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mais l’espace ménagé entre les fosses sur chaque ligne n’est guère que de 0 m. 50 à 0 m. 60. En terre douce et pierreuse, on donne aux fosses 0 m. 10 de largeur sur une profondeur de 0 m. 40 ; dans les terres argileuses, la profondeur n’est que de 0 m. 30 ; dans le calcaire, de 0 m. 25, et dans le crayon, de 0 m. 20 seulement. Les plantations se font dès le mois de novembre et se poursuivent parfois jusqu’en mars.

Dans les environs d’Aï, on donne quatre sarclages à la jeune vigne. L’année suivante, on taille le plant à un ou deux yeux, selon sa force, puis on lui applique un bêchage dans le mois de mars et trois sarclages durant l’été. « Dans un bon sol, tel que celui d’Aï, dit M. Victor Rendu, quand tout a été bien conduit et que le temps a favorisé la végétation, on a déjà, à la seconde feuille, des pousses dont on peut tirer parti pour garnir ou peupler la vigne ; on s’en sert pour faire un premier provignage, désigné en Champagne sous le nom d’assiselage, sur le tiers environ du terrain complanté. Le second provignage ou déroutage détruit de plus en plus l’alignement de la plantation, déjà rompu par le premier provignage. À la troisième année, on pratique un assiselage général ; tout ce qui est en état d’être provigné subit alors cette opération ; elle asseoit la vigne, et la répartit sur toute la surface du sol en espaçant les ceps à 0 m. 32 environ les uns des autres. L’engrais n’est pas épargné ; chaque fois qu’on assiselle, on remplit le trou des provins de terre neuve mélangée avec du fumier traité en compost. Ces diverses œuvres s’effectuent dans le courant d’avril ou de mai. » Dans la vallée d’Épernay, on ne provigne qu’après la troisième et la quatrième feuille, en deux fois, à un, deux ou trois yeux, selon la force des souches.

La taille s’exécute à deux ou trois yeux, en février ou en mars ; elle est suivie d’un labourage au hoyau, qui porte le nom de bêchage ou hoyerie. En mai et en juin, on donne, avec la rouale, espèce de hoyau dont le fer mesure 0 m. 30 de long sur 0 m. 15 ou 0 m. 18 de large, un premier binage dit labour au bourgeon, qui atteint une profondeur de o m. 07 à 0 m. 08. Après la floraison, viennent l’accolage, le rognage et l’ébourgeonnage, puis un second binage. Vers la fin de juillet, et pendant le mois d’août tout entier, les vignes ne reçoivent aucun soin. En septembre, on ébourgeonne de nouveau, s’il y a lieu, et l’on donne au sol le troisième binage, désigné sous les noms de raclage et de recouchage.

La récolte a lieu le plus souvent dans la première semaine d’octobre. Du reste, chacun est libre de cueillir ses raisins quand bon lui semble ; les bans de vendange sont inconnus dans la Champagne. Ce sont des femmes qui sont exclusivement chargées de la cueillette du raisin ; elles le détachent du cep avec la serpette, et se servent de la pointe de cet outil pour l’éplucher sur place. Chez quelques propriétaires, les raisins qui viennent d’être cueillis sont posés sur des claies placées au bas de la vigne ; des femmes les y nettoient avec des ciseaux ; ils doivent être purgés de tous grains gâtés, piqués par les insectes ou altérés par la grêle ; on fait ordinairement un premier choix des raisins les plus mûrs, et souvent encore un second choix. Quand les paniers sont pleins, des porteurs échelonnés de distance en distance les vident dans des mannequins contenant de 60 à 75 kilogr. de raisin, et portent cette vendange au bas du vignoble ; là, des débardeurs chargent les mannequins sur leurs épaules et vont les déposer sur les grandes sentes ; des bêtes de somme les transportent à dos de ce point au pressoir.

La vendange terminée, d’autres travaux viennent réclamer les soins du vigneron. Il faut d’abord arracher les échalas et en former des moyères, c’est-à-dire les dresser en tas dans la vigne, en les inclinant légèrement les uns sur les autres. L’automne amène ensuite le binage final quand les mauvaises herbes ont résisté aux façons précédentes. Aux approches de l’hiver, on relève les culées, les chevets et les sentes avoisinant un chemin ; les terres dévalées sont reportées dans les endroits dégarnis ; enfin, pendant le mois de janvier, on porte à dos d’homme l’engrais des magasins et on le répartit à la surface du vignoble par petits tas de 1 m., dont on change la place chaque année ; c’est de ces dépôts qu’on tire l’engrais avec lequel on fume les provins.

