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guerres contre le Danemark et de bouleversements intérieurs.


CHARLES IX, troisième fils de Gustave Wasa, né en 1550, mort en 1611. Chef du parti national et protestant, il contribua à faire déposer du trône de Suède son neveu Sigismond, qui était en même temps roi de Pologne (depuis 1584), et qui avait imprudemment tenté de rétablir le catholicisme dans son pays natal. Nommé par les états régent, puis roi en 1604, il combattit avec peu de succès les Polonais en Livonie, fut plus heureux dans une expédition de l’un de ses généraux, Jacques de la Gardie, contre les Russes, et mourut pendant une guerre que lui faisait Christian IV de Danemark. Il fut le père de Gustave-Adolphe. Ce prince donna une impulsion puissante au commerce et à l’industrie, améliora la législation, fonda des écoles et protégea les lettres et les arts. On a de lui une chronique rimée de Suède qui est souvent citée par les historiens.


CHARLES X GUSTAVE, fils de Jean-Casimir, prince palatin de Deux-Ponts, et de Catherine, fille de Charles IX ; né à Nikœping en 1622, mort à Gothembourg en 1660. Il étudia à l’université d’Upsal, voyagea en diverses contrées de l’Europe, et fit ses premières armes en Allemagne, dans l’armée du général suédois Torstenson. Cousin de la reine Christine, il fut, sur l’invitation de cette princesse, déclaré héritier de la couronne par les états de 1649, et monta sur ! e trône après son abdication (1654). Son règne fut un enchaînement d’entreprises hardies, d’expéditions militaires et d’événements. Pour repousser les prétentions de Jean-Casimir à la couronne de Suède, il envahit la Pologne en 1655 et en fit la conquête en trois mois, après une série de brillantes victoires. Il contraignit ensuite Frédéric-Guillaume, duc de Prusse et électeur de Brandebourg, à se reconnaître comme vassal de la Suède, et plus tard érigea son duché en royaume indépendant, en récompense des services qu’il lui avait rendus dans ses guerres. Il eut encore à réprimer plusieurs révoltes des Polonais, à combattre les Russes en Livonie, et surtout à lutter contre les entreprises du Danemark, qu’il essaya de conquérir. Il reprit sur les Danois le Jutland, la Fionie, pénétra jusqu’au cœur du Danemark, en passant audacieusement d’île en île sur une mer glacée, et imposa la paix de Roskild (1658), qui lui assurait la possession de la Scanie, du Halland et d’autres provinces. Toutefois, la paix ne pouvait longtemps convenir à une âme ambitieuse et inquiète comme celle du roi de Suède. Il reprit bientôt l’offensive, malgré les représentations des autres puissances, et ses troupes assiégeaient Copenhague, lorsqu’il fut subitement enlevé par une fièvre chaude.


CHARLES XI, fils et successeur du précédent, né en 1655, mort en 1697. Il avait à peine cinq ans à la mort de son père. Pendant sa minorité, la paix fut signée, sous la médiation de la France, avec la Pologne, le Danemark et la Russie. Lorsqu’il prit les rênes du gouvernement (1672), il fut-entraîné par Magnus-Gabriel de la Gardie dans une alliance offensive et défensive avec la France et envoya dans le Brandebourg une armée qui subit quelques échecs. Attaqué par le Danemark et la Hollande, il se mit en personne à la tête de ses troupes et remporta sur le roi de Danemark les victoires de Lund et de Landscrona (1677). Toutefois, des désastres sur mer et la perte d’un grand nombre de places l’avaient réduit à un état déplorable, lorsqu’il fut sauvé par les traités de Saint-Germain et de Nimègue (1679). Il ne s’occupa plus dés lors qu’à réparer les pertes énormes qu’il avait faites dans cette guerre et à réprimer les envahissements d’une aristocratie qui pesait sur les ordres inférieurs et gênait l’indépendance de la couronne. Il convoqua les états du royaume, se fit décerner un pouvoir absolu, restreignit, en vertu de cette délibération, la puissance du sénat, qui ne fut plus que le conseil du monarque, fit restituer au domaine les terres usurpées par les nobles, réforma la justice et l’administration, réorganisa la flotte et l’armée, et n’usa de ses pouvoirs illimités que dans l’intérêt du pays. Il s’astreignit même à ne lever d’impôts que ceux qui étaient consentis par les états. En peu d’années, par son administration habile et sévère, il eut soldé la dette publique et l’arriéré des traitements civils et militaires. La Suède lui doit ses institutions les plus importantes, le cadastre, la banque de Stockholm, la police médicale, celle des grandes routes, l’amélioration du code maritime, la fondation de ports, de manufactures, de canaux, d’écoles, etc.


