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COLÉRIQUEMENT adv. (ko-lé-ri-ke-man — rad. colérique). Avec colère, d’une manière colérique : Répondre colériquement. || Peu usité.


COLÉRISER v. a. ou tr. (ko-lé-ri-zé — rad. colère). Mettre en colère, irriter :

Madame, ce faquin m’a tout colérisé.
             Th. Corneille.

|| Inusité.


COLÉRITE s. f. (ko-lé-ri-te — du gr. cholê, bile). Anc. chim. Liqueur acide dont on se servait autrefois pour essayer l’or.


COLES (J., seigneur de), poète français du XVIe siècle. Il ne nous est connu que comme auteur d’un poëme intitulé l’Enfer de Cupido (Lyon, 1555), orné de figures sur bois. Ce petit poème satirique, dirigé contre les femmes et dans lequel l’auteur raconte la visite faite par un amant malheureux à l’enfer où se trouvent les victimes de l’amour, est très-mal écrit, dit Brunet, mais fort rare, et par conséquent très-recherché par les bibliophiles.


COLES (Elisha), lexicographe anglais, né vers 1640, mort vers 1700. Après avoir professé avec succès les langues à Londres, il se vit contraint de quitter cette ville à la suite d’une affaire judiciaire dans laquelle il fut impliqué, et alla terminer sa vie en Irlande. Il a écrit en anglais plusieurs ouvrages, dont les principaux sont : le Maître d’école anglais complet ou Méthode d’épeler et de lire l’anglais (Londres, 1674) ; Traité de sténographie (1678. in-8o), qui a eu de nombreuses éditions ; Nolens volens ou Vous saurez le latin bon gré mal gré (1675) ; Dictionnaire anglais (1676) ; Dictionnaire anglais-latin et latin-anglais (1677, in-4o), etc.


COLÉSULE s. f. (ko-lé-zu-le — du gr. koleos, étui). Bot. Petite bourse membraneuse qui entoure les spores des hépatiques.


COLET (Jean), théologien anglais, né à Londres en 1466, mort en 1519, fils du lord-maire. Dans un voyage qu’il entreprit pour compléter ses études en France et en Italie, il se lia avec Robert Gaguin, Érasme, Budé et les hommes les plus distingués du temps, acquit une connaissance profonde du grec, alors peu connu, et, de retour en Angleterre, devint docteur, chanoine et doyen de Saint-Paul. Jean Colet attaqua les abus du clergé, professa le plus grand mépris pour les moines, blâma le célibat des prêtres, rejeta la confession auriculaire, fut accusé d’hérésie et faillit être condamné au feu. Il employa à la propagation de l’instruction la plus grande partie de sa fortune, et fonda à Londres l’école de Saint-Paul. On a de lui des ouvrages de théologie, des sermons, des Rudimenta grammatices (Londres, 1539) ; des Épîtres à Érasme, publiées pour la plupart avec les lettres de ce dernier.


COLET (Hippolyte), compositeur et musicographe français, né à Uzès en 1814, mort en 1851. Professeur au Conservatoire à Paris, il a produit des opéras-comiques, l’Ingénue et l’Abencérage, des quatuors, etc., et un ouvrage intitulé la Panharmonie musicale (1840).


COLET (Louise Révoil, dame), femme de lettres contemporaine, née à Aix, en Provence, le 25 août 1808, dans cette Provence ensoleillée et odorante qui rappelle la Grèce au temps où Théocrite écoutait chanter les bergers, où Bion répétait les plaintes de Vénus, où l’Amour mouillé venait frapper à la porte d’Anacréon endormi ; dans cette Provence où la poésie, la poésie vraie, c’est-à-dire tout à la fois simple et naïve, grande et forte, a trouvé son dernier refuge : Louise Colet était bien digne d’avoir un tel berceau.

Par sa mère, elle appartient à une vieille famille de robe ; M. de Servanne, son grand-père, était membre du parlement de Provence ; il fut l’ami de Mirabeau, et, comme lui, il applaudit et se mêla à la rédemption de 1789. Par son père, elle appartient au négoce. Fils d’un riche commerçant de Lyon, M. Révoil passa d’abord sa jeunesse à Naples et vint s’établir à Marseille ; après s’être mêlé au mouvement révolutionnaire, il devint tout à coup suspect. Obligé de fuir, il prend la route d’Aix ; le château de Servanne se rencontre sur ses pas ; il va frapper à la porte, qui s’ouvre toute grande devant le proscrit. À quelque temps de là, la jeune fille du maître de cette maison hospitalière, Mlle  de Servanne, devenait Mme  Révoil. C’est de cette union toute romanesque que naquit, elle huitième, Louise Colet, la muse dont nous avons à crayonner la sympathique et très-originale figure.

