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d’une façon agréable et précise les figures variées dont elle se composait.

La pyrrhique, qu’on appelait aussi danse énoplienne et memphitique, était exécutée par des jeunes gens armés, vêtus d’une tunique écarlate et portant des ceintures garnies d’acier d’où pendait l’épée ou la lance ; les musiciens avaient, de plus, un casque orné d’aigrettes et de plumes. Les danseurs, aux sons de la flûte, exécutaient en cadence le simulacre d’un combat, l’attaque, la défense, la fuite. On comptait quatre parties ; la première, appelée podisine, consistait en un mouvement rapide et répété des pieds, tel qu’il était nécessaire pour poursuivre l’ennemi, s’il fuyait, ou pour lui échapper, — s’il était vainqueur j la seconde partie portait le nom de xiphisme et représentait une espèce de combat simulé, dans lequel les danseurs imitaient tous les mouvements du soldat qui tantôt porte des coups et lance des traits et tantôt cherche à éviter ceux de l’ennemi ; la troisième partie était consacrée par les danseurs à exécuter des sauts fréquents et fort élevés pour se mettre en état de franchir lestement, au besoin, des fossés et des murs^ la tétracome formait la quatrième et dernière partie ; c’était une figuré carrée qu’on exécutait par des mouvements majestueux et tranquilles. Quelques auteurs prétendent qu’elle était particulière aux Athéniens ; mais les Crétois et les Lacédémoniens la dansaient dans la perfection.

« De tous les Grecs, dit Campan, les Spartiates furent ceux qui cultivèrent le plus la danse pyrrhique. Athénée nous rapporte qu’ils avaient une loi par laquelle ils étaient obligés d’y exercer les enfants dès l’âge de cinq ans. C’est ainsi que cette jeunesse apprenait, en se jouant, l’art terrible de la guerre. Quelle intrépidité ne devait-on pas attendre de cette foule de guerriers qui, dès leur enfance, étaient familiarisés avec les armes ! »

PYRRHOCÈRE adj. (pir-ro-sè-re — du gr. purrhos, roux ; keras, corne). Entom. Dont les antennes sont rouges.

PYRRHOCORAX s. m. (pir-ro-ko-raks du gr. purrhos, roux ; korax, corbeau). Ornith. Nom scientifique du genre choquart.

PYRRHOCORIDE adj. (pir-ro-ko-ri-de de pyrrhocoris, et du gr. eidos, aspect). Entom. Qui ressemble ou qui se rapporte au pyrrhocoris.

— s. m. pl. Tribu d’insectes hémiptères, ayant pour type le genre pyrrhocoris, Syn. d’astemmites.

PYRRHOCORIS s. m. (pir-ro-ko-riss — du gr. purrhos, roux ; koris, punaise). Entom. Genre d’insectes hémiptères, appelé aussi astemme, et vulgairement punaises des bois.

PYRRHODE s. m. (pir-ro-de — du gr. purrhodês, de couleur rousse). Ornith. Genre d’oiseaux, de la famille des perroquets, appelé aussi charmosine.

PYRRHOGASTRE adj. (pir-ro-ga-stre du gr. purrhos, roux ; gaster, ventre). Zool. Dont l’abdomen est roux.

PYRRHOLEUQUE adj, (pir-ro-leu-ke — du gr. purrhos, roux ; leukos, blanc). Zool. Qui est roux et blanc.

