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Le 23 avril, un tribun obscur nommé Curée déposa une motion (concertée avec le premier consul) pour demander l’établissement de l’empire en faveur de Napoléon et de sa famille. Le 30, il la développa à la tribune, pendant que ses collègues affectaient l’enthousiasme le plus extravagant et le plus servile. Un ex-royaliste, Siméon, un Duveyrier, un Carrion et autres plats imbéciles comparèrent Bonaparte à Hercule, à Hugues Capet, à Charlemagne, plaidèrent cette thèse qu’il n’avait pas le droit de refuser la puissance suprême, qu’il devait se sacrifier au bonheur public, etc.

Au milieu de ces scènes avilissantes, un seul homme resta debout et parla avec énergie et dignité : ce fut Carnot, aveuglé jusque-là sur l’ambition effrénée de Bonaparte et qui l’avait soutenu, défendu contre de justes et clairvoyantes préventions. Dans son discours calme et méthodique, il s’attacha à démontrer que rien dans la situation ne nécessitait le changement projeté et que le pouvoir absolu n’avait jamais été un élément de stabilité ; il se prononça enfin pour le maintien de la République, dont il n’existait plus d’ailleurs qu’un vain nom. Mais il fut à peine écouté par une assemblée bassement impatiente de se précipiter dans la servitude. Le Tribunat vota d’enthousiasme la motion de Curée et se hâta de transmettre son vœu au Sénat, qui reçut le même vœu du Corps législatif (2 mai), et qui, tout en exprimant le désir de nouveaux privilèges pour lui-même, s’empressa néanmoins de convertir en sénatus-consulte les convoitises du maître et de conférer le titre d’empereur au citoyen premier consul, en établissant dans sa famille l’hérédité au trône impérial (18 mai 1804.)

Ce qui servit Bonaparte, ce ne fut pas seulement sa gloire militaire, la lassitude publique, la servilité de tous les pouvoirs, mais aussi les sentiments restés vivants encore à cette époque de décadence, l’horreur de l’ancien régime et des Bourbons, la préoccupation de sauvegarder les conquêtes matérielles de la Révolution, de protéger les intérêts nouveaux, de creuser un abîme de plus en plus profond entre l’état social dont on n’avait pas cessé de redouter la résurrection et la France de 1789. On pensait enfin qu’en couronnant le plus brillant parvenu de la Révolution, on créait un obstacle insurmontable au rétablissement des institutions du passé, on assurait aux classes nouvelles la possession des emplois, des biens nationaux, de tous les avantages auxquels ces autres parvenus sacrifiaient volontiers les principes et la liberté.

La même raison qui avait porté les césars romains à ne pas ressusciter le titre de roi décida Bonaparte et ses complaisants à préférer cette qualification toute militaire d’empereur (imperator), qui, tout en paraissant écarter les souvenirs d’un passé qu'on voulait restaurer en partie, donnait cependant, par son caractère vague et indéterminé, plus de pouvoirs réels à celui qui en était revêtu, avec la perspective d’une domination militaire et césarienne sur les peuples et les nations.

On a dit légèrement que c’était la Révolution qui se couronnait elle-même ; que Napoléon, c’était « Robespierre à cheval, » etc. Ces systèmes surannés ont eu leur moment de vogue ; mais rien de plus arbitraire et de plus faux. Il est bien vrai que Napoléon, ce bâtard heureux de la Révolution, en a fort habilement exploité les souvenirs, mais uniquement pour en étouffer les principes et les résultats autant que cela était en sa puissance et dans des vues de grandeur personnelle et d’intérêt privé.

Lui-même, indépendamment de son monstrueux égoïsme et de son ambition effrénée, était, par son tempérament et ses idées, un homme d’ancien régime. Petit gentilhomme d’une noblesse douteuse, d’une famille besoigneuse, quoique gonflée d’orgueil et d’avide ambition, élevé par faveur dans les écoles publiques, ce parvenu n’en était pas moins rempli d’infatuation aristocratique ; il méprisait le peuple et ne l’appréciait qu’en tant que force brute, dans la mesure où il pouvait l’exploiter pour ses tueries. Au fond, il n’avait de tendresse que pour l’aristocratie, il avait le vulgaire engouement d’un bourgeois de Molière pour cette noblesse de la vieille monarchie qui mendiait bassement, qui recevait avec avidité ses faveurs, tout en le méprisant en secret comme usurpateur et comme parvenu.