Un des derniers volumes publiés par Mme  Colet a pour titre : les Enfances célèbres. L’auteur aurait pu, et à bon droit, se placer elle-même dans cette galerie toute gracieuse, un peu triste aussi selon nous, car ils ont perdu une grande part du bonheur de cette vie, la plupart de ces enfants qu’une précoce intelligence a faits hommes avant l’heure. Il en fut ainsi de la jeune Louise, et la poupée que l’on berce et que l’on gronde, et la corde, et le volant, aucun jeu de fillette n’eut pour elle de charmes. Elle avait des goûts de travail que rien ne pouvait distraire, des besoins invincibles de solitude, une passion de lecture qui l’absorbait tout entière ; son imagination la transportait sans cesse dans un monde idéal : à dix ans, elle lisait nos grands poëtes et essayait déjà de parler leur divin langage.

À quatorze ans, Louise eut le malheur de perdre son père ; cette douloureuse séparation rendit la jeune fille plus rêveuse, plus amoureuse de solitude, et partant plus studieuse, plus avide que jamais de tout connaître, de s’identifier à tout ce qu’il y a de beau et de noble. Ici un détail douloureux : Louise était née, avons-nous dit, le huitième et dernier enfant de M. Révoil. Dans ce cas, on est ordinairement ou haï de ses aînés ou ardemment aimé par eux, qui veulent être, disent-ils en leur tout naïf et joli langage, « votre petit père » et « votre petite mère. » Louise était douée d’une beauté ravissante, angélique, et son intelligence était merveilleuse ; en toutes choses elle formait contraste avec ses aînés : elle fut haïe par eux. Lorsque la belle muse fait un retour vers le passé, que devant son esprit se présentent ces pages de sa vie, son cœur se serre. Nous n’insisterons donc pas, de peur que ces lignes ne tombent sous ses yeux. Et puis n’avait-elle pas de grands dédommagements aux sottes moqueries que lui valait son amour de l’étude ?

À la mort de M. Révoil, la famille, qui habitait Aix, se retira au château de Servanne. Si la Provence, comme nous le disions tout à l’heure, est la Grèce de la France, la portion qui comprend le château de Servanne est l’Attique de cette Grèce. Ce fut déjà un aliment de plus pour la poétique imagination de la jeune Louise, que le paysage au milieu duquel elle vécut dès lors, paysage borné par la chaîne des Alpines, tout parsemé d’orangers en fleurs et de lavande odorante, d’où l’on voit par intervalle s’élever quelques débris de monuments romains ou la flèche toute blanche d’une église de village, Saint-Remi par exemple.

Un autre aliment se joignait à celui-là, et le complétait pour ainsi dire ; c’était la bibliothèque du château, où l’enfant passait les heures qu’elle ne donnait pas à la rêverie dans les sentiers fleuris et ombreux. C’est là que, en compagnie des grands poètes, de tous les sublimes esprits qui ont inscrit leur nom sur le livre d’or qui raconte les progrès de la pensée humaine, elle forme son jeune esprit, coordonne ses pensées, régularise, s’il est permis de parler ainsi, son imagination.

