Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 2, Molk-Napo.djvu/411

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plus nombreuses à beaucoup près. Le livre n’est pas moins un des documents les plus remarquables et les plus dignes d’être consultés dans ce grand procès qu’instruit l’histoire, sur la mémoire de l’homme le plus étonnant peut-être, mais à coup sûr le plus funeste qui ait figuré dans l’histoire moderne.

Napoléon Bonaparte (HISTOIRE GÉNÉRALE DE), de sa vie privée et publique, par Thibaudeau (1827 et ann. suiv., 6 vol. in-8o). L’ouvrage, qui devait avoir douze volumes, n’a pas été achevé ; ceux qui ont été publiés portent les titres suivants : Guerre d’Italie (3 vol.), Guerre d’Égypte (2 vol.), le Consulat (1 vol.). La partie vraiment intéressante est ce dernier volume ; Thibaudeau y rappelle ses souvenirs du conseil d’État et fait apprécier le rôle de Napoléon dans cette assemblée, dont il suivait les délibérations pour y peser de tout son poids.

Napoléon (HISTOIRE DE) et de la grande armée pendant l’année 1812, par Paul-Philippe, comte de Ségur (Paris, 1824, 2 vol. in-8o). Dans cet ouvrage, qui a obtenu un grand succès, M. de Ségur raconte les grandes scènes dont il a été témoin ; il dévoile en homme d’État les vues et les desseins de l’expédition ; il trace en tacticien le plan de la campagne ; il nous entraîne dans ces marches si fécondes en prodiges, ou dans cette retraite marquée par tant d’exploits et d’horreurs. Ce qu’il a vu, il le peint ; il nous fait assister aux combats comme aux conseils, sous la tente de l’empereur, au passage du Niémen, à la bataille de Mojaisk, à l’incendie de Moscou, au retour par la Bérézina. Il a des couleurs différentes pour des tableaux divers ; il fait passer dans l’âme du lecteur les impressions qu’il a reçues. Les discours qu’il met dans la bouche de ses héros, les rumeurs qu’il recueille dans l’armée donnent à ses récits une physionomie particulière et un mouvement continuel. Ce qui frappe dans ce récit, dont le ton solennel rappelle un peu trop l’ancienne école historique qui adoptait pour modèle la manière de Tite-Live, c’est que l’auteur a vu et jugé son héros sans trop de prévention. Il nous représente Napoléon dans un affaissement complet, tant au moral qu’au physique, Napoléon dépouillé de son génie. Le général Gourgaud ayant regardé ces imputations comme injurieuses à la mémoire de Napoléon, réclama dans les journaux et avec des expressions tellement énergiques, qu’elles donnèrent lieu à une explication, à la suite de laquelle eut lieu un duel dans lequel M. de Ségur fut blessé. Le général Gourgaud ne se contenta pas, heureusement pour son honneur, de ce genre de réparation, et essaya un Examen critique de l’ouvrage de M. le comte Philippe de Ségur, qui est resté à peu près inconnu.

Napoléon (HISTOIRE DE), par Norvins (Paris, 1827, 4 vol. in-go). Peu d’ouvrages ont obtenu autant de succès ; mais il faut attribuer ce succès beaucoup moins au mérite de l’auteur qu’à l’époque de l’apparition du livre. L’Histoire de Napoléon parut en un moment où l’éloge de Napoléon faisait partie de la tactique des partis. On vantait alors l’empereur pour être désagréable au gouvernement. L’opposition libérale patronna donc l’ouvrage, qui eut de nombreuses éditions. Elle est, d’ailleurs, convenablement écrite, mais n’offre rien de saillant ni au point de vue des aperçus, ni par l’éclat ou la chaleur du style.

