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raïs dans nous, priais nous ji’y mettons rien. » La théorié qui fait sortir le caractère iies tendances et dispositions mentales innées ; comme ia. plante sort du germe, pomme le fruit naît de la fleur, tend de nos jours à prévaloir, et sur la vieille et classique théorie des tempéraments et des climats, et sur la théorie sensualiste des causes morales extérieures. Elle doit l’importance qu’elle a prise à notre époque à la physiologie cérébrale de Gall et aux progrès modernes de l’anthropologie, de la science du langage et de la science des religions. On sait que la plupart des historiens de notre temps font jouer, dans le développement de l’humanité, aux aptitudes et aux tendances primitives des races, à ce qu’ils appellent l’élément ethnique, c’est-à-dire à la nature, à la spontanéité, à l’organisme, un rôle que le sensualisme du xvme siècle attribuait au hasard des situations, à l’habitude, à l’éducation, à l’art, à l’action de l’homme sur l’homme. Les biologistes modernes sont d’accord avec les historiens, les ethnologues et les linguistes ; ils ne voient pas dans les passions, comme les anciens physiologistes, des modifications diverses de la sensibilité, variables, par conséquent, au gré des causes qui font varier la sensibilité ; ils ne voient pas dans l’âme, dans le cerveau, une table rase ; ils admettent un certain nombre d’éléments passionnels, primitifs et irréductibles ; en un mot, ils folt venir les passions comme les aptitudes intellectuelles non du dehors, des sens, mais du dedans, de l’âme ou plutôt du cerveau. Ce point de vue ne nie pas une certaine action des milieux physiques et moraux sur le caractère ; mais cette action est nécessairement restreinte ; elle ne peut être qu’indirecte ; elle s’explique par la loi physiologique qui fait dépendre la croissance des organes et des facultés de l’exercice. (V. phrénologie, races humaines.)

Théorie du libre arbitre uni aux causes fatales de nature diverse. Les trois théories précédentes sont fausses, en ce qu’elles sont exclusives ; chacune d’elles renferme une part de vérité qu’on ne doit pas méconnaître, mais qui a besoin d’être complétée par ce qu’il y a de vrai dans les deux autres. On ne doit nier, ni l’influence des tempéraments et des climats.sur les caractères, m celle de l’éducation et des causes qui agissent sur l’esprit comme motifs, ni l’innéité mentale des instincts sous l’impulsion desquels nous agissons. Il faut ajouter qu’une théorie éclectique qui les réunirait toutes les trois sans y rien ajouter serait fausse encore, parce que toutes les trois semblent faire de la volonté une simple résultante des passions natives ou acquises. Si on

' pouvait se donner un caractère, dit Voltaire, on s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose ? Ne recevons-nous pas tout ? Eh 1 oui, dirons-nous avec Kant, çn peut se donner un caractère, et on le doit ; oui, on est, dans une certaine limite, le maître de sa nature ; non, on ne reçoit pas tout. Ce qui constitue à proprement parler le caractère, ce n’est pas ce que lu nature fait de l’homme, ce n’est pas ce que l’homme fait de l’homme par l’instruction et l’exemple, c’est ce que l’homme fait de lui-même. L’homme n’a véritablement un caractère qu’après s’être élevé au-dessus de tout fatalisme, qu’après avoir fait un pacte avec lui-même, qu’après avoir adopté une ligne fixe de conduite, et s’être ainsi délivré de la fluctuation des instincts.

— 1U. Dks signes du CARACTÈRE. V. CRA-NIOSCOPIE, PHYSIOGNOMONtli.

— Anecdotes. L’abbé de Voisenon était un homme sans caractère ; comme il était sur le point d’être revêtu d’une mission diplomatique, Duelos, secrétaire de l’Académie française, lui dit avec finesse : ■ Je vous félicite, mon cher confrère, vous allez donc enfin avoir un caractère. »

m. * ’

Dès que parut le livre des Caractères, de La Bruyère, on n’entendait plus prononcer de tous côtés que le mot caractère. * J’en avais les oreilles si rebattues, dit Paiaprat, que, dînant un jour avec un beau par leur qui s’en servit un million dé fois, je m avisai, pour me moquer de luij de lui dire, d’un ton précieux, que je trouvais aux saucisses qu’on avait servies srçr la table uncaractêre transcendant.»

