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CONT

CONTESTANT (kon-tè-stan) part. prés, du

v. Contester : Des plaideurs contestant la

compétence du tribunal.

CONTESTANT, ANTË adj. (fcon-tè-stan,

an-te — rad. contester). Qui conteste ; qui

aime à contester, à disputer :

J’entends de ces esprits que Montaigne déteste, Misanthropes, chagrins, lâches, présomptueux, Contestants, aheurtés, fourbes, malicieux.

Scarkon.

— Jurispr. Qui conteste en justice, qui nie devant un tribunal le droit ou les allégations d’un autre ; Les parties contestantes.

— s. m. Celui qui nie ou révoque en doute : J’apprends que vous êtes du nombre des contestants ou de ceux qui donnent la découverte à l’observateur piémontais. (Ch. Bonnet.)

— Jurispr. Celui qui conteste en justice, qui plaide :

Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre,

Jetant des deux cotés la patte en même temps. Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.

La Fontaine.

Il Celui quT attaque un règlement entre des créanciers.

CONTESTATION S. f. (kon-tè-sta-si-onlat. contestatio ; de contestari, contester). Action de contester, refus d’accéder aux allégations ou aux prétentions de quelqu’un : La contestation d’un droit, il Débat de paroles, contradiction, opposition : Accepter sans contestation. Se livrer à d’interminables conthstations. Dès que l’amour-propre se mêle d’une contestation, elle devient interminable. (De Sègur.) De ce que le bien est un besoin, il n’en résulte pas qu’il soit une notion claire, évidente, non susceptible de contestation, (Thiers.)

La contestation est ici superflue.

Et de tout point, caez moi, l’affaire est résolue.

Molière.

Il Débats, querelles résultant de prétentions rivales : Le voisinage est une source de contestations entre tes États comme entre les particuliers. Les contestations en justice ont presque toujours pour première cause un défaut de bon sens. Les druides prononçaient sur toutes les contestations des particuliers. (B. Oonst.)

Mettre en contestation, Contester, révoquer en doute : Cela ne devrait pas être mis en contestation. (Boss.)

— Ane. jurispr. Contestation en cause. Premier règlement ou appointement sur les demandes ou défenses, en matière civile, ou sur la confrontation en matière criminelle : Après la contestation, on ne pouvait plus récuser le juge. (Bachelet.)

— Liturg. Ancienne partie de la messe qui, dans la liturgie gallicane, tenait lieu de préface, et dans laquelle était exposé le mystère que l’on célébrait, ou la vie du saint dont on faisait la fête.

— Loc. adv. Sans contestation, Incontestablement : L’Écriture est le plus ancien livre, sans contestation, qui soit au monde. (Boss.)

—• Syn. Contestation, altercation, controverse, etC. V. ALTERCATION.

CONTESTE s. f. (kon-tè-ste — rad. contester). Débat, contestation, dispute, procès : Madame fut très-gaie : elle me conta les contestes à Blaye avec B..., de la manière la plus plaisante. (Chateaub.) il Ce mot a vieilli.

— Loc. adv. Sans conteste, Incontestablement, sans contredit ; sans contestation, sans contradiction, sans débat : L’instruction appartient sans conteste à la science. (Vacherot.)

La maison, à présent, comme saveE de reste, Au bon monsieur Tartufe appartient sans conteste.

Molière.

— Rem. Le mot conteste n’étant guère employé que dans les locutions en conteste, sans conteste, il est assez difficile d’en déterminer le genre par des exemples empruntés aux écrivains ; nous l’avons fait féminin sur lu foi de l’Académie ; mais nous n’oserions blâmer l’exemple suivant, où l’auteur l’a fait masculin : Je l’ajourne à mon lit de mort, pour agiter nos grands contestes à ces portes que l’on ne repasse plus. (Chateaub.)

CONTESTÉ, ÉE (kon-tè-sté) part, passé du v. Contester. Disputé, revendiqué par plusieurs ; Biens contestés. Droits contestés. Succession contestée.

— Discuté, nié, révoqué en doute : Article contesté. Fait contesté. Ce point est contesté. La science est devenue une i»surrection contestée dans le domaine de la littérature. (Ste-Beuve.)

Pans quel temps, en quel lieu de la terre habitée, La puissance de l’or fut-elle contestée ?

