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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 12, part. 1, P-Pate.djvu/352

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rément d’ingénieuses inventions, mais qui ne suffisent pas pour lui assigner un rang parmi ceux dont les découvertes marquent des époques dans l’histoire de la mécanique. Comme philosophe, il y a deux hommes en Pascal : l’homme de la raison et l’homme de la foi. Lorsque les événements que nous avons racontés eurent courbé sous le joug de la foi cet esprit fier, puissant et naturellement indépendant, les deux hommes subsistèrent côte

a côte ; une lutte s’engagea dont les traces sont visibles dans le livre des Pensées, lutte terrible qui absorba ce grand esprit et finit par l’abattre.- De cette lutte entre une raison indomptable et une foi ardente et de parti pris, ce qui se dégage surtout dans ce livre étonnant, c’est un scepticisme involontaire, sinon inconscient. Ce scepticisme dont Pascal avait peur se montre malgré lui à toutes les pages et jusque dans les arguments sur lesquels il veut étayer sa foi. S’il cherche à. établir la nécessité de croire, il l’étuye sur les dangers sans compensation que présente l’incrédulité. Qui oserait, pour la simple satisfaction de conserver la liberté de sa raison, s’exposer à un enfer éternel, incertain sans doute, mais possible après tout ? ■ S’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion, cur elle n’est pas certaine. Il n’est pas certain qu’elle soit, mais qui osera dire qu’il est certainement possible qu’elle ne soit pas ? > Reste alors a acquérir la foi, qui, après tout, n’est pas un acte volontaire. Pascal en donne le moyen : « Vous voulez aller à la foi, et vous en demandez le chemin ; vous voulez vous guérir de l’infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez-les de ceux qui ont étéliés comme vous et qmparient maintenant tous leurs biens {v. PAR !) ; suivez la manière par où ils ont commencé : c’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes... Naturellement même, cela vous fera croire et vous abêtira. > Quelle profonde et navrante amertume dans ces dernières paroles ! Quel ravage profond avait fait dans cette âme la foi qu’il nous recommande d’acquérir par de si singuliers moyens ! Et pourtant, cette âme d’élite reste telle au milieu de ses plus déplorables aberrations. À côté d’un texte où il nie la justice et la vérité, où il déclare que < trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, qu’un méridien décide de la vérité ;» à côté d’un autre où il exalte la droit de la force, où il constate, non peut-être sans une profonde ironie, la supériorité réelle, au point de vue du droit, de celui qui a quatre laquais sur celui qui n’en a qu’un ; à côté de ces propositions monstrueuses contre lesquelles ou est tenté de s’indigner, le grand philosophe, précurseur inspiré de la politique moderne, se prend tout à coup à exposer la théorie du progrès : « La nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un orare de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égalej de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne dépassent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que par l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés ; et comme il conserve ces connaissances, il peut ainsi les augmenter facilement ; de sorte que les hommes sont aujourd’hui, en quelque sorte, dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes s’ils pouvaient avoir vieilli jusqu’à présent, en ajoutant aux combinaisons qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu leur acquérir à la faveur de tant de siècles. > Si d’ailleurs on se sentait porté à quelque sentiment de haine Contre cet esprit toujours profond mais souvent paradoxal, si l’on pouvait oublier un instant que la cause de ses écarts est dans la série de ses souffrances, on se rappellerait qu’avec des dehors tristes et misanthropiques, Pascal eut toujours un profond amour des pauvres et des petits. On se souviendrait qu’a son lit de mort, ayant à côté de lui toute une famille de malheureux qu’il avait recueillie et qui se trouvait atteinte d’une maladie contagieuse, il trouva tout simple de déloger, pour éviter à la fois un danger aux enfants de sa sœur et un déplacement à ses pauvres. Le malheureux sort de Pascal a voulu qu’il fût amené à concentrer tous les efforts de sa volonté pour déguiser deux grandes qualités dont la nature 1 avait doué’ : un grand cœur et un grand esprit philosophique.