Napoléon en Égypte, poëme en huit chants, de Barthélémy et Mery (1828, in-8o). C’est un ouvrage vraiment remarquable par la richesse de la poésie descriptive ; taillé sur le modèle de la Pharsale, sans l’appareil du merveilleux épique et avec les seules ressources de l’histoire, il offre en raccourci un modèle de l’épopée moderne. À l’époque où il parut, c’était en même temps une œuvre d’opposition aux Bourbons, et les auteurs en firent hommage à tous les membres dispersés de la famille impériale. M. Barthélémy alla jusqu’à Vienne pour tenter inutilement d’en remettre un exemplaire au duc de Reichstadt. On peut ne pas partager l’enthousiasme des auteurs pour le héros des Pyramides, mais il est impossible de rester froid devant les différents tableaux qu’ils font passer sous les yeux des lecteurs. Le poëme de Napoléon en Égypte eut, à son apparition, un très-grand succès, que la passion politique sut augmenter encore. Depuis cette époque, le public s’est montré plus indifférent à l’œuvre de Barthélémy et Méry. Les réimpressions successives se sont arrêtées. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage restera, à cause des beaux vers que l’on y rencontre à chaque page. « C’est en vers alexandrins, dit M. Charles Magnin, que le poème de Napoléon en Égypte est écrit : et, dans les huit chants, il n’y est dérogé qu’une fois, pour un hymne chanté par le muphti du Caire en l’honneur de Napoléon. On sait avec quelle habileté les auteurs manient le vers, et quelle richesse ils savent donner à leurs rimes ; la solennité presque sacerdotale du sujet, les hautes couleurs de ce ciel cuivré d’Égypte, l’indolente quoique sauvage volupté de Mourad, les pompes terribles du désert et le grandiose du génie de Bonaparte, justifient plus qu’en aucune autre occasion l’emploi de ce mètre si monotone et si roide que Racine et Molière, presque seuls parmi nos grands poëtes, ont su assouplir sans effort. Il sied bien à la description et tout est description dans le poëme de MM. Barthélémy et Méry. Tout est chaud et fortement accusé dans cette poésie ; elle accable presque, tant elle est riche. » Un bivac dans les sables, la peste de Jaffa, la traversée du désert où la soif dévore l’armée, passage librement imité de Lucain avec une grande énergie ; la description des fêtes du Caire, celle du sérail de Mourad-bey, empreintes d’une riche poésie orientale, sont les épisodes principaux du poëme.

Napoléon sur divers sujets de politique et d’administration (OPINIONS DE), par Pelet de la Lozère (1833, in-8o). M. Pelet, ayant pu souvent entendre Napoléon au conseil d’État, où il était auditeur dès 1804, a voulu léguer à la postérité ce qu’il savait des gestes mémorables du maître, et, dans cette intention, il a noté sur l’heure toutes les paroles qu’il a jugées mériter une mention. Son ouvrage est curieux, parce qu’on y voit en germe la pensée qui se traduisit plus tard en décrets et en lois ; on y entend aussi certaines réflexions faites en petit comité et qui évidemment n’étaient pas destinées à la publicité.

Le Napoléon semi-officiel que nous présente M. Pelet a des mouvements heureux parfois, mais presque toujours c’est le despote imposant sa volonté, la formulant sur un ton de commandement dogmatique et se croyant tout permis parce qu’il est le maître.

On comprend qu’un livre comme celui dont nous parlons ne s’analyse pas ; nous nous contenterons d’en extraire quelques passages qui peignent l’homme, méprisant ses semblables après les avoir avilis. Le Sénat, ayant à présenter à Napoléon une liste de candidats pris parmi ses membres pour les sénatoreries, affecta de ne porter sur la liste aucun de ceux qui avaient voté contre l’établissement de l’Empire ; c’étaient précisément les noms les plus marquants du corps : Sieyès, Lanjuinais, etc., etc. Napoléon s’en indigna : « Les lâches, s’écria-t-il, ont peur de me déplaire ! Qui les a chargés de ma querelle ? Ne suis-je pas assez fort pour me défendre ? Quel fond pourrais-je faire sur des hommes qui abandonnent ainsi leurs collègues et leurs amis, ceux à qui ils doivent, pour la plupart, d’être ce qu’ils sont ? » Étrange inconséquence d’avoir façonné les hommes à la servitude et de s’en indigner !

L’un des objets qui ont le plus occupé Napoléon a été la formation d’un corps enseignant : « Il n’y aura pas, disait-il, d’État politique fixe, s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes. Tant qu’on n’apprendra pas dès l’enfance s’il faut être républicain ou monarchiste, catholique ou irréligieux, l’État ne formera point une nation ; il reposera sur des bases incertaines et vagues, il sera constamment exposé aux désordres et aux changements... Je ne m’étonne pas que l’archichancelier soit pour la conservation du théâtre de la Montansier, qui est un scandale pour les mœurs. C’est le vœu de tous les vieux garçons de Paris. »

Et flatteurs d’applaudir, l’archichancelier en tête !

