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les vieillards infirmes, hommes et femmes, de toutes les paroisses de la ville, et des faubourgs de d’âge, parmi les pauvres à l’aumône du grand bureau ; et, de plus, un certain nombre d’aliénés, de vénériens et de teigneux.

D’après Tenon, l’hôpital des Petites-Maisons comportait, en 1786, indépendamment des secours qu’il procurait à des indigentes valides, 226 lits ainsi répartis 150 petits lits d’infirmerie, pour les malades, de la maison couchant seuls ; 7 lits pour des gardes-françaises attaqués du mal vénérien ; 7 autres lits à des gardes-suisses atteints du même mal ; 18 lits pour des particuliers ayant contracté la maladie honteuse ; 44 loges contenant chacune un lit pour des fous furieux des deux sexes déclarés incurables. En 1788, le nombre des places destinées aux pauvres était de 538. Les pensionnaires qui n’occupaient pas les lits d’infirmerie recevaient, chaque, semaine, du bois, du sel, de la viande et un écu. Les fous que l’on recevait aux Petites-Maisons payaient 300 livres de pension ; les loges qu’ils habitaient n'étaient guère meilleures que celles de Bicêtre.

Peu de temps après son installation, le conseil général des hospices, considérant que les personnes engagées dans le mariage et réduites à la nécessité de se retirer dans un hospice étaient forcées, la plupart, de vivre séparées l’une de l’autre, ordonna, par règlement du 18 vendémiaire an X, que l’hospice Petites-Maisons serait exclusivement destiné aux époux en ménage. Plus tard, un certain nombre de chambres furent réservées aux individus de l’un et de l’autre sexe, veufs, âgés de soixante ans révolus, en état de justifier qu’ils ont passé vingt ans, au moins, en ménage ; des places furent également réservées aux religieuses « que la Révolution avait privées de la demeure où elles avaient compté passer leur vie. »

En 1860, les bâtiments de la rue de Sèvres étant devenus trop étroits pour les besoins du service, la translation de l’hospice des Ménages fut décidée. Le nouvel hospice fut érigé sur le territoire de la commune d’Issy ; l’emplacement choisi présente une superficie de 6 hectares et demi ; situé dans une position des plus heureuses, il réunit toutes les conditions désirables d’une bonne installation hospitalière.

Les constructions du nouvel établissement sont exposées au sud-est, et sont placées dans un des sites les plus agréables des environs de Paris. De la façade principale, la vue s’étend, par delà la Seine, jusqu’aux coteaux de Saint-Cloud.

L’hospice de la rue de Sèvres ne contenait que 821 lits ; depuis longtemps, ce nombre n’était plus en rapport avec celui des demandes d’admission l’attente des postulants inscrits était rarement de moins de quatre années. Désirant favoriser le principe de l’institution qui permet de réunir dans une dernière et commune assistance les époux qui ont travaillé et vieilli ensemble, l’administration a porté à 1,400 le nombre des lits du nouvel hospice.

L’hospice des Ménages est destiné à des époux en ménage, ou à des veufs et veuves, qui, sans être dans un état d’indigence absolu, n’ont cependant pas de moyens suffisants d’existence, et peuvent payer le capital fixé pour l’admission. La somme exigée par l’administration est si modique, que les ménages les plus éprouvés peuvent facilement la prélever sur le salaire quotidien, et assureur ainsi, sans aucune gêne, la tranquillité de leurs vieux jours. Cette somme est fixée, pour les époux en ménage auxquels des chambres particulières sont assignées, à 3,600 francs ; elle est fixée, pour les veufs ou veuves reçus dans des chambres particulières, à 1,600 fr., et à 1,000 fr. pour ceux ou celles qui couchent en dortoir. Les inscriptions n’ont lieu qu’en faveur d’époux ayant au moins soixante ans, et dont les âges réunis forment au moins cent trente ans ; les veufs ou veuves ne sont inscrits qu’à la condition d’avoir vécu au moins dix ans en ménage, et d’être âgés de soixante ans ou plus. Chacun des pensionnaires en chambre, époux, veufs ou veuves, reçoit les prestations suivantes 3 francs en argent, tous les dix jours ; 60 décagrammes de pain par jour aux hommes, et 55 aux femmes 50 décagrammes de viande crue par semaine 1 double stère de bois et 4 hectolitres de charbon de bois par an. Les veufs ou veuves admis en dortoirs ne jouissent pas de ces prestations ; ils sont tenus, de prendre leurs repas en commun et leur régime est le même que celui des autres hospices de vieillards dirigés par l’administration hospitalière de Paris. Tout pensionnaire fournit, au moment de son entrée, un mobilier d’une valeur d’environ 200 francs.