M. Ernest Havet, dans sa remarquable édition des Pensées (Paris, 1866), a fait quelques réflexions émues sur les dévotions superstitieuses de Pascal : « La maladie est l’état naturel des chrétiens ! Quand on entend de telles paroles, on pense avec effroi quelle vie de souffrance avait dû vivre celui qui en était venu à parler ainsi. Pascal ne voulait pas trouver bon ce qu’il mangeait ; Pascal s interdisait les assaisonnements, quoiqu’il les aimât ; Pascal dépérissant obligeait son estomac ruiné à accepter une mesure fixe de nourriture, sans consulter ni l’appétit ni le dégoût ; Pascal portait à nu sur la chair une ceinture de fer pleine de pointes., . O dérai PASO

son ! mais ô tristesse ! Et combien un tel spectacle est désolant ! Ailleurs encore, quelles vertus étranges !... Un détachement qui va jusqu’à répondre exprès par des rebuts affectés aux soins d’une sœur et à ses tendresses, afin de la dégoûter de l’aimer 1... Laissons les misères, attachons-nous aux grandeurs. »

Villemain a jugé l’écrivain en même temps que le philosophe : t D’abord il chercha à émanciper la raison humaine, il réclama l’indépendance de la pensée et l’autorité de la

conscience ; ensuite il se consuma d’efforts pour élever des digues et des barrières contre l’invasion illimitée du scepticisme. Cet esprit puissant et inflexible embrasse d’une conviction profonde, comme une sauvegarde, les dogmes du christianisme et leur donne, par sa soumission, le plus grand peut-être des témoignages humains. Mais si la conviction est entière, la démonstration est imparfaite, les preuves ne sont pas réunies, le raisonnement n’est pas achevé ; et il reste quelques indices de la lutte qu’avait subie Pascal et quelques marques extraordinaires de sa force, plutôt qu’un monument complet de sa victoire., . Pascal ne fait pas, comme La Bruyère, des descriptions, des portraits ; mais il saisit et ex prime d’un trait le principe des’ actions humaines. Il écrit l’histoire de l’espèce, et non celle de l’individu. Jugeant les choses de la terre avec une liberté et un désintéressement tout philosophique, il arrive souvent par une route

bien opposée au même but que les plus hardis novateurs ; mais il ne s’y arrête pas, il voit au delà. Quelquefois il al air d’ébranler les principes mêmes de la société, de la propriété, de la justice ; mais bientôt il les raffermit par’une pensée plus haute. Il est sublime de bon sens autant que de génie. Le style porte en lui l’empreinte de ces deux caractères. Nulle part vous ne trouverez plus

d’audace et de simplicité, plus de grandeur et de naturel, plus d’enthousiasme et de familiarité. Un écrivain célèbre a remarqué qu’il est peut-être le seul génie original que le goût n’ait presque jamais le droit de reprendre : on le conçoit ; mais on n’y songe pas en le lisant. »

Plusieurs écrits de Pascal durent à son incurie pour la renommée de ne pas lui survivre. On connaît de lui : Traité des coniques (1640), dont il ne reste qu’un fragment ; une série d’opuscules : De numericarum potestatum ambitibus, Traité sur les nombres multiples, Le numeris magico-magicis, Promotus Apollonius Gallus, l’actiones sphericx, l’actiones etiam conicB, Locisolidi, Lociplani, Perspective méthodus, Alèse géometria, dont on n’a que les titres -f Avis nécessaire à tous ceux qui auront la curiosité de voir la machine arithmétique et de s’en servir (1645), avec dédicace au Chancelier Séguier, et, en 1650, une lettre à Christine de Suède en lui envoyant la machine arithmétique ; Traité du triangle arithmétique, Traité des ordres numériques, De numericis ordinibus tractatus (ces trois traités ont paru réunis en 1665, 1 vol. in-4o) ; Deux lettres à Fermât (1654) sur les jeux de hasardj Problemata de cycloide proposita mense junii (1C58) ; Réflexions sur la condition des prix attachés à la solution des problèmes de la cycloide, bientôt suivies de : Annotata in quasdam solulionesprobtemalum de cycloide ; Histoire de la roulette appelée autrement troc/wïde ou cycloide, suivie de Suite de la roulette ; Lettre de M. Detlonville à [M. de Carcavi, ci-devant conseiller du roi en son grand conseil ; Cinq traités préparatoires des propriétés, des sommes simples, triangulaires et pyramidales, des trilignes rectangles et de leurs onglets, des sinus du quart de cercle, des arcs de cercle et des solides circulaires ; Traité général de la roulette ou Problèmes proposés publiquement et résolus par A. Dettonoille ; Dimensions des lignes courbes de toutes les roulettes ; De l’escalier circulaire, des triangles cylindriques et de ta spirale autour du cane ; Propriétés du cercle, de la spirale ei de laparabole ; Nouvelles expériences touchant le vuide (1647) ; Réponse de Pascal au Père Noél, jésuite (1647), suivie de  : Lettre de Pascal à M. IjC Pailleur au sujet du Père Noël ; Lettre de Pascal à M, de Ribeyre, premier président à la cour des aides de Clermont et Réplique de Pascal à M. de Ribeyre ; Traité de l’équilibre des liqueurs et Traité de la pesanteur de la masse de l’air ; Récit de ta grande expérience de l’équilibre des liqueurs, projetée par le sietir B. Pascal (1648), précédé de deux fragments dans l’édition de 1063, et suivi" de Nouvelles expériences faites en Angleterre, expliquées par les principes établis dans les deux traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air ; Lettres de MM. Pascal et Roberval à M. Fermât sur un principe de géostatique mis en avant par ce dernier ; Lettres de Louis de Mantalte à un .provincial de ses amis et aux révérends Pères jésuites svr la morale et la politique de ces pères (1636, in-4o) ; Pensées de Pascal (1669, m-12) ; Lettres touchant la possibilité d’accomplir les commandements de Dieu et dissertation sur le véritable sens des paroles du concile de Trente, que les commandements ne sont pas impossibles aux justes ; Discours sur ta possibilité et le pouvoir ; Comparaison des anciens chrétiens avec ceux d’aujourd’hui ; Questions sur les miracles ; Sur la signature du formulaire ; Sur la conversion du pécheur. Outre plusieurs opuscules qu’on attribue à Pascal, a tort ou a raison, il a eu parc à quelques-uns, comme Réponses de divers curés

