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Uieu, pour voua reposer dans le désert du temps. Comme des oa3is a mis les cimetières ; Couchez-vous et dormei, voyageurs haletants. Tu. Gautier.

Quand reverrai-je enfin

L’église où ma prière

’ S’élevait vers les cieux,

La croix du cimetière

Où dorment mes aïeux î

Roux.

Depuis que le docteur X...nal

Soigne des familles entières,

On a démoli l’hôpital...

Et l’on a fait deux cimetières. (Quatrain écrit par Alex. Dumas pis sur l’album d’un médecin de Marseille.)

— Par ext. Lieu quelconque où des cadavres sont je tes et abandonnés : La mer est le cimetière du château d’If. (Alex. Dura.)

Du corps de ce mutin gisant sur la poussière Le ventre des corbeaux sera le cimetière.

Rotkou.

— Par anal. Lieu où se trouvent entassés des objets privés de vie : Les savants veulent que toutes les fleurs ressemblent à celles qu’ils dessèchent dans leurs herbiers, horrible cimetière où les fleurs sont enterrées avec des épitaphes prétentieuses. (A. Karr.)

— Par exagér. Lieu où. la mort sévit : Ce pays est le cimetière des étrangers. Pendant le choléra, Paris était un vrai cimetière. (Du Rozoir.) n Lieu désert, solitaire, privé do vie et de mouvement : Les gouvernements sont l’âme des peuples : aussitôt qu’elle s’éteint, les territoires qui étaient des empires ne sont plus que des cimetières, (E. de Gir.)

— Fig. Lieu métaphysique où s’entassent et viennent finir une ioule d’objets : Notre âme est un cimetière tout rempli de tombes et d’épitapkes. (Cl. Tillier.)

— Loc. prov. Il a de l’esprit, il a couché au cimetière, Se dit de quelqu’un qui manque habituellement d’esprit, et qui en montre par hasard. Cette locution est un pauvre jeu de mots sur les esprits ou revenants qui hantent les cimetières, selon la croyance du peuple.

Il Les jeunes médecins font les cimetières bossus, Les jeunes médecins, par leur inexpérience, font mourir un grand nombre de malades.

— Hortic. Cimetière de Blangy, Variété de pomme du pays d’Auge, que Von appelle aussi simplement blangy.

— Epithètes. Calme, paisible, tranquille, muet, silencieux, désert, solitaire, abandonné, noir, triste, sombre, mélancolique, désolé, funèbre, lugubre, affreux, horrible, terrible, redoutable, effroyable, sacré, pieux, religieux, vaste, immense, avide, insatiable.

— Encycl. Hist. L’usage d’enterrer les corps dans les cimetières est antérieur à celui de les brûler. À Rome, on enterrait souvent les personnages illustres dans des lieux situés bien en vue des passants, le long des chemins les plus battus et les plus fréquentés, tels que la voie Appia, la voie Flaminia et la voie Latina. C’est ainsi que furent enterrés les Scipion, les Servilien, les Marcellus et beaucoup d’autres, Varron rapporte que l’on disposait ainsi les sépulcres sur le bord des chemins, pour rappeler aux passants qu’ils étaient tous mortels, et aussi afin que le voyageur, toujours aiguillonné par le désir de voir de nouveaux monuments, arrivât ainsi au bout du voyage sans songer a la fatigue et à la longueur du chemin. D’autres historiens prétendent que les Romains pratiquaient ces enterrements au dehors de la ville, afin de rendre les citoyens plus empressés à défendre, non-seulement leur cité, mais aussi ses environs, par la crainte qu’ils auraient de voir saccager les monuments élevés en l’honneur de leurs ancêtres. Il était défendu d’enterrer à une distance des maisons moindre de soixante pas, sans le consentement des propriétaires. Les grands citoyens de Rome étaient quelquefois enterrés au Champ de Mars, honneur accordé aux premiers rois ; quant à la populace, elle avait son cimetière sur le mont Esquilin, hors des murs. Les esclaves étaient aussi enterrés sur cette colline, en un endroit spécial nommé Puticuli (les petits puits). C’étaient, en effet, des sortes de puits dans lesquels on jetait les cadavres. Les historiens citent encore quelques autres lieux des faubourgs affectés aux inhumations, et qu’on nommait Culince, endroits pareillement réservés aux pauvres et aux esclaves. Enfin il y avait un lieu nommé Sestertium, où les corps de ceux que les Césars condamnaient à mort étaient jetés ; ce fut là que les assassins de l’empereur Galba portèrent sa tête. La loi des Douze-Tables défendait d’inhumer personne dans l’intérieur delà cité ; cependant des exceptions furent fuites en faveur de certains princes. Les empereurs avaient un lieu spécial pour leur sépulture, sous le Capitole.

