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arrivés à ne plus pouvoir parler qu’en tremblant de la pluie et du beau temps. Ils ne pouvaient même s’abstenir ; car le maître les accusait alors de ne pas soutenir l’opinion, c’est-à-dire de ne pas mentir, de n’être pas dignes d’écrire sous son règne, et il les faisait menacer par Fouché. Jamais la pensée n’avait été traitée avec cette brutalité, même sous l’ancien régime, et il en fut ainsi pendant tout ce règne néfaste. Cette servitude explique assez la stérilité intellectuelle de l’époque impériale. Toutes les intelligences étaient refoulées, éteintes par le despotisme, toutes les forces vives de la nation n’avaient d’autre emploi que la guerre. Le système ramenait directement à la barbarie.

Le Ier janvier 1805, Napoléon, ayant tout fait pour rendre la guerre générale inévitable, écrivit une lettre d’apparat au roi d’Angleterre pour l’inviter à la paix, démonstration menteuse, comme la plupart de ses actes publics, car il n’avait renoncé à aucune de ses prétentions à la domination de l’Europe. Il en donna bientôt la preuve en se faisant proclamer roi d’Italie et solennellement couronner à Milan (26 mai), en réunissant Gênes à l’Empire ; en érigeant Lucques et Piombino en principauté pour Bacciochi, l’époux de sa sœur Élisa, en créant en Hollande un grand pensionnaire, en plaçant Rome et Naples sous sa dépendance morale, en réduisant l’Espagne à une sorte de vassalité, en inquiétant enfin toute l’Europe par ses intrigues et ses projets de domination.

La troisième coalition, justifiée par tant d’entreprises, se révélait par ses armements qui répondaient à ceux de la France, et, le 8 avril, un traité est signé à Saint-Pétersbourg entre l’Angleterre et la Russie, auquel allaient bientôt adhérer l’Autriche, la Suède, Naples et la Sardaigne. Les peuples allaient de nouveau s’entr’égorger pour le caprice de leurs souverains, et surtout pour l’insatiable ambition d’un seul homme.

Nous passerons rapidement sur les faits de guerre, qui ont chacun des articles spéciaux et détaillés dans ce Dictionnaire. Nous n’avons ici qu’à résumer l’ensemble du règne, en évitant de faire double emploi avec les sujets déjà traités à leur ordre alphabétique, où le lecteur va plus naturellement et plus facilement les consulter que dans un article général. Nous ne jugeons pas non plus qu’il soit utile de nous occuper des mille plans de Napoléon, de ces projets qui fermentaient constamment dans cette tête volcanique, comme son dessein d’une diversion dans l’Inde, non plus que de diverses expéditions maritimes, qui ne furent que des incidents et n’amenèrent aucun résultat important.

Obligé de faire face au continent, Napoléon dut renoncer au roman de sa descente en Angleterre, dont le résultat eût été probablement un échec, et certainement l’invasion de la France par les puissances coalisées. Mais son infatuation était telle à cet égard, qu’il avait à l’avance fait frapper une médaille pour célébrer cette conquête, qu’il avait rêvée. Il en fut quitte pour attribuer, suivant sa coutume, l’avortement de ses desseins à ses lieutenants, notamment à l’amiral Villeneuve.

Ses plans, au reste, étaient dressés pour une autre combinaison, avec une fécondité d’esprit dont il serait puéril de méconnaître la puissance ; c’est ce qu’il appelait « faire son thème en deux façons, » afin de n’être pas pris au dépourvu.

