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MÉNA MENA MÉNA MÉNA 11

lui et d’elle. « Mettez-vous, lui dit-elle, mettez-vous dans mon carrosse si vous me fâchez, je vous irai voir chez vous. »

Si Ménage, comme le remarque Bayle, avait eu un bénéfice à charge d’âmes, s’il avait été véritablement prêtre, il aurait été fâché qu’on le soupçonnât de faire sérieusement la cour aux dames ; mais il ne portait même plus la soutane, comme chez Mme de Crécy, et il enrageait d’être traité comme un ami qui ne peut pas être un amant. Il décocha contre Bussy, qui était alors à la Bastille, une épigramme latine de sa bonne encre :

IN BUSSIADEN

Francorum proceres, media (quis crédat ?) in aula,

Bussiades scripto læserat horribili.

Pœna levis : Lodoix, nebulonem carcere claudens,

Detrahit indigno munus equestre duci.

Sic nebulo gladiis quos formidabat iberis,

Quos meruit francis fustibus eripitur.


« Au milieu même de la cour de France, qui le croirait ? Bussi en a offensé les grands par un écrit affreux. Peine trop légère : Louis, faisant enfermer l’effronté, ôte à cet indigne général son emploi militaire. Ainsi le drôle est soustrait aux coups d’épée espagnols, qu’il craignait, et aux coups de bâton français, qu’il a mérités. »

Bientôt il se résigna à ne plus être pour Mme de Sévigné qu’un ami, un confident. Cela lui coûtait bien encore quelques grands soupirs. « Je suis votre confesseur, lui dit-il un jour, et j’ai été votre martyr. — Et moi votre vierge, riposta en riant la marquise.

Ménage aima aussi passionnément, et toujours au même titre, Mme de La Fayette, alors qu’elle n’était encore que Mlle de La Vergne. Bon nombre de ses épigrammes latines sont adressées à cette dernière et nous trouvons dans l’une d’elles un jeu de mots bien galant ; il suffit de savoir, pour le comprendre, que Laverna était, chez les Romains, la déesse des voleurs, et qu’il avait tout naturellement ainsi latinisé le nom de Mlle de La Vergne :

AD LAVERNAM

Omine felici nomen præsaga dedere

Fala tibi ; furtis pulchra Laverna præst :

Tu veneres omnes cunctis formosa puellis,

Tu cinctis sensus surripis una viris.

« Les destins prévoyants, heureuse fille, t’ont donné un nom significatif. La belle Laverna préside aux larcins ; toi, plus belle encore, tu dérobes les charmes de toutes les jeunes filles et les sens dé tous les hommes. » Malheureusement, pour un homme qui ne vivait guère que de plagiats ou tout au moins de larcins littéraires, il était dangereux de chanter la déesse des voleurs. On ne manqua pas de lui retourner spirituellement l’épigramme :

Lesbia nulla tibi, nulla est tibi dicta Corinna,

Carmine laudatur nulla Lesbia tuo.

Sed quum doctorum compiles scrinia vatum

Nil mirum si sit Laverna culla tibi.

« Tu ne chantes ni Lesbie ni Corinne ; nulle Lesbie n’est adorée dans tes vers ; mais comme tu dépouilles les paperasses des vieux auteurs, il est tout simple que Laverna soit l’objet de ton culte. »

Il faut noter que les liaisons des écrivains, des poëtes avec les dames de qualité, leurs épigrammes, sonnets et madrigaux tenaient une grande place dans les préoccupations du temps ; on en parlait, chacun disait son mot ; c’était l’événement du jour, l’histoire galante et l’histoire littéraire. Des écrivains sérieux y faisaient allusion comme à des choses d’importance ; ainsi le Père Bouhours, reprenant aigrement Ménage à propos d’une citation sans valeur, dit : « Que ne citait-il Mme de Sévigné et Mme de La layette, qui sont de sa connaissance ? » Sentez-vous la perfidie ? Ménage ne s’y trompa point, et lui répondit sur le même ton :

Pater Bohurse, flos scholæ parisius,

Desideramus hic tuam prudentiam.