On appelait aussi cimetière, à Rome, le Campus sceteratus, sorte du monticule sous lequel était creusé un petit caveau en forme de voûte, où l’on enterrait vives les vestales convaincues d’avoir perdu leur virginité ou laissé éteindre le feu sacré,

Cicéron prétend que ce fut Thaïes qui introduisit à Athènes la coutume d’enterrer les morts dans des cimetières, afin que les corps mis en terre subissent l’influence de l’humidité, et finissent pur se résoudre eux-mêmes en eau, selon l’opinion de ce philosophe, que l’eau était le principe de toutes choses. Lycurgue,

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afin d’accoutumer la jeunesse à la vue des sépulcres, voulut que les enterrements se fissent dans Sparte, à des places qu’il avait assignées autour des temples des dieux.

Les Tarentins, ayant appris d’un oracle que les faveurs divines devaient être pour eux en proportion du nombre d’habitants que renfermerait l’enceinte de leur ville, pensèrent que les morts pouvaient compter pour des haoitants, et résolurent de les inhumer au milieu même de la cité ; ils établirent donc un cimetière public placé au soleil levant. Les Athéniens enterraient aussi dans leur ville, et même dans’ l’intérieur, des maisons ; mais cet usage dura peu, et Pausanias nous apprend qu’ils en vinrent à convertir en cimetières les bords des routes. Le Céramique était le lieu de sépulture des grands ; les soldats avaient un cimetière spacieux, près du monument de Culixte. Il y avait autant de pilastres que de tribus dans la ville, et sur chacun d’eux étaient gravés le3 noms de ceux qui étaient inhumés a l’entour. Le Livre des funérailles nous apprend que les Athéniens, après avoir mis le corps dans la fosse, jetaient de la terre dessus, et y semaient ensuite du gazon et du blé ; mais a cette coutume succéda celle d’amonceler sur le corps une butte de terre qui se mesurait, pour la hauteur, à l’importance du décédé. Bientôt les riches ne se contentèrent pas de cette motte de terre couverte de gazon : ils firent les sépulcres en maçonnerie, et les couvrirent de plaques de métal ou de marbre ; d’autres y ajoutèrent des colonnes et des statues, et finalement les accompagnèrent de monuments

grandioses, de bâtiments magnifiques, d’oratoires, etc.

Les cimetières des Juifs étaient placés hors des villes, comme l’atteste l’Évangile quand il rapporte que Jésus ressuscita le fils delà veuve de Naïm. Il y en avait de deux sortes : les uns publics, les autres particuliers. Les cimetières publics servaient à l’inhumation des pauvres et des étrangers. Saint Matthieu dit que les principaux sacrificateurs, ayant pris les trente pièces d’argent que Judas leur rendit, en achetèrent le champ d’un potier pour en faire le lieu de sépulture des étrangers. Les cimetières particuliers ne servaient qu’à une famille.

Les premiers chrétiens avaient des cimetières, puisque l’historien Eusèbe dit que l’empereur Gallien, cessant de persécuter l’Église, donna quelque répit aux chrétiens affligés, et leur permit de reprendre les cimetières dont auparavant il les avait privés. Ces cimetières étaient les lieux où s’assemblaient communément les chrétiens ; c’était là qu’ils pouvaient se voir, se compter et se concerter sur les moyens de résister aux persécutions.