Ici se place un épisode qui, dans la vie de Mme  Louise Colet, fut un événement décisif. Toutes les personnes distinguées par l’esprit ou par la naissance qui se rendaient à Saint-Remi, à Aix, à Nîmes ou dans une ville non éloignée, se hâtaient de faire une visite à Servanne. Un jour, les portes du château s’ouvrirent devant une femme élégante, jeune encore, et qui, par sa beauté, par son esprit et surtout par ses amours, avait fait beaucoup de bruit vers la fin du siècle dernier ! C’était Julie Candeille, la maîtresse platonique de Vergniaud, devenue femme de M. Périer, directeur des beaux-arts à Nîmes. Louise n’était point là pour la recevoir avec sa mère. Où était-elle ? « Sous un bosquet, à rêver sans doute, » dit ironiquement quelqu’un de ses frères. En effet, Louise rêvait sous un bosquet, et c’est là que l’illustre visiteuse la rencontra tenant un manuscrit à la main : ce manuscrit était écrit de sa main d’enfant, c’étaient des vers. Julie les lut, puis se les fit réciter par la jeune muse et fut enthousiasmée. À quelques jours de là, la nouvelle Corinne rendait visite à Mme Périer, qui la priait de jeter quelques vers sur un album où se lisaient les noms, illustres déjà, de Lamartine, Hugo, Vigny… Louise n’hésita pas, et la poésie au bas de laquelle elle écrivit son nom fut trouvée fort belle. Ce succès l’enhardit, et la voilà envoyant à des journaux de Lyon, de Marseille, de Paris, des vers signés simplement : « Une femme. » Sa mère, toute glorieuse de ce jeune talent, l’encourageait comme l’avait encouragée autrefois M. Révoil, qui pressentait un bel avenir à cette blonde enfant aux grands yeux bleus, au regard profond. Cette mère aimée mourut en 1835, au milieu des premiers triomphes de son enfant. Louise en ressentit une douleur profonde, dont on retrouve l’écho dans un superbe poëme intitulé : Ma mère. Presque à la même date, elle perd une amie d’enfance, une jeune fille de quinze ans, à la mémoire de laquelle elle consacre de ravissantes pages. En voici un fragment :

. . . . . . . . . . . . . . .

Jamais esprit plus pur, jamais formes plus belles ;
Elle avait tout d’un ange, âme et corps, moins les ailes,
Les ailes qu’en venant vers nous elle quitta,
Pour les trouver au ciel quand elle y remonta.
Elle est morte à quinze ans dans une paix profonde,
Avant d’avoir ouvert son âme chaste au monde,
Morte, ne connaissant que le toit paternel,
Que l’église des champs dont elle ornait l’autel ;
Que les pauvres venant recevoir le dimanche
L’aumône qui tombait de sa main frêle et blanche.

. . . . . . . . . . . . . . .

Un jour, des vers empreints de la même tristesse douloureuse parvinrent jusqu’aux oreilles, au plutôt jusqu’au cœur d’un jeune compositeur, Hippolyte Colet, de Nîmes, grand premier prix de Rome.

L’enthousiasme de l’artiste alla jusqu’à solliciter de Mlle Louise Révoil la permission de mettre en musique quelques-unes de ses poésies ; elle y consentit. L’admiration du jeune homme grandit de jour en jour ; loin de l’étouffer, il en fit part à Louise, qui se sentit vivement touchée et partagea l’amour du passionné méridional.

Les deux enfants de la Provence se virent, s’aimèrent et s’unirent. Bientôt après, M. Colet fut obligé de partir pour Paris ; Louise, qu’aucune affection ne retenait plus à Aix, l’accompagna. M. Colet devint professeur au Conservatoire, tandis que sa femme reprenait la plume. Autour de ce jeune talent on vit bientôt se grouper Alexandre Dumas, Charles Nodier, Babinet, etc.

En 1837, Mme Colet fit paraître les Fleurs du Midi ; ce volume commença sa réputation. Peu de temps après, les académiciens de toutes les écoles prodiguèrent des lauriers au talent de la muse et des myrtes à sa beauté. Mme Louise Colet était toujours blonde, fraîche, souriante ; néanmoins, on découvrait dans son œil bleu une force de volonté, une mâle résolution qui faisait présager qu’elle ne resterait pas enfermée dans l’humble sphère aimée par la plupart des femmes parce qu’elle est faite pour elles.

Mme Colet voulait la lutte, les émotions orageuses de la vie ; elle voulait surtout la liberté de penser tout haut. Son talent énergique, brutal parfois, lui valut beaucoup d’envieux, partant beaucoup d’ennemis.

Cette dixième muse, ainsi que quelques-uns l’ont appelée, se lassa de ne manier qu’une fragile « lyre » (style de l’époque dont nous parlons). Un jour elle se réveilla lionne ; sa main blanche aux ongles roses s’arma soudain ; le sang venait de lui monter au cerveau. Ses vers avaient fait couler bien des larmes, l’auteur voulait faire trembler maintenant. Quelle était l’occasion, sinon la cause, de cette révolution subite ? Pourquoi cette grande colère ? Parce que la critique l’assaillait de toutes parts, railleuse, méchante, implacable ; parce qu’on niait le talent de Mme Colet, parce qu’on lui disputait la trop large place qu’elle prenait au soleil.