« Le Révérend Père Bouhours m’accuse en cet endroit d’avoir aimé Mme de Sévigné et Mme de La Fayette. Je répondrai à cette accusation dans la Défense de mes mœurs, et j’y répondrai de sorte que les rieurs dont le Père Bouhours affecte le suffrage ne seront pas de son côté. »

Ainsi Ménage méditait dès lors la composition d’un livre spécial, destiné à réhabiliter sa propre vertu. Il était difficile qu’un tel homme, un tel type, avec ses travers et ses qualités, son grec, son latin, ses belles marquises, ses dissertations sur des riens, ses querelles littéraires et ses plagiats, échappât au regard pénétrant de Molière. Sans avoir contre lui le moindre ressentiment personnel, sans inimitié aucune, et seulement parce qu’il le considérait comme un personnage comique, Molière le mit sur la scène, sous le nom de Vadius, et le fit disputer avec Trissotin. La scène est trop dans toutes les mémoires pour que nous en détachions même un fragment ; mais combien de vers, d’allusions, de fines railleries s’éclairent plus vivement, si l’on sait que Vadius est Ménage aussi bien que Trissotin est Cotin ! Prise absolument, ce n’est que le dialogue de deux pédants admirablement peints et dessinés ; mais, pour la société du XVIIe siècle, elle avait de plus le mérite d’être d’une admirable ressemblance ; les masques étaient des visages.


Cotin ne se releva jamais d’un coup si rude ; Ménage n’en fut qu’étourdi ; il avait au fond, malgré ses travers, des qualités réelles, une valeur littéraire incontestée, et il ne se sentait pas si profondément blessé. Il feignit même de ne pas se reconnaître, et Molière ne le poussa pas à bout. Déjà après les Précieuses ridicules, avec une entière bonne foi, Ménage avait dit à Chapelain : « Monsieur, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d’être indiquées si finement. Il nous faudra brûler ce que nous adorions. » Sans doute fit-il un égal profit des Femmes savantes, autant que le lui permettaient son caractère et ses habitudes. Boileau plaisantait agréablement ses galanteries et ses amours platoniques dans les deux vers si connus :

Si je pense dépeindre un galant de notre âge,
Ma plume, pour rimer, a rencontré Ménage.

Mais ne voulant pas offenser sérieusement un homme qu’il estimait, il changea les rimes, suivant sa coutume :

Si je veux d’un galant dépeindre la figure,
Ma plume, pour rimer, trouve l’abbé de Pure.

Ni Molière ni Boileau, heureusement pour lui, ne mirent aucun acharnement à lui trouver des ridicules. A propos d’une pièce de vers, intitulée Christine, églogue, composée pour la fameuse reine de Suède, qui l’admit dans son intimité, Ménage eut bien à supporter quelques traits satiriques de l’abbé Gilles Boileau, qui, dans un Avis à Ménage, s’amusa à relever ses larcins, à montrer qu’il avait la mauvaise habitude de remplir ses vers avec des hémistiches empruntés ; mais cette querelle s’apaisa vite. C’est avec le Père Bouhours qu’il eut à soutenir les plus rudes escarmouches.

Ménage, en 1673, avait publié chez Barbin, in-12, ses Observations sur la langue française ; il y relevait sans trop d’amertume quelques assertions grammaticales émises par l’auteur des Doutes sur la langue française, lequel auteur, sous le voile de l’anonyme, n’était autre que Bouhours. Celui-ci répliqua aigrement par des Remarques nouvelles (1675), dans lesquelles il affectait de ne parler de « monsieur Ménage » que sur le ton le plus affecté, et en rejetant, comme des néologismes impropres ou mal faits, de très-bons mots, dus, en effet, à Ménage, et aujourd’hui parfaitement naturalisés dans notre langue : sagacité, sécurité, urbanité, prosateur, insidieux, impardonnable, inobservation, etc. Le bon goût était assurément du côté de Ménage, qui voulait à toute force franciser ces mots, parfaitement bien faits et très-utiles. Bouhours rejetait toutes ces expressions parce que Ménage les proposait, et, pour le blesser plus cruellement (ces savants sont impitoyables !), il ne trouva d’autre moyen que de lui mettre sous les yeux le portrait de la discrétion, de la modestie et de la simplicité, sous le nom de Vaugelas. C’était attaquer de biais ; mais le coup était sûr, et la preuve c’est qu’il porta. « Qu’y a-t-il de plus élégant et de plus modeste, insinuait Bouhours, que ces belles Remarques, qu’il a travaillées avec tant de soin et où il a mis tant d’années ? Il choisit bien les auteurs qu’il cite ; il ne confond pas les modernes avec les anciens ni les bons avec les mauvais. Les raisonnements qu’il fait ne sont ni vagues ni faux ; il ne s’amuse point à des questions inutiles ; il ne remplit point son livre de fatras et de je ne sais quelle érudition qui ne sert à rien ou qui ne sert qu’à fatiguer les lecteurs… Mais ce que j’estime infiniment, il parle toujours en honnéte homme ; il ne dit rien qui blesse la pudeur ou la bienséance ; il ne se loue point ; il ne fait point le docteur ; il ne dit jamais : Selon moi, ce mot est bon ; Selon moi, ce mot ne vaut rien ; Dites sur ma parole, etc. Enfin, il ne se propose point pour modèle, et je suis assuré que, si la traduction de Quinte-Curce avait paru avant les Remarques sur la langue française, il n’y aurait pas renvoyé les lecteurs en disant partout : Voyez mon Quinte- Curce ; Je me suis servi de ce mot dans mon Quinte-Curce ; J’ai employé cette phrase dans mon Quinte-Curce. »