Viennet.

— Prat. Cause non contestée, Celle que l’on peut renvoyer, et sur laquelle il n’y a eu ni règlement ni plaidoirie.

— Antonymes. Avéré, reconnu, incontesté.

CONTESTER v. a. ou tr. (kon-tè-sté — lat. contestari ; de cunt, avec, et testari, témoigner). Ne pas admettre, ne pas reconnaître, refuser d’accéder à ; revendiquer contradictoirement : On lui conteste le titre qu’il prend. Il me conteste ma qualité. On lui conteste cette succession, cette ferre, cette propriété. Qui contestera au génie l’indépendance qu’il

CONT •

tient de la nature et qu’il ne se laisse point ravir ? (M.-J. Chénter.) On ne peut contester à un être intelligent l’usage de son esprit, de sou jugement et de sa raison. (Portalis.)

— Par ext. Nier, révoquer en doute : Contester un fait, la vérité d’un fait. Sied-il bien à des lettrés de Paris de contester l’antiquité d’un livre chinois regardé comme authentique par tous les tribunaux de la Chine ? (Volt.) On ne saurait contester que la diversité des mesures ne brouille tes commerçants pendant un temps infini. (J.-J. Rouss.) Il y a des vérités que personne ne conteste, quoiqu’on n’en puisse fournir des preuves immédiates. (Chateaub.) Montaigne fait le conte de je ne sais quel grand qui, fatigué de la complaisance et de l’éternelle approbation de son confident, lui dit un jour : « Pour Dieu, con- TESTE-mot quelque chose, afin que nous soyons deux ! » (P.-L. Cour.) // n’est pas une qualité de l’âme qu’on ne puisse contester’ au menteur. (Latena.) Notre temps est condamné à voir successivement contester et défendre les vérités évidentes. (Montalembert.)

— Récuser, décliner la compétence de *. Le conseil de Louis XIV déféra à des autorités qu’il aurait pu contester. (Volt.)

— Jurispr. Nier l’existence ou la validité de : Contester une créance.

— Intransitiv. Être en dispute, en discussion ; élever une contestation : Je ne veux pas contester avec vous. Ils ont longtemps contesté là-dessus. Je vous fais un récit, et vous contestez contre moi/ Il ne faut jamais disputer sur un fait. (Pasc.)

J’aime a vous obéir, seigneur, sans contester.

Corneille.

La mouche et la fourmi contestaient de leur prix.

La Fontaine.

À l’égard de la dent, il fallut contester.

La P’ontaihe.

À quoi bon contester pour une bagatelle ? Céder est plus prudent et sauve une querelle.

VlLLEFEÉ.

Après qu’on cul bien contesté, Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice, Leur dit : • Je vous connais de longtemps, mes amis, »

La Fontaine.

— Jurispr, Contester plus amplement, Procéder a une nouvelle instruction, réitérer les débats sur des faits qui ne paraissent pas suffisamment éclaircis.

Se contester v. pron. Être, devoir être contesté, nié, révoqué en doute : Un droit si bien établi ne se conteste pas. C’est un fait qui ne saurait se contester. L’esprit se conteste moins que le génie. (Uoiste.)

— Réciproq. Contester l’un à l’autre, ne pas reconnaître l’un à l’autre : Tel et tel corps se contestent l’un à l’autre la préséance. (La Bruy.)

— Gramm. Quand ce verbe est employé négativement et complété par une proposition amenée par la conjonction que, le verbe de cette proposition secondaire peut prendre ne sans qu’il 3’ ait négation formelle dans la pensée : Je ne conteste pas que vous n’ayez quelques motifs de vous plaindre.

— Antonymes. Admettre, concéder, avouer, reconnaître, trouver juste ou bon.

CONTESTEUR s. m. (kon-tè-steur — rad. contester). Celui qui conteste, qui aime à contester :

Je ne dis pas qu’un contesteur n’ennuie ; Mais il est bon quelquefois que l’on nie. Scarron.

CONTEUR, EUSE s. (kon-teur, eu-zerad. conter). Celui, celle qui fait ou qui a l’habitude de faire des contes, des récits, des histoires’ : Un conteur agréable. Un conteur ennuyeux. Tout conteur se répète : voilà l’inconvénient du métier. (Essais de littér.) Le métier de conteur est puérilité dans les jeunes gens et faiblesse dans les vieillards. (St-Evrem.) Les conteurs d’histoires ressemblent aux gens gui vivent d’emprunt ; leur crédit ne dure pas. (Lévis.)