Pendant que l’Europe s’ébranlait, il prit donc immédiatement son parti et résolut de se jeter sur l’Allemagne avec toutes ses forces, avant la jonction des alliés et l’intervention de la Prusse. Il envoie ses instructions à ses lieutenants, à Bernadotte, qui commandait l’armée du Hanovre, au prince Eugène, en Italie, à Saint-Cyr, à Marmont, etc. ; puis, levant précipitamment le camp de Boulogne, il dirige cette belle armée vers le Rhin, qu’elle franchit le 1er octobre 1805. Après les brillants combats de Donauwœrth, de Wertingen, de Guntzbourg et d’Elchingen, livrés d’ailleurs et gagnés avec des forces supérieures, elle s’établit sur le Danube. Le général autrichien Mack, enfermé dans Ulm, est forcé de capituler et de se rendre prisonnier avec 30,000 hommes, 3,000 chevaux et 60 canons (20 octobre). Ce magnifique début fut malheureusement attristé par le grand désastre maritime de Trafalgar (21 octobre), où notre flotte, renforcée des contingents de l’Espagne, fut coupée en deux et battue par Nelson. L’empire de la mer restait décidément aux Anglais. « Soit, dit Napoléon, je battrai l’Angleterre sur le continent. » Ces mots contenaient en germe le blocus continental. La mer, en effet, ne lui fut jamais favorable : Aboukir, la perte de Malte et des Îles Ioniennes, Trafalgar, la perte de Saint-Domingue, la vente (forcée) de la Louisiane, l’avortement réel de la descente en Angleterre, etc., étaient des faits assez caractéristiques. L’Océan restait sous l’empire de la marine britannique.

Pour le détail de toutes ces opérations et de celles qui suivent, nous répéterons que nous ne donnons ici que les noms, le résultat, l’ensemble ; on trouvera la description de toutes les actions principales aux articles spéciaux qui leur sont consacrés dans ce Dictionnaire. Nos lecteurs étant avertis, nous ne jugeons même pas nécessaire de multiplier les renvois, puisque l’ordre alphabétique est là pour les guider dans leurs recherches.

Après le grand coup frappé à Ulm, Napoléon marcha sur Vienne, escomptant à l’avance ses victoires et remaniant déjà l’Europe dans son ardente imagination. Il avait divisé son armée en sept corps, dont l’ensemble, formait la grande armée, nom bien justifié par ces admirables troupes et qui devait rester historique.

Cette campagne se poursuivit par la prise de Vienne (15 novembre), par les succès d’Augereau et de Ney dans le Tyrol, par ceux de Masséna dans le nord de l’Italie, par la jonction de ce dernier avec la grande armée, par quantité de petites actions brillantes contre les Russes et les Autrichiens, enfin par l’immortelle bataille d’Austerlitz (2 décembre 1805), à laquelle assistaient les trois empereurs (Napoléon, François II, Alexandre Ier),

Cette victoire mémorable eût pu avoir des résultats décisifs et durables ; mais Napoléon était destiné à constamment abuser de la victoire et à lasser la fortune en la surmenant.

François II, réduit à la Hongrie, hors d’état même de la défendre, dut s’humilier, séparer sa cause de celle d’Alexandre et, enfin, subir le traité de Presbourg (26 décembre), qui bouleversa l’Allemagne entière. L’Autriche perdait la Dalmatie et l’Albanie, réunies à l’Empire français, les États de Venise, réunis au royaume d’Italie (c’est-à-dire également à l’Empire français), les deux Tyrols, annexés à la Bavière, érigée en royaume, ainsi que le Wurtemberg ; le margraviat de Bade est transformé en duché et agrandi. Enfin, la plupart des petits princes allemands étaient placés sous le protectorat de Napoléon, qui exigea en outre le mariage de la princesse Catherine de Wurtemberg avec son frère Jérôme (déjà marié) et celui de la princesse Stéphanie de Beauharnais avec le fils de l’électeur de Bade. Par ces alliances princières, obtenues le sabre à la main, il voulait ainsi se faire accepter par les familles monarchiques de l’Europe, qui ne le regardaient dédaigneusement encore que comme un parvenu (de plus souillé du meurtre du duc d’Enghien).

Bientôt, le royaume de Naples, enlevé par Masséna et Gouvion Saint-Cyr à Ferdinand IV, et donné à Joseph Bonaparte, qui ne l’acceptait qu’avec répugnance (mars-juillet 1806) ; le grand-duché de Berg confisqué pour Murat (mars) ; la république batave transformée en royaume de Hollande pour Louis, autre frère de l’empereur (5 juin) ; la princesse Pauline Borghèse, investie du duché de Guastalla ; Neuchâtel et Ponte-Corvo érigés en principautés pour Berthier et Bernadotte ; la création d’un grand nombre de fiefs réels et avec dotations pour les maréchaux et grands dignitaires (dans les pays conquis ou annexés), montrèrent que Napoléon n’avait d’autre but que de créer de toutes parts des souverainetés vassales, pour pressurer les peuples conquis et dominer les nations de l’Europe. D’ailleurs, il entendait que tous ces feudataires, petits ou grands, lui fussent absolument asservis et lui servissent à lever des hommes et des subsides.