Chaque phrase, chaque remarque, chaque insinuation pénétrait dans le vif. Dans un autre endroit, il accablait Ménage d’éloges ironiques : « Est-ce se moquer, disait-il, de M. Ménage que de l’appeler savant homme ? Ne l’est-il pas, en effet ? Et avons-nous en France un homme plus universel ? En avons-nous un qui soit tout ensemble comme lui grammairien, poëte, jurisconsulte, historien, philosophe ? C est dommage qu’il ne soit aussi théologien. S’il avait lu saint Augustin et saint Thomas autant qu’il a lu Coquillard et Rabelais, qu’il cite à toute heure, ce serait le premier homme du monde. »

Ménage ne se contint plus. Il avait été modéré dans ses remarques sur les Doutes ; il éclata cette fois, en publiant, toujours chez Barbin, la seconde partie de ses Observations sur La langue française (1675, in-12). On peut se convaincre de son ressentiment contre le révérend Père jésuite en parcourant seulement la table des renvois. On y lit ceci : « Bouhours. Le Père Bouhours n’a point lu la Bible, p. 484. — Ne sait ce que c’est que propre et que figuré, p. 57. — Antipode de M. de Vaugelas, p. 80. Fausses règles de grammaire du Père Bouhours, p. 87 et 310. — Le Père Bouhours ne sait pas l’italien,


p. 95 et 446. Ignorant des étymologies, p. 115. — Mauvais logicien, p. 95 et 170. — Ne sait ce que c’est que règle de grammaire, p. 150. — Ne sait ce que c’est que justesse, p. 183. — Bévue du Père Bouhours dans un passage de Varron, p. 191. — Remarques sur les endroits des livres de langue du Père Bouhours qui regardent les dames, p 204. — Fautes de langue du livre des Doutes du Père Bouhours, p. 242. — Fausse délicatesse du Père Bouhours, p. 260. — Remarques puériles du Père Bouhours, p. 373. — Fautes de langue du livre des Remarques du Père Bouhours, p. 386. — Fausse règle du Père Bouhours touchant l’usage des participes passifs dans les prétérits, p. 455, etc. »

C’est de la colère à la Vadius, et, dans une querelle de ce genre, la modération apparente, l’ironie contenue du Père Bouhours étaient bien préférables à tous ces éclats. A quelques années de là en 1784, un échec plus sensible encore fut infligé à Ménage : l’Académie lui ferma ses portes. Deux places vaquaient en même temps celle du grand Corneille, destinée à son frère Thomas et celle de Cordemoy, destinée à Ménage, « qui, par quantité d’ouvrages savants et utiles, dit l’abbé d’Olivet, avait réparé le tort que sa Requête des dictionnaires, pur badinage de sa jeunesse, avait pu lui faire dans de quelques académiciens. Une puissante brigue fit tomber cette seconde place à M. Borgeret, par une préférence injuste,

Dont la troupe de Ménage
Appela comme d’abus
Au tribunal de Phébus,


dit hardiment Benserade dans ses Portraits des quarante académiciens, lus en pleine Académie le jour même que M. Bergeret fut reçu (2 janvier 1685). » Toute la maison Colbert, dit Ménage, « fit une affaire de conséquence de cette affaire ; MM. de Seignelay, de Croissy, le coadjuteur de Rouen, le duc de Saint-Aignan sollicitèrent en personne pour Bergeret, avec plusieurs dames de la cour. » Anti-Baillet, chap. i.xxii.) Or, ce Bergeret qu’on lui opposait, et qui forçait ainsi les portes de l’Académie grâce aux Colbert, n’avait rien écrit ; il n’avait d’autre titre que d’être secrétaire de la chambre et du cabinet, et protégé par la maison, Colbert. « N’est-ce pas, dit Segrais dans ses Mémoires-anecdotes, une injustice insupportable qui fut faite à M. Ménage lorsque l’Académie française, qui était disposée à le recevoir en sa compagnie, fut forcée de donner ses suffrages à M. Bergeret ?