Napoléon, poëme, par Edgar Quinet (Paris, 1836, in-8o). Avec Ahasvérus et Prométhée, Napoléon forme une trilogie dont le drame des Esclaves est comme l’épilogue. Le poëte peint un héros légendaire, « un Napoléon plus grand que nature. » On a demandé si le sujet était bien choisi et s’il ne fallait pas à l’épopée une certaine perspective. Évidemment ; mais cette perspective, l’admiration fanatique, à défaut du temps, l’a donnée à Napoléon. M. Quinet a donc pu le choisir comme héros d’un poëme épique. Le personnage épique a franchi l’histoire ; il appartient à une région plus haute ; c’est ce que les anciens exprimaient en l’appelant demi-dieu. L’idée nous reste, le mot nous manque. Le héros est entré dans le domaine des choses immuables, il a un pied sur l’Olympe, il est sur le seuil de l’éternité. Aussi le devoir du poëte n’est pas de le faire parler comme il a réellement et humainement parlé ; non-seulement il faut qu’il lui fasse dire des choses que sa bouche n’a pas dites et que son cœur a pensées, mais il faut encore qu’il lui fasse révéler le secret de sa vie, qu’il a lui-même ignoré. En un mot, il faut qu’il fasse parler en lui la Providence et l’intelligence universelle bien plus que la voix d’une personnalité solitaire et capricieuse. « Le personnage épique n’est pas seulement une personne, c’est un type, un siècle, une époque qu’il renferme en lui et qu’il doit exprimer. Le génie héroïque n’est rien autre dans une nation que le sentiment qu’elle a d’elle-même et de son action sur le monde. C’est dans le héros qu’elle s’annonce elle-même et s’admire comme le plus énergique symbole de sa volonté et le plus puissant instrument de la Providence. »

Selon M. Quinet, l’art a parcouru en France trois époques : sacerdotal jusqu’au Xe siècle, féodal jusqu’à la Renaissance et, depuis, monarchique ; la phase qu’il lui reste à parcourir est celle de la démocratie, et c’est cette apothéose future de la démocratie qu’il a voulu voir dans Napoléon. « Napoléon, c’est le peuple ! » Illusion qui convient à un poëte, mais que, pour notre malheur, ont partagée quelques hommes politiques et quelques historiens, dont un au moins est illustre.

Mais ne cherchons pas au poëme de M. Quinet une portée politique. « Le poëme de Napoléon, tel que son auteur l’a conçu, dit Gustave Planche, ne ressemble pas aux épopées cycliques, ni aux épopées dramatiques, car dans ces deux ordres d’épopées le récit joue naturellement le premier rôle ; que les épisodes s’ajoutent ou s’ordonnent, le récit doit toujours dominer la pensée du poëte. Dans le livre de M. Quinet, les choses ne vont pas ainsi : l’auteur se place constamment au point de vue lyrique ; il ne raconte jamais, il chante ; il se préoccupe exclusivement de la peinture de ses sentiments personnels et ne songe pas un seul instant à retracer les événements auxquels il assiste par le souvenir. Les odes et les élégies se pressent et se multiplient, et remplissent la trame entière du poëme. Tantôt l’auteur procède par apostrophe ; tantôt il se complaît dans les longues descriptions et semble oublier le sujet auquel se rattachent toutes ses pensées. Mais soit qu’il chante, soit qu’il décrive, qu’il se plaigne ou se réjouisse, il ne se résigne jamais au récit. Il se mêle aux batailles et s’enivre de bruit et de fumée ; il se glisse parmi les conseillers et il écoute leurs remontrances ; il pénètre dans la conscience même du héros et il épie ses plus secrètes angoisses ; il recueille avidement tous les rêves dont l’image passe comme une ombre sur le front du guerrier victorieux ; il explique à sa manière, et souvent avec un hardi bonheur, les douleurs comprimées que la foule contemple dans un muet effroi, mais il ne lui arrive jamais de sortir du rôle lyrique où il s’est enfermé. L’Italie et l’Égypte, l’Espagne et la Russie servent tout au plus à varier les couleurs de sa pensée, mais n’espérez pas qu’il étudie et développe les causes de la guerre ; n’espérez pas qu’il s’arrête dans sa course vagabonde pour guetter d’un œil attentif l’origine des événements ; une pareille tâche, bien que sérieuse et difficile, semblerait à M. Quinet étroite et mesquine. Ce qu’il veut avant tout, ce qu’il cherche avec une persévérance infatigable, c’est une riche moisson de strophes sonores et dorées. Pour faucher les épis de la gerbe qu’il s’est promise, il traverse au galop toutes les plaines sanglantes de l’Europe, il dépasse dans sa vitesse les plus rapides ambitions et ne se donne pas le temps de respirer. Aussi le lecteur a peine à le suivre. Si, parfois, le plaisir se présente, c’est un plaisir haletant ; la fatigue est plus vive que la joie. Il est impossible de méconnaître dans les chants du poëte la puissance et l’animation, mais cette puissance étonne plutôt qu’elle ne charme. »