L’un d’eux était de ces conteurs qui n’ont Jamais rien vu qu’avec un microscope.

LA Fontaine.

Si l’on voulait a chaque pas

Arrêter un conteur d’histoire, Il n’aurait jamais fait...

La Fontaine.

Le risque que courent ceux qui aiment à conter, c’est de se répéter. Un conteur de profession, auquel on reprochait ce défaut, répondit assez naïvement : « Il faut bien que vous me permettiez de vous redire de temps en temps mes petites histoires, sans cela io les oublierais. »

Conteur de fables, d’histoires, de sornettes, de chansons, de fagots ou simplement Conteur, Menteur, homme qui fait des récits mensongers ou puérils : Aristote a rangé parmi les conteurs de fables ceux qui ont écrit les Assyriaques. (Boss.) ’

LeB hommes comme vous ne sont que des conteurs.

Corneille.

Conteur de fleurettes, on simplement Conteur, Homme qui cajole les femmes :

Elle en aimait fort une à qui l’on en contait, Et le conteur était un gentilhomme. De ce logis, bien fait et galant homme.

La Fontaine.

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— Littér. Écrivain, auteur de contes : C’est un de nos plus charmants conteurs. L’art du. conteur est de réduire l’action à ce qu’elle a d’original et d’intéressant. (Marmontel.) Nous souffrons les invraisemblances des historiens, mais nous sommes intraitables o»ec (es conteurs. (Ch. Nod.) Boccace ne s’est pas fait faute de s’enrichir des dépouilles de nos conteurs. (E. Littré.) Tallemant continue sans effort la race des conteurs et des auteurs de fabliaux, il a la veine de Rabelais. (Ste-Beuve.)

— Adjectiv, Qui aime à conter ; qui est plein de récits ; Z’Iliade avait précédé, dans l’ordre des temps, la conteuse Odyssée. (Patin.) La France normande a imprégné de son génie conteur le génie analytique de l’Angleterre. (Ph. Chasles.)

En cercle un même attrait rassemble autour de l’aire La vieillesse conteuse et l’enfance folâtre*

Delille..

— Encycl. Les conteurs, race à peu près disparue depuis l’imprimerie et surtout grâce à la multiplicité des gazettes et des journaux, ont joué un rôle important dans les sociétés qui nous ont précédés. Depuis le vieil Homère récitant ses chants immortels sur les bords de la mer d’ionie, jusqu’à ces rapsodes napolitains qui naguère encore disaient sur les rives de Chiaia des stances de l’Arioste ou du Tasse, ils forment une longue famille qui a eu ses jours de gloire et son époque de décadence. Dans toutes les sociétés naissantes, le conteur a sa place marquée ; qu’il s’appelle rapsode dans la Grèce, barde dans les Gaules, scalde dans le Nord, son rôle est le même. Il est le gardien des traditions ; il dit aux. guerriers les nobles faits de leurs ancêtres ; H raconte au peuple les histoires merveilleuses de son origine. Quand son rôle héroïque est terminé, quand l’écriture a fixé les traditions dont il était le dépositaire, il ne disparaît pas pour cela ; il se borne à amuser ceux que, auparavant, il instruisait, et alors commencent ces récits, ces contes, ces anecdotes qui vont sans cesse se répétant et s’augmentant, et forment une phase nouvelle qui n est pas la moins curieuse dans l’histoire de l’esprit humain. La Grèce, si amoureuse des fables, ne manqua pas de conteurs ingénieux ; la Rome impériale en avait sur ses places publiques pour amuser le peuple et le distraire du souvenir de son ancienne liberté. Mais c’est surtout en Orient, la véritable patrie des contes, qu’on les trouve en grand nombre. À ces imaginations si portées au merveilleux, il fallait un guide pour les promener dans le pays enchanté de la fantaisie ; avant d’être fixés par l’écriture, les contes des Mille et une nuits avaient été répétés cent fois par ces conteurs, qui jouent dans les cafés de l’Orient le même rôle que nos artistes actuels dans les cafés chantants, et attirent les consommateurs par le charme et l’imprévu de leurs récits, comme une chaii’ teuse par sa renommée. La politique elle-même avait favorisé de semblables usages, et le calife Hakem, pour empêcher ses sujets de s’occuper des affaires du gouvernement, avait ordonné que chaque café aurait son conteur attitré : c’était bien connaître ses sujets et leur amour passionné pour les beaux contes. Aujourd’hui encore, au Japon, les cow teurs voient sur les places publiques la foule suspendue à leurs lèvres, quand ils lui font des récits d’amour, de guerre ou d’aventures.