Alphonse Karr lui-même, oubliant, tout homme d’esprit et de goût qu’il était et qu’il est encore, oubliant qu’il s’agissait d’une femme, dirigea les dards aigus de ses guêpes contre la muse du Midi. Leurs petites pointes venimeuses ne se contentèrent pas de percer l’épiderme, elles plongèrent et replongèrent jusque dans la vie intime de l’auteur. Hommes ou femmes qui sortent de la foule appartiennent au public, nous le savons, mais il y a des bornes, et ces bornes Alphonse Karr, cet humoriste charmant qui cultive avec tant d’amour les violettes et les roses ; ces bornes, avouons-le, le jardinier-poëte les franchit en cette circonstance.

La lionne blessée rugit, si bien qu’un soir elle s’arme résolûment… non d’un poignard, non d’une fine lame de Tolède, comme disaient les romantiques chevelus d’alors, mais… d’un prosaïque couteau de cuisine. Notre poëte féminin voulait se venger ; elle avait une fille, elle avait un mari ; mais celui-ci, il faut le croire, oubliait quelquefois son rôle d’homme pour le laissera sa femme. Arrivée devant la porte de son ennemi, Mme Louise Colet attendit dans une exaltation fiévreuse, se demandant si elle n’irait pas jusque chez lui tuer celui qu’elle avait condamné. Le spirituel critique lui évita cette peine ; il descendit calme comme l’innocence, ayant une cigarette à la bouche et des idées souriantes plein le cœur. Tout à coup il aperçoit une main, toute petite, toute blanche, mais armée, mais menaçante. Sans plus s’émouvoir, le jardinier de Nice, qui à cette époque ne cultivait pas spécialement les fleurs, arrache l’arme homicide, l’examine dans tous les sens, la met précieusement dans sa poche de gauche, sur ce même cœur qui avait failli cesser de battre un instant auparavant, puis il continue à fumer sa cigarette.

Mme Louise Colet n’a plus que ses ongles, que ses dents : elle dédaigne de s’en servir et s’en retourne révoltée de sa défaite…

Le modeste couteau à manche noir, et qui heureusement n’avait effleuré que le drap d’une antique robe de chambre, figure chez l’auteur des Guêpes parmi les mille curiosités que les admirateurs ont données comme souvenir au conteur inimitable. Au-dessous, comme légende, on lit ces mots :

    
DONNÉ À ALPHONSE KARR

PAR MADAME LOUISE COLET......

        DANS LE DOS.

Cette petite scène mélodramatique a tourné au ridicule, on ne la conte plus que le sourire aux lèvres. C’est peut-être fâcheux, une blessure eût sans doute fait réfléchir les critiques malveillants quand même et mal élevés, le drap lui-même avait été à peine effleuré ; c’était un duel à la balle de liége, au pain d’épice, à la moelle de sureau, au fromage de Gruyère : notre Charlotte Corday n’était plus justiciable que du ridicule.

Une autre fois, l’impétueuse méridionale souffleta en pleine rue un jeune homme dont elle avait à se plaindre et qui passait près d’elle sans la saluer. Nous ne savons pas ce que ce monsieur a fait de son soufflet ; il lui était assez difficile de le placer sur une étagère comme avait fait Alphonse Karr de son poignard ; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il l’a gardé.

À la nouvelle de cette correction, un illustre philosophe improvisa, dit-on, pour l’héroïne cette devise :

Maxime sum mulier ; sed sicut vir ago,

Louise oublia vite ces accidents extrapoétiques dans l’étude, qui fut toujours, quoi qu’on en ait dit, sa grande, sa vraie passion. La Revue de Paris publia successivement sous sa signature, déjà honorablement connue et aimée, plusieurs nouvelles, dont une, Sylvio Pellico, fut surtout remarquée. À quelque temps de là, elle concourait pour le prix de poésie proposé par l’Académie française : le Musée de Versailles. Elle sortit victorieuse de ce concours. Trois fois depuis cette époque, elle s’est remise sur les rangs, et trois fois elle a été couronnée. Cette succession de triomphes est peut-être la page la plus intéressante de la vie de notre auteur. Laissons-la nous la raconter elle-même. Voici ce qu’écrit Mme Colet dans la préface du petit volume publié par M. Lévy en 1855, et renfermant les quatre poëmes heureux : « Nous avons concouru quatre fois pour le prix de poésie, et quatre fois nous l’avons remporté. Comme cela n’était jamais arrivé à aucune femme, le public s’est étonné, et quelques-uns ont crié à la faveur. Nous avons repoussé du sourire, et aujourd’hui nous repoussons de la parole cette opinion. Chaque fois que nous avons eu le prix, c’est appuyée par la poésie contemporaine, par une de ces forces vives dont nous parlions tout à l’heure, protection accordée à l’œuvre et non à la personne.