Après ces restrictions nécessaires, nous pouvons faire du style de M. Quinet un éloge presque absolu. « Quinet, dans ses vers, dit Sainte-Beuve, a vite trouvé son rhythme, son allure, et, en quelque sorte, le trot ou le galop qui conviennent à sa rapide pensée. Il y a des passages (toute la ballade de la Bohémienne) d’une mélodie simple, naïve, monotone, chantante ; mais le plus souvent c’est une rapidité fougueuse, infatigable, effrénée comme une course des chevaux de l’Ukraine. Le poëte n’a pas inventé, comme on l’a dit, des rhythmes nouveaux, il n’a imprimé à la versification française aucune modification technique, comme l’ont fait Ronsard, Malherbe et de nos jours V. Hugo ; mais dans son poëme, au milieu de nombreux hasards et de quelque inexpérience, il a maintes fois monté avec bonheur le char ailé qui se formait de lui-même sous lui. »

Napoléon et Marie-Louise ; souvenirs historiques du baron de Meneval (Paris, 1843-1845, 3 vol. in-8o). La Vérité, rien que la vérité, telle est la devise naïvement ambitieuse de l’auteur de ces souvenirs. Mais la vérité sur un pareil sujet est difficile à dire pour qui a été, comme le baron de Meneval, secrétaire du portefeuille de Napoléon et des commandements de l’impératrice Marie-Louise. Son livre a cependant un certain air de franchise ; le style en est absolument dépourvu d’artifice, et nous sommes porté à croire que l’auteur raconte avec exactitude les faits dont il a été témoin. Mais n’est-il pas à craindre qu’il ait mal contrôlé ceux qui lui ont été rapportés ? En tout cas, il est certain qu’il a jugé ses deux héros avec une simplicité et une prévention qui ont quelque chose de monstrueux. C’est ainsi qu’il nous parle avec un prodigieux aplomb du désintéressement de son empereur, « mû par la seule ambition d’avoir voulu faire de la France la nation la plus glorieuse et la plus prospère, trop grand peut-être pour une société vieillie ! » On sait comment le malheureux avait travaillé à la rajeunir. C’est ainsi qu’il nous raconte avec une complète crédulité l’amour sincère et les inconsolables regrets de Joséphine. C’est ainsi qu’il nous peint l’extrême sensibilité de l’empereur : « La grossesse de l’impératrice avançait heureusement ; les indices s’en étaient révélés par de fréquents malaises qui ravissaient l’empereur ; il entourait Marie-Louise de sa sollicitude, la soutenait dans ses bras et l’encourageait, avec l’empressement le plus tendre. J’ai été quelquefois témoin de ces scènes de ménage où éclatait le naturel aimant de Napoléon... » Le ménage reste parfait dans le livre de Meneval, et le naïf chroniqueur semble avoir ignoré l’intolérable situation de Marie-Louise à la cour, situation si bien et si généralement connue qu’on a peine à s’expliquer comment elle a pu échapper à un secrétaire des commandements de Marie-Louise. La naissance du roi de Rome lui arrache le plus singulier trait d’érudition qu’un historien se soit jamais permis ; il s’explique ce laborieux accouchement par la pensée que le long enfantement de Rome inspirait à Virgile :

Tantae molis erat romanam condere gentem !

Rome comparée au duc de Reichstadt, c’est un rapprochement plus qu’ingénieux. Au reste, le bon baron est indulgent pour tout le monde, même pour les républicains, qu’il ménage visiblement. Marie-Louise, acceptant le duché de Parme et se laissant consoler par un second époux, lui inspire plus de commisération que de colère. Quant aux désordres moraux que quelques-uns ont osé reprocher à cette princesse, l’excellent baron n’y croit pas, la jugeant d’un tempérament trop froid.

La nature des faits racontés ne relève guère cette insuffisance des appréciations. Le baron de Meneval s’amuse à des détails d’intérieur, à des questions de préséance intolérables sous la vieille monarchie, insupportables chez Saint-Simon, malgré son style, tout à fait ridicules à la cour du monarque plébéien issu de la Révolution, et plus encore dans un livre imprimé presque de nos jours et médiocrement écrit.

