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se présentait de profil, à la droite de la Vierge, à genoux, les mains jointes et la tête nue ; il était armé de toutes pièces ; son épée était horizontalement suspendue à la hauteur des hanches ; les molettes de ses éperons étaient énormes ; son heaume, surmonté d’une couronne, était posé à terre devant lui, et sa lance s’élevait verticalement à son côté gauche sans qu’on pût comprendre ce qui la soutenait. Jeanne Darc était placée en face du roi, dans une attitude complètement symétrique. Ses longs cheveux flottaient librement sur ses épaules. Elle portait, ainsi que Charles VII, une armure complète, de grands éperons, l’épée horizontale. Son heaume, qui était à terre, n’avait pas d’ornement. Sa lance s’élevait à sa droite, ornée d’un pennon aux armes de la ville. Les quatre figures reposaient sur un piédestal, d’environ 4 mètres de longueur, formé de trois compartiments carrés renfermant chacun une table destinée à recevoir une inscription. Il existe plusieurs dessins de ce monument. Léonard Gaultier en a fait une gravure pour le Panégyrique de Jeanne Darc, par Hordal (Pont-à-Mousson, 1612) ; cette gravure, formant le frontispice du livre, porte la légende suivante : Statua in memoriam Ioannae Virginis Aureliœ ponti superposita ; les figures allégoriques de la Force et de la Virginité (Fortitudo comes est perpetua Virginitatis) sont placées au-dessous de la composition principale. Sur un autre feuillet du livre, L. Gaultier a gravé une figure équestre de Jeanne Darc : la Pucelle est représentée galopant en rase campagne sur un cheval vu de profil, dont elle tient les rênes de la main gauche ; elle appuie la main droite sur sa hanche ; elle porte une cuirasse, mais elle n’a ni lance, ni épée ; une écharpe flotte derrière ses épaules ; sa tête, vue de trois quarts, est coiffée d’une toque ornée de plumes.

En 1745, le vieux pont d’Orléans devant être démoli, le monument de Jeanne Darc fut enlevé et transporté dans les magasins de l’hôtel de ville, où il resta jusqu’en 1771. À cette époque, Hector Desfriches, habile dessinateur orléanais, fut chargé de le disposer dans le petit enfoncement formé par l’embranchement des rues Nationale et de la Vieille-Poterie. Il apporta à son tour quelques changements à l’œuvre restaurée par Lescot. Ce monument disparut pour toujours pendant la tourmente révolutionnaire. Les statues servirent à faire des canons, dont l’un reçut le nom de la Pucelle d’Orléans, Quelques années après, au moment où la France retrouvait en face d’elle sa vieille ennemie, l’Angleterre, les Orléanais se ressouvinrent de l’héroïne qui avait sous leurs murs vaincu le léopard britannique. Le conseil municipal adressa au premier consul une pétition à l’effet d’obtenir l’autorisation d’élever une nouvelle statue en l’honneur de la Pucelle, et non-seulement sa demande fut accueillie avec empressement, mais encore le ministre de l’intérieur voulut concourir pour 5,000 fr. à la souscription, qui fut alors ouverte dans toute l’étendue du territoire français, « Décider l’érection du monument fut une affaire d’enthousiasme, dit M. de Buzonnière, mais l’exécuter était chose plus difficile. Pour cela il fallait comprendre le XVe siècle et le caractère spécial de la vierge guerrière ; or, au commencement du XIXe, on ne connaissait d’autres femmes héroïques que celles des républiques de Sparte ou de Rome. Le courage était un élan, le dévouement un sacrifice, mais il n’y avait au fond de tout cela que l’honneur ou l’amour exalté de la patrie. Un statuaire pouvait exprimer Charlotte Corday, mais Jeanne Darc !… On se représenta cette fille si calme, si recueillie, si dévouée, comme une sorte d’amazone fière, provocante, terrible, insultant à l’ennemi terrassé. Un artiste de talent, Gois fils, se pénétra de ces sentiments et les résuma si parfaitement que, lorsqu’il produisit le modèle de la statue, ce fut une salve unanime d’applaudissements. Le conseil municipal, dans le prospectus de souscription qu’il fit répandre, en vanta l’élégance et le beau mouvement, et, ce qui est vraiment inconcevable, il proclama que le costume était la reproduction exacte des monuments les plus authentiques. » La statue de Gois fut inaugurée, en 1804, sur la place du Martroy, d’où on l’a transférée, en 1855, sur la rive gauche de la Loire, en avant du pont. Elle a été remplacée, à cette époque, par une statue équestre de bronze, fondue d’après le modèle exécuté par Foyatier. Nous donnons ci-après la description de ces deux statues, bien inférieures l’une et l’autre à la figure en pied et à la statuette équestre que la princesse Marie d’Orléans, fille de Louis-Philippe, a faites de la vierge de Domremy.

