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laire qui s’était produit à cette occasion. « Vers la fin de la même année, dit Rabbe, il s’occupa surtout de différents projets de finance, fut quelquefois en opposition avec Necker et proposa la création des billets d’État. Il insista sur l’utilité, sur la convenance même de la confiscation et de la vente des biens du clergé (10 octobre) ; il eut beaucoup de part à cette grande mesure. Après avoir été un des commissaires chargés de surveiller la caisse d’escompte, il devint membre du comité des impositions. Au mois de février 1790, l’Assemblée résolut de s’expliquer sur l’esprit dont elle était animée et de rappeler le but auquel elle se proposait d’atteindre. Talleyrand rédigea cette adresse, et quelques jours après on le nomma président (16 février). » Le décret du 13 du même mois, qui supprimait les ordres religieux, souleva dans le clergé de vives protestations, auxquelles l’évêque d’Autun ne voulut pas s’associer. Au mois de juin, il présenta le décret sur l’uniformité des poids et mesures, et ce fut lui qui se chargea de célébrer la messe sur l’autel de la patrie, au Champ de Mars, lors de la grande fête de la Fédération, le 14 juillet. Le 28 décembre, il prêta serment à la constitution civile du clergé et se démit de son évêché d’Autun. À diverses reprises, il manifesta, à cette époque, pour la grande œuvre de la révolution un enthousiasme dont on ne saurait suspecter la sincérité, quelle que soit la duplicité dont il ait plus tard fait preuve. « Tout a disparu devant l’honorable qualité de citoyen, s’écriait-il un jour en parlant de la constitution de 1791 ; une féodalité vénatrice, si puissante encore dans ses derniers débris, couvrait la France entière ; elle a disparu sans retour. Vous étiez soumis dans les provinces au régime d’une administration inquiétante, vous en êtes affranchis. Des ordres arbitraires attentaient à la liberté des citoyens, ils sont anéantis. Les droits des hommes étaient méconnus, insultés depuis des siècles ; ils ont été rétablis dans cette déclaration qui sera le cri éternel de guerre contre les oppresseurs et la loi des législateurs eux-mêmes. » Au mois de janvier 1791, il fut élu membre du directoire du département de la Seine. S’étant sécularisé par le fait, il ne voulut point accepter le siège épiscopal de Paris, que le refus de serment de M. de Joigné avait rendu vacant ; mais il n’hésita point, malgré les défenses du pape, à sacrer les évêques de l’Aisne et du Finistère, élus constitutionnellement (24 février 1791). Un bref d’excommunication ayant été lancé contre les membres du nouveau clergé, Talleyrand écrivit à son ami, le duc de Lauzun : « Vous savez la nouvelle, l’excommunication ; venez me consoler et souper avec moi. Tout le monde va me refuser le feu et l’eau ; aussi nous n’aurons ce soir que des viandes glacées et nous ne boirons que du vin frappé. » Peu après, il approuva la transformation de l’église Sainte-Geneviève en Panthéon, destinée à servir de sépulture aux grands hommes. Jadis très-lié avec Mirabeau, Talleyrand s’était brouillé avec lui ; mais lorsqu’il apprit qu’il était dangereusement malade, il alla le visiter. Un rapprochement s’opéra entre eux, et le célèbre orateur le désigna pour être un de ses exécuteurs testamentaires. Ce fut lui qui lut à l’Assemblée nationale (4 avril 1791) le dernier discours préparé par Mirabeau sur les droits de succession et que la mort l’avait empêché de prononcer. Le 19 du même mois, au nom du département de la Seine, il adressa à Louis XVI une sorte d’admonestation, dans laquelle il l’exhorta à s’entourer des plus fermes appuis de la liberté. Le 10 septembre suivant, il lut à l’Assemblée nationale un rapport des plus remarquables sur l’instruction publique, dans lequel il passa en revue toutes les branches de l’enseignement. Enfin, le 5 décembre, il s’associa à une déclaration en faveur de la liberté de conscience et protesta contre les mesures de rigueur adoptées contre le clergé qui avait refusé de prêter serment.