Mais c’est surtout au moyen, âge que les conteurs jouent dans notre France un rôle important, et dont il est facile de nous rendre compte. Sous le nom de jongleurs, de troubadours, de trouvères, de ménestrels, ils s’en vont récitant soit leurs poésies, soit celles qu’ils ont apprises. Ils paraissent, et aussitôt les ponts-levis se baissent, les portes des châteaux s’ouvrent toutes grandes devant eux. Les nobles dames avec leurs damoiselles se pressent autour du poète qui vient interrompre la monotone solitude du manoir, et écoutent avidement ses tensons et ses lais amoureux. Les pages à l’air éveillé, les varlets à l’air rude et grossier, les chevaliers mêmes sous ces armures colossales qui étonnent encore notre imagination, suivent attentivement ces récits de guerre et d’amour. Ce n’est pas seulement dans l’intimité du foyer, c’est dans les fêtes publiques, les cours plénières et autres grandes solennités de cette époque que les conteurs ont leur place marquée. Point de réjouissance où ils ne figurent, point de festin qu’ils n’animent de leurs récits tantôt galants et passionnés, tantôt moqueurs et licencieux. Les dons généreux dont on les comble sont une preuve certaine du plaisir qu’on trouve à les écouter ; les seigneurs se dépouillent de leurs plus riches habits pour les en couvrir, les dames de leurs plus chersjoyaux pour les en parer. Dans la demeure du bourgeois et du vilain, le conteur n’est pas moins bien accueilli que dans les châteaux, et il y trouve toujours des auditeurs complaisants. S’il est égaré le soir, partout il reçoit l’hospitalité, et c’est avec un conte qu’il paye son écot ; s’il est sur le bord d’une rivière, le passeur le prend dans son bac et ne lui demande d’autre prix qu’une histoire. Aux tournois, aux noces, aux enterrements, aux baptêmes, partout on le retrouve, comme nous l’apprend un curieux fabliau intitulé le Voyage de Dieu et du jongleur, fabliau qui n’est pas à la louange des conteurs, et montre qu’ils n’étaient pas toujours d’une délicatesse exagérée. D’après ce singulier récit, où l’on traite Dieu avec une familiarité qu’on ne sa permettrait pas

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dans notre siècle sceptique, Dieu s’associe avec un jongleur pour aller courir le monde et faire fortune. Dans le premier endroit où ils arrivent, il y a une noce et un enterrement : le jongleur choisit la noce et laisse l’enterrement à Dieu. Quand ils se retrouvent le soir, le jongleur revient les mains vides, tandis que Dieu, qui a ressuscité le mort, a reçu une belle somme d’argent qu’ils partagent. Ils se mettent ensuite a souper avec un chevreau donné par les parents du mort ; le jongleur escamote les rognons du chevreau, les mange et affirme à son compagnon qu’il n’y en avait point. Le lendemain, la même occasion se présente ; cette fois-ci, le jongleur choisit l’enterrement et envoie Dieu à la noce. Arrivé vers la pompe funèbre, il promet de ressusciter le mort ; en vain son compagnon lui a expliqué de quelle façon il faut B’y prendre, il 11e peut y parvenir, et il est sur le point d’être pendu. Heureusement Dieu vient à son secours : « Je vais te sauver, lui dit-il, mais jure-moi que tu n’as pas mangé les rognons. • Le jongleur, sur son salut et sa part de paradis, jure qu’il n’y en avait pas. Malgré ce mensonge, Dieu sauve le mort et tire son compagnon d’embarras ; puis il prend l’argent qu’il a reçu des parents du mort et en fait trois parts : « Celle-là est pour toi, dit-il au jongleur, celle-ci pour moi, et la troisième pour celui qui a mangé les rognons. » Le jongleur, qui n’avait pas rougi de tromper son compagnon, qui avait préféré mourir et perdre son âme plutôt que d avouer son mensonge, n’hésite plus devant l’appàtde l’argent : « C’est moi qui ai mangé les rognons, » s’écrie-t-il en mettant la main sur La troisième part.