PYRRHON, célèbre philosophe grec, chef de l’école sceptique ou pyrrhonienne, né à Élis (Péloponèse) vers 384 av. J.-C. On ignore la date exacte de sa mort. Diogène Laërce donne au père de Pyrrhon le nom de Pleistarque et Pausanias celui de Pistocrates. Il était né pauvre et exerça, dit-on, au début de sa carrière la profession de peintre. Antigone de Caryste, contemporain et biographe de Pyrrhon, cite de lui des torchères exécutées pour le compte de sa ville natale et qui faisaient l’admiration des connaisseurs. Il paraît qu’il dut à la lecture des livres de Démocrite son goût pour la philosophie. Auparavant, il avait suivi les leçons de Bryson, disciple de Stilpon, puis celles d’Anaxarque. Ce dernier était un élève de Métrodore, un des chefs du système auquel Démocrite a attaché son nom. On croit que Pyrrhon accompagna l’armée macédonienne d’Alexandre durant l’expédition d’Asie et qu’il étudia aux sources mêmes la science des mages de la Perse et des gymnosophistes de l’Inde. Anaxarque, qui professait l’imperturbabilité, dut lui enseigner la recherche du calme de l’âme, et l’exemple des gymnosophistes contribua sans doute à le fortifier dans le système auquel il a attaché son nom. De retour à Élis, il s’attira la vénération de ses concitoyens par sa philosophie pratique, par une pauvreté exemplaire et par toutes les vertus de l’homme et du citoyen. Il fut nommé grand prêtre et les philosophes furent, en son honneur, exemptés de tout tribut dans la ville d’Élis. Antigone de Caryste a accumulé sur sa mémoire des contes ridicules. Si Pyrrhon avait été, comme le dépeint son biographe, un homme atteint d’aliénation mentale, les habitants d’Élis ne l’auraient pas mis à la tête du sacerdoce de leur cité. Ænésidème, qui s’élève avec raison contre ces accusations mal fondées, ne dissimule d’aucune façon le caractère sceptique de Pyrrhon ; mais il conteste que sa doctrine conseillât aux hommes de s’abandonner sans réserve au cours des événements, ce qui suppose l’abandon absolu de leur volonté.

Il mourut âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, en possession de l’estime générale de la Grèce. Il aimait l’isolement, on pourrait dire la solitude, si favorable aux spéculations de la pensée. La simplicité de sa vie intérieure était devenue proverbiale. Il s’occupait lui-même, avec sa sœur, des soins du ménage et portait, suivant les historiens, des poulets et des cochons au marché. Un jour, contre son habitude, il se mit en colère contre sa sœur. Quelqu’un qui assistait à cette altercation saisit l’occasion de lui rappeler ses maximes relativement à l’indifférence du sage, qui était systématique dans son enseignement : « Pensez-vous, dit Pyrrhon, que ma philosophie soit applicable à une femme ? » Il méprisait les objets ordinaires de l’ambition, la fortune, le pouvoir et particulièrement la gloire, la seule ambition qu’eussent conservée les philosophes dans leur détachement des choses humaines. Il avait pour dédaigner la gloire des motifs utiles à connaître : « Les hommes, dit-il, ressemblent aux feuilles qui tournent au gré des vents et qui sèchent bientôt ; leur estime n’importe pas plus que leur mépris. » Épictète, qui était un dogmatique intraitable comme les stoïciens et, par conséquent, ennemi de Pyrrhon et du scepticisme de son école, admire pourtant le sang-froid de son adversaire qui, professant un jour qu’il n’y avait aucune différence entre vivre et mourir, répondit à quelqu’un lui demandant pourquoi il ne mourait pas : « Parce que cela est indifférent. » Il était sur mer pendant un orage et le navire menaçait de s’abîmer. Las passagers étaient hors d’eux-mêmes. Pyrrhon appela leur attention sur un porc qui mangeait tranquillement au milieu de l’émotion commune : « Voilà, dit-il, quelle doit être la sécurité du sage. »