  • *

Jacques II, roi d’Angleterre, était enclin a la sévérité et à la vengeance. Ayant dit un jour à Aylasse, un des lieutenants du comte dlArgyle, qui s’était révolté contre lui ; « Monsieur Aylasse, vous savez qu’il est en mon pouvoir de vous pardonner. — Oui, répondit cet ofâcier(je sais que cela est en votre pouvoir, mais je sais aussi que cela n’est pas dans votre caractère.

Combien de voyageurs, peu philosophes, qui ne jugent du caractère des nations chez lesquelles ils séjournent que par celui de deux ou trois personnes qu’ils fréquentent. Ils ressemblent, pour la plupart, à cet Autrichien qui, passant par Blois où il n’avait vu que son hôtesse qui était rousse et peu complaisante, mit sur son album : « Toutes les femmes de Blois sont rousses et acariâtres. »

Un des plus sûrs moyens de connaître les véritables mœurs d’un peuple est de le considérer dans les états les plus nombreux, et dans

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j cette partie de la nation qui a le moins d’intérêt a se cacher. Transportez-vous en Chine, et considérez deux croeheteurs qui se rencontrent dans une rue étroite j ils mettent bas leurs fardeaux, se font mille excuses pour l’embarras qu’ils se causent et se demandent pardon à genoux. À Londres, au contraire, ou a Paris, si deux portefaix se croisent, ils commencent par se quereller et finissent par se battre.

Le duc d’Orléans, régent, interrogeait un étranger sur le caractère et le génie différent des nations de l’Europe. « La seule manière, lui dit l’étranger, de répondre à Votre Altesse royale, est de lui répéter les premières questions que, chez les divers peuples, on fait le plus communément sur le compte d’un homme qui se présente dans le monde. En Espagne, on demande : Est-ce un grand de première classe ? En Allemagne : Peut-il entrer dans les chapitres ? En France : Est-il bien à la cour ? En Hollande : Combien a-t-il d’or ? En Angleterre : Quel homme est-ce ? »

C’est au jeu, dit-on, que l’on connaît les caractères. 3e crois cette assertion fausse, et j’ai souvent remarqué que le caractère le plus honnête et le plus désintéressé devenait au jeu un caractère fâcheux et qui prenait toutes les apparences de l’intérêt le plus marqué. Louis XV qui, au demeurant, et malgré ses vices, était le meilleur prince du monde, passait pour mauvais joueur. « Enfin, de quelque caractère qu’on soit d’ailleurs, on n’aime pas, dit Mme de Sévigné, à être houspillé par la fortune, même dans les occasions oe la moindre importance. Du reste, j’ai encore connu des hommes qui soutenaient avec le caractère le plus enjoué les coups de la fortune au jeu, et qui étaient du plus mauvais caractère à quatre pas d’une table à. quadrille. ■

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Je puis, au gré do mes souhaits, Déclarer en toute occurrence,

Ce que m’ont semblé les Français ; Malgré tout le bien que j’en pense, lis ressemblent, à mon avis,

Aux écus frappés par nos pères, Que l’usage a si fort polis

Qu’on en cherche les caractères.

(Sterne à Paris.)

Caractères (les), ouvrage de Théophraste, philosophe grec qui florissait au commencement du ive siècle av. J.-C.

Ces Caractères (Ethikoi charaktères) se composent de trente chapitres, les seuls qui nous restent de l’œuvre, beaucoup plus considérable de Théophraste. L’auteur décrit trente catégories cle vices caractéristiques, ou plutôt trente formes ou modes que le vice revêt chez l’homme dans ses manifestations. Toutefois, chaque portrait se réduit à une simple esquisse, et l’ensemble constitue une galerie morale de caractères méchants, ou simplement ridicules. Ce livre de Théophraste offre des traits d’une vérité ingénieuse, soit dans les maximes, soit dans les portraits ; mais, pour en apprécier sainement le mérite, par rapport à La Bruyère, qui l’a imité, il faut se reporter à l’époque a laquelle vivait l’auteur. « Il est nécessaire, dit Sehccll, de se rappeler que Théophraste peignait les mœurs de citoyens d’une république, et qu’ainsi on ce doit pas chercher dans ses portraits les différences sensibles que produisent parmi nous les distinctions des rangs. » Théophraste décrit les mœurs de son époque. Se guidant d’après les Ethiques et la Morale d’Aristote, son maître, il cherche à corriger les hommes les uns par les autres, en leur présentant un miroir fidèle de leurs vices et de leurs défauts. Les excellentes définitions qu’on lit au commencement de chaque chapitre sont établies sur les idées et sur les principes d’Aristote, et le fond des caractères qui y sont décrits est puisé à la même source. Il se les rend propres par l’application ingénieuse qu’il en fait aux Grecs, et surtout aux Athéniens. S’il n’a pas pénétré dans l’intérieur de l’homme, comme La Bruyère, qui peignait l’individu en peignant l’homme, il a esquissé à grands traits l’homme de tous les temps ; car 1 humanité sera toujours vaine, dissimulée, flatteuse, intéressée, effrontée, importune, défiante, médisante, querelleuse et superstitieuse. Ces qualifications correspondent aux titres de quelques-uns de ses meilleurs portraits.

