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tête ne fera pas tourner la mienne. En second lieu, je serai toujours sobre ; j’aurai beau être tenté par la bonne chère, par les vins délicieux, par les séductions de la société, je n’aurai qu’à me représenter les suites des excès : une tête pesante, un estomac embarrassé, la perte de la raison, de la santé et du temps… Tout cela est facile. Ensuite, il faut penser à ma fortune ; mes désirs sont modérés, mes biens sont solidement placés sur le receveur général des finances de Ninive, j’ai de quoi vivre dans l’indépendance, c’est là le plus grand des biens. »

Ayant fait tous ces beaux plans de sagesse, Memnon se met à sa fenêtre et aperçoit, assise sur un banc, une jeune fille d’une grande beauté tout en larmes, ayant à côté d’elle une vieille. Il descend s’informer de ce qui fait pleurer cette intéressante enfant, qui le supplie de la suivre chez elle pour lui donner de bons conseils. Memnon, tout ému, s’empresse de lui obéir, et, arrivé dans la chambre de l’inconnue, écoute fort attentivement le récit de ses malheurs. De l’intérêt il passe a un sentiment plus vif, et l’oncle, qui surprend le couple au plus beau moment, déclare qu’il va tout massacrer. Memnon, pour l’apaiser, est obligé de donner tout l’argent qu’il a sur lui, fort heureux que l’Amérique n’ait pas encore été découverte. En rentrant chez lui, il trouve une invitation à dîner. Il se dit naturellement que, après semblable aventure, s’il reste seul, il sera lugubre et capable de tomber malade ; qu’un bon dîner avec d’excellents amis dissipera son chagrin. Ses amis le grisent horriblement, le font


jouer aux dés, lui gagnent tout son argent et le forcent de s’engager pour des sommes assez rondes. Sur un coup douteux, une querelle s’élève, et Memnon a l’œil crevé dans la bagarre. On le rapporte chez lui ivre mort. Le lendemain, il apprend que le receveur des finances a fait banqueroute et qu’il est ruiné. Il se rend à la cour, un placet à la main et un emplâtre sur l’œil, pour obtenir justice de son débiteur ; mais tout le monde se moque de lui, et, en rentrant, il aperçoit la jeune dame affligée de la veille, donnant le bras à son oncle, qui éclate de rire en voyant le pauvre diable et sa mauvaise mine. Dégoûté de la sagesse, Memnon comprend que la parfaite sagesse n’est pas plus de ce monde que les autres perfections, et que, si tout n’est pas bien ici-bas, comme dit Leibniz, tout n’y est pas mal non plus, chaque chose concourant, pour sa part, à l’harmonie universelle. Cette morale est assaisonnée de tout l’esprit de Voltaire.

Memnon ou la Sagesse humaine, opéra-comique en un acte, paroles de MM. Édouard Cadol et Paul Bocage, musique de M. Charles Grisart ; représenté au théâtre des Folies-Bergères la 2 décembre 1871. C’est le conte de Voltaire qui a fourni la donnée de la pièce. La musique a été assez goûtée ; on a remarqué les couplets chantés par Mlle Judic, le duo entre l’esclave Aidée et Memnon, ainsi qu’une chanson à boire. Les quatre vers si connus du conte de Voltaire (v. ci-dessus) ont fourni au musicien l’idée d’une mélodie dont la forme archaïque est originale.

MEMNONIDES, nom sous lequel les écrivains et les mythologues de l’antiquité désignent les oiseaux qui naquirent du bûcher de Memnon. Lorsque ce vaillant fils de l’Aurore fut tombé devant Troie sous la main d’Achille, sa mère inconsolable alla supplier le roi des dieux de rendre son fils immortel et de le faire renaître sous une forme nouvelle, ce que Jupiter lui promit. En effet, lorsque le bûcher sur lequel avait été placé le corps de Memnon eut été consumé, on vit sortir des cendres une foule d’oiseaux qui firent trois fois le tour du bûcher en poussant le même cri plaintif ; puis ils s’attaquèrent mutuellement et se battirent avec tant de fureur qu’ils s’entre-tuèrent jusqu’au dernier, faisant ainsi de leur sang une libation en l’honneur du héros. Ces oiseaux étaient blancs, suivant quelques mythologues ; mais Elien prétend qu’ils étaient noirs et semblables à des éperviers. Pline ajoute que tous les ans, le jour anniversaire de la cérémonie funèbre, ils venaient balayer l’espace qui entourait le tombeau de Memnon, et qu’ils l’arrosaient au moyen de leurs ailes trempées pour cela dans les eaux du fleuve Asope. Puis ils se livraient un nouveau combat qui avait la même issue que le premier.

MEMNONITE s. m. (mè-mno-ni-te). Moll. Ancien nom du cône vierge, adopté par Lamarck.

Memnonium, temple gigantesque situé près de Thèbes, en Égypte, sur la rive gauche du Nil. Ce nom de Memnonium n’est qu’une qualification donnée au hasard et que rien encore n’a justifiée. À son entrée, deux


môles carrés flanquent une porte immense : contre le mur de l’intérieur sont sculptés en deux bas-reliefs les combats victorieux d’un héros, représentation très-archaïque où le héros apparaît gigantesque et les ennemis qu’il combat prodigieusement petits ; ce à quoi le citoyen Denon remarque, avec plus d’ingéniosité que de sens archéologique, que la flatterie que semble impliquer cette sculpture est fort mal entendue, « puisqu’il devait être honteux pour ce héros de n’avoir à combattre que des pygmées. » C’est à quelques pas de cette porte que sont les restes d’un colosse énorme qui, à la netteté des fractures, semble avoir été brisé de main d’homme et que l’on croit être le Memnon mutilé par Cambyse. C’est à cause de lui que l’on a appelé Memnonium cet édifice, qui était plutôt un palais qu’un temple. Cette ruine, située sur le penchant de la montagne et n’ayant jamais été habitée dans les temps postérieurs, est si bien conservée dans ses parties encore debout, qu’elle a moins l’aspect d’une ruine que d’un édifice en construction dont les travaux seraient suspendus. On entre par une grande porte ruinée, encore couverte de bas-reliefs de vieux style égyptien et qui sembleraient faire remonter l’éditice à la dix-neuvième dynastie. Ils représentent une bataille ; le colosse dont nous avons parlé gît entre cette grande porte et une autre ; la totalité de ce monument se dirige d’orient en occident, et arrive presque jusqu’à la base de la chaîne Libyque ; des palmiers doum font fleurir leurs maigres bouquets de verdure à travers les débris granitiques dont le sol est chargé.