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duisit avec une grande prudence au milieu de la surexcitation des esprits, obtint le renvoi du cardinal Granvelle (1564), qui s’était rendu odieux aux Flamands, et envoya le comte d’Egmont à Madrid pour demander à Philippe II d’adoucir les édits de religion et de réorganiser les conseils ; mais le roi d’Espagne répondit qu’il voulait qu’on poursuivît avec rigueur les hérétiques et refusa la convocation des états généraux (1565). Cette réponse et la protestation contre l’établissement de l’inquisition, connue sous le nom de compromis des Nobles, rendirent une révolte imminente. Marguerite dut s’apprêter à combattre l’insurrection ; mais elle ne cessa de demander à Philippe de faire des concessions, et fit appliquer avec la plus grande modération les peines contre les hérétiques. Une insurrection générale ayant éclaté en 1566, Marguerite prit des mesures énergiques, réprima les excès commis et étouffa la révolte. Bien que l’ordre fût rétabli, Philippe II envoya en 1567 le farouche duc d’Albe avec de pleins pouvoirs qui réduisaient à un vain titre l’autorité dont Marguerite de Parme avait été jusqu’alors investie. Cette princesse crut de sa dignité de se démettre de ses hautes fonctions et alla rejoindre son mari en Italie, où elle passa le reste de sa vie. Marguerite joignait à un air tout viril, qui la faisait ressembler à un homme habillé en femme, des goûts peu en harmonie avec son sexe. C’est ainsi qu’elle aimait avec passion la chasse à courre. « Elle avait, dit Prescott, un jugement excellent, une compréhension prompte ; elle s’accommodait avec une grande souplesse aux exigences de sa position, et montrait dans la conduite des affaires une rare adresse, acquise peut-être à l’école des politiques italiens. »


MARGUERITE D’AUTRICHE, gouvernante des Pays-Bas, célèbre par ses malheurs et sa haute capacité politique, née à Bruxelles en 1480, morte à Malines en 1530. Elle était fille de Maximilien d’Autriche. Fiancée d’abord au dauphin de France (Charles VIII), puis à l’infant d’Espagne, elle faillit périr en mer dans une furieuse tempête en se rendant auprès de son fiancé. C’est au milieu de ce danger suprême qu’elle se composa l’épitaphe si connue :

Ci-gît Margot, la gente demoiselle,
Qu’eut deux maris et si morut pucelle.

L’infant étant mort au bout de quelques mois, Marguerite épousa enfin, en 1501, Philibert, duc de Savoie, qu’elle perdit après quatre ans d’une union heureuse. Nommée gouvernante des Pays-Bas par son père, elle déploya de grands talents dans son administration, assista comme plénipotentiaire aux conférences de Cambrai (1508) et conclut le traité avec le cardinal d’Amboise, entraîna le roi d’Angleterre dans une ligue contre la France (1515), négocia avec Louise de Savoie la paix dite paix des Dames (1529), et fit enfin fleurir dans les Pays-Bas l’agriculture, le commerce et les arts de la paix. Elle composa un grand nombre de poésies, qui sont restées manuscrites. M. Le Glay a publié sa Correspondance avec son père (Paris, 1839, 2 vol. in-8o).


MARGUERITE DE FRANCE, duchesse de Savoie, fille de François Ier, née à Saint-Germain en 1523, morte à Turin en 1574. Elle protégea les lettres et vécut entourée des plus beaux esprits de son temps, Ronsard, du Bellay, etc. En 1559, elle épousa Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, et se fit tellement chérir de ses nouveaux sujets, qu’ils la nommèrent la Mère des peuples. Bien que fort belle et très-courtisée, elle avait su conserver une grande pureté de mœurs, si rare à cette époque. Les vers composes sur sa mort ont été recueillis en un volume imprimé à Turin (1575, in-8o). Marguerite avait eu de son mari un fils, qui fut Charles-Emmanuel Ier.

PERSONNAGES DIVERS.