Pyrrhon semble n’avoir pas écrit, si l’on excepte un poème adressé à Alexandre et dont parlent Sextus Empiricus et Plutarque. Ses principaux disciples, et ceux par lesquels on connaît surtout sa doctrine, sont Euryloque, Philon d’Athènes et Hécatée d’Abdère. Son nom est devenu un drapeau. On a vu plus haut qu’il avait commencé par goûter les principes attribués à Démocrite. Il les quitta pour embrasser successivement ceux de l’école de Mégare, puis des sophistes. Les livres et les écoles philosophiques ne tardèrent point à lui inspirer un dégoût à peu près absolu. Il résolut, comme fit plus tard Descartes, d’apprendre à lire sur le grand livre de la nature, et il faut, sans doute, rapporter à cette résolution ses voyages et la part qu’il prit à l’expédition d’Alexandre jusque sur les bords du Gange. D’ailleurs, le désordre était complet de son temps dans les écoles grecques. Platon était mort ; l’Académie, qui se disait son héritière, penchait d’une part vers le pythagorisme et de l’autre vers le scepticisme ; Aristote, le chef de la philosophie adverse, répugnait au génie grec à cause de son positivisme empirique et était en butte à l’animosité de la plupart des sectes issues de l’école de Socrate. Les cyniques, malgré le mépris dont les délicats les poursuivaient, avaient un plus grand avenir devant eux ; mais ils se moquaient trop ouvertement des bienséances de la vie civilisée, au gré de Pyrrhon, et, d’autre part, leur morale toute pratique excluait la spéculation métaphysique ; ce sont les prédécesseurs des moines mendiants. Les stoïciens d’Aristippe étaient presque dans le même cas que les cyniques pur rapport à la raison ; ils la négligeaient pour ne s’occuper que des devoirs, et ces devoirs, ils les remplissaient mal, car, en dépit de l’austérité de leurs maximes, en pratique l’épicuréisme dans tous ses raffinements était leur règle de vie. Pyrrhon était très-perplexe. Il l’était à ce point qu’il ne put se défaire de ses incertitudes et eut l’honneur de les ériger en un système qui a traversé les siècles. Le dogmatisme lui semblait absurde ; la négation absolue, qui est un autre dogmatisme, ne lui paraissait pas mieux valoir ; il résolut de se tenir sur un terrain neutre, celui du doute. Il n’est pas le premier qui ait eu cette disposition habituelle ; mais il est le premier qui ait songé à faire du doute une méthode régulière, un système agencé pour durer et tenir l’esprit dans une réserve constante, considérée comme une condition nécessaire de la sagesse. Voici comme il raisonne. Aussitôt que la raison sort d’elle-même pour pénétrer les mystères qui l’environnent, elle suit d’ordinaire deux voies opposées : ou elle se décide à tout affirmer comme vrai, ou elle se résigne à tout nier comme faux. Ce sont deux situations extrêmes et également contraires à la nature des choses et aux instincts les plus profonds de notre nature. Il prend le parti de s’abstenir. On a mis Pyrrhon en demeure de s’expliquer et on l’a enfermé dans ce dilemme ; Ou votre doute est universel, et vous doutez de votre propre existence et vous êtes en contradiction avec vous-même, car, par cela seul que vous doutez, vous pensez et par conséquent vous êtes ; ou votre doute ne s’étend pas à vous-même, et alors vous affirmez quelque chose et votre doute n’est point universel.

C’est mal comprendre Pyrrhon. Il ne dit pas : J’affirme ; il ne dit pas : Je nie ; il ne dit même pas : Je doute, il dit que tout est obscur, qu’il est difficile de savoir, que dans cette situation la prudence exige qu’on s’abstienne de juger. Il ne prononce pas sur le fond des choses ou, si l’on veut, sur leur côté objectif ; il ne prononce que sur la conduite à tenir par l’intelligence dans ses rapports avec les objets du dehors.

Cette hésitation est, d’ailleurs, tout à fait mentale. Elle n’affecte point la vie quotidienne et n’est qu’une spéculation de l’esprit ; tout au plus conseille-t-elle la prudence et proscrit-elle les passions désordonnées qui sont si peu conformes aux principes ordinaires de toute philosophie raisonnable. Ce caractère essentiel du pyrrhonisme résulte de tous les documents qu’on possède sur Pyrrhon et son école. Ce qui précisera même la méthode de Pyrrhon, c’est le critérium qu’il admit pour guide de nos actes : ce critérium est l’apparence (τὸ φαινόμενον).