CHARLES XII, fils et successeur du précédent, né à Stockholm en 1682, tué à Frédérikshall en 1718. Il reçut une forte éducation et fit des progrès rapides dans les langues, les mathématiques, l’histoire et la géographie. Il parlait la langue latine avec autant de facilité que le suédois ; Quinte-Curce était la lecture favorite de son enfance, et son héros de prédilection était Alexandre le Grand. Affranchi à l’âge de quinze ans de la tutelle de son aïeule et déclaré majeur par les états, il prit possession du gouvernement en 1697, mais ne montra d’abord que peu de dispositions pour les affaires. Les exercices violents et surtout la chasse aux ours l’occupaient presque exclusivement. Une alliance de la Pologne, du Danemark et de la Russie contre la Suède vint bientôt lui donner l’occasion de faire un meilleur usage de son caractère inébranlable, de son âme énergique, de sa prodigieuse activité et de sa constitution de fer. Dès lors il prit le genre de vie qu’il a toujours conservé ; un pain grossier, une nourriture frugale, point de vin, tel était le plus ordinairement son régime ; et ici se place un trait qui montre que le côté le plus saillant de son caractère était une résolution que rien ne pouvait plus faire changer quand une fois elle était prise. Étant encore fort jeune, après des libations qui sortaient de ses habitudes de sobriété, il adressa une parole d’emportement à sa grand’mère. Dégrisé aussitôt par le sentiment de ce manque de respect, il se fit apporter un verre de vin, y trempa ses lèvres, et, brisant le vase:« Je jure, s’écria-t-il, que ce vin est le dernier qui passera par ma bouche » ; et il tint parole.

Son manteau étendu sur la terre nue lui tenait souvent lieu de lit, et sa garde-robe se composait d’un seul habit bleu à boutons de cuivre, de grandes bottes montant au-dessus des genoux, et de gants de peau de buffle. L’envahissement par les Danois des possessions du duc de Holstein-Gottorp, beau-frère du roi de Suède, entraîna ce dernier dans une guerre contre Frédéric IV de Danemark. Il s’embarque en 1700 avec des forces considérables, arriva en vue des côtes de Seeland, et, dans son ardeur impatiente de gagner le rivage, se jette dans l’eau jusqu’à la poitrine et arrive le premier à terre où, à la suite d’une vive action, il repousse les Danois jusque sous les murs de Copenhague. Il se disposait à assiéger cette ville, lorsqu’il reçut la nouvelle de la paix entre le duc son parent et le roi de Danemark. Il put alors tourner toutes ses forces contre Pierre le Grand, qui menaçait Narva, et Auguste II de Pologne, qui assiégeait Riga ; et, sans retourner dans sa capitale (que même il ne revit jamais), il courut écraser les Russes sous Narva (30 novembre 1700), puis les Saxons d’Auguste au passage de la Duna (juillet 1701). Il eût pu alors dicter les conditions d’une paix glorieuse et profitable ; mais, au lieu de suivre à ce sujet les conseils d’Oxenstiern, il se laissa emporter par l’ivresse de la victoire, envahit la Pologne, et, après avoir battu Auguste à Kissow (1703), et s’être rendu maître de tout le pays, il fit élire roi Stanislas Leczinski, poursuivit le monarque détrôné jusque dans ses États de Saxe et lui imposa la paix d’Altranstadt (1706), par laquelle Auguste renonça à la Pologne, et dut livrer au vainqueur le Livonien Patkul, ministre russe à Dresde et l’âme de la coalition, que Charles eut la cruauté de faire périr sur la roue. Cet acte inqualifiable indigna l’Europe, et il contraste douloureusement avec la conduite habituelle du roi de Suède, qui s’est honoré par de nombreux traits de modération, de grandeur d’âme et de générosité. Avant de quitter l’Allemagne, il imposa à l’empereur la liberté de conscience pour les protestants. Pendant son absence, le czar de Russie avait repris l’offensive et remporté quelques avantages en Esthonie et en Livonie.