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à F Apologie pour les casuistes et Réponse à vn écrit sur les miracles qu’il a plu à Dieu de faire à Port-Royal.

Une édition des Œuvres complètes de Pascal a été publiée en 1858 par Lahure.

Parmi les nombreux écrits consacrés à Pascal et à ses ouvrages, nous citerons : PortRoyal, par Sainte-Beuve (1840-1860) ; Des Pensées de Pascal (1842) et Jacqueline Pascal, par Cousin (1844) ; Éloges de Pascal, par Bordas-Demoulin et par Faugère, couronnés l’un et l’autre par l’Académie en 1842 ; Études sur Pascal, par l’abbé de Flottes (1843-1845) ; Études sur Pascal, par Vinet (1844-1847) ; De lu méthode philosophique de Pascal, par Lescœur (1850) ; Pascal, sa vie et son caractère, ses écrits et son génie, par l’abbé Maynard (1850) ; Pascal, ta vie et ses luttes, par Dreydorff (1870).

Paient nvec M. d« Sacy »ur Epictète «I

Montaigne (kntrktikn de). C’est Fontaine qui rapporte ce curieux document dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de PortRoyal. Fontaine, secrétaire fidèle et intelligent de M- de Sacy, nous a sans doute conservé la physionomie vraie et le caractère exact de ce singulier entretien ; mais a-t-il pu nous en rendre toute la vivacité, toutes les saillies imprévues et soudaines ? Non. Si nous avons le résumé fidèle des idées de Pascal, nous n’avons pas son style. Ce qui n’empêche point le morceau d’être cependant fort intéressant. M, Sainte-Beuve en a jugé ainsi puisqu’il n’a pas hésité à le transcrire et à le commenter longuement dans son admirable histoire de Port-Royal. Le lieu célèbre où se tint la conversation, le nom des deux interlocuteurs et enfin le sujet même rie la discussion, voilà certes autant de sources d’intérêt et de curiosité. L’historien, le littérateur, le philosophe peuvent et doivent étudier ce morceau1 fameux avec un égal attachement.

Avant tout, k quelle époque eut lieu l’entretien ? En 1654. Date mémorable, date solennelle dans la vie de Pascal ! C’est l’année de sa conversion. Il vient d’entrer à Port-Royal, pourquoi ? Pour faire pénitence, pour humilier sa raison devant la foi. Jusque-là il a douté, il a philosophé : maintenant il croit, ou du moins il veut croire. C’est un néophyte. Il en a toutes les ardeurs. Rappelez-vous Polyeuute après le baptême : il brûle de prouver sa foi par unîacte. Il veut rompre ouvertement avec son passé. C’est peu d’être en possession de la vérité : il veut que l’on sache qu’il a erré jusque-là. De même Pascal. Hier encore il était du monde : il veut renoncer à ses errements par une abdication en forme. Polyeucte renverse les idoles qu’il adorait la veille. Pascal aussi a eu son idole : la philosophie. Il va débuter dans sa vie nouvelle en renversant cette idole.