Des découvertes de monuments sépulcraux faites au xvne siècle, dans l’intérieur de notre capitale, ont rendu vraisemblable l’existence de deux cimetières à une époque très-reculée. L’un de ces cimetières paraît avoir été destiné aux gens opulents, à en juger par la richesse des bas-reliefs détachés des tombeaux ; le secoud, situé sur la rive droite, au nord de la Cité, occupait l’espace aujourd’hui compris entre la rue de la Verrerie, la place de l’Hôtelde-ville et l’église Saint-Gervais. Il servait probablement à l’inhumation des esclaves et des gens du p’euple. Un autre cimetière, beaucoup plus étendu, existait dans la partie méridionale de la ville ; voici ce que rapporte Dulaure à ce sujet : « Dans le vaste espace compris depuis la hauteur de la rue Saint-Jacques et celle du faubourg de ce nom, depuis la rue d’Enfer jusqu’au bas du revers du plateau de Sainte-Geneviève, on a déterré, à diverses époques, un si grand nombre de tombeaux romains, qu’op ne peut contester à cet immense emplacement le titre de champ des sépultures ou cimetière. • Crozet, qui écrivait ses Antiquités de Paris vers le milieu du xvie siècle, dit : « De notre temps, avons trouvé des sépulcres au long des vignes, hors la ville Saint-Mavceau. » L’abbé Leueufnous apprend qu’en janvier 1656, dans un jardin établi surl’ancien cimetière Saint-Marcel, presque derrière l’église Saint-Martin, un jardinier, en remuant la terre, trouva soixante-quatre cercueils de pierre, qui paraissaient appartenir à des personnages des premiers temps du christianisme. Un seul de ces tombeaux avait sur son couvercle une inscription portant : Vitalis à Barbara, son épouse très-aimable, âgée de vingt-trois ans cinq mois et vingt-huit jours. Sur ce tombeau étaient gravées deux colombes, emblème de l’amour conjugal ainsi que le monogramme du Christ, placé dans un cartel, entre l’alpha et l’oméga, signes fort en usage parmi les chrétiens du rve siècle. Les alentours de l’église Saint-Marcel formaient donc, sous la domination romaine, un cimetière. Près de là était un territoire qu’un titre de 1245 désigne sous le nom de lieu des cendres, peut-être parce qu’on y brûlait les cadavres. Il s’étendait le long de la rivière de Bièvre. En somme, l’abbé Lebeuf est d’avis que non-seulement le cimetière méridional comprenait tout le plateau de la montagne Sainte-Geneviève et une partie de son revers oriental, mais qu’il s’étendait au midi jusqu’à Mont-Souris, où se trouvait la maison dite Tombe Issoire. Pour prouver que cet emplacement était bien consacré aux morts, il cite, outre la Tombe Issoire, le fief des Tombes, situé sur le même emplacement. De tout ceci, il résulte que les premiers cimetières parisiens avaient une étendue fort considérable. Les premiers cimetières qui furent ouverts aux Pari CIME

siens étaient contigus aux églises, comme ils le sont encore dans beaucoup de campagnes. Mais ces cimetières étaient bien moins vastes ; c’étaient de petits enclos réservés aux gens de la Faroisse, et les églises étant nombreuses dans ancien Paris, les cimetières n’avaiont pas besoin d’un emplacement considérable. Quelquesuns renfermaient les restes de certains personnages illustres, mais ce n’était qu une exception, les nobles et les puissants ayant le privilège d’être inhumés dans l’intérieur des églises, abus supprimé par le décret de l’an XII. Un arrêté du préfet de la Seine, en date du. ■20 décembre 1859, assigna le cimetière du Nord, dit de Montmartre, aux inhumations des 1er, ne Ville, IX" et Xe arrondissements ; le cimetière de l’Est, dit du Père-Lachaise, à celles des Ille, ive, Xle, Xlle et XX» arrondissements ; le cimetière du Sud, dit de Montparnasse, à celles des Ve, Vie, Vile, XIU» et XIV e arrondissements ; le cimetière des Batignolles aux inhumations du XVIIe arrondissement ; celui d e Montmartre à celles d u XVII le ; celui de la Villette à celles du XIXe ; les cimetières de Grenelle et de Vaugirard à celles du XVe, et enfin ceux d’Auteuil et de Passy aux inhumations du XVIe arrondiseraent. Les cimetières de la Chapelle, de Bellevilla, de Charonne et de Bercy furent supprimés.

C’est une curieuse promenade à faire qu’une excursion dans les divers cimetières de Paris. Des allées ombreuses bordées d’arbres toujours verts, des fleurs de toute espèce, des oiseaux babillards, gazouillant et sautillant de branche en branche, la fosse commune où viennent tomber les déshérités du sort, les pompeux monuments élevés à grands frais pour donner au visiteur le dernier spectacle du luxe même après la mort, tout cela offre un mélange des plus singuliers. Les riches et les grands semblent avoir choisi ce dernier champ de bataille pour deux luttes où ils sont également impuissants : par ces gazons, ces fleurs-et ces allées ombreuses, on dirait qu’ils veulent disputer à la mort ces hideuses images de destruction que quelques pieds de terre ne peuvent dérober à l’imagination troublée du visiteur ; par ces marbres, ces sculptures, ces fastueuses inscriptions, ils contestent aux déshérités de la terre cette égalité dont ils les ont privés pendant leur vie, mais que la justice de Dieu a fait commencer au seuil de la tombe.