MÉNAGE (Matthieu), théologien français, né dans le Maine vers 1388, mort à Angers en 1446. Il fut successivement professeur de philosophie à Paris (1413), vice-chancelier (1416) et recteur de l’Université (1417). S’étant fixé par la suite à Angers, il y occupa une chaire de théologie (1432) et, cette même année, il fut député par l’évêque de cette ville au concile de Bâle. Les lumières et le talent qu’il y déploya lui valurent d’être envoyé à Florence, auprès du pape Eugêne IV ; pour requérir la mise à exécution des décrets du concile. De retour à Angers en 1437, il s’adonna l’enseignement et à la prédication et fut nomme théologal en 1441.

MÉNAGE (Gilles), en latin Ægidius Menagius, érudit, poète et bel esprit, qui a joué un grand rôle dans les querelles littéraires du XVIIe siècle, né à Angers le 15 août 1613, mort à Paris le 23 juillet 1692. Il était fils de Guillaume Ménage, avocat du roi à Angers, et de Guillone Airault, sœur de Pierre Airault, lieutenant criminel dans la même ville. Dès son enfance, il manifesta une véritable passion pour la lecture et des aptitudes intellectuelles, parmi lesquelles la mémoire se montrait sa faculté dominante. Il fit ses études d’humanités, de philosophie et de droit à Angers, sous la direction de son père, puis suivit à Paris, étant tout jeune encore, M. de Loyauté, ami particulier de son père, et fut reçu avocat au parlement de Paris, où il plaida quelques causes. Mais dégoûté bientôt de cette profession, il entra dans l’état ecclésiastique, fut pourvu de quelques bénéfices, et entre autres du doyenné. de Saint-Pierre d’Angers, que Guillaume Ménage, son père, avait possédé quelques années, depuis la mort de sa femme, sans néanmoins quitter sa charge d’avocat du roi. C’était l’usage alors on était d’église sans entrer dans les ordres, sans être prêtre. Pourvu ainsi de bonne heure d’une honnête aisance, il se livra dès lors, avec passion, à l’étude des lettres et à celle des langues ; son ardeur littéraire ne l’abandonna plus qu’avec la vie.

Un accident physique sembla néanmoins vouloir contrarier sa vocation. Etant allé aux Grands Jours de Poitiers en qualité d’avocat, il fut, au retour, attaqué d’une sciatique et obligé de s’arrêter à Angers, près de son père. Il souffrit avec beaucoup de constance qu’on lui appliquât des fers chauds à l’emboiture de la cuisse ; et n’en fut pas pourtant guéri. Son père, croyant lui faire plaisir, se démit alors de sa charge d’avocat du roi en sa faveur. Ménage ne voulut pas le refuser étant chez lui ; mais, aussitôt qu’il fut de retour à Paris, il lui en renvoya les provisions. Ce refus irrita son père contre lui néanmoins, l’évêque d’Angers les réconcilia et la fortune de Ménage, sans bassesse de sa part, ne fit que s’accroître de revenus de toutes sortes. Ainsi, nous le trouvons, presque à son arrivée à Paris, pourvu de deux bénéfices valant 4,000 livres de rente et d’une pension de 2,000 livres sur la cassette du cardinal Mazarin. Mazarin l’avait enlevé au cardinal de Retz, qui, le premier, l’avait pensionné et disputé au prince de Conti ce dernier avait voulu l’attacher à sa maison et lui avait fait les offres les plus tentantes. On s’arrachait déjà ce bel esprit.