Lorsque l’Assemblée constituante eut dêposé ses pouvoirs pour faire place à l’Assemblée législative, Talleyrand fut chargé par le gouvernement de se rendre à Londres dans le but d’obtenir la neutralité de l’Angleterre et d’essayer même d’amener le cabinet de Saint-James à faire une alliance avec la France, au moment où la plupart des puissances prenaient contre elle une attitude menaçante. Cette mission secrète, par laquelle l’ancien évêque d’Autun débutait dans la carrière diplomatique, offrait des difficultés presque insurmontables. En février 1791, il arriva à Londres pendant que Lauzun, devenu duc de Biron, se rendait en Prusse avec une mission semblable. La légèreté de ses mœurs, les relations qu’il noua avec les chefs du parti whig indisposèrent contre lui George III et surtout le premier ministre, Pitt. Les conférences qu’il eut à diverses reprises avec ce dernier furent sans résultat. Il revint donc à Paris, où le mouvement révolutionnaire s’accentuait de jour en jour. Talleyrand, qui s’était lié avec le duc d’Orléans, devint un habitué des fêtes de nuit que ce prince donnait au Raincy, à Monceaux, au Palais-Royal. « Il fut mêlé, dit Capefîgue, à ces petites orgies, à l’agiotage des assignats comme aux intrigues politiques ; il n’eut pas assez soin de sa dignité ; il s’habitua à voir l’excuse de tout dans le besoin et le succès. » Après la journée du 20 août, la tournure que prenaient les événements lui fit accepter avec empressement l’occasion qui s’offrait à lui de retourner en Angleterre. Dumouriez, devenu ministre, résolut de recommencer des négociations avec le gouvernement anglais. La qualité d’ancien membre de la Constituante interdisait à Talleyrand d’être investi par le pouvoir de fonctions officielles. Dumouriez nomma le jeune marquis de Chauvelin ambassadeur à Londres, mais il chargea Talleyrand de l’accompagner et de diriger en réalité les négociations (avril 1792). Le diplomate eut à lutter, comme pendant sa première mission, contre un mauvais vouloir et des préventions qui ne se dissimulaient point ; néanmoins, il parvint à obtenir une déclaration de neutralité. La journée du 10 août, qui survint sur ces entrefaites, modifia complètement les dispositions du cabinet de Saint-James. Talleyrand revint à Paris, fut accusé d’avoir travaillé secrètement pour le duc d’Orléans, mais se justifia facilement de cette accusation. Danton, avec qui il était lié, l’envoya de nouveau en Angleterre le 10 septembre 1792, afin qu’il pût saisir toutes les occasions d’amener un rapprochement entre les deux gouvernements. Pendant que Talleyrand constatait qu’il n’y avait rien à espérer pour la neutralité, il était en France décrété d’accusation (5 décembre), à la suite de la découverte d’une lettre écrite par lui à de Laporte et dans laquelle il déclarait qu’il était prêt à servir Louis XVI. Vainement il protesta de son dévouement à la chose publique dans une lettre adressée au président de la Convention, il fut porté sur la liste des émigrés. Sa situation à Londres devint dès lors fort difficile. Suspect aux révolutionnaires, il s’y vit l’objet des plus violentes accusations de la part des royalistes qui avaient émigré en Angleterre. Après la mort de Louis XVI, le cabinet britannique expulsa du territoire les réfugiés français qui lui parurent suspects. Pour ne pas être enveloppé dans cette mesure, Talleyrand déclara qu’il n’était investi d’aucune fonction, qu’il n’était qu’un simple citoyen, et parvint à obtenir l’autorisation de rester. Mais, las d’être criblé sans cesse de sarcasmes et d’épigrammes par la noblesse émigrée, il partit en février 1794 pour les Elats-Unis, avec le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Lorsqu’il apprit les événements du 9 thermidor, il résolut de revenir en France, se rendit à Hambourg, puis à Amsterdam et, à la suite d’actives démarches, il obtint de la Convention, sur la proposition de Chénier, un décret qui lui permit de revenir en France (4 septembre 1795). Après avoir rempli auprès du gouvernement prussien une mission secrète, ayant pour objet de pousser le cabinet de Berlin à se prononcer pour la neutralité, il revint à Paris en mars 1796.

