction de sa mère. En 1239, il acquit de Baudouin, empereur latin de Constantinople, la couronne d’épines qui passait pour celle qui avait ceint le front de Jésus-Christ et qui faisait partie du trésor de Sainte-Sophie. Baudouin, pressé d’argent, l’avait mise en gage entre les mains d’usuriers vénitiens. Connaissant la passion du roi de France pour les reliques, il lui offrit la couronne en toute propriété, moyennant un prix digne de l’objet. Louis, fort affligé en ce moment de la perte récente d’un très-saint clou du Seigneur que l’on conservait à Saint-Denis, consentit avec joie au marché, remboursa les préteurs et paya grassement Baudouin. Déjà Saint-Denis possédait une « vraie couronne ; » désormais on en eut deux à offrir à la vénération des fidèles. Deux ans plus tard, Baudouin, qui se trouvait bien de son brocantage, vendit au même client une portion considérable de la sainte croix, le fer de la lance et l’éponge. Il eût fini sans doute par négocier le fiel et le vinaigre, pour compléter tous les ustensiles de la Passion. Louis IX achetait tout, sans aucun doute et sans hésitation. Pour loger dignement les précieuses reliques, il fit construire l’admirable édifice connu sous le nom de Sainte-Chapelle, le seul monument à peu près intact qui nous soit resté du grand architecte Pierre de Montreuil.

En 1241, Louis tint à Saumur une cour plénière, pour armer chevalier son frère Alphonse et l’investir solennellement du Poitou et de la suzeraineté d’Auvergne. C’était la continuation de la lutte de la royauté contre la féodalité. Depuis trente-cinq ans que le Poitou avait été conquis par Philippe-Auguste, aucun traité définitif n’avait réglé la possession française et les anciens droits anglais. Les barons poitevins prêtèrent à contre-cœur le serment féodal, mais bientôt allèrent se rallier au château de Lusignan, autour du comte de La Marche, et préparèrent une prise d’armes avec l’appui de Henri III, roi d Angleterre. Louis IX arma rapidement, enleva les principales places du Poitou, et, par les victoires de Taillebourg et de Saintes (juillet 1242), brisa complètement la ligue de ses ennemis, du moins réduisit le comte de La Marche et tous les barons à se soumettre humblement ; mais, en voulant poursuivre ses succès jusqu’en Aquitaine, contre les Anglais, il vit son armée décimée par les maladies et les privations ; lui-même fut assez gravement atteint, et peut-être fut-il heureux de conclure avec Henri III un traité de paix qui, d’ailleurs, était fort avantageux pour la couronne.

Cependant le Midi se souleva de nouveau pour tenter de s’affranchir de la tyrannie sanguinaire des inquisiteurs ; mais bientôt Raymond VII, comte de Toulouse, le chef naturel de toutes les révoltes albigeoises, dut faire une nouvelle soumission et se mettre à la disposition du roi de France, qui le traita avec générosité, mais ne garantit point les populations languedociennes de la terreur ecclésiastique. Cette campagne de 1242 avait terminé la lutte contre les grands vassaux. La suzeraineté royale s’étendit dès lors depuis l’Escaut et la Meuse jusqu’au Rhône et aux Pyrénées. En même temps, des changements assez considérables dans la législation vinrent coïncider avec cette évolution politique. C’est ainsi que Louis IX obligea les seigneurs normands et autres à opter entre la France et l’Angleterre, c’est-à-dire à choisir entre les fiefs qu’ils possédaient dans l’un et dans l’autre pays (1243).

Pendant que ces événements s’accomplissaient en Europe, l’Orient était agité. Le contre-coup des invasions mongoles avait rejeté sur la Syrie une foule de barbares asiatiques. Une de ces peuplades errantes, les Kharismiens, avait dévasté Jérusalem, exterminant musulmans et chrétiens. La nouvelle de la ruine des lieux saints produisit un effet terrible sur l’âme de Louis IX. Malade déjà depuis la campagne d’Aquitaine, ce prince tomba dans un état qui fit craindre pour ses jours. Dans le délire de sa maladie, il fit vœu d’aller en terre sainte pour délivrer lo tombeau du Christ ; cette prise de croix était, d’ailleurs, depuis longtemps au fond de son âme et dans sa pensée. Sa santé, qui ne se rétablit que lentement, ne lui permit pas d’exécuter son projet au gré de son impatience et de son enthousiasme religieux. Mais rien ne put l’y faire renoncer, ni les affaires de son royaume, ni celles de l’Europe, ni les représentations de la reine Blanche, de l’évêque de Paris et d’autres personnes judicieuses. Arrivé en quelque sorte à l’état de voyant et d’extatique, Louis ne pouvait s’arrêter à aucune considération politique. Le 28 août 1248, il s’embarqua à Aiguës-Mortes et gagna l’île de Chypre, dans l’intention de conquérir d’abord l’Égypte, au lieu de descendre directement en terre sainte. Son long séjour dans cette île, où ses barons n’arrivèrent que successivement, ne fut pas favorable à l’expédition. Les approvisionnements s’épuisèrent, une épidémie décima l’armée, qui enfin s’embarqua le 13 mai 1249 et débarqua devant Damiette, où elle entra après un combat heureux contre les troupes égyptiennes, qui se retirèrent dans la direction du Caire, que les croisés prenaient pour Babylone. Louis IX perdit un temps précieux dans Damiette, troublé d’abord par la crue du Nil, puis en attendant la retraite des eaux. Ce ne fut qu’au mois de novembre qu’il s’ébranla pour marcher sur le Caire. Cette nouvelle période de l’expédition fut signalée par des fautes encore plus grossières, qui amenèrent enfin le désastre de Mansourah. Dans la retraite, le roi fut fait prisonnier et ne recouvra la liberté qu’en restituant Damiette et en payant une énorme rançon. Au milieu des calamités de toute nature, désastres militaires, épidémie, etc., il avait, d’ailleurs, montré autant de constance que de fermeté, mais, il faut le dire, autant d’imprévoyance que d’incapacité. Sa femme, Marguerite, qui l’avait suivi jusqu’à Damiette et qui était sur le point d’accoucher, montra aussi beaucoup d’énergie ; en apprenant les malheurs de l’armée et la captivité de son époux, elle avait fait jurer à un vieux chevalier de sa suite de la tuer si les Sarrasins prenaient la ville et pour la sauver elle-même des outrages de l’ennemi.