Bans ces quelques chapitres qu’ont épargnés les vers et le temps, Théophraste nous paraît moins délicat, moins orné, moins vif surtout que La Bruyère ;■ ses portraits sont nus et parfois un peu languissants ; mais il nous plaît cependant, en dépit de ces longueurs et de cette simplicité. Sans doute, on Sourrait désirer plus de variété, plus de hariesse et d’énergie dans le style de Théofihraste ; mais il ne faut pas oublier que ce ivre, qui d’ailleurs ne nous est parvenu que mutilé, est l’œuvre d’un homme de quatrevingt-dix-neuf ans, encore remarquable, à

cet âge avancé, par la singulière vivacité de son esprit, par la fermeté et la solidité de son* jugement. Les anciens, qui avaient le bonheur de le posséder en entier, l’avaient appelé un livre d’or ; Cicêron en faisait ses délices, vantait son goût et son élégance attiques, sa naïveté, le recommandait comme la source du bon comique, et les Grecs avaient changé Tyrtame, le vrai nom de son auteur,

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en celui de Théophraste, qui signifie langage divin. Théophraste avait l’intention de traiter de tous les vices et de toutes les vertus ; la mort ne lui en laissa pas le temps. On le regrette, surtout en admirant la concise exactitude de la plupart de ses définitions. La superstition, c’est une crainte mal réglée de la divinité ; la peur, un mouvement de l’âme qui s’ébranle en vue d’un péril vrai ou imaginaire ; le fâcheux, un homme qui, sans faire un grand tort, embarrasse beaucoup, etc.

« Théophraste, tel qu’il nous est parvenu, dit M. Destailleur dans son excellente édition de La Bruyère, incomplet, altéré, n’offre qu’un intérêt de curiosité ; c est une médaille à consulter ; on te parcourt, on relit La Bruyère, et son plus grand honneur, c’est d’avoir servi de modèle et d’introducteur à La Bruyère. » Ce jugement nous paraît empreint de trop de sévérité.

Plusieurs critiques modernes ont soutenu que ce livre ne doit pas être attribué, tel qu’il est, à Théophraste ; leur opinion est qu’on a sous les yeux, non l’ouvrage original, mais un abrégé d’un plus grand travail du même philosophe, ou bien un recueil de descriptions satiriques compilées, soit sur les écrits de Théophraste, soit sur d’autres traités de morale. Aucune de ces hypothèses n’est incompatible avec le rapport, le témoignage de Diogène Laëree, de Suidas et d’autres écrivains, qui mentionnent les Ethikoi charaktères parmi les œuvres de Théophraste, les Caractères que nous possédons actuellement ayant pu être recueillis et répandus sous le nom du philosophe d’Erèse, bien antérieurement au siècle de ces écrivains. D’autres critiques, au contraire, ont revendiqué pour ce philosophe la paternité réelle du livre ; leur respect filial en attribue tous les défauts et toutes les inexactitudes aux copistes. Cette dernière opinion fut confirmée par la découverte à Munich d’un codex, dont une partie a été reproduite en 1832 par Fr. Thiersch dans les Acta phiiologorum Monascensium (vol. III, fasc. 3). Ce manuscrit contient les titres de trente chapitres, mais seulement le texte de vingt et un. Les cinq premiers chapitres et l’introduction, édités par Thiersch, sont de beaucoup plus courts que le texte vulgarisé ; le style en est parfaitement pur, et il n’y a pas de raison de douter que ce texte ne soit bien celui de Théophraste. Le texte vulgaire n’en est qu’une paraphrase, dont l’auteur est probablement Maximus Planudes, connu pour avoir écrit un commentaire sur le livre de Théophraste.