Bien que les cimetières aient toujours été considérés comme des lieux saints, et qu’on n’y entre généralement qu’avec un sentiment de respect, ils ont été parfois troublés par des scènes singulières. Ainsi, sous le règne de Louis XV, on vit le cimetière Saint-Médard devenir le théâtre de graves désordres. Ce fut là que le tombeau du diacre Paris, sur lequel "s’opéraient de prétendus miracles, devint un but de pèlerinage pour les convulsionnaires, qui s’y livraient aux pratiques les plus extravagantes. En 1732, l’autorité crut devoir mettre un terme à ces folies ; les portes du cimetière furent fermées, et des soldats armés furent chargés de les garder, ce qui donna occasion à un poète frondeur d’écrire ce distique sur la porte :

De par le roi, défense & Dieu

De faire miracle en ce lieu.

. Une autre profanation, que la folie seule peut expliquer, a eu lieu de nos jours dans les cimetières ; ce fut d’abord à Biéré, près de Tours, en 1847, qu’une violation de sépulture fut commise sans qu’on pût en connaître l’auteur ; mais, deux ans plus tard, elle se renouvela aux cimetières du Père-Lachaise et d’Ivry. Une grande surveillance fut exercée presque sans résultat. Enfin, un piège habilement dressé fit connaître que l’auteur de ces profanations était un sergent du 74e de ligne, qui, possédé par une monomanie étrange, avoua qu’il lui était arrivé d’ouvrir, dans une seule soirée, dix ou quinze cercueils, et qu’il prenait plaisir à mutiler les cadavres, à leur arracher les entrailles et à en disperser les lambeaux.

Les profanations de sépultures étaient beaucoup plus fréquentes avant qu’une vigilance très-sérieusement exercée par des gardiens eût rendu les vols difficiles. Ce fut en faisant lui-même, au milieu de la nuit, une ronde de surveillance, que le conservateur du cimetière de Montmartre, M. de Vaulabelle, frère de l’historien, fut tué, il y a quelques années, par suite de l’observation trop rigoureuse d’une consigne qu’il avait donnée, et dont il ne se rappelait plus les termes. Au moyen âge, les cimetières étaient (qui le croirait ?) des lieux de prostitution nocturne, et un concile d’Espagne défendit aux femmes d’y passer la nuit. Mais de pareils faits sont heureusement trop loin de nous et de nos mœurs pour qu’il soit nécessaire de les stigmatiser. Revenons à l’état présent des cimetières.

Nous avons indiqué les divers cimetières qui desservent la ville de Paris ; on trouvera une notice sur chacun d’eux aux mots Innocents, Montmartre, Montparnasse, La«jaise ; mais il en est un dont le nom seul éveille un sentiment de secrète terreur : c’est le cimetière de Clamart, qu’on croit généralement placé hors Paris, et qui se trouvait situé dans la partie la moins peuplée du faubourg Saint-Marcel, près delà rivière des Gobelins. Avant la révolution de 1789, c’était un de ceux où la mort envoyait la plus grande partie de ses victimes, car il était particulièrement affecté à la sépulture des individus décédés dar.s les hôpitaux. Il fut fermé quelque temps et rouvert ensuite avec la destination spéciale

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de recevoir les corps des suppliciés. Là, point d’épitaphes louangeuses ; un nom, une date, nom maudit, date fatale. Ce n’est qu’en tremblant de honte et de confusion qu’un père navré de douleur, qu’une fille désespérée oseron4, franchir le seuil de cet asile funèbre pour aller, à la dérobée, verser des larmes sur les restes de ceux que la main du bourreau a retranchés du nombre des vivants.

Picpus a son cimetière spécial, qu’on désigné sous le nom de cimetière Picpus. On y s enseveli les restes de quelques victimes de nos guerres civiles pendant la Révolution ; puis, par une concession spéciale faite sous l’empire à plusieurs nobles familles, il devint cimetière privé. Là, dit un des historiens des Iïues de Paris, dorment les Montmorency, les Noailles ; là repose La Fayette, Dans ce champ de mort dont l’étendue est de quelques mètres, tout est solennel et sévère : pas de mausolées, pas de longues épitaphes, pas de fleurs ; en se fanant, elles symbolisent l’oubli. Une table de marbre ou une simple pierre dit le nom de celui qui n’est plus, et la date où il a dit adieu aux vanités de la fortune et de la naissance. Un concierge, plus érudit que bien des inspecteurs de monuments publics, vit depuis des années parmi ces tombes illustres, et il sait bien des choses sur chacune d’elles. Il vous dira notamment qu’en 1S34, lorsque te général La Fayette fut inhumé dans ce cimetière, à la terre qui reçut le corps du compagnon de Washington fut mêlée de la terre envoyée tout exprès d’Amérique.