Ce système féodal, établi par la force, avec un mépris complet des droits et de l’autonomie des peuples, n’était propre qu’à susciter partout des haines implacables contre la France, que la Révolution et les grandes luttes de la liberté avaient rendue chère à toutes les nations. Tel fut toujours, d’ailleurs, le fruit de la détestable politique des Bonaparte, par suite de leur esprit de domination. Le second Empire, gardien fidèle de cette funeste tradition, nous a laissés, comme le premier, sans alliés et chargés de la haine universelle.

Napoléon était alors plongé dans ses rêves de restauration de l’empire de Charlemagne, en pleine utopie carlovingienne ; ce prétendu représentant de la Révolution (suivant certaines écoles) n’avait en réalité d’autre préoccupation que de restaurer l’ancien régime, autant qu’il était en lui. Il rétablit la noblesse, en se réservant, bien entendu, de ne reconnaître que celle qu’il conférait lui-même ; il réinstitua les majorats, au mépris du droit moderne. Un peu plus tard, il allait compléter son système nobiliaire en attachant les titres à certaines fonctions ; les grands dignitaires furent princes, altesses sérénissimes ; les ministres et sénateurs, comtes ; les hauts magistrats et les évêques, barons, etc.

Ainsi, il rétablit une cour, une noblesse, des feudataires, des distinctions, des privilèges, une Église dominante, une centralisation excessive qui n’était que le despotisme administratif de l’ancien régime, un enseignement disciplinaire, persécuteur des écoles libres, confié exclusivement à son Université, par laquelle il semblait vouloir instituer la conscription des intelligences, et auquel il donna pour bases : 1o les préceptes de la religion catholique ; 2o la fidélité à l’empereur, dépositaire du bonheur du peuple, à la dynastie napoléonienne, etc. ; bref, le culte officiel de sa propre personne. Il supprima les élections, tout contrôle et toute publicité libre, la liberté individuelle comme toutes les autres libertés, rétablit en réalité les lettres de cachet, les prisons d’État, des emprisonnements arbitraires et extra-légaux, la censure ; fit de la force et de l’autorité sans limites et sans contre-poids les seuls principes de gouvernement ; de la police, la plus inquisitoriale et la plus odieuse qui fut jamais, l’une des bases de sa puissance ; asservit l’imprimerie et la librairie ; constitua le monopole de la Banque de France, supprima la liberté théâtrale, asservit à ses règles autoritaires avoués, notaires, avocats, agents de change, etc. ; assujettit l’ouvrier au livret, à la loi contre les coalitions ; établit qu’en cas de contestation le maître sera cru sur parole, etc. ; enfin se constitua lui-même au-dessus de l’humanité, comme une sorte de divinité dont le culte obligé, la volonté, les caprices les plus tyranniques et les plus extravagants devaient être également sacrés. Ses œuvres, sa correspondance, si soigneusement expurgée cependant, le détail connu de sa conduite, tout ce que les travaux récents ont recueilli, nous le font bien connaître et bien apprécier, maintenant que l’idolâtrie qui l’avait placé presque sur un autel est à peu près éteinte et ne reste plus que comme un triste souvenir de servitude intellectuelle, comme un exemple de l’aveuglement causé par l’éblouissement de la gloire militaire.

Cet étranger, de race incertaine, qui vivait dans les siècles passés, obsédé par le rêve des royautés barbares, a pu pervertir et subjuguer la France, mais il n’a jamais compris son génie et sa mission d’affranchissement et de civilisation. La liberté, l’émancipation populaire, les droits de la pensée et de la science, les garanties politiques, le progrès social, le travail sous l’abri de la loi, l’indépendance des peuples et des individus, toutes ces vérités, fondement des sociétés modernes, qui n’étaient plus à découvrir, puisque le XVIIIe siècle et la grande Révolution les avaient proclamées, affirmées à la face du monde, lui ont été, non-seulement étrangères, mais odieuses.