En septembre 1707, Charles envahit la Russie, déterminé à marcher droit sur Moscou ; mais, entraîné par les instances de Mazeppa, hetman des Cosaques de l’Ukraine, il passa dans ce pays, que les Russes se hâtèrent de dévaster, et où il ne trouva point les secours qu’il espérait. Un hiver trop précoce et d’une rigueur inouïe, la disette, les maladies, décimèrent son armée, qui fut écrasée par le czar à la bataille de Pultava (1709), où le héros suédois fut grièvement blessé et où s’évanouit le prestige attaché jusqu’alors à ses armes. Après ce désastre irréparable, où la fleur de l’armée suédoise avait péri, le roi, errant en fugitif, arriva à Bender sur le territoire turc, et y séjourna pendant près de cinq années. Il parvint à décider la Porte à faire cause commune avec lui, et poussa le sultan dans une guerre contre les Russes. On sait que Pierre le Grand, cerné sur le Pruth (1711), paraissait perdu, lorsque l’habileté de sa femme Catherine le sauva par un traité où le roi de Suède fut oublié. Bientôt même les agents russes parvinrent à le rendre suspect au sultan, qui lui donna l’ordre de quitter le territoire turc. Mais Charles résista audacieusement avec une poignée d’hommes qui formaient sa suite, et soutint, contre un corps de troupes musulmanes, un combat opiniâtre dans sa maison, à Vavnitza. Pris par les Turcs, il fut conduit à Demotika, près d’Andrinople. Il y passa deux mois au lit, feignant une maladie, puis partit déguisé, à cheval, avec deux officiers, dont un seul put le suivre jusqu’au bout, traversa la Hongrie et l’Allemagne, courant nuit et jour à cheval, et arriva à Stralsund dans la nuit du 11 novembre 1714. Pendant son absence, ses ennemis s’étaient relevés, la Suède était tombée dans un état déplorable, ses conquêtes étaient perdues et le fruit de ses victoires complètement détruit. Une armée combinée de Danois, de Saxons, de Prussiens et de Russes couvrait la Poméranie et vint mettre le siège devant Stralsund, qui fut emporté (1715) malgré la défense héroïque dont Charles donnait l’exemple. Le roi de Suède alla se fixer à Lund, nourrissant de nouveaux projets, aussi vastes qu’aventureux et hardis, et qui lui étaient inspirés par le baron de Gœrtz. Il s’agissait de se réconcilier à tout prix avec le czar, d’affaiblir le Danemark par la conquête de la Norvège, de débarquer ensuite en Écosse et de détrôner George Ier et la maison de Hanovre au profit des Stuarts, en liant ce plan à ceux d’Alberoni sur la France et l’Espagne. Une nouvelle armée fut créée, le czar était gagné ; déjà une partie de la Norvège était conquise, la fortune de Charles et peut-être celle de l’Europe allaient prendre une face nouvelle, lorsqu’un coup de feu, devant Frédérikshall, brisa la vie du monarque suédois et ses gigantesques projets (30 nov. 1718).

Les états élevèrent au trône la sœur de Charles, Ulrique-Éléonore, qui abandonna le pouvoir à son époux Frédéric de Hesse-Castel, lequel souscrivit à toutes les conditions que dictèrent les nobles pour limiter la puissance royale. Le baron de Goertz fut décapité et le nouveau gouvernement s’inaugura par un changement complet de politique, brisant les négociations entamées avec la Russie et livrant aux princes de l’Allemagne les provinces allemandes de la Suède.

C’est assez souvent par les grands hommes que les nations périssent. Charles XII laissa la Suède épuisée, déchue et tombée au rang de puissance secondaire. Dans son orageuse carrière, pendant laquelle il ne quitta point pour ainsi dire le vêtement de combat et ne vécut que dans les camps, il ne s’occupa que de la guerre et de l’armée. Il n’était pas dépourvu cependant de capacités administratives, et l’on doit regretter que ses guerres incessantes l’aient empêché de les employer à la prospérité de son pays.

L’Histoire de Charles XII, par Voltaire, à part quelques inexactitudes sur des circonstances peu connues alors, est un morceau historique de premier ordre, en même temps qu’au point de vue littéraire elle est un modèle de précision, d’élégance et de clarté.

Ici se place un problème historique d’une importance capitale, et qui n’a encore, que nous sachions, été résolu par aucun dictionnaire biographique.

Charles XII est-il mort frappé d’une balle ennemie ou est-il tombé sous les coups d’un assassin ? Cette question, soulevée plusieurs années après la catastrophe, a longtemps préoccupé les esprits, tant en Suède que dans le reste de l’Europe. Pour en bien comprendre la solution, il importe de l’étudier dans ses divers éléments caractéristiques et, par conséquent, de remonter d’abord au lugubre événement qui en constitue le principe.