Vin de Champagne. La plantation des premières vignes de la Champagne paraît remonter à l’époque gallo-romaine ; mais ce ne fut guère qu’au XIVe siècle que cette culture prit un grand développement. Les excellents vins de cette contrée furent bien vite appréciés. Déjà sous François II, la queue, mesure équivalente à deux pièces d’aujourd’hui, se vendait 19 livres. Depuis cette époque jusqu’au XVIIIe siècle, la renommée des vins de Champagne ne fit que s’accroître, de telle sorte qu’en 1694 ils étaient vendus un prix énorme de 1,000 fr. la queue. François Ier, Charles-Quint, Henri VIII, Léon X, voulurent posséder des vignes à Aï. Sous Louis XIV, Saint-Evremond, le comte d’Olonne et le marquis de Bois-Dauphin, gourmets émérites et membres du fameux ordre des Coteaux, dont parle Boileau dans une ses satires, n’admettaient sur leur table que les vins d’Aï, d’Hautvillers et d’Avenay. La Faculté, d’accord avec les connaisseurs les plus distingués du grand siècle, vint confirmer par son suffrage la faveur dont le vin de Champagne était l’objet ; elle déclara solennellement qu’il était non-seulement le meilleur, mais encore le plus salutaire de tous les vins. Enfin, pour que rien ne manquât à sa gloire, les poëtes l’ont célébré à l’envi. Qu’il nous soit permis de citer à ce sujet la ballade suivante, que composa Eustache Deschamps, huissier d’armes de Charles V, sur le sac de la ville des Vertus, où il était né, et sur la ruine de son domaine, pillé et brûlé par les Anglais :

Je fus jadis de terre vertueuse
Nez de Vertuz, païs renommé,
Où il avoit ville très-gracieuse,
Dont li bon vin sont en maints lieux nommés,
Jusques à cy avoit mon nom nommé.
Eustace fus appelé dès enfans ;
Or, sui tout ars, s’est mon nom remué,
J’aray dès or à nom : Brûlé des champs.

Dehors Vertus ay maison gracieuse,
Où j’avaye par longtemps demouré,
Où plusieurs ont mené vie joyeuse.
Maison des champs l’ont plusieurs appelé.
Mais, Dieu merci ! toute plaine de blé
Ont les Anglès le feu bouté dedans :
Deux mille frans m’a leur guerre coûté ;
J’aray dès or à nom : Brûlé des champs.

Las ! ma terre est détruite et ruyneuse ;
Je suis désert, destruit et désolé ;
Fuir me faut, ma demeure est doubieuse.
Je ne suis d’aucun réconforté.
Ainsi serai de mon lieu rebouté
Comme essiliez, doloreux et meschant,
Se messeigneurs n’ont de mon fait pitié,
J’aray dès or à nom : Brûlé des champs.

La lutte des vins de Champagne et de Bourgogne fut célèbre au XVIIe siècle. La prose et les vers y furent tour à tour prodigués. Ce fut en 1652 qu’elle éclata, après avoir couvé longtemps comme un feu sous la cendre. La Bourgogne ouvrit les hostilités en faisant soutenir par un certain Daniel Arbinet, dans les écoles de Paris, une thèse pour prouver que le vin de Beaune était le meilleur de tous les vins. En 1677, la Champagne fit décider absolument le contraire par M. de Révélois, qui démontra que, de tous les vins, les champenois étaient incontestablement les plus salutaires. Après un silence d’une vingtaine d’années, la Bourgogne recommença les hostilités par une thèse d’un nommé Matthieu Fournier, qui déclare, entre autres énormités, que les vins de Reims engendrent les fluxions d’humeurs et la goutte. La riposte ne se fit pas attendre, car, en 1700, Gilles Calotteau décidait affirmativement cette question agitée dans nos écoles de médecine : Le vin de Reims est-il plus agréable et plus salutaire que le vin de Bourgogne ? Les défenseurs de la Bourgogne se fâchèrent alors pour tout de bon, et l’on en vint, sinon aux coups, du moins aux injures. Cette petite guerre continua pendant tout le XVIIIe siècle ; les Muses y prirent une part active ; les deux camps comptèrent des poëtes, qui, pareils aux anciens trouvères, excitaient par leurs chants le courage et l’ardeur des combattants. Le premier qui emboucha la trompette guerrière fut Bénigne Grenan. On connaît son Ode au vin de Bourgogne, dont nous nous contenterons de citer la strophe suivante :

Vante, Champagne ambitieuse,
L’odeur et l’éclat de ton vin,
Dont la sève pernicieuse
Dans ce brillant cache un venin ;
Tu dois toute ta gloire, en France,
À cette agréable apparence
Qui nous attire et nous séduit ;
Qu’à Beaune, ta liqueur soumise
Dans les repas ne soit admise
Que sagement avec le fruit.