Malgré la puissance incontestable de son esprit et la grandeur théâtrale de ses conceptions, il nous apparaît avec cette infériorité native et radicale, qu’il était incapable de s’élever à la simple notion de la justice, du droit, du bon sens et de la vérité. Non-seulement la morale n’existait pas pour lui, quand ses intérêts étaient en jeu, non-seulement il se flattait présomptueusement de venir à bout de tout, des hommes comme des événements, par la terreur, la fourberie et la violence, mais encore ce prodigieux aventurier en arriva de plus en plus à méconnaître les limites du possible et, finalement, comme cela devait logiquement arriver, courut de lui-même à sa perte en se précipitant tête baissée dans les entreprises les plus insensées.

Quant à ses violences, aux emprisonnements et aux exécutions qu’il ordonna, l’espace nous manque pour les enregistrer ; mais l’histoire ne les oubliera pas, et l’on sait bien que la liste en est longue et bien faite pour exciter l’indignation.

Mais reprenons le récit des faits.

Après le traité de Presbourg, et pendant que les armées impériales occupaient encore les États autrichiens, Napoléon, dont l’ambition et les convoitises ne dormaient jamais, songea à organiser à sa convenance et à son profit la Confédération germanique, projet plus menaçant encore pour la paix de l’Europe. Il commença par amuser l’Angleterre, la Russie et la Prusse par de vaines négociations, tenant toujours en réserve des conditions inacceptables, pour pouvoir dire ensuite qu’on lui refusait la paix. La mort de Pitt, l’élévation de Fox au ministère, l’inexpérience des négociateurs russes lui permettent de nouer ses hautes intrigues. Dans l’intervalle, ce Byzantin avait secrètement préparé et conclu le traité de la Confédération germanique (union armée de quatorze États allemands), qu’il notifie à la diète de Ratisbonne le 6 août 1806, et en vertu duquel il est déclaré protecteur de la confédération du Rhin, qui devait lui fournir des contingents armés. Ce coup de théâtre, qui éclatait comme un fait accompli, suivant sa méthode constante de surprises et de coups d’éclat, en diplomatie comme à la guerre, était bien propre à froisser cruellement les puissances avec lesquelles il feignait de traiter.

Ce qui donnait, en outre, un caractère particulièrement mystificateur à ses négociations, c’est qu’il proposait effrontément, comme compensations, des territoires sur lesquels il n’avait aucun droit et qu’il n’avait même pas conquis, comme les villes hanséatiques, qui appartenaient à l’Allemagne, l’Albanie, que possédait la Turquie, Raguse, république indépendante, les îles Baléares, propriété du roi d’Espagne, etc. Il n’était en possession d’aucun de ces pays, et il en disposait diplomatiquement comme de propriétés personnelles ! Il semblait que le monde lui appartînt et qu’il pût trafiquer librement de tel ou tel territoire qui restait à conquérir. Qui pouvait estimer et prendre au sérieux un tel négociateur ?

La quatrième coalition (Prusse, Russie, Angleterre) fut la réponse de l’Europe. La Prusse entre la première en ligne. Napoléon, tout préparé, et qui occupait encore sous différents prétextes le midi de l’Allemagne, renforcé, en outre, par les contingents de la Confédération, agit avec sa décision habituelle, malgré une crise financière à l’intérieur et qu’il essaya de conjurer à son ordinaire, par l’arbitraire et la violence.

Peu de temps auparavant, il avait envoyé à Berthier l’ordre d’arrêter et de faire fusiller dans les vingt-quatre heures un libraire nommé Palm, de la ville libre de Nuremberg, momentanément occupée par nos troupes, et dont le crime était d’avoir vendu des brochures patriotiques allemandes. Ce meurtre causa dans toute l’Allemagne un frémissement d’horreur et d’indignation. C’est par ces procédés, non moins que par son despotisme et ses conquêtes, que cet homme funeste a soulevé contre nous des haines si implacables et dont nous avons vu les effets dans l’invasion prussienne de 1870-1871.