Étranger par la race et par les idées, il était à mille lieues de cette France humanitaire et philosophe du XVIIIe siècle dont les principes et les conceptions avaient pénétré tous les hommes de son temps. Son mépris bien connu des idéologues et tous les actes de sa vie montrent assez qu’il ne croyait qu’à la force et à l’autorité. Loin d’être la continuation de la Révolution française, son règne, malgré son éclat militaire, en fut la réaction haineuse et, sous le rapport politique, une pure imitation du césarisme byzantin. En résumé, il ne laissa subsister de la Révolution que ce qu’il ne pouvait anéantir, il restaura de l’ancien régime tout ce qui pouvait s’adapter à la société nouvelle. Son autocratie était même plus absolue que celle des anciens rois et elle s’étendait sur sa propre famille, à la manière antique et au delà des limites légales.

Napoléon se para aussitôt de son titre sans attendre la comédie de la consécration populaire ; il s’entoura d’une cour et de hauts dignitaires. Cambacérès et Lebrun, les deux consuls sortants, furent affublés des titres grotesques archichancelier et d’architrésorier, avec le droit de se faire appeler altesses sérénissimes. Joseph et Louis, les seuls frères de l’empereur admis à l’hérédité, furent créés princes français, altesses impériales et, en outre, l’un grand électeur, l’autre grand connétable. On créa aussi une foule d’autres hautes dignités honorifiques, inactives, irresponsables, dont l’énumération serait fastidieuse, ainsi que des maréchaux de l’Empire, des grands officiers, etc. Il fallait bien gorger les créatures, donner de l’éclat au nouveau trône impérial et offrir un appât aux affamés de l’ancienne noblesse qui, revenus de l’émigration, ne demandaient qu’à servir sous un maître, quel qu’il fût, et à se refaire une existence oisive et brillante aux dépens du trésor public.

Bien d’autres hommes aussi étaient, hélas ! dans les mêmes dispositions, et parmi ceux-là beaucoup qui avaient figuré dans le grand drame de la Révolution. En réalité, le nouvel État et la nouvelle cour n’étaient guère composés que de renégats de tous les régimes.

Sous la dictée de Bonaparte, le Sénat avait remanié une fois de plus les institutions de manière que le pouvoir suprême fût à peu près sans limites et sans contre-poids. Les fantômes d’institutions créées par la constitution consulaire de l’an VIII, formes sans réalité, disparaissaient pour laisser place à de vains mots qui seront effacés à leur tour, au gré des circonstances. Ce sont ces modifications successives, toujours faites dans le sens d’un pouvoir de plus en plus absolu : ce sont ces ukases, ces codes de servitude, déshonneur de la France de 1789, outrage permanent à la raison, au droit des citoyens, au bon sens et à la liberté, qu’on appellera les constitutions de l’Empire.

Pour s’établir et pour durer, le système napoléonien avait à combattre l’ancienne France et la nouvelle, et il se servit réciproquement de l’une contre l’autre avec une duplicité qui est restée dans la tradition du parti. C’était comme une sorte de Janus, dont une des faces grimaçait la démocratie, en même temps que l’autre souriait à l’ancien régime et à la contre-révolution, également hypocrite et menteur dans les deux rôles qu’il jouait.

L’inauguration du nouveau règne fut marquée par le procès du général Moreau, dont Bonaparte était bassement envieux, et dont la complicité dans le complot de Cadoudal et de Pichegru n’était nullement prouvée. Ce procès passionna singulièrement l'opinion publique. L’illustre vainqueur de Hohenlinden fut condamné à deux ans de prison par des juges qui eussent voulu l’acquitter et à qui le pouvoir avait imposé de prononcer une condamnation.

Napoléon, qui attendait, qui voulait la peine capitale, fut exaspéré de cet arrêt ; toutefois, il consentit à commuer la peine en un exil perpétuel, qui le débarrassait pour toujours de celui que l’opinion lui donnait pour rival.