Comme nous le disions tout à l’heure, le scepticisme de Pyrrhon n’a rien d’objectif ; il n’a en vue que de préciser l’état de notre esprit en face des objets du dehors. Pyrrhon n’est pas un destructeur de la foi due aux données de la raison, du sentiment et des sens. Il leur accorde ce qui leur est dû, seulement il mesure le degré de croyance qui leur revient. Les ennemis de toute croyance et de la raison elle-même, ce sont les sophistes qui emploient la dialectique et l’éloquence à toute sorte de besognes contradictoires et ont fait de la philosophie une marchandise à vendre. En résumé, Pyrrhon professait le doute suspensif. Au milieu de toutes les contradictions des écoles philosophiques, il recommande au sage la suspension du jugement, sans toutefois lui interdire la recherche de la vérité ; en effet, il ne rejetait point la vérité, mais déclarait seulement que les philosophes ne lui paraissaient pas l’avoir trouvée, et, conséquemment, il refusait de choisir entre leurs diverses assertions ; il n’affirmait rien, ne niait rien, il s’abstenait. De là l’indifférence pour les choses extérieures, l’imperturbabilité, le repos de l’intelligence dans le doute. Au reste, suivant l’observation lumineuse de Quinet, il est remarquable que toutes les écoles de cette époque ont la même empreinte. Sceptiques, épicuriens, stoïciens prétendent au même repos ; malgré leurs différences, ces écoles ont un but commun, qui est le calme, l’immutabilité, le repos imperturbable des Olympiens. Toutes semblent avoir formé leur sage sur le modèle des marbres impassibles de Phidias. Plus le monde se trouble et chancelle, plus les esprits cherchent leur équilibre dans l’indifférence. Depuis le temps d’Alexandre, c’est le cri de toutes les écoles. On a calomnié Pyrrhon quand on a répété qu’à l’exemple de quelques sophistes il regardait les règles du juste et de l’injuste comme une convention des hommes, et qu’il niait les impressions des sens. Comme critérium, il reconnaissait le phénomène, ou ce qui paraît ; regardait toute assertion comme légitime, pourvu qu’on ajoutât il me paraît ; admettait comme un fait les apparences ; reconnaissait la nécessité d’agir, l’autorité pratique du sens commun, celle des lois et des usages, celle de la morale, qu’il considérait comme écrite au fond du cœur de l’homme et comme la fin de toutes ses actions. La grande erreur du pyrrhonisme, c’est de présenter le doute suspensif comme un état fixe, comme la fin de la philosophie, tandis qu’il n’en peut être que le moyen et la méthode. Quant aux anecdotes épigrammatiques des biographes, qui rapportent que Pyrrhon pratiquait l’incertitude universelle au point de ne se garder d’aucun danger et d’avoir besoin d’être partout accompagné de ses amis, elles n’ont aucun caractère de certitude. Cette indifférence relativement aux impressions des sens, contraire à l’esprit des sceptiques et niée par Ænésidème en ce qui concerne Pyrrhon, doit être regardée comme une exagération du principe de l’impassibilité et rejetée sur le compte des commentateurs. « Une telle faiblesse, dit M. Ch. Renouvier, eût été peu convenable à la gravité du grand prêtre d’Élis ; sa sagesse était de celles que les villes honorent et non de celles que les enfants poursuivent de huées. »

Plutarque attribue à Pyrrhon une série de dix tropes ou arguments qui sont comme les lieux communs du scepticisme et dont nous parlerons plus loin (v. pyrrhonienne [école]), On peut consulter sur Pyrrhon : Diogène Laërce, Vies des philosophes ; Plutarque, Œuvres morales ; Bayle, Dictionnaire historique et critique au mot Pyrrhon ; Saisset, Mémoire sur Ænésidème, etc.

PYRRHONIEN, IENNE adj. (pir-ro-ni-ain, i-è-ne). Hist. anc. Qui appartient à l’école de Pyrrhon ou au pyrrhonisme ; Philosophe pyrrhonien. Doctrines pyrrhoniennes.

— Qui est sceptique, qui doute de tout : En fait de science, il coûte plus à l’amour-propre d’être timide et pyrrhonien que d’être dogmatique et hardi. (Fonten.)

— s. m. Philosophe de la secte qui reconnaissait Pyrrhon pour chef. ‖ Philosophe sceptique : La nature confond les pyrrhoniens et la raison confond les dogmatistes. (Pasc.)

Encycl. École pyrrhonienne. On désigne sous ce nom l’école de philosophie fondée vers le milieu du ive siècle avant notre ère par Pyrrhon, dont nous avons exposé plus haut la doctrine (v. Pyrrhon). Les disciples de Pyrrhon se divisaient autrefois en quatre classes : les zététiques, les sceptiques, les éphectiques et les aporétiques, c’est-à-dire les investigateurs, les examinateurs, les suspendus, les douteurs.

Le pyrrhonien ou sceptique admet un critérium de vérité, le phénomène. L’homme lui apparaît en tant qu’être passif ; comme tel, l’homme constate les phénomènes qui s’offrent à lui. Il ne les affirme pas, il constate qu’il en a eu la perception. Il ne dira pas : Ceci est chaud, ceci est froid, mais seulement : Ceci me semble chaud, ceci me semble froid. Quant au dogmatisme, Pyrrhon se refuse à rien établir par son moyen. « À tout discours un discours est opposé, » dit-il. Frappé des conséquences de la dialectique, il craint qu’elle ne lui démontre victorieusement qu’une syllabe a mangé du fromage, comme faisaient les sophistes à leurs adversaires terrassés. Bien plus, le scepticisme pécherait par la base s’il commençait par affirmer la négation de toute croyance. Quand il dit : Je ne pose rien, il se hâte d’ajouter : Pas même cela que je ne pose rien.