Les deux coryphées de la philosophie, ce sont, dit-il, Epictète et Montaigne. C’est à eux qu’il va s’en prendre.

Nous connaissons la date, le lieu, le caractère de l’entretien, et nous avons même indiqué déjà la situation dans laquelle se trouva l’un des interlocuteurs. Faisons connaissance avec l’autre, avec M. de Sacy. C’est un homme plein de douceur, de finesse, j’allais dire de malice. Il a plus d’un trait de ressemblance avec le Socrace si enjoué et si subtil des dialogues de Platon. Il est froid : Pascal, au contraire, est chaleureux ; maître de lui : Pascal est emporté ; dialecticien et rien de plus : Pascal est dialecticien aussi, mais il est autre chose, il est poète ; il a de la passion. Voilà les deux natures, vo3rons-les aux prises.

C’est à Epictète que Pascal s’attaque d’abord. Il commence par lui rendre justice. Il fait un magnifique tableau du stoïcisme. Pascal l’admire et dit pourquoi : C’est parce que cette doctrine regarde Dieu comme le principal objet de nos efforts q ôu.ol»ai$ Stû) ; qu’elle prêche la soumission à la volonté divine ; qu’elle représente l’homme comme un voyageur sur la terre, et qu’elle met toujours devant nos yeux l’idée de la mort (Vita philosophai mortis commentatio est). Mais après l’éloge, la.critique. Le tort du stoïcisme, c’est de croire trop à la raison, cette superbe diabolique ; c’est d’engendrer l’orgueil (philosopkus animal gloris) ; c’est d’exalter outre mesure la volonté et la liberté humaines ; c’est enfin de proclamer la légitimité du suicide. Autant de reproches qui sont à nos yeux les titres de gloire du stoïcisme et qui le justifient au lien de le condamner.

Au tour de Montaigne ; Pascal en pariant de lui semble plus embarrassé, car Montaigne pour lui est une vieille connaissance ; c’est un ancien ami. Les Essais ont été d’abord sa lecture favorite. Il a été séduit (qui ne l’aurait été ?) par cette bonhomie franche et naïve de l’aimable discoureur ; il s’est laissé endormir avec lui sur « l’oreiller du doute. • Mais l’heure du réveil est venue, et la déception n’en a été que plus ainère. Il avait fait de beaux rêves ; mais ce n’étaient que des rêves, et il ne peut le pardonner à Montaigne. Il lui fait quelques concessions : sa foi plus réelle qu’apparente ; il est resté catholique ; il a fait l’apologie de saint Raymond de Sebonde. Ses doutes mêmes, dit

Pascal, tournent au profit de la religion, puisqu’ils ne servent en définitive qu’à humilier la raison... Mais que sont ces faibles éloges à côté des reproches que lui adresse le sévère converti ? Pourquoi Montaigne a-t-il passé du doute, qui est excusable, à l’indiffé PASC

retice, qui ne l’est pas ? Pascal a raison de détester l’indifférence ; mais qu’il se rappelle que pour Montaigne oétait le chemin de la tolérance ; pour lui, prendre parti en philosophie et en religion, c’était prendre parti dans les querelles du temps, et de quel temps ? D’un temps où l’on brûlait au nom de la vérité et de la religion. Mieux vaut ne croire à rien, en pareil cas : la foi k ce prix est trop chère. Mais Pascal ne voit pas ces conséquences. Il oublie les faits pour ne songer qu’aux idées ; et comme il a condamné Epictète sans tenir compte de son pays, il condamne Montaigne sans faire la part de son siècle. L’un, dit-il, n’a vu l’homme qu’avant la chute et il l’a fait trop grand ; c’est le stoïcien Epictète. L’autre ne 1 a vu qu’après la chute et il l’a fait trop petit ; c’est 1 épicurien Montaigne. Tous deux se sont trompés. Voilà la conclusion, et le christianisme est le vrai.