Le gant fut relevé par Charles Coffin, qui répondit par sa Champagne vengée, dont nous citerons également une stance seulement, pour ne montrer aucune partialité :

Sitôt que, sur de riches tables,
De ce nectar avec le fruit
On sert les coupes délectables,
De joie il s’élève un doux bruit ;
On voit, même sur !e visage
Du plus sévère et du plus sage,
Un air joyeux et plus serein ;
Le ris, l’entretien réveille,
Il n’est plus de liqueur pareille
À cet élixir souverain.

La ville de Reims reconnaissante offrit à l’auteur quatre douzaines de bouteilles de vin rouge et gris. La question est restée en suspens ; mais, si nos lecteurs tiennent absolument à la résoudre, nous les renverrons à la solution que nous avons déjà donnée au mot Bourgogne, pour la question non moins difficile de la prééminence entre les vins de Bourgogne et de Bordeaux.

Au temps de son apogée, le vin de Champagne était-il mousseux ou non ? L’histoire est muette à cet égard. On sait seulement que la Champagne avait trouvé le secret de ses vins mousseux dès 1700. Il ne paraît pas toutefois que leur fabrication fût très-répandue. À cette époque, on faisait plutôt des vins rouges. Ceux-ci, un peu secs, un peu plats, caractérisés surtout par un goût de pierre à fusil extrêmement prononcé, étaient bien inférieurs, quoi qu’on ait pu dire, aux grands vins de la Côte-d’Or. Aujourd’hui, il n’est plus question de ces vins dans le commerce ; les raisins noirs de la Champagne ne servent qu’à faire des vins blancs mousseux. Ces derniers sont, pour ainsi dire, les seuls qui portent le titre de vins de Champagne, Ils appartiennent exclusivement au département de la Marne.

Il ne faudrait pas croire, comme ce qui précède pourrait le faire supposer, que les vins mousseux de Champagne soient exclusivement fabriqués avec des raisins noirs ; les vignes de Cramant, d’Avizes, d’Orges, du Mesnil, de Vertus, où dominent les cépages blancs, produisent des vins mousseux très-estimés. Les vins qu’on obtient avec des raisins noirs ont plus de sève, de générosité, de corps ; ils sont généralement supérieurs, comme vins crémants et non mousseux, à ceux qui proviennent des raisins blancs ; ces derniers, au contraire, sont les plus remarquables par la finesse, la légèreté, la transparence et la disposition à la mousse.

Pour la fabrication, on procède très-rapidement au pressurage des raisins ; le moût est versé soit dans des cuves d’une contenance variable, soit dans des pipes ou foudres, où on le laisse débourber, c’est-à-dire déposer sa grosse lie. Quand le moût a déposé suffisamment, on le met dans des tonneaux neufs et de bon goût, qu’on a soin de laver préalablement à l’eau bouillante. Quand les tonneaux sont pleins, on les place dans un cellier, où le liquide subit la fermentation ordinaire. C’est habituellement dans la dernière quinzaine de décembre qu’on soutire les vins pour la première fois ; puis on procède au coupage, s’il y a lieu. Peu de temps après, on colle légèrement, et on ajoute du tannin et de l’alun, afin de prévenir ou la graisse ou le masque dans les bouteilles. Vers la fin de mars, les vins tannifiés et collés, destinés à faire les vins mousseux, sont l’objet d’un second soutirage, L’entonnage a lieu sur tamis à double fond, l’un de crin, l’autre de soie, afin de bien retenir les impuretés. Pour les champagnes non mousseux, ou pour ceux qui sont destinés à la fabrication des tisanes, on se dispense d’un second soutirage. Le tirage du vin, autrement dit la mise en bouteilles, commence au mois d’avril et finit en août. Comme ce délai est très-long, on est forcé d’avoir recours à une solution de tannin pour modérer la fermentation en tonneau. Il faut que le sucre naturel du vin ait été détruit aux trois quarts, avant de procéder au tirage ; sans cela, la pression du gaz serait trop forte et la casse des bouteilles trop considérable. On se sert de plusieurs méthodes pour s’assurer que le moment est propice pour le tirage ; nous nous contenterons d’en indiquer deux. La première a été imaginée, en 1836, par M. François, pharmacien à Châlons-sur-Marne. On prend 750 gr. de vin, que l’on fait réduire à 125 gr. sur un feu doux, ou mieux au bain-marié. Si, vingt-quatre heures après, le liquide ainsi réduit marque 5° au gleuco-œnomètre, il ne moussera pas en bouteille, même à une chaleur de 20° à 25°. On ajoute alors environ 15 gr. par litre d’une liqueur à vin, faite en ajoutant à du vin autant de livres de sucre candi que l’on veut faire de bouteilles. Le gleuco-œnomètre marque-t-il 6° ; on ajoute 13 gr. par litre de liqueur à vin, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’instrument marque 12°. Voici en quoi consiste l’autre méthode. On essaye avec un pèse-vin le vin à tirer ; si celui-ci n’est pas au titre, on ajoute le sucre nécessaire pour faire flotter le pèse-vin à zéro.