MARGUERITE, fille du comte de Hollande Florent. Elle vivait vers la fin du xiiie siècle. D’après une légende, Marguerite, ayant refusé l’aumône à une femme qu’elle accusa en même temps d’adultère, en fut promptement punie. Elle accoucha, en 1276, de 365 enfants. Les garçons furent tous nommés Jean et les filles Élisabeth. Cette légende est représentée dans un grand tableau qu’on voit dans un village près de La Haye, et à côté du tableau se trouvent deux grands bassins d’airain sur lesquels on prétend que les 365 enfants furent présentés au baptême. Les anciennes annales ne font nullement mention de cette extravagante tradition, et plusieurs érudits ont cherché ce qui avait pu y donner lieu. M. Struik, en examinant les épitaphes de Marguerite et de son fils Jean, évêque d’Utrecht, a trouvé que la comtesse était accouchée le vendredi saint 1276, qui était le 26 mars. Or, dans ce temps, l’année commençait le 25 du même mois. Lorsque la comtesse accoucha, deux jours de l’année s’étaient donc écoulés, ce qui a fait dire « qu’elle mit au monde autant d’enfants qu’il y en avait dans l’année. » En effet, l’histoire donne à Marguerite deux enfants, Jean et Élisabeth. C’est ainsi que cette fable s’explique et devient un événement ordinaire, qui ne tient au merveilleux que par une équivoque. Les écrivains postérieurs, qui n’ont point examiné cette circonstance, ont attribué 365 enfants à la comtesse (Journal des Savants, février 1758).


MARGUERITE D’YORK, fille de George, duc de Clarence, qui périt dans un tonneau de vin de Malvoisie, nièce des rois d’Angleterre Édouard IV et Richard III, née en 1473, morte en 1541. Elle épousa, au commencement du xvie siècle, Richard Polus ou Richard Pool, cousin germain du roi d’Angleterre Henri VII. Spirituelle, instruite, mais surtout douée d’une haute sagesse, elle fut choisie pour être gouvernante de Marie, princesse de Galles, qui devait plus tard monter sur le trône. Elle eut par la suite le courage de reprocher à Henri VIII son divorce avec Catherine d’Aragon, et Henri, prenant pour prétexte les lettres que le cardinal Polus écrivait de Rome à sa mère, accusa Marguerite d’entretenir des relations avec les ennemis de l’État, la fit condamner à mort et, sans égard pour son âge (Marguerite avait alors soixante et onze ans), laissa exécuter la sentence.


MARGUERITE GORDONG, comtesse de Sorbes, née vers le milieu du xvie siècle, morte à Anvers en 1605. Fille du marquis de Huntley, de la maison royale d’Écosse et gouverneur de ce royaume après la mort de Henri Stuart, sous la reine Marie, Marguerite Gordong fut unie au comte de Sorbes, d’une des plus grandes familles d’Écosse. Ce mariage avait pour objet de rapprocher deux maisons rivales dont l’une était à la tête du parti catholique, l’autre à la tête du parti calviniste ; mais au bout de quelques années d’une union heureuse, la mésintelligence se mit entre les deux époux. Le comte de Sorbes voulut forcer sa femme à apostasier et, ne pouvant y parvenir, il la répudia pour se remarier à quelques jours de là. Marguerite ayant cherché alors un asile chez ses parents, la haine du comte de Sorbes se changea en fureur. À plusieurs reprises, il tenta, mais en vain, de se débarrasser d’elle par le fer et par le poison. Marguerite épouvantée alla chercher un refuge en Brabant, auprès d’un de ses fils qui venait de prendre l’habit de bure du capucin. Sans ressources, elle fut obligée de travailler de ses mains, et bientôt, épuisée par la maladie, elle se vit contrainte d’aller mendier de porte en porte pour ne pas mourir de faim. Le roi d’Écosse, ayant été informé de cette grande infortune, envoya des secours à Marguerite, qui mourut peu après.


MARGUERITE, comtesse de Richemont, mère de Henri VII, roi d’Angleterre. V. Beaufort.