Barras était alors à la tête du Directoire. Talleyrand s’empressa de se faire admettre dans sa petite cour, renoua des relations avec Mme de Staël, qui l’introduisit au cercle constitutionnel, et fréquenta les salons, où il gagnait les suffrages des femmes par son esprit et l’élégance de ses manières. « Du moment qu’il a remis les pieds à Paris, dit Sainte-Beuve, ce n’est pas pour y rester observateur passif et insignifiant. Partout où il est, il renoue ses fils, il trame, il intrigue ; il faut qu’il soit du pouvoir et il en sera. À ne voir que les dehors, son entrée est la plus digne et la mieux séante. Talleyrand ne crut pouvoir mieux remplir son apparence de loisir, dans les mois qui précédèrent le 18 fructidor, et payer plus gracieusement sa bienvenue que par son assiduité à l’Institut national, dont on l’avait nommé membre dès l’origine, et en y marquant sa présence par deux mémoires, l’un tout plein de considérations intéressantes sur les relations commerciales des États-Unis avec l’Angleterre, l’autre tout plein de vues, de prévisions et même de pronostics sur les avantages à retirer d’un nouveau régime de colonisation et sur l’esprit qu’il y faudrait apporter. » Ces mémoires firent du bruit et contribuèrent à le mettre en évidence. Grâce à l’influence de Chénier et de Mme de Staël et surtout au goût très-vif qu’avait pour lui Barras, il fut appelé, malgré la résistance de l’austère Carnot, à remplacer Charles Delacroix comme ministre des relations extérieures (15 juillet 1797).

Frappé, dès cette époque, des talents du jeune général en chef de l’armée d’Italie, Bonaparte, et ne doutant point, dans sa perspicacité habituelle, qu’il ne fût appelé a jouer un grand rôle, Talleyrand lui fit part de sa nomination (24 juillet). « Je m’empresserai, lui écrivit-il, de vous faire parvenir toutes les vues que le Directoire me chargera de transmettre, et la Renommée, qui est votre organe ordinaire, me ravira souvent le bonheur de lui apprendre la manière dont vous les aurez remplies. » C’était déjà parler en courtisan. Il ne prit point une part ostensible au coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797), mais, dans une circulaire aux agents diplomatiques, il s’attacha à le justifier.« Vous direz, leur écrivait-il, que le Directoire, par son courage, l’étendue de ses vues et le secret impénétrable qui en a préparé le succès, a montré au plus haut degré qu’il possédait l’art de gouverner dans les moments les plus difficiles. » Lorsque Bonaparte eut signé le traité de Campo-Formio (17 octobre 1797), qui n’était point conforme aux vues du Directoire, mais qui imposait à l’Autriche la reconnaissance officielle de la République, Talleyrand lui écrivit (26 octobre 1797), et voici en quels termes adulateurs : « Voilà donc la paix faite, et une paix à la Bonaparte. Recevez-en mon compliment de cœur, mon général ; les expressions manquent pour vous dire tout ce qu’on voudrait en ce moment. Le Directoire est content, le public enchanté. Tout est au mieux. On aura peut-être quelques criailleries d’Italiens ; mais c’est égal. Adieu, général pacificateur ! adieu ; amitié, admiration, respect, reconnaissance, on ne sait où s’arrêter dans cette énumération. » Lorsque Bonaparte arriva à Paris le 5 décembre 1795, ce fut Talleyrand qui le présenta au Directoire et aux ministres et le harangua. Ce fut également lui qui, le mois suivant, fut chargé par le Directoire de décider le général à assister à la fête anniversaire du 21 janvier. Il se lia alors avec Bonaparte, qui lui confia, dès le début, ses vues sur une expédition en Égypte. Il fut même décidé entre eux que, pendant que le général s’embarquerait pour ce pays, le ministre se rendrait en qualité d’ambassadeur à Constantinople pour appuyer l’expédition par la diplomatie ; mais Talleyrand renonça bientôt à ce projet en ce qui le concernait, il tenait à ses fonctions de ministre, qui lui fournissaient des moyens peu honorables de s’enrichir. « Il est très-certain, dit Sainte-Beuve, pour ne s’en tenir qu’à ce qui a éclaté, que Talleyrand, ministre des relations extérieures sous le Directoire, profita de la saisie des navires américains, à la suite du traité de commerce des État-Unis avec l’Angleterre, pour attirer à Paris les commissaires de cette république munis de pleins pouvoirs et tâcher de les rançonner (octobre 1797). Il leur fit offrir par des entremetteurs à sa dévotion, et dont les noms sont connus, de se charger d’une réconciliation à l’amiable avec le Directoire, mais seulement à prix d’argent, de beaucoup d’argent (1,200,000 francs). Ces honnêtes gens résistèrent et ébruitèrent la proposition. C’est aussi en cette occasion qu'on voit apparaître et figurer pour la première fois, dans la vie de Talleyrand, son aide de camp habituel et le plus digne de lui, Montrond, un homme d’audace et d’esprit, un intrigant de haut vol. Ils étaient chacun un type dans son genre, et les deux se complétaient. Il ne saurait y avoir désormais de Talleyrand sans Montrond et de Montrond sans Talleyrand. Une telle affaire avérée en représente et en suppose des milliers d’autres. Or, rien de plus avéré, de plus authentiquement acquis à l’histoire que cette tentative d’extorsion et, pour parler net, que cette tentative de chantage auprès des envoyés américains. » Les mêmes tentatives de corruption se reproduisirent vers le même temps, mais avec moins d’éclat, auprès du gouvernement de la ville libre de Hambourg. Talleyrand se fit également une large part de profits illicites dans le subside de 60 millions que l’Espagne payait à la France pendant la durée de la guerre, en vertu du traité du 22 juillet 1795. Le scandale que produisit la découverte de quelques-uns de ces honteux tripotages émut vivement l’opinion publique. Talleyrand, vivement attaqué par les républicains et par la Société du Manège, dut offrir sa démission, qui fut acceptée (20 juillet 1799), et il fut remplacé, comme ministre des affaires étrangères, par Reinhard, natif du Wurtemberg.