Quant aux condamnés royalistes, onze furent exécutés avec Georges (26 juin). L’empereur, toujours favorable à la noblesse, ne fit grâce qu’aux Polignac et à quelques autres gentilshommes.

Constamment préoccupé de frapper les imaginations par des scènes théâtrales, Napoléon avait imaginé de se faire sacrer par le pape et à Paris même, chose sans exemple jusqu’alors. Cambacérès et le cardinal Caprara furent employés à cette négociation, qui fut conduite, en quelque sorte, militairement, en ce sens qu’on fit comprendre à Rome qu’on n’accepterait aucune réponse évasive ou dilatoire. Dès l’époque du concordat, La Fayette avait prévu que Bonaparte ne rétablissait officiellement le culte que « pour se faire casser la petite fiole sur la tête ; » ce furent ses propres expressions au premier consul lui-même.

Pie VII, qui voulait recouvrer les Légations, même Avignon et Carpentras, se fit longtemps prier ; leurré de promesses vagues et fausses, dominé d’ailleurs par l’ascendant de la France en Italie, dupe de ses convoitises aussi bien que des ruses de Bonaparte, il finit par céder et par promettre de procéder en personne à cette cérémonie d’un autre âge.

Napoléon était loin, d’ailleurs, de songer à restituer les Légations au saint-siége, car il en comptait faire une des provinces du royaume italien qu’en ce moment même il entreprenait de substituer à la république Cisalpine (dont il s’était fait donner la présidence), et par les mêmes manœuvres qui l’avaient mis en possession de la couronne impériale, c’est-à-dire en imposant à la consulte de Milan et aux fonctionnaires des manifestations et des vœux dans le sens de ses propres convoitises.

Au milieu de ces préoccupations ambitieuses et pendant qu’il faisait ainsi la chasse aux couronnes, il n’oubliait pas d’exploiter à l’occasion les souvenirs des plus beaux temps de la liberté dans l’intérêt de son pouvoir et de sa personne. En 1802, il avait institué l’ordre de la Légion d’honneur. Le 14 juillet 1804, il fit coïncider l’inauguration de son ordre avec l’anniversaire de la prise de la Bastille et de la grande Fédération de 1790, plaçant avec apparat, mais sans aucune sincérité, sa nouvelle institution sous le patronage des principes révolutionnaires. Il y eut grande solennité dans l’église des Invalides ; le cardinal-archevêque de Paris officiait en l’honneur de la mémorable journée, au milieu de l’éclatante réunion du clergé, de tous les grands dignitaires civils et militaires, etc. Le grand chancelier (Lacépède) prononça un discours éloquent pour rappeler les souvenirs du 14 juillet. Enfin, pour compléter la comédie, Napoléon récita une harangue pour inviter les légionnaires à prêter le serment prescrit à la liberté, à l’égalité, à la résistance au rétablissement du régime féodal, enfin, au maintien de l’Empire, des lois de la République et des propriétés nationales. Puis il commença sa distribution de croix en détachant de son cou le grand cordon pour le donner fastueusement au représentant du pape, au vieux cardinal Caprara, car il ne perdait pas de vue l’affaire du sacre.

Ce fut le dernier anniversaire officiel de la Fédération, et cette cérémonie ne fut qu’une représentation menteuse et sans dignité. En cette décadence de la nation, les beaux souvenirs de la liberté, qui vivaient encore en toute leur pureté dans quelques âmes fières et stoïques, ne servaient plus officiellement qu’à être exploités par le charlatanisme et l’ambition de ceux qui se partageaient les dépouilles de la République et de la Révolution.

Cependant, l’empereur n’oubliait pas les conceptions du premier consul. Au premier rang figurait le projet d’invasion contre l’Angleterre. La politique folle et téméraire qui avait préparé avec tant de machiavélisme la rupture du traité d’Amiens avait porté ses fruits. Il fallait se préparer à une guerre à mort contre l’Angleterre, et dont la nation ne voyait nullement la nécessité. De là d’immenses préparatifs, la formation du camp de Boulogne, la création de ressources financières, l’établissement des percepteurs des contributions et de la régie des droits réunis, la restauration des contributions indirectes, la formation de la compagnie pour l’escompte de valeurs du Trésor, les vastes travaux dans les ports et les arsenaux, toute la France, en quelque sorte, ainsi que la Belgique et la Hollande, transformée en un grand chantier maritime, etc.