MARGUERITE, personnage de Faust, drame philosophique et religieux de Gœthe. Un savant, nommé Faust, rebuté de l’inanité de ses efforts, donne son âme au diable, à Méphistophélès, à la condition que celui-ci lui procurera la science et toutes les jouissances que procure la richesse. Alors les deux compagnons s’en vont de par le monde à la recherche des plaisirs. Marguerite leur apparaît ; c’est la jeune fille innocente et simple, victime d’une horrible fatalité ; elle est profanée, entraînée au crime, au meurtre, sans pouvoir presque résister, bien que son cœur soit toujours plein d’un céleste amour pour la vertu, devenue en elle une dérision amère, et enfin elle meurt folle sur un échafaud. La principale scène de ce touchant et terrible épisode est celle de Marguerite à l’église. Marguerite, coupable, comprend que ce n’est plus aux hommes qu’elle peut demander la paix, puisque les hommes repoussent ou humilient le repentir ; elle se réfugie dans une église et cherche des consolations dans la prière. Méphistophélès l’y poursuit, « il lui rappelle les jours de son innocence, lorsque son cœur était partagé entre les jeux de l’enfance et l’amour de Dieu ; il oppose à ces souvenirs le tableau de son état actuel ; il retrace à son imagination le tombeau de sa mère, le cadavre sanglant de son frère. Les paroles de Méphistophélès, interrompues par le chant solennel du Dies irae, portent au plus haut degré le désespoir de Marguerite, et, lorsque cette malheureuse perd connaissance, l’émotion est si poignante que le génie du poète ne pouvait plus rien ajouter. »

Marguerite est restée le type de la jeune fille innocente, de la vertu entraînée fatalement au mal et expiant par sa mort des fautes étrangères à sa volonté.


Marguerite au rouet, tableau d’Ary Scheffer (Salon de 1831, collection Rothschild). I) y a dans la façon dont l’artiste a compris la sympathique amante de Faust une grâce mélancolique et rêveuse pleine de séduction. Marguerite est assise devant Son rouet, immobile ; elle pleure et songe ; sans doute elle se murmure ces tristes paroles du poëme : « Le repos s’est enfui de mon cœur oppressé, je ne le retrouverai plus jamais, plus jamais ! » Cette tristesse mystérieuse a quelque chose de communicatif qui vous émeut. L’ensemble est d’une rare harmonie, et la pose abattue, les bras qui tombent languissamment, les larmes qui coulent, la tête qui se penche, sont d’un naturel parfait.

« Marguerite est simple et touchante, dit M. Étex, et charmante de beauté et de sentiment. La peinture de cette toile est bien changée ; elle est beaucoup alourdie et a passé au noir et au vert. Malgré cela, ce charmant ouvrage, son chef-d’œuvre pour beaucoup d’artistes, peut soutenir à lui tout seul la réputation de l’auteur… Ary Scheffer, dans cette toile de Marguerite au rouet, reste un artiste à part qui sort de la foule. Ce simple tableau, placé dans n’importe quelle galerie, assignera à Scheffer une place parmi les peintres qui ont un lendemain, et qui vivent plus longtemps que les peintres à la mode dont le genre a prévalu un instant. Cette fois, Ary Scheffer était complètement lui, et donnait la mesure de son talent, qui peut s’exprimer par ces deux mots : « Ce qui part du cœur pour arriver au cœur. »

En 1848, la Marguerite au rouet faillit être incendiée ; tout le milieu de la toile, le buste, la tête et les mains, eut à souffrir des atteintes du feu ; Ary Sehelfer a repeint lui-même les parties endommagées.

La Marguerite au rouet ne fut que la première de quatre grandes compositions inspirées à Scheffer par la touchante création de Gœthe ; on peut dire qu’il revint sans cesse sur ce type, dont il s’était pénétré, et qu’il s’ingénia jusqu’à la fin de sa vie à lui donner une expression nouvelle. Il exposa successivement : la Marguerite à l’église ou Marguerite au prie-Dieu, la Marguerite au sabbat et la Marguerite à la fontaine, sans compter la Sortie se l’église et la Promenade au jardin, où figure encore l’héroïne de Faust. Toutes ces compositions sont empreintes de la même tristesse amoureuse et mélancolique ; elles comptent parmi les plus belles œuvres du maître.