M. de Sacy est émerveillé ; il a écouté avec ravissement. Le sujet était nouveau pour lui : il n’a pas même lu Montaigne, et pourtant il va discuter avec Pascal pour savoir si on doit le lire. Bien entendu, il conclut négativement ; Epictète aussi lui parait trop dangereux ! Ainsi ces deux esprits si différents arrivent au même point : la négation de la raison et de la liberté au profit de la grâce, le credo quia absurduml On dit que Pascal a fait plus de conversions que Bourdaloue. Tant pis pour les convertis 1 tant pis pour l’Église ! car ces convertis-là n’étaient que des malades, des infirmes et des écloppès. Belles recrues 1

Pucnl, ma vie et »■ luttes, par le docteur J. Dreydorff, en allemand (1870). Cet ouvrage doit être cité à la suite des travaux français sur le même et inépuisable sujet. L’auteur allemand a, sinon refait de fond en comble, du moins considérablement modifié certaines parties de la biographie de Pascal et, par là même, certaines appréciations sur ses œuvres. Le livre se divise en trois parties : Esquisse de ta vie de Pascal, les Polémiques, Ses dernières années ou ce que l’auteur appelle sa décadence. L’auteur n’admet pas la date qu’on assigne ordinairement à la conversion de Pascal. Il combat aussi l’opinion qui voit dans le jansénisme de Pascal une sorte d’infidélité au catholicisme, de rapprochement involontaire du protestantisme. Enfin il analyse et résume avec une originalité qui leur rend un intérêt tout nouveau les Provinciales de Pascal. En somme, il est désormais impossible de faire une étude sérieuse de ce graud classique sans consulter au moins, pour l’appréciation de ses doctrines religieuses, le savant ouvrage de M. Dreydorff.

PASCAL (Jacqueline), sœur du précédent, née à Clermont en 1625, morte à Paris, religieuse de Port-Royal, en 1661. Ce fut une enfant précoce et ayant une étincelle du génie de son frère. Son père fit son éducation, en même temps que celle de Biaise Pascal, et, ce qui est assez singulier, elle se prit de goût pour la poésie avant de savoir complètement lire. Sa sœur Gilberte, plus âgée qu’elle de quelques années, était toute surprise de la voir distinguer la cadence des vers de la marche plus unie de la prose, et on ne put lui apprendre à lire que dans un volume de poésies. Comme elle avait beaucoup de mémoire, elle retint aisément quelques morceaux, voulut connaître ensuite les règles de la prosodie et fit, vers l’âge de dix ans, des vers qui n’étaient pas plus mauvais que bien d’autres. Une circonstance mémorable mit en relief son talent naissant. En 1638, le bruit de ta grossesse d’Anne d’Autriche se répandit et mit en activité tous les rimeurs. Jacqueline Pascal ne resta pas en arrière ; elle composa comme les autres son petit sonnet :

Sus, réjouissons-nous, puisque notre princesse Après un si long tems rend nos vœux exaucés, Et que noua connaissons que, par cette grossesse. Nos déplaisirs sont morts et nos malheurs cessés. Que nos cœurs à ce coup soient remplis d’allégresse. Puisque nos ennemis vont être renversés. Qu’un dauphin va porter dans leur sein la tristesse, Et que tous leurs desseins s’en vont bouleversés. François, payez vos vœux à la Divinité : Ce cher dauphin, par vous si longtemps souhaité, Contentera bientôt votre juste espérance. Grand Dieu, je te conjure avec affection De prendre notre reine en ta protection, Puisque la conserver, c’est conserver la France,

Elle écrivit aussi des stances Sur le mouvement que la reine a senti de son enfant ; c’étaient des sujets bien délicats à traiter pour une si jeune fille, mais le xvn« siècle était moins prude que le nôtre. Mme de Morangis présenta à la reine, à Saint-Germain, l’enfant prodige, qui répondit à cette gracieuseté en écrivant, séance tenante, deux ou trois impromptus. Toutes ces petites pièces sont citées dans les Mémoires de Gilberte Pascal (M™8 Périer). Une occasion plus importante la mit encore plus en relief et rendit même fort utile à son père son précoce talent poétique. Comme Étienne Pascal était recherché activement par la police de Richelieu, h propos de la petite émeute des rentiers à l’Hôtel de ville, la duchesse d’Aiguillon la fit venir pour jouer un rôle dans l’Amour tyrannique, de Mlle de Scudéri, qu’on représentait devant le cardinal. Gilberte avait refusé en disant fièrement : « Le cardinal ne nous fait pas assez de plaisir pour que nous prenions