Napoléon prit toutes ses mesures pour écraser la Prusse avant que la Russie fût prête, ce qui, d’ailleurs, lui était facile, car il avait encore 150,000 hommes en Allemagne, qu’il pouvait jeter tout à coup sur la frontière prussienne, et il ne négligea rien pour augmenter rapidement son effectif. Tout l’avantage était de son côté, en forces comme en positions, quoi qu’en aient dit certains historiens trop complaisants ; car, outre son armée d’expédition, il avait des corps d’armée partout, et son vaste cercle de défense embrassait près de la moitié de l’Europe, consolidé par une ligne de places fortes. Lui-même écrivait à Soult (5 octobre) : « Nous marcherons sur Dresde en un bataillon carré de 200,000 hommes. Avec cette immense supériorité de forces, je puis attaquer partout l’ennemi avec des forces doubles. »

On sait quelle fut la rapidité foudroyante de cette campagne. Notre armée déboucha en Saxe par trois points différents. Le 8 octobre, la campagne s’ouvre devant Saalbourg par un engagement de la cavalerie de Murat contre l’ennemi ; le 9, Bernadotte remporte un avantage important à Schleitz ; le 10, Lannes triomphe au combat de Saafeld, où le prince Louis de Prusse fut tué ; le 14, Napoléon, avec des forces doubles et des lieutenants comme Lannes, Augereau, Ney, Soult, Murat, etc., remporte la victoire d’Iéna sur le corps du prince de Hohenlohe. À la même heure et à quelques lieues de là, Davout, avec des forces inférieures, gagne sur la plus forte partie de l’armée prussienne, commandée par le roi et Brunswick, la bataille d’Auërsaedt. La déroute de l’armée ennemie fut achevée un peu plus loin par le corps de Bernadotte.

La Prusse était anéantie d’un seul coup.

Suivant sa coutume, Napoléon, contre toute vérité, intervertit les rôles dans ses relations officielles et présenta la bataille d’Auërstaedt comme un épisode secondaire de celle d’Iéna, tandis qu’elle en était l’événement capital et décisif.

Dès le lendemain, l’empereur frappa les pays conquis d’une contribution de 159 millions et ordonna la confiscation de toutes les marchandises anglaises qui se trouveraient chez les négociants de l’Allemagne du Nord ; spoliation inqualifiable, qui fut le prélude du blocus continental.

Après divers combats qui n’étaient, d’ailleurs, que la poursuite des corps dispersés, les Français entrèrent le 24 à Berlin. Napoléon, dans un mouvement d’orgueil puéril, s’empara de l’épée du grand Frédéric et l’envoya à Paris.

Il avait d’abord présenté un traité de paix, que le roi de Prusse, réfugié à Kœnigsberg, acceptait, malgré les conditions les plus dures ; mais il se ravisa et résolut de garder ses conquêtes, comme positions stratégiques contre la Russie et comme une riche mine à exploiter pour ses finances et ses approvisionnements.

Enivré de ses éclatants succès, il revint alors à son idée fixe de dominer « la mer par la terre » et il rendit le fameux décret qui établissait le blocus continental (v. ce mot), pour fermer le continent au commerce britannique, interdire partout les marchandises anglaises, les correspondances avec ce pays, confisquer les propriétés des Anglais, les arrêter eux-mêmes comme prisonniers de guerre, etc. ; projet gigantesque et extravagant, dont il prétendait imposer la réalisation à tous les peuples et qui devait avoir des conséquences si funestes (21 novembre 1806).

L’Europe, qui déjà exécrait sa tyrannie, le crut tombé dans le délire. Il n’y avait pas en effet de meilleur moyen pour lui de multiplier le nombre de ses ennemis, de se créer des embarras et des cas de guerre, et de rattacher par l’intérêt et le besoin toutes les nations à l’Angleterre.

Cependant, les Russes entrent en campagne en décembre, et la guerre allait avoir pour théâtre la Pologne, que Napoléon berce de la promesse vague d’une résurrection, pour exploiter le courage de ses enfants. Il arrive à Varsovie le 15 ; après deux avantages remportés à Czarnowo et à Pultusk, il joint les Russes à Eylau, et, après une bataille terrible et sanglante, longtemps indécise, première hésitation de la fortune, il triomphe complètement de l’ennemi (8 février 1807), poursuit les Russes, occupe sur la Baltique Stralsund et Dantzig (avril-mai), et organise de ce côté son système de blocus continental.

Les Russes, vaincus de nouveau dans plusieurs combats, sont écrasés complètement dans la décisive bataille de Friedland (14 juin