Marguerite Lindsay, roman du poëte écossais Allan Cuningham (1825). M. de Barante n’a pas dédaigné de faire une préface pour cette œuvre d’un simple tailleur de pierre qui sentit ses instincts poétiques se développer au milieu de ses travaux manuels, et dont les chansons puis les romans devinrent vite populaires. La préface est une excellente notice biographique, qui nous initie aux inspirations toutes spontanées d’un ouvrier heureusement doué ; le roman en lui-même est un des tableaux les mieux tracés des mœurs de la classe pauvre, à laquelle Allan Cuningham appartenait. L’héroïne est la fille d’un ouvrier imprimeur qui habite Édimbourg. Le travail du père suffit amplement pour entretenir sa femme Alice et ses enfants, Marguerite, Esther qui est aveugle, et Mariou, une pauvre idiote. Seul, son fils Laurent, le marin, n’est pas à sa charge. Ce ménage était un modèle, lorsque tout à coup le père se met à négliger son travail et sa famille ; il prend une maîtresse, s’érige en réformateur politique et religieux. De ce moment datent les malheurs des Lindsay et les épreuves de Marguerite. Grâce à son dévouement, son mari sort de prison ; mais il délaisse les siens pour suivre sa maîtresse. Privée de ressources, la pauvre famille est obligée d’abandonner la maison où s’étaient écoulés tant de jours paisibles. Marguerite ouvre une école, mais elle ne peut réussir à la faire prospérer. Elle se réfugie dans une famille riche qu’elle est obligée de fuir, le fils de la maison s’étant épris sérieusement d’elle. Un vieil oncle avare et impie l’abrite à son tour ; elle le réconcilie avec le ciel et le change si totalement, qu’il l’institue son héritière. Voilà Marguerite devenue riche ; mais le malheur ne se lasse pas de la poursuivre : son mari est mort, et elle épouse en secondes noces un jeune et brillant cavalier ; quelques jours après l’union, elle apprend qu’il est déjà marié et père de famille, de la bouche même d’Anna Blantyre, sa première femme. Ludovic Oswald, voyant son infamie découverte, s’enfuit, et Marguerite adoucit les derniers moments d’Anna, minée par la misère. Elle sert de mère au fils de sa rivale. Tant de dévouement mérite une récompense : Marguerite retrouve son second mari corrigé et repentant, et elle, qui avait si bien rempli ses devoirs envers ses parents, devient à son tour l’objet de la plus tendre affection de ses enfants.

Ce roman, reproduit dans notre langue par une plume exercée, est plein de l’intérêt qu’éveillent des situations naturelles, rendues plus touchantes par le charme du style, par la vérité des sentiments, par la peinture réelle des scènes de la vie intime.


Marguerite ou Deux amours, roman de Mme Émile de Girardin (1853). Marguerite est une jeune veuve, et les adorateurs ne lui manquent pas, bien qu’elle soit mère d’un bambin de sept ans, qui ne se plaît qu’à faire enrager tout le monde, et particulièrement le cousin de Marguerite, Étienne d’Arzac, que celle-ci doit épouser prochainement. Le mariage est presque décidé, lorsqu’un incident imprévu vient tout changer. Un jour que Gaston est allé se promener dans le bois avec un petit camarade, il va être attaqué par un loup, lorsqu’un coup de fusil, tiré par une main invisible, étend le loup pur terre et lui sauve la vie. On accourt ; on cherche partout, on veut découvrir quel est le sauveur mystérieux de Gaston ; mais il a disparu, et Marguerite n’a pas la satisfaction do lui témoigner sa reconnaissance. Son imagination travaille et se charge de lui représenter l’inconnu doué de toutes les qualités physiques et morales ; à force d’y penser, elle ne peut s’empêcher de le créer au gré de ses désirs, et le portrait qu’elle s’en fait ne laisse pas de nuire un peu dans son esprit à ce pauvre d’Arzac. C’est bien pire encore lorsque le mystère se découvre : on finit par savoir que le sauveur de Gaston est le comte Robert de La Fresnaye, sorte de Lovelace repenti, très-séduisant. À peine s’est-il présenté au château qu’il tombe amoureux de Marguerite, qui, de son côté, ne peut voir sans émotion celui à qui elle doit la vie de son fils ; le comte répond d’ailleurs complètement à l’idée qu’elle s’en était formée. Voilà donc une femme, au cœur simple, honnête, vertueux, qui aime deux hommes à la fois, car elle n’a aucune raison pour retirer son cœur à Étienne, et elle en trouve beaucoup pour le donner à Robert de La Fresnaye. Étienne finit pourtant par comprendre qu’il n’est pas le préféré, et, poussant jusqu’au bout le dévouement, il se résout à une mort volontaire qui rendra à Marguerite le droit d’être heureuse avec celui qu’elle aime. Mais Marguerite devine les motifs de la mort d’Étienne, et, accablée de remords, déjà sourdement minée par la maladie, elle meurt à son tour, après avoir épousé Robert in extremis, afin de donner un père à son fils Gaston.