Tombé du pouvoir, Talleyrand aspirait ardemment à y remonter. Des qu’il apprit le retour de Bonaparte d’Égypte, il s’empressa d’aller visiter le général, rue Chantereine, et ces deux hommes s’entendirent facilement pour préparer le coup d’État du 18 brumaire qui devait faire peser sur la France, pendant quinze ans, le plus écrasant des despotismes. En dehors de l’action purement militaire, nul plus que Talleyrand ne contribua au succès de l’entreprise de l’ambitieux Bonaparte. Par son action et des démarches auprès des principaux personnages en jeu, auprès de Sieyès et de Barras, par son habile entremise à Paris dans la journée du 18, par ses avis et sa présence à Saint-Cloud le 19, au moment décisif, par son sang-froid qu’il ne perdit pas un instant, il rendit des services éclatants à Bonaparte qui, devenu premier consul, le nomma ministre des affaires étrangères (22 novembre 1799).

Dans ces fonctions, Talleyrand s’attacha k donner aux relations diplomatiques de la France avec les puissances étrangères un ton de mesure, des allures et des formes rappelant le langage de la cour qui avait disparu, « Dépourvu d’idées bien arrêtées, généralement ennemi du travail, dit M. Fouillée, il n’avait aucune des qualités d’un ministre dirigeant ; mais la souplesse et la pénétration de son esprit, son rare talent pour les négociations en faisaient un instrument précieux sous la main d’un homme aussi résolu que le premier consul. » Après la victoire de Marengo, Bonaparte désirait la paix. Talleyrand négocia partout avec bonheur. Par d’adroites prévenances, il obtint un traité d’alliance avec la Russie, puis il prit part successivement aux traites de Lunéville (9 février 1801), d’Amiens (25 mars), de Badajoz (29 septembre) et à la conclusion du concordat avec Pie VII. À cette occasion, il obtint du pape un bref de sécularisation (29 juin 1802) et peu après il contracta un manage civil avec Mme Grand, qui vivait avec lui depuis plusieurs années et dont nous parlerons plus loin. Bien que d’un caractère naturellement doux et n’ayant nul goût pour la violence, Talleyrand s’associa néanmoins à quelques-uns des actes les plus odieux de Bonaparte. Il approuva ce dernier lorsqu’il fit déporter sans jugement un certain nombre d’hommes hostiles à son pouvoir et opina dans un conseil secret, tenu par le premier consul, pour l’enlèvement et l’arrestation du duc d’Enghien. Il rédigea à ce dernier sujet un rapport motivé, qu’il essaya de faire disparaître au début de la Restauration, et qui échappa à la destruction faite par lui-même de ses papiers compromettants et fut recueilli par le baron de Méneval. Sous l’Empire, Napoléon, ayant appris que Talleyrand avait déclaré qu’il était resté complètement étranger à la mort du duc d’Enghien, l’apostropha violemment en plein conseil (1809). S’adressant, dit M. Thiers, à Talleyrand qui était immobile, debout, adossé à une cheminée, il lui dit en gesticulant de la manière la plus vive : « Et vous avez prétendu, monsieur, que vous avez été étranger à la mort du duc d’Enghien ?… Mais vous oubliez donc que vous me l’avez conseillée par écrit ? »