Ces conteurs, devenus mendiants, avides, intéressés, allaient disparaître devant le progrès de la civilisation et la découverte de l’imprimerie. Bientôt ils furent complètement oubliés, et c’est à peine si leur trace se retrouve dans les élégants conteurs de salon ’du siècle dernier. L’histoire littéraire a gardé le nom et nous a conservé le souvenir de ces charmants causeurs qui faisaient les délices des ruelles, des salons et des soupers de cette époque. Un des plus renommés était Duclos, qui tenait de nos anciens conteurs et par la verve sarcastique et par la liberté de ses expressions. On sait qu’il avait pour système que tout peut se dire devant des temmes honnêtes ; aussi ne se faisait-il pas faute de raconter dans les plus nobles salons les aventures les plus scabreuses. Un jour qu’il avait dépassé la mesure, et que, malgré leurs éventails, les marquises avaient été obligées de rougir, l’une d’elles lui dit : ■ Hé I Duclos, vous nous traitez trop en honnêtes femmes 1 » Qui n’a entendu parler de ce fameux souper où les femmes les plus aimables, les écrivains les plus spirituels faisaient assaut d’esprit ? C’était un combat, un tournoi véritable, où chacun arrivait avec son arme fourbie et préparée d’avance : malheur à celui qui manquait son entrée ou n’attaquait pas assez vivement ; il s’exposait à la mésaventure de cet homme d’esprit, dont parle Marmontel, et qui, un jour, eut le malheur de faire un conte beaucoup trop long et de tirer de sa poche un petit couteau pour découper une dinde : • Monsieur le comte, lui dit la maitresse de la maison, à table il faut de petits contes et de grands couteaux. » Avec cette société spirituelle, mais frivole, disparurent les conteurs de salon. Aujourd’hui, l’art de la conversation est perdu ; nous avons des hommes qui s’intitulent graves et sérieux, et qui le plus souvent ne sont qu’ennuyeux. Le conteur de village, ce précieux compagnon des longues soirées d’hiver, s’est lui-même effacé devant les progrès de la civilisation, et les journaux à un sou l’ont remplacé au coin du foyer animé jadis par ses joyeux récits.

Nous ne pouvons terminer cet article sur les conteurs sans rapporter la singulière invention dont s’avisa un jour l’un d’eux. C’était à leur époque la plus florissante, alors qu’à la cour des rois il y avait une charge de conteur comme il y a aujourd’hui une charge de lecteur. A celui qui la possédait incombait la difficile tâche d’amuser son seigneur à toutes les heures du jour et de la nuit, aussi bien pendant les repas que le soir lorsqu’il était dans son lit et qu’il ne pouvait s’endormir, tâche qui n’était pas toujours amusante et facile. Or, un jour il arriva justement qu’un roi fit appeler son conteur pour lui aider à attendre 1 heure du sommeil ; celui-ci, qui mourait d’envie de dormir, fit tous ses efforts pour s’en dispenser ; mais il eut beau faire, il fallut obéir. Il prit donc un parti et commença ainsi : ■ Sire, il y avait un homme qui avait 100 écus d’or, et avec son argent il voulut acheter des moutons ; chaque mouton lui coûta 6 deniers et il en eut deux cents. Il s’en revint à son village avec ses moutons, les chassant devant lui. Mais, en revenant, il trouva que la rivière était débordée, car il avait beaucoup plu et les eaux s’étaient répandues dans la campagne. Comme il n’y avait point de pont, il ne savait comment passer avec ses moutons. Enfin, à force de chercher, il trouva un bateau ; mais ce bateau était si petit qu’il ne pouvait y passer que deux moutons à la fois. » Alors le conteur se tut. « Eh bien ! dit le roi, quand il eut passé ces deux-lù, que fit-il ? — Sire, répondit le conteur, vous savez que la rivière est large, le bateau petit et qu’il y a deux cents moutons ; il leur faut du temps. Dormons un peu, tandis qu’ils pas-