Afin de prévenir la casse, on doit choisir les bouteilles avec le plus grand soin. Les bouteilles à Champagne doivent peser de 850 à 900 gr. ; le verre doit être d’une épaisseur uniforme sur tous les points situés à la même hauteur. On rejettera soigneusement les bouteilles bleues ou irisées, et celles qui renferment de petits cailloux. L’embouchure doit être bien conique, et s’élargir graduellement à partir du haut jusqu’en bas. La force de résistance des bouteilles destinées à contenir le vin de Champagne ne peut pas être évaluée à moins de 20° du manomètre. On les éprouve en les tintant deux à deux l’une contre l’autre ; celle qui se casse ou s’étoile reste au compte du vendeur. Les verreries les plus renommées jusqu’à ce jour pour cette spécialité paraissent être celles de Quinquengrogne, de Folimbray et de Vauxrot, Le choix des bouchons n’est pas moins important que celui des bouteilles ; diverses préparations sont même employées, non-seulement pour en corriger les défauts, mais encore pour leur communiquer les qualités qu’ils ne possèdent pas naturellement.

Le tirage a lieu au cellier ; on a soin de ménager un vide au goulot. Le bouchage se fait au moyen de machines. Les plus usitées sont la machine Leroy et la machine Maurice. Dès que les bouchons ont été assujettis, on procède à l’entreillage. Cette opération s’exécute d’abord au cellier ou magasin ; voici comment on procède le plus souvent : « On fait d’abord, dit M. Maumenê, une petite pile de cinq lattes à l’arrière du tas ; on établit une première rangée dont les cols posent sur les lattes. Pour empêcher les bouteilles extrêmes de s’écarter, on les maintient par une petite cale de liège ; on laisse entre les bouteilles un espace suffisant pour loger le col d’une autre bouteille (environ 0 m. 05) ; on pose alors une latte sur le corps des premières bouteilles et on fait une seconde rangée dont les corps sont poses sur la pile, et les goulots sur la latte. On continue ainsi les rangées, en calant toujours les extrémités avec un morceau de liège. La solidité de ces tas est très-grande. On les élève à vingt et vingt-cinq rangées de hauteur, au milieu des celliers ou des caves, et de fortes secousses, capables de faire pencher le haut des tas de 0 m. 05 à 0 m. 10, ne les renversent point. Cette disposition emploie le moins de lattes possible et permet de prendre toutes les bouteilles pour les examiner à volonté. »