Lié tout d’abord avec Chapelain et Balzac, qui tenaient alors le sceptre de la littérature, il fonda chez lui, dans son habitation du cloître Notre-Dame, une sorte de cénacle une académie au petit pied, qui donna longtemps le ton aux gens de lettres. Ces soirées littéraires furent appelées des mercuriales, du jour où elles se tenaient. Ménage, pour avoir déjà obtenu un crédit tel que ses opinions faisaient foi, que ses bons mots couraient la ville et que Mazarin voulut tenir de sa propre main la liste des écrivains dignes de ce nom, Ménage n’avait encore écrit que la vie latine de Montmaur, Vita Gargilii Mamurræ parasitopædagogi, sorte de pamphlet qu’il continua pendant un an ou deux en poursuivant de concert avec Balzac, en prose et en vers, en grec et en latin, le spirituel parasite dé l’époque. Une satire en vers burlesques, à la Scarron, la Requête des dictionnaires (1638), dirigée contre l’Académie, fit plus de bruit et lui valut un peu plus tard l’ostracisme de cette assemblée. La fondation de la célèbre compagnie était si récente, les querelles littéraires avaient alors si bien l'avantage de passionner tout le public instruit, que cette satire, œuvre de bien peu d’importance au fond, circula sous le manteau, manuscrite, près de dix ans avant d’être imprimée, et fut analysée, jugée, disséquée avec le plus grand soin par tous les lettrés, les érudits, les hommes du monde. Tallemant des Réaux lui décoche, en passant, ce compliment « C’est ce que Ménage a fait de meilleur, quoique la versification n’en soit nullement naturelle et qu’il y ait par endroit bien de la traînasserie. » De toutes les choses qui ont été faites contre cette compagnie, dit son tour Pellisson, je n’en ai vu que trois qui méritent qu’on en parle. La première est cette Comédie de l’Académie, par Saint-Evremond, qui, après avoir couru longtemps manuscrite, a été enfin imprimée en 1650, etc. La seconde, qui a été moins vue que les autres, est intitulée : Rôle des présentations, etc. La dernière de ces trois pièces est cette ingénieuse Requête des dictionnaires, qu’un imprimeur a aussi publiée naguère en petit, avec beaucoup de fautes, et qui depuis a été imprimée plus correctement in-quarto. Tout le monde sait qu’elle a été composée par M. Ménage, homme non-seulement fort savant et fort poli, mais encore plein d’honneur et d’une solide vertu. Il a toujours beaucoup estimé lui-même l’Académie, et en a parlé honorablement en plusieurs de ses ouvrages ; il était aussi ami particulier et intime, comme il l’est encore aujourd’hui, de plusieurs académiciens dont il est parlé dans cette Requête, et ne l’entreprit, comme il le proteste lui-même, par aucun mouvement de haine ou d’envie, mais seulement pour se divertir, et pour ne point perdre les bons mots qui lui étaient venus


dans l’esprit sur ce sujet. » Quoique l’abbé d’Olivet affirme, dans une note sur ce passage de Pellisson, qu’un seul des académiciens nommés dans cette requête burlesque, Bois-Robert, se fâcha sérieusement, on peut dire que cet ouvrage lui valut ses premières inimitiés. C’est à cette occasion que Montmaur disait de lui qu’il fallait forcer l’Académie à l’adopter, comme on force un mauvais sujet à épouser une fille qu’il a déshonorée. Mais l’Académie le bouda toujours.

Toutefois, avant de tomber, pour d’autres motifs, sous la griffe de Molière et de recevoir les traits ambigus de Boileau, Ménage, appuyé sur tous les beaux esprits et même sur quelques-uns des grands esprits du temps, voyait chaque jour sa renommée croître à la cour et à la ville. Pellisson, Huet, Balzac étaient de ses amis Scudéri, Sarrasin le choyaient ; Vaugelas, Chapelain, Conrard, ceux que l’on appelait les politiques de l’Académie lui faisaient l’honneur de craindre ses bons mots, qui n’étaient guère pourtant que des bavardages, où la mémoire jouait le plus grand rôle. Tallemant des Réaux lui-même, si mordant et si caustique, aimait mieux être avec lui que contre lui, ce qui ne l’empêchait pas, du reste, de lui décocher à l’occasion quelque bonne épigramme. A Angers, dit-il, quoique tout Angevin pour l’ordinaire soit goguenard et médisant, il était fort décrié pour la médisance. Une fille (Mlle de Mourion) lui en faisait un jour la guerre. « Mais » savez-vous bien ce que c’est que la médi- » sance ? lui demanda-t-il. Pour la médi- » sance, dit-elle, je ne saurais bien dire ce que » c’est ; mais, pour le médisant, c’est M. Mé- » nage. » — « A la vérité, dit-il ailleurs, on ne peut nier qu’il ne serve ses amis quand il peut ; mais on ne saurait aussi nier qu’il ne s’en vante furieusement. Il n’est point intéressé mais, comme nous le verrons par la suite, il a bien donné dans la badinerie, et jamais personne n’a plus fait claquer son fouet ; il est de ceux qui perdraient plutôt un ami qu’un bon mot. »