Le plan de Napoléon était de créer une flottille assez forte pour jeter d’un seul coup 150,000 hommes sur les côtes de l’Angleterre, et cela avec des chaloupes canonnières, des bateaux pêcheurs, des péniches, etc. Les marins les plus expérimentés, Decrès, Ganteaume, Villeneuve, ne croyaient pas ou croyaient peu à la réussite d’une telle entreprise, à la possibilité d’échapper à la flotte anglaise qui croisait dans la Manche. Mais, voyant leurs observations méprisées, ils s’étaient mis à l’œuvre, afin de diminuer, au moins, les mauvaises chances de l’expédition. Malgré l’avis des hommes compétents, Napoléon, fasciné par son idée fixe d’écraser l’Angleterre et d’arriver ainsi à la domination de l’Europe, mit toute sa volonté et son énergie à poursuivre ce projet chimérique, avec l’opiniâtreté aveugle qui lui fera plus tard entreprendre l’expédition de Russie.

Après de longs et immenses préparatifs, il avait résolu de franchir le détroit au plus tard en août 1804, appuyé par la flotte de Toulon. Le 18 juillet, il partit pour visiter les camps qui menaçaient la Grande-Bretagne, Vimereux, Calais, Dunkerque, Ostende, etc. Le 16 août, il fit, au camp de Boulogne, une nouvelle distribution solennelle de croix et porta au comble le fanatisme de ses soldats. Néanmoins, il jugea prudent de remettre son expédition au moins de septembre. L’idée avait déjà subi bien des ajournements et des modifications.

Quelques écrivains ont même conjecturé que ce fameux projet de descente n’était qu’une feinte pour masquer des plans de conquête sur le continent, ne pouvant admettre, quand nos ports étaient bloqués par les flottes anglaises, qu’on risquât sérieusement ainsi toutes nos forces disponibles dans une entreprise aussi aventureuse, laissant la France désarmée, exposée infailliblement aux coups des puissances européennes, submergée par l’invasion, pendant que ses armées seraient cernées par les escadres britanniques.

Mais l’examen des faits ne permet pas de conserver le moindre doute ; le projet était sérieux, et rien ne montre mieux combien Napoléon, avec des facultés parfois merveilleuses dans l’action, était souvent dominé par l’imagination dans ses combinaisons grandioses et chimériques, et, malgré sa puissance de calcul, emporté par une fantaisie effrénée qui le poussait à des conceptions romanesques, où manquaient le bon sens et l’esprit pratique, et que des complaisants ont voulu trop facilement faire passer pour des combinaisons de génie.

L’Angleterre était vivement agitée par ces préparatifs menaçants. Le vieil ennemi de la France, Pitt, venait de remonter au pouvoir, porté par la situation. Les deux champions allaient se retrouver face à face, l’un pour susciter des coalitions contre nous, l’autre pour essayer de les briser à coups d’épée.

La mort de l’amiral Latouche-Tréville, qui devait guider la flotte de Toulon, fit reculer encore la fameuse entreprise. Au reste, il était évident, pour tous les marins capables, que, malgré des dépenses énormes, notre marine renaissante n'était pas encore capable d’entrer en ligne. Les constructions hâtives de bâtiments de toutes sortes n’avaient donné que des résultats inférieurs ; quant aux équipages, ils étaient insuffisants et laissaient fort à désirer, ayant été recrutés en partie par l’enlèvement forcé, par la presse, moyen violent et odieux, bien digne de l’homme qui avait rétabli l’esclavage aux colonies.

En résumé, après avoir changé plusieurs fois ses plans et donné libre cours à son imagination déréglée, Napoléon finit par être obligé d’abandonner son projet. Dans l’intervalle, divers combats de mer étaient livrés et une nouvelle coalition se nouait silencieusement en Europe.

Mais l’empereur était alors surtout préoccupé de la représentation théâtrale de son sacre. Il avait aussi employé à cette négociation son oncle, l’abbé Fesch, qui avait abjuré la prêtrise en l’an II, était devenu commissaire des guerres, puis avait ramassé son froc dans les orties lors de l’élévation de son neveu, qui l’avait fait nommer archevêque de Lyon et cardinal. Il était alors notre ambassadeur à Rome. Personnage médiocre, vain et ambitieux, instrument du parti ultramontain, il causa plus d’un embarras et plus d’un chagrin à Napoléon.