L’édition princeps des Caractères a été donnée par Wilibald Pyrckheimer (Nuremberg, 1527 in-8»). Cette édition, qui comprend en tout quinze chapitres, fut réimprimée avec une traduction latine par A. Politianus (Baie, 1531, in-8», et 1541, in-fol.). Les chapitres xvil à xxiii furent introduits par Caïuotius, qui publia les écrits de Théophraste dans le sixième volume de son édition d’Aristote (Venise, 1551-1552). Ces vingt-trois chapitres s’augmentèrent de cinq nouveaux, d’après un manuscrit de Heidelberg, dans l’excellente édition de Casaubon, de 1599, réimprimée en 1612 et 1617, in-8°. Les deux derniers chapitres furent ajoutés dans l’édition qui parut à Parme (1786, in-4°). Mais la plus parfaite et la plus complète de toutes les éditions est celle qui fut donnée par J.-P. Siehenkus (Nuremberg, 1798, in-8°). On connaît universellement la traduction française des Caractères deThêophraste, faite par La Bruyère (Paris, 1696, in-12), et si fréquemment réimprimée. Cette traduction a paru dans l’édition des classiques français de Lefèvre, avec des additions etdes notes nouvelles par J.-G. Schweighœuser. Citons également la traduction latine de la collection des classiques grecs de Didot. Enfin les principales traductions fran- j çaises, après celle de La Bruyère, sont celles de Lévesque (1782), de Belin de Ballu (1790), de Coray (179B) et de Stiévenart (1842). Cette dernière surtout est fort remarquable. Les meilleures traductions en allemand sont dues à C. Rommel (Prenzlau, 1827, in-12) et à J.-J. Hottinger (Munich, 1821, in-8"). 11 existe trois traduction» anglaises. Mentionnons enfin, pour la curiosité du fait, une translation en grec moderne par Larbarls (Vienne, 1815, in-8»).

Caractères (les), de La Bruyère, ouvrage célèbre qui parut en 1688, sous le titre de s Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle. C’est une suite de portraits tracés avec une finesse, une concision, une énergie de style, une originalité, une hardiesse d’images, une variété incomparables. Parmi ces types, dont chacun est un chef-d’œuvre, nous citerons surtout : la Curiosité ou les Manies, Ménippe ou les Plumes du paon, Gnaton ou l’Egoïste, Cliton ou YHornme né pour la digestion, le Courtisan, Giton et Phédon ou le Riche et le Pauvre, etnous regrettons de ne pouvoir ici les citer tout entiers.

Bien que La Bruyère n’ait pas été apprécié de son temps comme il méritait de l’être,-on connaît l’épigramme qui salua son entrée h l’Académie, — un talent si vrai, si original, ne pouvait rester méconnn de Boileau, dont le sens, le goût littéraire a eu si peu de défaillances. Or, voici comment il jugeait La Bruyère :

Tout esprit orgueilleux qui 3’aime

Par ses leçoDS se voit guéri,

Et dans son livre si chéri

Apprend & se haïr lui-même.

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Bussy-Rabutin, encore plus homme du monde que littérateur, rend ëgatementjustice a la fidélité des portraits tracés par La Bruyère, et, les jugeant d’après sa longue expérience, il les déclare d’une, rigoureuse exactitude.

Saint-Simon, qui se connaissait en portraits, félicitait La Bruyère d’avoir peint les homme ; de son temps d’une manière inimitable, el d’avoir surpassé son modèle.