Dans cette période de sa vie, tout entier à l’amour des lettres et de l’érudition, il augmentait considérablement la somme de ses connaissances, se livrait à des lectures assidues, fructueuses pour lui par l’habileté qu’il avait à s’assimiler les idées des autres, à les faire siennes et à les classer pour jamais dans sa prodigieuse mémoire. Trois grands ouvrages qu’il fit imprimer à cette époque témoignent de ses laborieuses études et ne sont même pas sans valeur pour nous, quoique depuis Ménage le champ de l’érudition ait été bien profondément creusé. Tout en suivant assidûment les samedis de Mlle de Scudéri et ses propres mercredis, tout en brochant des épigrammes grecques, latines ou françaises, il avait trouvé le temps d’étudier à fond l’italien et l’espagnol, l’italien surtout, d’écrire dans cette langue un traité assez savant pour l’époque, Origini della lingua italiana, ouvrage qui le fit nommer membre de l’Académie della Crusca, publié en 1650, chez Courbé (1 gros vol. in-4o) ; Origines de la langue française, qui est devenu le Dictionnaire étymologique, enfin, il avait donné, en 1652, ses Ægidii Menagii Miscellanea, composés de toutes sortes de choses, de vers en quatre langues, français, italien, latin et grec, de dissertations latines et françaises, et du fameux Liber adoptivus, où il avait recueilli, comme un monument durable, une foule de pièces élogieuses composées en son honneur par ses amis. C’est ce livre qui lui attira tant d’épigrammes. Les Miscellanea sont un singulier ouvrage ; chaque partie, et elles sont nombreuses, a une pagination particulière les Ægidii Menagii sylva variorum carminum, comprenant des vers latins de tout genre, comptent 74 pages ; les Græca Ægidii Menagii poemata, 83 ; les Poésies françaises, 126 ; la Requeste des Dictionnaires, 15 ; les Rime d’Egidio Menaggio, 52. Puis vient le Liber adoptivus (Ægidii Menagii Liber adoptivus, in quo doctorum aliquot virorum ad eum et de eo poemata), comprenant la Journée du grammairien parasite Macrin (Macrini parasitogrammatici HMEPA, ad Celsum) ; des pièces tirées des papiers de Charpentier (Papirius Carpentanus) ; des vers latins adressés par Ménage à Balzac et par Balzac à Ménage, et quantité d’autres à Guillaume Ménage son frère, à Annibal Fabrot, aux savants frères Du Puy, à Adrien de Valois ; un sonnet à lui adressé par Maynard ; des vers de Colletet ; la Vita Gargilii Mamurræ parasitopædagogi, avec quatre très-curieuses gravures, deux lettres françaises de Balzac à Ménage, et deux lettres latines de Ménage à la reine Christine de Suède, la dernière datée du 1er des ides de février 1650 ; la Pompe funèbre de Voiture, à M. Ménage, par M. Sarrasin, en prose et en vers ; enfin, toutes les pièces du procès relatif aux trois unités, à propos des comédies de Térence, procès, qu’il soutint contre l’abbé d’Aubignac, qui eut du retentissement autant au moins que la fameuse dissertation sur les sonnets de la Belle Matineuse, ou bien sur ceux de Job et d’Uranie, procès qui fit couler des flots d’encre et tint en suspens toute la cour. En loyal adversaire, Ménage publia dans son recueil les dissertations de son adversaire en même temps que les siennes propres, ce qui fait qu’aujourd’hui rien ne manque au dossier, pour notre édification.

Cette querelle à propos des trois unités est


un chapitre de l’histoire des mœurs littéraires au XVIIe siècle. L’abbé d’Aubignac et Ménage, jusque-là assez bons amis, après avoir chaleureusement disputé, tout en se promenant dans le Luxembourg, sur les beautés de détail des comédies de Térence, agitèrent la question de savoir laquelle était la plus conforme à ces fameuses règles d’Aristote, qui ne se trouvent pas dans Aristote, comme l’a fait judicieusement observer Andrieux. Ménage penchait pour l’Hècyre ; d’Aubignac hésitait à se prononcer. Rentré chez lui, Ménage relit son Térence et trouve, à sa grande surprise, que l’Heautontimorumenos est à la fois une pièce excellente et tout à fait en dehors des prétendues règles d’Aristote. Immédiatement il écrit une dissertation là-dessus : Térence s’est soustrait à la loi des trois unités, peut-être même l’a-t-il entièrement ignorée. Là-dessus grandes réclamations de d’Aubignac ; il compose un mémoire : Térence justifié, adressé à M. Ménage. Comment est-on assez audacieux pour supposer que Térence s’est soustrait aux règles d’Aristote, formulées par lui, d’Aubignac ! De son côté, Ménage ne perd pas de temps et lance une Réponse au discours de M. abbé d’Aubignac, etc. Or, le fond de la querelle qui engagea les deux champions dans cet interminable tournoi de paroles reposait sur ceci : Ménédème, l’un des personnages, travaille-t-il à la terre, tandis que Chrêmes lui parle, ou bien est-il nuit alors et Ménédème, revenant des champs, porte-t-il sa pioche sur son épaule ? Tout est là, car, cette question résolue, on saurait si l’action dramatique pouvait s’étendre chez les anciens à plus de douze heures. Heureux savants, qui n’avaient pas d’autre inquiétude !