Telle est la donnée quelque peu paradoxale de ce roman ; au premier abord, on ne veut pas y croire ; on se dit à chaque page que l’auteur va trouver un moyen pour tirer Marguerite de la situation impossible où elle se trouve, Mme de Girardin n’a pas trouvé d’autre issue à l’aventure que ce dénoûment lugubre.


Marguerite Haie ou Nord et Sud, roman anglais de mistress Gaskell (1855, 2 vol. in-8o). Dans ce vaste tableau de mœurs anglaises, l’auteur a voulu opposer, d’un côté, la société du Sud, société aristocratique et agricole, vivant sous un climat doux, sur un sol fertile, riche en fermes et en jolis cottages, à l’âpre société du Nord, toute manufacturière et industrielle ; et, d’un autre côté, une fois qu’elle a transplanté son héroïne dans les centres manufacturiers du Nord, nous faire assister à l’implacable lutte de l’ouvrier contre le patron, du travail contre le capital. Dans cette région, aux villes toutes neuves, pleines de rumeurs et couvertes de suie, l’activité est prodigieuse, et grande la misère. Les grèves d’ouvriers s’y changent en émeutes. La bourgeoisie y professe le radicalisme américain, et la population ouvrière, qui se croit exploitée, incline, en désespoir de cause, vers le socialisme et l’athéisme. Le roman de Mme Gaskell a pour but, et la conciliation de ces intérêts ennemis, mais indivisibles, et la fusion du caractère et des mœurs des deux sociétés (Nord et Sud) en ce qu’il y a de bon, d’utile et de fort dans chaque groupe. L’action, toute morale au début, s’ouvre par un tableau d’intérieur, sous le toit d’un presbytère de campagne, où règne la paix domestique. Marguerite, l’héroïne du livre, est douée d’une âme forte et d’une beauté aristocratique. Elle est née au midi de l’Angleterre, dans ces contrées où, suivant l’expression de mistress Gaskell, « l’aristocratie traîne des jours d’une lenteur désespérante au milieu d’un luxe dont elle ne jouit même pas, empêtrée dans un miel qui l’empêche de voler et de marcher. » Fille d’un clergyman, elle a vécu longtemps éloignée du presbytère paternel, chez une tante riche, dans un monde élevé. Néanmoins, elle est sans fortune, et, lorsqu’elle revient chez son père, il lui faut vivre dans la retraite. Bientôt son père, tourmenté de quelques doutes sur les croyances de l’Église anglicane, quitte son presbytère, et Marguerite le suit dans une ville manufacturière du Nord, où il compte donner à quelques élèves, à des bourgeois enrichis, des leçons d’histoire et de littérature. Élie frémit en se voyant au milieu d’une population inculte et grossière, égoïste ou corrompue.

Elle se trouve alors en présence de deux hommes placés aux deux extrémités de la société de Milton, la ville où son destin l’a conduite. L’un, M. Thornton, est un industriel grave et laborieux, mais inflexible ; l’autre, Higgins, un ouvrier aigri par les privations, par le scepticisme et par une étude superficielle des questions sociales. Entre ces deux adversaires, Marguerite se place comme la conciliation et la paix. La dignité de son attitude, la noblesse de son langage, la force de son intelligence, la grâce aristocratique de sa beauté séduisent les instincts élevés de M. Thornton, qui se sent dompté par une fermeté égale à la sienne. Une grève éclate. Au milieu de la lutte que Thornton soutient contre ses ouvriers avec une impitoyable ténacité, Marguerite se présente à lui comme capable de partager ses périls. Dans cette émeute populaire, si bien décrite par mistress Gaskell, lorsque le flot tumultueux des ouvriers vient battre le seuil de la maison du maître, c’est elle qui s’élance entre eux et lui ; c’est elle qui, par son admirable attitude, arrête et fait reculer la foule ivre de fureur ; mais en même temps c’est elle qui, sans vains discours, sans laisser paraître un amour qu’elle ne soupçonne pas encore elle-même, fait pénétrer dans le cœur d’airain du manufacturier des sentiments d’indulgence et de pitié. Tel est son rôle auprès de Thornton ; elle en a un aussi noble auprès de l’ouvrier Higgins. À cet homme que les soucis domestiques, la longue maladie d’une fille bien-aimée, sa propre misère et la vue de la misère des autres ont irrité contre la société, elle apparaît comme une lumineuse vision. Elle trouve pour lui, dans son cœur, des paroles de paix.