Talleyrand applaudit en courtisan à l’établissement de l’Empire (1804). Il suggéra, dit-on, à Napoléon l’idée de rétablir les grandes charges de la couronne et reçut pour son compte la dignité de grand chambellan, tout en conservant la direction des affaires étrangères. Lors de la coalition de 1805, il parvint à faire rester la Prusse dans l’état de neutralité et à maintenir le Wurtemberg et la Bavière dans l’alliance française. Dans sa Notice sur Talleyrand, M. Mignet nous apprend qu’après la victoire d’Ulm ce diplomate adressa de Strasbourg à Napoléon, un mémoire pour lui proposer un plan de remaniement européen, tout un nouveau système de rapports qui eût désintéressé l’Autriche et préparé un avenir de paix. Ce projet d’arrangement, il le renouvela le jour où il reçut à Vienne la nouvelle de la victoire d’Austerlitz. Napoléon rejeta ce plan, qu’il dut se repentir amèrement plus tard de n’avoir point adopté, car, en se bornant à humilier et à amoindrir l’Autriche, il ne sut qu’en faire une ennemie toujours prête à se jeter dans de nouvelles coalitions contre lui. Talleyrand prit une grande part à la création de la Confédération du Rhin (12 juin 1806), qui mettait une partie de l’Allemagne sous le protectorat de Napoléon, Il essaya, de rompre l’alliance qui existait entre l’Autriche et la Russie en offrant à la première de ces puissances de se rendre maîtresse de la Valachie et de la Moldavie, mais il ne réussit point et ne fut pas plus heureux dans les négociations de paix qu’il entama avec le gouvernement britannique. Le 5 juin 1806, Napoléon lui donna la principauté de Bénévent, détachée des États de l’Église. L’année suivante, après le traité de Tilsitt, auquel il avait coopéré, il dut remettre à Champagne le portefeuille des affaires étrangères (9 août 1807). Sa diplomatie tempérée ne convenait plus au tempérament de Napoléon, qui, ivre d’orgueil, rêvait alors la monarchie universelle ; mais, en échange de son ministère, il reçut la dignité de vice-grand électeur de l’empire, et fut employé par son maître dans diverses négociations. Lorsque Napoléon eut l’idée folle de s’emparer de l’Espagne, il trouva un approbateur dans Talleyrand, qu’il chargea de négocier avec le ministre Izquierdo et de préparer l’abdication du roi Charles IV, qui eut lieu à Bayonne (mai 1808). Cette même année, il fut nommé archichancelier d’État, loua à Napoléon 175,000 francs son château de Valençay, destiné à servir de demeure aux princes d’Espagne, retenus prisonniers, et il acheta, dit-on, avec le seul produit de ses créances sur ce pays, le bel hôtel de l’Infantado, situé rue Saint-Florentin, à Paris. Au mois de septembre suivant, il assista à l’entrevue qui eut lieu à Erfurt entre Napoléon et l’empereur Alexandre. Peu après, il fut chargé de faire à ce dernier des ouvertures sur un projet de mariage entre la sœur du czar et Bonaparte, qui songeait dès cette époque à divorcer avec Joséphine. Cette proposition n’eut pas de suite ; mais le diplomate profita de sa situation auprès du czar pour lui demander et obtenir la main de la duchesse de Courlande pour son neveu, le comte de Périgord.

Bien qu’il eût été l’instrument de toutes les négociations qui avaient abouti à la guerre d’Espagne et qu’il eût conseillé au despote couronné de recommencer la politique de Louis XIV, Talleyrand blâma l’entreprise dès qu’il vit qu’elle prenait une mauvaise tournure. Napoléon l’apprit et lui manifesta sa colère dans une scène violente, à la suite de laquelle il lui enleva sa charge de grand chambellan (20 juin 1809). À force de souplesse, le prince de Bénévent parvint à éviter une disgrâce complète. Comme archichancelier d’État, il assista au conseil dans lequel Napoléon manifesta sa volonté de divorcer (21 janvier 1810) et émit l’opinion de chercher une impératrice dans la maison d’Autriche. Cette même année, le chef de l’État lui acheta pour 2,100,000 francs son hôtel de Monaco. Malgré les sommes énormes qu’il avait acquises, de fausses spéculations et son existence fastueuse avaient fait de larges brèches à sa fortune. Ayant perdu l’espoir, tant que régnerait Napoléon, de revenir aux affaires et de recouvrer une