Quel mérite avait M. Bergeret pour occuper cette place ? » Ménage mourut d’une fluxion de poitrine, quelques années après cet échec. Il y avait bien peu d’écrivains avec lesquels il n’eût pas été en querelle de son vivant, aussi ne le ménagea-t-on pas même après sa mort. La Monnoie lui adressa l’épigramme suivante :

Laissons en paix monsieur Ménage ;
C’était un trop bon personnage
Souffrez qu’à son tour il repose,
Lui dont les vers et dont la, prose
Nous ont si souvent endormis.

La valeur d’un homme du tempérament et du caractère de Ménage ne réside pas seulement dans ses livres, elle est aussi dans ses bons mots, dans ses conversations, qui, du reste, ont influé sur la langue, tout aussi bien que des traités en règle ; grâce à la transformation qu’elle subissait à cette époque même. Ménage était un homme de goût, un raffiné, quoiqu’il se soit laissé quelquefois emporter au delà des bornes ; il passait pour un critique plus mordant que sûr et l’on osait à peine affronter son appréciation. Son nom était synonyme de censeur dans la langue littéraire. On le voit dans Tallemant, lorsque Gilles Boileau se hasarda à dauber lui-même ce critique redouté à propos de l’églogue de Christine. « Je ne suis pas fâché, dit Tallemant, que Ménage ait enfin trouvé son Ménage. » Sa conversation, quoiqu’elle soit aujourd’hui refroidie pour nous, garde encore une physionomie spirituelle, pleine de bon ton. Par exemple, il disait qu’il y avait trois plaisants prédicateurs, à Angers : Costar, qui n’avait qu’un sermon ; le prieur des Matras (Charles Bautru, prieur de Matras), qui n’en avait que la moitié d’un, parce qu’il demeurait toujours à mi-chemin ; et le prieur de Pommier qui, montant en chaire, demeurait le plus souvent la bouche ouverte sans prononcer, une parole. Il disait que les traductions de d’Ablancourt étaient comme une femme d’Angers qu’ils avait aimée belle, mais peu fidele. D’Ablancourt le laissait dire, et répondait « Nous sommes amis, mais je ne prétends pas l’empêcher de babiller. Nous faisons comme l’empereur et le Turc, qui laissent un certain pays entre eux deux ou il est permis de faire des courses sans rompre la paix. »

Telle était la conversation aisée, amusante, pas trop précieuse, de la société où vivait Ménage. Tout autre était l’homme des querelles littéraires, emporté, violent, incapable de soutenir la contradiction, ayant maille à partir non-seulement avec d’Aubignac et Bouhours, querelles quenous avons rapportées, mais encore avec Cotin, Salo, Baillet et Cousin. Il faut dire que, comme ces derniers ne lui reprochaient guère que ses larcins continuels aux anciens et aux modernes, ils étaient sur un terrain beaucoup plus so-


lide que d’Aubignac et Bouhours, et se montraient bien plus agressifs. Le Journal des savants, a bien jugé ce côté faible de Ménage, quelque temps auprès sa mort ; cette page est un portrait à la plume : « Parlant naturellement beaucoup et aimant à débiter ce qu’il savait, il ne laissait qu’à peine la parole aux autres dans toutes les assemblées. Pour s’en excuser, il disait que, quand il était en Anjou, il y passait pour taciturne, parce que les autres y parlaient encore plus que lui. Sa mémoire, qui était prodigieuse, lui fournissait sur toutes sortes de sujets des vers grecs, latins, italiens et français, qu’il répétait souvent, sans crainte d’ennuyer ceux qui ne les entendaient pas. Elle lui fournissait aussi quantité de bons mots qu’il avait appris dans sa jeunesse, et dont les meilleurs étaient du prieur Bautru des Matras. Ses contes paraissaient étudiés, parce qu’il les exprimait toujours en mêmes térmes ; ce qui donna lieu à un des plus anciens de l’Académie française de dire un jour qu’il savait parfaitement son Ménage, et que depuis trente ans qu’il lui entendait faire ses contes, il n’y en avait plus aucun qui lui fût nouveau. » Mme de Rambouillet, dans un moment de franchise, lui avait dit la même chose en face, un jour qu’il bavardait plus encore que d’ordinaire : « Voila qui est admirable, monsieur Ménage, mais présentement dites-nous donc quelque chose de vous. »