Tels sont les cimetières de Paris ; mais, au moment où nous écrivons, un immense projet est à l’étude, pour la suppression de tous les cimetières parisiens, et l’établissement d’une immense nécropole, qui centraliserait toutes les sépultures de la capitale. Le plateau de Méry paraît définitivement choisi pour cet objet, et un chemin de fer spécial desservirait cette cité des morts.

On ne saurait parler de cimetières sans rappeler le champ des morts de Constantinople. Voici la description qu’en fait Théophile Gautier : « C’est un immense bois de cyprès, couvrant un terrain montueux, coupé de larges allées et tout hérissé de cippes sur un espace de plus d’une lieue. On ne se fait pas une idée, dans les pays du Nord, en voyant ces maigres quenouilles qu’on appelle des cyprès, du degré de beauté et de développement qu’acquiert, sous les chaudes latitudes, cet arbre ami des tombeaux, mais qui n’éveille en Orient aucune pensée mélancolique, et orne les jardins aussi bien que les cimetières. A côté de chaque tombe, on plante un cyprès ; tout arbre debout représente un mort couché, et comme dans cette terre saturée d’engrais humain la végétation jouit d’une grande activité, et que tous les jours de nouvelles fosses se creusent, la forêt funèbre s’accroît vite en hauteur et en largeur..Les Turcs ne connaissent pas ce système de concessions temporaires et de reprises de terrains qui fait ressembler les cimetières de Paris à des bois en coupes réglées. L’économie de la mort n’est pas si bien entendue par ces honnêtes barbares ; chaque mort, pauvre ou riche, une fois étendu dans sa dernière couche, y dort jusqu’à ce que les trompettes du jugement dernier le réveillent, et du moins la main des hommes ne l’y trouble pas. Près de la cité vivante, la nécropole s’étend d’un façon indéfinie, se recrutant d’habitants paisibles et qui n’émigrent jamais. Les inépuisables carrières de Marmara fournissent à chacun de ces citoyens morts un poteau de marbre qui dit son nom et sa demeure, et, quoiqu’un cercueil tienne bien peu de place et que les rangs soient pressés, la ville morte couvre plus d’étendue que l’autre. Des millions de trépassés gisent la depuis la conquête de Byzanoe par Mahomet If. À la tête de la fosse, on laisse une espèce de trou ou de conduit aboutissant à l’oreille du cadavre, pour qu’il puisse entendre les gémissements, les éjulations et le nénies de sa famille et de ses amis. Cette ouverture, trop souvent élargie par les chiens et par les chacals, est comme le soupirail’du sépulcre, comme le judas par lequel ce monde-ci peut regarder dans l’autre. Je me sentis pris d’une curiosité étrange, horrible : celle de regarder par ces trous pour surprendre le mystère de la tombe et voir la tombe dans son intérieur. Je me penchai par cette lucarne ouverte sur le néant, et je pus surprendre, tout à mon aise, la poussière humaine en déshabillé. J’apercevais le crâne jaune, livide, grimaçant, avec ses mandibules disloquées et ses orbites creuses ; la maigre cage de la poitrine oblitérée de sable ou d’humus noir, sur laquelle retombait nonchalamment l’os du bras. Le reste se perdait dans l’ombre et dans la terre. Ces dormeurs semblaient fort tranquilles, et, loin de m’effrayer comme je m’y attendais, ce spectacle me rassura. Il n’y avait plus là réellement que du phosphate de chaux, et, l’âme évaporée, la nature reprenait petit à petit ses éléments pour de nouvelles combinaisons. ■ Les cimetières musulmans servent aussi de promenades, et les dames turques y viennent souvent, sous le prétexte de parler aux âmes des morts, dépenser leurs longues heures d’oisiveté.

L’usage de la bénédiction des cimetières, dans les pays chrétiens, remonte à un temps très-reculé ; l’évêque en faisait le tour avec sa crosse ; l’eau bénite était portée devant lui. À Paris, il n’y a pas encore bien longtemps que les riches seuls avaient la faculté