« En 1839, à peine connue par la publication de quelques vers, nous apprîmes, cinq jours seulement avant la clôture du concours, que le sujet du prix proposé était le Musée de Versailles. Ce sujet nous tenta, et nous fîmes précipitamment le chant sur Versailles, tel que nous le publions aujourd’hui. Le souffle général, et çà et là quelques strophes, frappèrent, Népomucène Lemercier ; il se fit l’avocat de nos vers et il les défendit avec cette conviction et cette conscience qu’il a mises dans tous les actes de sa vie. Le prix nous fut décerné ; il fut même doublé, à cause du sujet national que nous avions chanté. L’ouverture du musée de Versailles préoccupait alors tous les esprits ; notre poëme eut un grand retentissement, qui tenait moins à son mérite qu’à l’événement qu’il célébrait.

« En 1843, malade depuis quelques mois, et presque dans l’impossibilité de travailler, nous ne songions guère au concours de poésie, dont le sujet était : le Monument de Molière. Un jour Béranger vint nous voir ; il nous parla avec tant d’éloquence, de verve et d’émotion de la vie de Molière, qu’après l’avoir entendu nous écrivîmes presque sans désemparer un chant, non sur le monument qu’on élevait au grand homme, mais sur l’homme lui-même. Béranger, qui avait été cette fois notre initiateur, devint notre appui à l’Académie même ; il recommanda nos vers, sans nommer l’auteur, à son ami M. Lebrun, et, pour la seconde fois, nous obtînmes le prix.

« Nous laissâmes s’écouler plusieurs années sans nous préoccuper de lauriers académiques. Au commencement de 1851, sous la République, l’Académie donna pour sujet de son prix de poésie : la Colonie de Mettray. Nous composâmes un chant rapide et ému qui fut envoyé et jugé par l’Académie sans recommandation. Le secret avait été si bien gardé, et par conséquent l’impartialité fut telle, que Victor Hugo, qui se fit le défenseur de la poésie, l’attribuait à un jeune poëte républicain, et il répétait à ses confrères ce vers :

Ayons de ces grands cœurs où bat le cœur de tous !

comme résumant tout l’esprit de notre pièce sur Mettray. Mais l’Académie, préoccupée des événements récents et de ceux dans l’attente desquels on vivait, crut sentir un souffle socialiste dans notre poésie, qui ne renfermait qu’un souffle de justice et de charité. Le prix ne fut pas décerné, et le concours sur le même sujet fut remis à l’année suivante.

« En 1852, les événements avaient changé ; on ne craignait plus les entraînements de la liberté, et notre poëme, que nous renvoyâmes au concours en y changeant seulement quelques vers, ne parut plus révolutionnaire à l’Académie. Elle n’y vit que ce qu’il renferme en effet, un esprit de mansuétude et de commisération pour tous. Nous obtînmes le prix pour ce poëme rejeté l’année précédente.

« Le sujet du prix de poésie de 1853 fut l’Acropole d’Athènes. Cette fois, ce ne fut pas l’espérance d’un succès qui nous détermina à concourir, ce fut l’amour du sujet même. Nous avions dit notre admiration instinctive pour tout ce qui tient à l’art grec, dans des vers depuis longtemps publiés :

Moi, fille de la Grèce en deçà de ma vie !
Mes aïeux ont baigné leurs flancs dans l’Ilissus.
Du sang des Phocéens mes pères sont conçus,
Et mon cœur a gardé de la race première
Le triple amour de l’art, du beau, de la lumière.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


    Famille, courant qui se brise ;
    Qui sait l’influence transmise
    Du sang inconnu des aïeux ?

« Fille de cette colonie phocéenne où l’art grec s’était transmis sans altération, quoiqu’en passant au travers, ou plutôt à côté de l’art romain, nous avions joué enfant et médité jeune fille parmi les ruines des temples et du théâtre d’Athènes. La Maison-Carrée de Nîmes nous avait fait rêver du Parthénon. Nous avions vécu pour ainsi dire dans des colonies d’Athènes, et la mère patrie nous préoccupait toujours. Aussi ce magnifique sujet de l’Acropole ne nous inspira-t-il point, comme les autres concours, une sorte d’improvisation. Nous relûmes Pausanias, nous étudiâmes Muller,