Celui qui en a dit la plus de mal et dans le style le plus mordant, c’est Tallemant des Réaux Dès qu’on parle de quelque chose : « Vous souvient-il, dit-il, du mot que je dis sur » cela ? » Car jamais il n’ y eut une plus sèche imagination et il n’entretient les gens que de mémoire. Toutes les fois qu’il a mangé chez moi, nous avons pris plaisir à lui faire dire une même sottise. On n’avait qu’à lui dire, « Monsieur Ménage, je vous prie, donnez-moi » une pomme de reinette ; il me semble.que » vous vous y connaissez bien. — Vous avez » raison, disait-il aussitôt, car je me pique de » me connaître en trois choses, en œufs frais, » en pommes de reinette et en amitié. » Voyez le bel assemblage ! Cela me fait souvenir de M. de Mâcon, Lingendes (Jean de Lingendes, nommé évêque de Mâcon en 1652), qui disait que les trois livres qu’il aimait le mieux, c’étaient la Bible, Erasme et l’Astréé ; et aussi de M. de Beaufort. Un jour qu’il était chez Mme de Longueville, cette princesse dit qu’il n’y avait rien au monde qu’elle haît plus que les araignées ; Mlle de Vertus dit qu’elle ne haïssait rien tant que les hannetons. « Et » moi, dit M. de Beaufort, je ne hais rien » tant que les mauvaises actions. » Voilà qui était à peu près assorti comme les œufs frais, les pommes de reinette et l’amitié. »

Mais quels qu’aient été les défauts, les travers, les ridicules même d’un homme qui mérita d’être travesti en pédant fieffé par Molière, sous le masque de Vadius, et faisant la paire avec Cotin ; Ménage n’en conserve pas moins pour nous une physionomie. Son activité littéraire, ses recherches érudites, n’ont pas été sans profit ; sa vanité, qu’il poussait fort loin, il est vrai, ne lui enlevait pas nécessairement son mérite ; il n’est pas jusqu’à ses amours platoniques et purement spirituels qui ne puissent, tourner à son avantage. Comme le remarque Bayle, « ses liaisons avec des dames de beaucoup d’esprit lui ont fait honneur dans le monde ; car il est si rare que tant de grec et tant de grammaire n’étouffe pas les talents qu’il faut avoir pour être d’une conversation polie et galante auprès des dames de qualité, que c’est une espèce de prodige. »

Ses plagiats mêmes, si ce mot n’est pas trop fort, appliqué aux appropriations littéraires de Ménage, ne méritaient pas tant de fracas. Voyons un de ceux que lui reproche le plus aigrement Gilles Boileau. Gombault avait composé cette poésie un peu sèche :

Pour sujet de mes vers en la fleur de mon âge,
J’ai cherché quelque nymphe illustre, belle et sage,
Et qui put m’inspirer cent ouvrages divers.
Telle et plus merveilleuse Olympe est arrivée ;
Mais le ciel m’a trop tard ses trésors découverts :
Je ne cherchais plus rien lorsque je l’ai trouvée.

Ménage imagine là-dessus le joli sonnet italien suivant, qui a bien plus de grâce que ce madrigal, et que les Italiens eux-mêmes ont trouvé fort bien tourné :

Vago di fama, e cupido d’onore,
Nel dolce tempo della prima clade,
Giva cercando nubile beltade,
E del mio canto degna e del mio andore.
Tal Filli ho travato io, mercè d’amore,
Giunta a sommo saper somma bontade ;
Ogni chiara virtude, ogni onestade
Han caro albergo nel suo nobil core.
Le ride nella guancia un lieto aprile.
Più candido e ’l suo sen di neve pura,
Oscuran gli occhi suoi del sole i rai.
Ninfa non fù, Damon, cosi gentile.
Ma’ ché ? mi giunse ’nvan tanta ventura,
Non più cercava quando la trovai.

Gilles Boileau, après ces deux citations, s’écrie qu’un vol si manifeste accompli en plein jour aux dépens de « l’illustre monsieur Gombault » est un cas pendable et s’apitoie lamentablement sur ces pauvres Italiens qui, ignorant nos richesses, croiront lire du Ménage et liront du Gombault. Franchement Ménage a bien fait d’enchâsser en un sonnet d’une forme agréable et poétique une idée gracieuse qu’il avait rencontrée comme per-