Voici les dix lieux communs ou tropes, ou raisons, ou modes de suspension formulés par les plus anciens sceptiques. Nous les donnons dans l’ordre très-méthodique où les a rangés l’auteur du Manuel de philosophie ancienne.

L’infirmité des jugements et l’impossibilité d’atteindre la connaissance s’établissent par les motifs suivants :

1o La différence des animaux, de leur naissance, de leur organisation, de leurs sens et de leurs impressions en présence d’un objet identique.

2o La différence des caractères moraux et physiologiques de l’être humain.

3o La différence des organes sensitifs chez un même homme, chaque organe révélant une qualité particulière de l’objet, sans qu’on puisse démêler si cette qualité dépend de l’organe ou est inhérente à l’objet.

4o La différence qui tient aux divers états subis par l’organisme : maladie, sommeil, tristesse, vieillesse, etc.

5o La différence que la quantité de la chose sensible porte dans nos jugements : plus ou moins de froid, de mouvement, plus ou moins de vin bu changent tous les résultats.

6o La différence des modes d’éducation des hommes, de leurs lois, de leurs croyances religieuses.

7o Le mélange et l’union des choses dont il est impossible de juger séparément : le fer, de l’air dans lequel nous le pesons ; les couleurs, de l’humeur de nos yeux qu’elles traversent.

8o Les supports, lieux, positions et circonstances à part desquels l’objet ne saurait être envisagé.

9o La rareté ou la fréquence des phénomènes qui produisent la stupeur ou l’indifférence en face de ces phénomènes.

10o La relation qui est partout et sans laquelle nous ne jugeons de rien ; toutes les idées, tous les objets se rapportent à d’autres idées, à d’autres objets, et tout ce dont on juge est relatif à celui qui juge.

Voici cinq autres modes qui ont été posés postérieurement pour combattre Aristote et sa théorie de la démonstration. Ils sont admirablement ingénieux et complètent, par l’examen des phénomènes de la raison et des idées, les dix modes primitifs formulés spécialement, comme on a pu voir, au point de vue des phénomènes historiques et sensibles :

1o Contradiction. Le sentiment des hommes diffère sur toutes choses.

2o Progrès à l’infini. Toute preuve qu’on avance exige elle-même une preuve ; sans cela, sur qui reposerait sa légitimité ? Mais cette nouvelle preuve est dans la condition de la première et exige une nouvelle preuve à laquelle il en faut une nouvelle encore, et ainsi de suite jusqu’à l’infini.

3o Diallèle (l’un par l’autre). Celui qui prouve le sensible par l’intelligible devra procéder ensuite à la preuve de l’intelligible ; mais celui-ci ne pouvant se prouver par un autre intelligible (comme il a été formulé dans le mode précédent), il faudra le prouver par le sensible, ce qui est un cercle vicieux.

4o Hypothèse. C’est-à-dire vérité admise sans démonstration pour servir à une démonstration. L’hypothèse est inadmissible : il est insoutenable de prétendre que ce qui sert de fondement à une démonstration n’ait pas besoin d’être démontré.

5o Relativité. Tout intelligible est relatif aux êtres intelligents, tout sensible aux êtres doués de sensibilité, et toutes choses aux choses à part lesquelles on ne saurait les considérer.

Ænésidème, le plus illustre des sceptiques de la seconde époque, exposa très-puissamment leur doctrine dans un ouvrage intitulé Raisons des pyrrhoniens. Ce volumineux ouvrage était divisé en huit livres. Dans le premier, Ænésidème exposait la doctrine sceptique dans ses caractères les plus généraux et en notant les différences qui la séparent de l’enseignement de la nouvelle Académie, qui alors penchait fortement au scepticisme. Dans le second livre, il analysait les notions inexplicables du vrai, de la cause, de la passion, du mouvement, de la génération. Dans le troisième, il notait les contradictions attachées à l’idée de mouvement et à l’idée de sensation. Dans le quatrième livre, il argumentait contre les signes, contre les idées de nature, de monde et de dieu. Dans le cinquième, il étudiait la cause, exposait les huit modes vicieux affectés à sa vaine recherche. Les trois derniers livres étaient consacrés à la fin de l’homme et ne donnaient, comme on peut penser, qu’un résultat négatif.