Quoi qu’il en soit, Pie VII consentit à venir en France, après bien des hésitations, mais aux frais de la France et sous la promesse de nouvelles concessions pour l’Église. Il apportait en échange, outre sa bénédiction, toute une cargaison de chapelets pour les dames de la cour.

Le 2 décembre 1804, la cérémonie du sacre eut lieu sous les voûtes de Notre-Dame. Un détail curieux, c’est que la nuit précédente le pape avait dû donner la bénédiction nuptiale, dans la chapelle des Tuileries, à Napoléon et à Joséphine, qui n’étaient mariés que civilement.

La solennité de Notre-Dame eut une pompe extraordinaire. Tout avait été préparé à l’avance et par des répétitions, comme une pièce de théâtre, avec de petites poupées de bois, sous la direction du peintre Isabey (Mémoires de Beausset, préfet du palais). David avait dessiné les costumes. Napoléon était affublé d’une défroque à la Henri IV, sous son manteau impérial et sa couronne de lauriers d’or. Il parait qu’il bâilla tout le temps. Il était d’ailleurs fort indisposé d’avoir été contraint de se soumettre au mariage religieux, qui resserrait ses liens avec Joséphine, qu’à cette époque déjà il avait l’intention de répudier. Quant à celle-ci, elle avait les yeux rouges encore de violentes scènes domestiques.

En présence de cette cérémonie éclatante et burlesque, les assistants, grands dignitaires, maréchaux, etc., avaient peine à garder leur sérieux. Quoique courtisans, ils étaient restés des hommes du XVIIIe siècle, sceptiques et philosophes, et d’après les témoignages les plus certains, notamment celui de l’archevêque de Malines, M. de Pradt, plus d’un maréchal ou autre grand dignitaire s’indignait assez haut de ces capucinades, et peu s’en fallut qu’elles ne fussent troublées par des éclats de rire.

Au moment où le pape élevait la couronne en forme de tiare qu’il se préparait à poser sur le front de Napoléon, celui-ci, qui ne voulait la tenir que de lui-même, la saisit lestement (comme il l’avait annoncé), et se la plaça sur la tête. Il en fit autant pour celle destinée à l’impératrice.

Cet homme étrange voulait bien imposer aux autres les symboles du passé, dans un but de discipline et d’asservissement, mais n’entendait s’y soumettre lui-même que dans la mesure de ses intérêts et de son ambition.

La veille du sacre, le Sénat lui avait présenté le résultat du plébiscite qui ratifiait à une énorme majorité sa nouvelle usurpation. On avait dû voter sur des registres ouverts. Les 108 départements avaient donné 3,572,329 oui. Personne ne prit au sérieux ce vote par intimidation. D’ailleurs, Bonaparte avait déjà la puissance, le titre, la France sous ses pieds. Cette comédie électorale était un outrage de plus.

Devenu l’oint du Seigneur, Napoléon fit inscrire dans le catéchisme, à la suite du 4e commandement, tes père et mère honoreras, des préceptes qui consacraient son propre culte presque à l’égal de celui de Dieu, On n’avait pas vu pareille infatuation depuis l’apothéose des Césars.

Il se sentait alors, et il était en effet, maître absolu de la grande nation. Les prétendues institutions dont il était entouré, Sénat, Corps législatif, sans une ombre d’indépendance et de pouvoir, n’avaient d’autre objet que de servir d’instrument et de masque à son despotisme, assez semblable à celui des czars de Russie, et incontestablement plus absolu que celui des anciens rois de France.

Quant à la presse, elle était asservie comme elle ne le fut jamais. Outre qu’il avait supprimé tous les journaux qui lui déplaisaient ou qu’il en avait confisque la propriété pour la donner à ses créatures, il ne pouvait supporter même les articles les plus innocents, et les malheureux publicistes, ceux mêmes qu’il avait choisis parmi les plus bas valets de la presse, ne pouvaient écrire dix lignes qui ne lui portassent ombrage, et ils en étaient