On reconnaît qu’un vin prendra bien la mousse quand, huit ou dix jours et même quelques semaines après l’entreillage, on aperçoit dans les bouteilles un dépôt qui s’étend qui fouette ou présente des palmures, des replis divergents sur l’un des points du goulot. Ce dépôt, appelé griffe, est considéré comme de bon augure. Au contraire, le dépôt qui est uni, plus ou moins adhérent au verre, et qui, pour cette raison, porte le nom de masque, est regardé comme défavorable. Quelque temps après la formation du dépôt, dès qu’on remarque dans le vin des bulbes qui persistent lors même qu’on retourne brusquement les bouteilles dans le sens de la longueur, on descend à la cave les bouteilles entreillées d’abord au cellier. Cette mesure a pour but de rendre la casse moins considérable, en transportant les bouteilles dans un local où la température est moins élevée. C’est pour cela que, dans les maisons qui font de la fabrication des vins mousseux leur unique industrie, on a ordinairement plusieurs étages de caves qui communiquent entre elles par de larges soupiraux ou essors grillés, pouvant s’ouvrir à volonté pour laisser passer les paniers de bouteilles et les futailles. Toutes les fois que la fermentation s’opère régulièrement, la température de 10° et même de 11° est favorable au vin mousseux ; mais, si la casse atteint des proportions inquiétantes et vient élever la chaleur de la cave, il faut recourir aux grands moyens de refroidissement, dont le principal consiste à jeter beaucoup d’eau fraîche sur les treilles. À Épernay, dans les circonstances ordinaires, les choses se passent d’une façon très-différente. Le vin reste dans le cellier jusqu’à ce que la mousse soit venue ; lorsqu’elle est bien prise, on le descend d’abord dans les parties les plus froides de la cave ; l’année suivante, on le monte dans une cave moins basse, et, avant de l’expédier, on le remonte au cellier, afin de l’accoutumer graduellement à la température extérieure et de prévenir ainsi la casse pendant le voyage.

Dans le mois de février de l’année suivante, on met les bouteilles sur pointe, afin de détacher le dépôt et de le conduire peu à peu sur le bouchon. Lorsque ce résultat est atteint, c’est-à-dire, au bout d’une quinzaine de jours, on procède au dégorgement. L’ouvrier chargé d’exécuter cette opération prend la bouteille sur un pupitre ou dans des paniers qui la contiennent, toujours sur pointe, et, la renversant sur son avant-bras gauche, il en détache le fil de fer et les ficelles au moyen du crochet ordinaire ; il maintient le bouchon avec l’index de la main gauche et s’en rend maître au moyen de la pince à dégorger ou patte de homard, qu’il tient de la main droite. Alors il accomplit en un instant une manœuvre assez longue à décrire : il fait sortir le bouchon en le tirant vivement, et il dirige le goulot de la bouteille dans l’ouverture d’un petit tonneau placé devant lui ; le vin, qui s’élance en mousse aussitôt, entraîne complètement le dépôt quand il est d’une espèce bien pulvérulente ; si une partie du dépôt subsiste après l’explosion, l’ouvrier passe le bout du doigt au milieu même de la mousse pour détacher ces impuretés. Il ferme ensuite la bouteille avec un vieux bouchon provisoire tiré du panier. Le dégorgement fait perdre une quantité de vin parfaitement mousseux à peu près égale à 5 ou fi centilitres par bouteille ; mais ce sacrifice est nécessaire, car il est impossible de se débarrasser plus simplement et plus économiquement du dépôt formé par le vin, dépôt dont la moindre trace fait perdre au liquide tout son brillant et toute sa beauté.

Après le dégorgement, le vin mousseux est âcre et acide ; pour le rendre plus agréable à boire, on y ajoute un peu de liqueur. Cette liqueur, dont la composition est très-variable, se verse dans la bouteille à l’aide d’une mesure en fer-blanc qu’un ouvrier tient à la main, ou mieux à l’aide d’une machine. Deux machines de ce genre sont actuellement employées : l’une est celle de M. Canneaux ; l’autre, la meilleure, à ce qu’on dit, est due à M. Machet-Vacquand, chef de cave de la maison Moet. La préparation du vin de Champagne est dès lors terminée ; au bout de quelques jours, on peut le livrer au commerce.

Dans les grandes années, on n’évalue pas à moins de quinze millions de bouteilles la production du vin blanc de la Champagne ; la production moyenne peut être évaluée à sept millions de bouteilles, dont on expédie chaque année six millions. Ce commerce a pris, depuis quarante ans, une extension considérable ; ses principaux débouchés sont l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie. Les noms des Moët, des Cliquot, des Ruinart, des Rœderer, des Piper, des Périer, des Dinot, sont connus du monde entier ; c’est à ces habiles fabricants que la Champagne doit en partie son renom universel.

Les principaux vignobles sont, dans la rivière de Marne proprement dite : Mareuil, AÏ, Disy, Hautvillers et Cumières ; dans la côte d’Épernay : Épernay, Pierry, Mouzy,