Cette déplorable expédition avait dévoré des sommes immenses et moissonné les principales forces militaires de la France. Tel était le résultat le plus clair obtenu par cette politique chevaleresque et chrétienne qui devait multiplier les miracles,

Louis resta en Palestine quatre années encore après sa délivrance, réparant les places maritimes qui restaient encore aux croisés, intervenant dans les affaires des princes chrétiens, bien moins préoccupé de son royaume que de la reprise aléatoire de Jérusalem. Cette pensée l’obsédait seule, et il eût sacrifié très-pieusement la France à sa réalisation. Il offrit même au roi d’Angleterre de lui rendre la Normandie et le Poitou, à la condition que ce prince viendrait le joindre en Orient avec une armée. Pendant sa longue absence, la reine Blanche avait d’ailleurs administré le royaume avec intelligence et fermeté, et, avec un grand sens politique, elle avait évité de prendre part dans la lutte de l’empire et de la papauté. Elle mourut en décembre 1252. Cet événement décida le roi, sinon à renoncer à ses chimères, du moins à revenir en France. Toutefois, il resta encore plus d’un an en Palestine, et ne fut de retour qu’au printemps de 1254 ; encore n’entra-t-il à Paris qu’en septembre.

Il s’attacha dès lors à écarter de son royaume toute cause de guerre, en se réconciliant avec ses adversaires, resserra son alliance avec la maison de Champagne par le mariage de sa fille Isabelle avec le jeune Thibaut, conclut avec le roi d’Aragon le traité de Corbeil (11 mai 1258), par lequel il abandonnait la Catalogne et le Roussillon en échange des fiefs que le roi Jayme possédait en France, et enfin poussa l’amour de la concorde jusqu’à l’oubli des intérêts nationaux, en restituant au roi d’Angleterre le Périgord, le Limousin et quelques autres portions de province. Henri III, il est vrai, renonçait à ses prétendus droits (qu’il n’était pas en état de soutenir) sur la Normandie, l’Anjou, la Touraine, etc. Ce traité impolitique et déplorable fut universellement désapprouvé. Louis s’occupa ensuite d’œuvres et de réformes utiles : il fonda plusieurs grands hôpitaux, notamment les Quinze-Vingts, pour trois cents chevaliers aveugles, interdit la prostitution et institua des établissements religieux pour recueillir les filles de mauvaise vie, encouragea les lettres et les arts, protégea l’établissement de la Sorbonne, s’efforça d’interdire les guerres privées, abolit le duel judiciaire dans ses domaines, publia la pragmatique sanction, institua les appels comme d’abus, et enfin, par ses réformes judiciaires, commença une révolution dont il était loin de prévoir les résultats (V. ÉTABLISSEMENTS DE SAINT LOUIS : c’est le nom donné au recueil de ses lois et ordonnances). Ce fut lui aussi qui constitua le parlement ; mais il ne se contentait pas d’élaborer les mesures législatives avec ses conseillers et de présider les grandes assises, il croyait de son devoir de rendre quotidiennement la justice en personne à tous ceux qui la demandaient, voulant imiter ainsi les rois et les juges d’Israël. « Lorsque le sire de Nesles, le comte de Soissons et moi et autres des siens amis, raconte Joinville, avions esté le matin à la messe, il falloit que nous allassions ouïr les plaids de la porte, puis le bon roi nous demandoit s’il y avoit quelques gensvqu’on ne pût dépêcher sans lui. S'il y en avoit, il les envoyoit quérir et les contentoit, et les mettoit en raison et droiture. Maintes fois, après qu’il avoit ouï messe en été, il