Voltaire, dans son Siècle de Louis XI Y, exprime une opinion qui, d’abord, ne dément pas son tact si sûr en tait de choses littéraires, mais où il semble épouser ensuite les rancunes du Mercure yalant, dont nous dirons un mot plus loin : « On peut compter, parmi les productions d’un genre unique, les Caractères de l.a Bruyère.’Un style rapide, concis, nerveux, des expressions pittoresques, un usage tout nouveau de la langue, mais qui n’en blesse pas les règles, frappèrent le public, et les allusions qu’on y trouvait en foule achevèrent le succès. » Et un peu plus loin, on lit : « Il est plus aisé de faire de courtes peintures des choses qui nous frappent, que d’écrire un long ouvrage d’imagination, qui plaise et qui instruise à la fois. • Mais on sait combien la sensibilité dominait chez Voltaire, à quel point il avait l’humeur irritable, et il ne faut pas chercher d’autre cause aux contradictions qu’offrent parfois ses jugements sur le même homme ou le même ouvrage. À ses appréciations, trop souvent partiales, opposons celle d’un moraliste, d’un penseur, Vauvenargues : « II n’y a presque point de tour dans l’éloquence qu’on ne trouve dans La Bruyère ; et si on y désire quelque chose, ce ne sont pas certainement les expressions, qui sont d’une force infinie et toujours les plus propres et les plus précises qu’on puisse employer. Pou do gens l’ont compté parmi les orateurs, parce qu’il n’y a pas une suite sensible dans ses Caractères. Nous faisons trop peu d’attention à la perfection de ses fragments, qui contiennent souvent plus de matière que ’de longs discours, plus de proportion et plus d’art. On remarque dans tout son ouvrage un esprit juste, élevé, nerveux, pathétique, également capable de réflexion et de sentiment, et doué avec avantage de cette invention qui distingue la main des maîtres, et qui caractérise le génie. Personne n’a peint les détails avec plus de feu, plus de force, plus d’imagination dans l’expression, qu’on n’en voit dans ses Caractères. Il est vrai qu’on n’y trouve pas, aussi souvent que dans les écrits de Bossuet et de Pascal, de ces traits qui caractérisent une passion, qui la peignent d’un seul mot. Ses portraits les plus élevés ne sont jamais aussi grands que ceux de Fénelon et de Bossuet... ■

Ainsi Vauvenargues (les Orateurs), tout on déniant à La Bruyère l’élévation ou la profondeur de quelques esprits du premier ordre, lui reconnaît cependant une véritable originalité et un génie créateur. Suard, de son côlê, a écrit une étude approfondie sur les Caractères de La Bruyère, et le juge avec beaucoup de finesse : « Sans doute La Bruyère, en peignant les mœurs de son temps, a pris ses modèles dans le monde où il vivait ; mais il peignit les hommes, non en peintre de portrait, qui copie servilement les objets et les formes qu’il a sôus les yeux, mais en peintre d’histoire, qui choisit et rassemble différents modèles ; qui n’en imite que les traits de caractère et d’effet, et qui sait y ajouter ceux que lui fournit son imagination, pour en former cet ensemble de vérité idéale et de vérité de nature qui constitue la perfection des beaux-arts. « On a souvent comparé La Bruyère à Molière, malgré la différence des genres ; Suard préfère le mettre en parallèle avec Montaigne étudiant l’homme eu lui-même, et avec La Rochefoucauld rapportant toutes ses actions à un seul principe ; l’un et l’autre ayant peint l’homme de tous les temps et de tous les lieux, l’homme en général, tandis que La Bruyère a observé et peint l’homme envisagé dans les diverses professidns où il révèle plus naturellement tel ou tel défaut : ainsi le courtisan, le magistrat, le financier, le nouvelliste, ’ le bourgeois du xviie siècle, sans parler des personnages abstraits en qui il idéalise un ridicule ; en un mot, il a représenté le choc des passions sociales, les habitudes d’état et de profession, aussi bien à la cour qu’à la ville. Suard ajoute : ■ En lisant avec attention les Caractères do La Bruyère, il me semble qu’on est moins frappé des pensées que du style ; les tournures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus brillant, de plus fin, de plus inattendu, que le fond des choses mêmes, et c’est moins l’homme de génie que le grand écrivain qu’on admire, ... Quelque universelle que soit la réputation dont jouit La Bruyère, il paraîtra peut-être hardi de le placer, comme écrivain, au premier rang ; mais ce n’est qu’après avoir relu, étudié, médité ses Caractères, que j’ai été frappé de l’art prodigieux et dos beautés sans nombre qui semblent mettre cet ouvrage au rang de ce qu’il y a de plus parfait dans notre Tangue... Il serait difficile de définir avec précision le caractère distinetîf de son esprit : il semble réunir tous les genres d’esprit. Tour à tour noble et familier, éloquent et railleur, fin et profond, amer et gai, il change avec une extrême mobilité de ton, de personnage, et même de sentiment, en parlant cependant des mêmes objets... •

L’abbé d’Olivet a écrit, lui aussi, sur les Caractères, une notice qui ne manque pas d’aperçus critiques ; mais La Harpe est plus net et plu^ explicite :