Ainsi qu’il a été dit, Charles XII assiégeait Frédérikshall. Le 30 novembre 1718, premier dimanche de l’Avent, il se rendit à cheval au quartier général établi à Tistedal, changea de vêtements, parcourut plusieurs papiers et en jeta quelques-uns au feu. Il paraissait de mauvaise humeur. Après avoir assisté à l’office divin, il fit appeler les officiers supérieurs et leur donna des ordres pour la soirée et pour la nuit.

À quatre heures de l’après-midi, il monta à cheval, et, suivi de deux Français attachés à son service, l’ingénieur Maigret, chargé de la direction du siège, et l’aide de camp Siguier, il se dirigea vers la tranchée ouverte la nuit précédente. Là il mit pied à terre, visita les travaux, causa avec plusieurs soldats ; sa bonne humeur semblait revenue.

Cependant son front s’assombrit de nouveau lorsqu’il vit que la nouvelle tranchée à ouvrir n’était pas encore commencée; les hommes commandés à cet effet n’étaient pas arrivés. Il donna des marques de la plus vive impatience. Maigret l’invita à se calmer, et lui promit de remettre la place entre ses mains dans huit jours. « Nous verrons bien, » dit le roi.

Les hommes arrivèrent alors, Maigret les fit placer et ils se mirent à l’œuvre. Le feu de la forteresse éclatait sans interruption. Comme les Suédois se trouvaient déjà à portée, plusieurs d’entre eux tombèrent, malgré les gabions dont ils s’abritaient.

Vers huit heures, le roi soupa debout et sans quitter sa place. Les balles sifflaient par moment autour de sa tête. « Ce n’est point ici la place de Votre Majesté, lui dit Maigret, les canons, les cartouches et les mousquets ne respectent pas plus un roi que le dernier soldat. — Soyez sans crainte, répondit Charles. — Je ne crains pas pour moi, répliqua l’officier, car je suis à l’abri du parapet, mais Votre Majesté s’en sert moins pour s’abriter que pour s’exposer au danger. » En effet, Charles, accoudé sur le parapet, afin de mieux voir la forteresse et les soldats qui travaillaient au-dessous de lui, laissait à découvert sa tête et une parte de son buste. Il ordonna à Maigret et au autres officiers d’aller surveiller les travaux, tout en promettant cependant de se placer plus bas. Les officiers dirent à l’ingénieur:« Laissez-le tranquille ; plus on l’avertit, plus il s’expose. »

Neuf heures approchaient ; la lune s’était levée, dissipant les ténèbres qui avaient régné jusqu’alors. Charles, quoi qu’il eût dit, n’avait pas bougé ; derrière lui se tenaient plusieurs officiers, parmi lesquels Kaulbars, Schultz, Schlippenbach, Marchetti, Carlsberg et Maigret ; ils délibéraient entre eux sur le moyen de décider le roi à quitter enfin le poste dangereux qu’il occupait. Tout à coup on entendit un bruit semblable à celui d’une pierre lancée dans un tas de boue ; puis la tête du roi s’affaissa, sa main gauche glissa sur son côté, mais sans que son corps changeât de place. « Seigneur Jésus, s’écria Kaulbars, le roi est tué. » Et, frappant le lieutenant Carlsberg sur l’épaule, il lui dit d’aller prévenir au plus vite le général Schwern. Maigret tira le roi par son manteau; mais pas un mot, pas un mouvement. On l’examina de plus près:une balle à cartouche l’avait atteint à la tempe gauche, et, en traversant la tête, était sortie un peu plus bas que la tempe droite, laissant une blessure assez grande pour qu’on pût y mettre trois doigts. L’œil gauche était enfoncé, l’œil droit hors de son orbite. La main gauche du roi s’était abaissée sur la garde de son épée, comme si, au moment suprême, i] eût encore voulu la tirer du fourreau.