Un autre aspect singulier de la vie de Ménage apparaît rien que dans les sujets et les dédicaces de ses poésies en toute langue. Ce volume fourmille de pièces de vers amoureuse et quintessenciées, suivant la mode du temps, mode qu’il contribua beaucoup à introduire, pour sa part. Inutile d’ajouter que ces amours furent purement platoniques et que tout s’y passait en conversation. Nous rencontrons, par exemple, dans les poésies françaises, les Pêcheurs ou Alexis, idylle dédiée à Mme la marquise de Sévigny (Sévigné) : c’était l’orthographe longtemps suivie. Le nom de la marquise revient encore fréquemment dans les poésies italiennes et latines ; puis celui de Mlle de La Vergne, puis celui de Mme de Crécy de Longueval. Ces trois beautés se partagèrent son cœur et ses hommages. Mme de Crécy de Longueval, fille de La Martellière, célèbre avocat, était fort galante, nous dit Tallemant, et Ménage en devint le commensal, avec la permission du mari, soit que celui-ci n’attachât aucune importance aux manèges de cet amoureux transi soit qu’il s’inquiétât peu des intrigues de sa femme, ce qui était fort commun dans ce temps-là. Ménage, jeune alors, se jeta, parait-il, dans cet amour avec une grande sincérité ; mais il eut beaucoup à souffrir de la coquetterie de cette belle ; il fit non pas bien des chansons pour elle, mais beaucoup de vers grecs, beaucoup de vers latins ; il soupira en italien et en français ! Quelle récompense obtint toute cette linguistique ? Il est difticile de le savoir au juste. Ménage renonça, non sans peine, à cette passion.

On a des renseignements plus précis sur sa liaison avec la marquise de Sévigné ; elle avait été son élève, et il se prit à adorer, en grec et en latin, des charmes physiques et intellectuels qu’il se flattait, au moins pour les seconds, d’avoir contribué à développer chez elle. La marquise le traitait en ami, sans conséquence ; elle se contentait de lui abandonner ses beaux bras nus, qu’elle ne tenait pas pour trop chers, nous dit Bussy, et ce fut tout. Ménage ne pouvait se défendre d’attendre davantage ; mais, comme Oronte, il désespérait en espérant toujours. On trouve un indice de ses sentiments intimes dans l’épître dédicatoire de ses Observations sur la langue française (1673), où il dit au chevalier de Méré « Je vous prie de vous souvenir que lorsque nous faisions notre cour ensemble à une dame de grande qualité et de grand mérite, quelque passion que j’eusse pour cette illustre personne, je souffrais volontiers qu’elle vous aimât plus que moi, parce que je vous aimais aussi plus que moi-même. » Le dépit perce à travers cette phrase ; il est encore bien plus visible dans une anecdote que raconte Bussy. Il est évident que Ménage ne fut jamais pour Mme de Sévigné que ce qu’on appelle en Italie un patito, et qu’on appelait, au XVIIe siècle, un mourant, parce qu’il était de règle qu’un poëte ou qu’un écrivain affligé de cette maladie mourût pour sa belle chaque fois qu’il lui faisait un sonnet. Voici l’anecdote :

« Ménage étant devenu amoureux de Mme de Sévigny, et sa naissance, son âge et sa figure l’obligeant de cacher son amour autant qu’il pouvait, se trouva un jour chez elle dans le temps qu’elle allait sortir pour aller faire quelques emplettes ; sa demoiselle n’étant point en état de la suivre, elle dit à Ménage de monter dans son carrosse avec elle. Celui-ci, badinant en apparence, mais, en effet, étant fâché, lui dit qu’il lui était bien rude de voir qu’elle n’était pas contente des rigueurs qu’elle avait depuis si longtemps pour lui, mais qu’elle le méprisait encore au point de croire qu’on ne pouvait médire de