Ce livre, en somme peu intéressant, et qui n’apporte à l’histoire aucun fait nouveau de quelque importance, comprend : une longue introduction dans laquelle l’auteur résume, à bâtons rompus, sa propre histoire et celle de l’Empire ; trente-neuf chapitres d’anecdotes incohérentes, relatives aux événements qui se sont écoulés depuis le divorce avec Joséphine jusqu’à l’exil à Sainte-Hélène ; un appendice comprenant diverses notes, une entre autres sur la mort du duc d’Enghien, mort qu’il faut, selon l’auteur, reprocher aux Anglais ; car le baron de Meneval est de la vieille école napoléonienne et professe une haine implacable pour la perfide Albion. C’est la matière des deux premiers volumes, publiés en 1843 ; le troisième, paru deux ans plus tard, n’ajoute rien de bien nouveau, et la série des anecdotes qu’il contient s’étend à toute la période comprise dans ces deux premiers ; c’est un nouveau livre auquel on a laissé le même titre.

Napoléon Ier et son historien, M. Thiers, par Jules Barni (Paris, 1865, in-12). Dans cette reproduction d’un cours public professé à Genève en 1863, M. Barni s’est proposé de rétablir la vérité dans l’histoire de Napoléon, et il a exécuté son dessin avec beaucoup d’éloquence et d’élévation. Déjà avant lui, Chaninng et Emerson, en Amérique, avaient sévèrement jugé Napoléon ; en France Charras, Ed. Quinet, Duvergier de Hauranne, Lamartine, Eug. Pelletan, Lanfrey, Scherer, Chauffour-Kestner avaient porté des coups terribles à la légende napoléonienne. M. Barni a voulu mettre son talent au service de cette cause : « Si j’ai pris particulièrement pour objet de ma critique l’Histoire du Consulat et de l’Empire par M. Thiers, c’est, dit-il, que cet ouvrage m’a paru être le monument le plus considérable et le plus dangereux de la grande erreur que je poursuivais. Le renversement de cette erreur est le véritable but que je me suis proposé ; l’examen du livre de M. Thiers, je prie qu’on ne l’oublie pas, n’a été pour moi qu’un moyen. Je n’ai attaqué l’historien que pour atteindre le héros ; les coups que j’ai portés à son œuvre n’ont tendu qu’à démolir l’idole à laquelle elle sert de piédestal.... Montrer que Napoléon, loin d’avoir été le continuateur de la Révolution, a été, suivant l’heureuse expression de Mme de Staël, le premier des contre-révolutionnaires ; que le 18 brumaire, loin d’avoir été un acte de salut, a été un malheur pour la France et en tout cas un crime ; qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre le Consulat et l’Empire, mais que le premier n’a pas été moins mauvais et moins coupable que le second ; que la prétendue conversion libérale de Napoléon à son retour de l’île d’Elbe n’est qu’une nouvelle fable ajoutée à tant d’autres ; qu’enfin son exil à Sainte-Hélène a été la trop juste expiation, aussi mal supportée d’ailleurs que bien méritée, de ce long attentat qui avait commencé au 18 brumaire : voilà tout ce que je me suis proposé de faire, et ce que j’espère avoir fait. » M. Barni a jugé Napoléon selon les imprescriptibles lois de la conscience et de la morale publique, et devant ce tribunal le héros de M. Thiers ne pouvait échapper à une condamnation.

M. Barni montre que le Consulat est tout entier en germe dans le 18 brumaire comme l’Empire dans le Consulat. Waterloo et Sainte-Hélène forment le dénoûment logique du drame dont cette monstrueuse usurpation est le premier acte. Telle est l’idée fondamentale de ce livre, et en reprenant toute cette histoire M. Barni veut moins la refaire que caractériser chaque situation et la juger. L’erreur capitale de M. Thiers, comme le montre M. Barni dans son dernier chapitre, est de n’avoir pas vu que le 18 brumaire ne pouvait avoir d’autre effet que le despotisme qui en est sorti, d’avoir cru que la liberté ne pouvait s’établir en France sans l’aide d’un sauveur. Bonaparte, au lieu de détruire la liberté, eût pu travailler à l’affermir. « C’était, dit M. Scherer en parlant de Bonaparte, une de ces natures du Midi chez lesquelles l’homme moral était tout simplement absent. Voilà pourquoi il est à la fois si grand et si petit,