Ainsi mourut Charles XII. Jusqu’en 1719, nul ne songea à attribuer cette mort à une autre cause qu’à un projectile lancé de la forteresse ennemie ; ceux qui assistaient à l’événement n’y voyant, sans doute, qu’un fait de guerre ordinaire, n’avaient pas même pris soin d’en dresser un procès-verbal détaillé. Mais, en 1719, lors de la réunion des états, de vagues rumeurs commencèrent à circuler, rumeurs qui, se précisant peu à peu, finirent en 1722 par prendre le caractère d’un véritable problème. Révoquant en doute l’accident, on supposa un meurtre. Mais ce meurtre, qui l’avait commis ? L’assassin, en outre, avait-il agi de lui-même, ou n’était-il qu’un instrument soudoyé ? Les soupçons, les conjectures Se donnèrent libre carrière. On murmura les noms de la sœur de Charles, de son beau-frère, des ministres mécontents, du régent de France, du cardinal Dubois; presque tous les gouvernements de l’Europe furent mis en cause. Il y a vingt ans à peine, des historiens suédois et allemands très-estimés, Wieselgren, Brunius, le major Von Jenssen-Tusch, etc., se prononçaient encore formellement, quoique en termes plus ou moins énergiques, pour l’assassinat. Cette affaire, du reste, a donné lieu à une publicité énorme : près de deux, cents volumes ou brochures. Et ce n’est pas seulement parmi les hautes classes, parmi les savants et les lettrés qu’elle avait du retentissement ; le peuple s’y intéressait de son côté avec passion. Aux yeux du peuple suédois, Charles XII, malgré les désastres de son règne, n’en était pas moins l’objet d’un culte enthousiaste ; il était regardé comme le représentant idéal de la nationalité, comme le héros providentiel de la gloire de la patrie à travers le monde ; le peuple se refusait donc à admettre que son héros fût tombé comme un soldat vulgaire, et tout ce qui contribuait à faire planer sur sa mort la solennité du mystère trouvait un complaisant écho dans la superstitieuse exaltation.

Aujourd’hui, cette ardeur patriotique n’est plus qu’un souvenir. Le problème de la mort de Charles XII a été résolu, d’abord historiquement en 1846, par l’illustre érudit danois Paludan Müller, qui a dit le dernier mot sur les documents ; et scientifiquement, en 1859, par une commission de médecins, qui a formulé ses conclusions sur le cadavre même du héros exhumé.

Tandis que les rumeurs circulaient, cherchant un objet auquel elles pussent se fixer, un étrange incident vint tout à coup le leur offrir. Siguier, ce Français aide de camp de Charles XII, qui, après avoir été témoin de sa mort et avoir aidé à enlever sa dépouille, fut envoyé auprès de la princesse héréditaire Ulrique-Éléonore, pour lui annoncer la fatale nouvelle ; Siguier fut saisi un jour d’un accès soudain de fièvre chaude. Dans le paroxysme de son délire, il dit à son médecin qu’il était l’assassin de Charles XII ; puis, se levant et ouvrant brusquement sa fenêtre, il répéta le même aveu au peuple qui passait dans la rue, demandant pardon de son crime. On conçoit l’effet d’un pareil incident et les commentaires qu’il suscita. En vain Siguier guéri, chercha-t-il à protester ; le bruit grossit et s’accrédita. Il trouva même des oreilles complaisantes jusqu’en Russie, où un maître de danse suédois, nommé Schoult, le raconta à sa façon, ajoutant que, pour prix de son sanglant exploit, Siguier avait touché une somme de 1, 000 ducats. La cour de Suède s’en émut ; car c’était à la reine Ulrique-Éléonore et au prince Frédéric son époux que l’on reportait la provocation de l’attentat ; des négociations furent entamées par elle avec la cour de Saint-Pétersbourg. Enfin Schoult se rétracta ; mais tout le monde fut loin d’être persuadé qu’il avait menti. Quant à Siguier, on le surnomma Sicaire, et il devint l’objet des calomnies les plus offensantes. Rien pourtant de plus manifeste que son innocence, et Voltaire, dans son Histoire de Charles XII, a pris soin lui-même de le justifier. « Je le vis, dit-il, quelque temps avant sa mort, et je puis assurer que, loin d’avoir tué Charles XII, il se serait fait tuer pour lui mille fois. S’il avait été coupable d’un tel crime, ce ne pouvait être que pour servir quelque puissance qui l’en aurait sans doute bien récompensé ; il est mort très-pauvre en France, et même il a eu besoin du secours de ses amis. »

Après Siguier, Labrice, un des familiers de Charles XII, étant à Londres, s’accusa aussi, dans un accès de fièvre chaude, d’avoir tué le roi ; mais, comme il fut prouvé qu’il n’avait point pris part à la campagne de Norvège, ce nouvel incident n’eût pas de suite. L’ingénieur Maigret fut mis en cause à son tour. Au moment où Charles XII était mortellement frappé, il avait dit : « Voilà la pièce finie, allons souper ! » Ces paroles, plus qu’in-