Jeanne Darc a inspiré un grand nombre d’œuvres d’art, parmi lesquelles nous citerons : les tableaux d’Ingres, de Delaroche, de Henri Scheffer, de Devéria, de Saint-Evre, auxquels nous consacrons des articles spéciaux ; la Captivité de Jeanne Darc, tableau de Ducis exposé au salon de 1831 ; Jeanne Darc <quittant Vaucouleurs, tableau de Millin du Perreux, et Jeanne Darc blessée au siège d’Orléans, tableau de Vinchon (musée d’Orléans) ; Jeanne Darc à Domremy, à Orléans et à Reims, bas-reliefs exécutés par MM. Jouffroy et Valette, pour la décoration de la cheminée du grand salon de l’hôtel de ville d’Orléans ; un médaillon de bronze par M. Chapu, pour la ville de Melun (Salon de 1868) ; Jeanne Darc écoutant ses voix, statue de marbre, par M. P.-G. Clère ; Jeanne Darc sur le bûcher, statuette de marbre, par M. H. Ferrat, et Jeanne Darc vouant ses armes à la Vierge, tableau de Mme Laure de Châtillon (Salon de 1869) ; Jeanne Darc en prison et Jeanne Darc armée surprise par l’évêque de Beauvais, gravures de Bonnien, etc.

La plupart des gravures anciennes et modernes représentant l’image de Jeanne Darc ont été exécutées d’après un tableau d’auteur inconnu, du XVe ou du XVIe siècle, que l’on conserve à l’hôtel de ville d’Orléans. Ce tableau, qui a subi d’assez graves altérations par suite de retouches maladroites, représente l’héroïne debout, tenant de la main droite une épée nue dont la pointe est tournée vers le ciel, et laissant tomber son bras gauche le long du corps ; elle est coiffée d’une sorte de toque ornée de plumes et fixée par des attaches qui passent sous le menton ; sa tête est inclinée vers l’épaule, ses regards ont une expression de douce tristesse ; son cou est orné de deux colliers, dont l’un est formé de petits anneaux entrelacés ; elle est vêtue d’une robe à la mode du temps, qui laisse à découvert le haut de la poitrine. Ce portrait a été interprété plus ou moins fidèlement par Jean Le Clerc le jeune (1612), par L. Gaultier, B. Moncornet, A. de Marcenay (avec fond de paysage), N. Le Mire (1774), N. de Launay, Delâtre (d’après un dessin de F.-M. Queverdo), Bougon (d’après un dessin de Debizemont), C.-S. Gaucher, R. Delvaux, Ferdinand, G. Engelmann (lithographie, 1820), etc. Le chevalier Albert Lenoir avait dans sa collection une ancienne peinture reproduisant assez exactement le portrait de l’hôtel de ville d’Orléans, mais réduit au buste. Cette peinture a été lithographiée par Mlle  A. Prieur, et paraît avoir servi aussi de modèle aux petites gravures exécutées depuis, pour des publications illustrées, par Bein, Audibran, Beisson, etc. La collection des portraits, au cabinet des Estampes de la Bibliothèque impériale, renferme une gravure assez curieuse, dont l’auteur nous est inconnu ; Jeanne Darc y est représentée en pied, couverte d’une cuirasse, coiffée d’une toque ornée de plumes et dégainant son épée ; autour de cette figure sont disposés sept petits médaillons où sont retracés les faits principaux de la vie de la Pucelle : 1° elle vient saluer le roy à Chinon ; 2° elle faict lever le siège d’Orléans aux Anglois ; 3° elle prend Troyes contre l’advis des chefs qui vouloient lever le siège ; 4° elle faict sacrer le roy à Reims ; 5° la bataille de Patay en Beausse ; 6° elle est blessée à la jambe devant Paris ; 7° les Anglois la font brusler vive à Rouen. Les emblèmos suivants complètent cette composition : une main dévidant un peloton, avec l’inscription Regem eduxit labyrintho ; un aigle, avec ces mots : Mares haec femina vincit ; une ruche : Regnum mucrone tuetur ; un phénix renaissant de ses cendres : Invito funere vivet. La figure de Jeanne, que l’on voit dans cette estampe, paraît être la reproduction d’un tableau que Simon Vouet fit pour la Galerie des hommes illustres, exécutée pour le cardinal de Richelieu, tableau qui appartient aujourd’hui au musée d’Orléans et qui a été gravé par L.-J. Cathelin. Des figures de Jeanne Darc, de pure fantaisie, ont été gravées par N.-J. Voyez, Sergent (en couleur, 1787), Ch. Ransonnette (d’après Raffet). Citons encore des lithographies de V. Adam, Hahn (d’après un tableau de Steinle, faisant partie de la collection de M. de Radowitz), Hesse, etc., et, pour finir, une assez piquante composition de G. de Saint-Aubin, gravée à l’eau-forte par N. Ransonnette, et représentant Voltaire écrivant son poème de la Pucelle : le poète, vêtu d’une robe de chambre, est assis, de profil, dans un fauteuil, accoudé sur son bureau, une plume à la main, et regardant en souriant les médaillons de Charles VII et de Jeanne Darc que lui montre un Amour tenant un flambeau ; un petit satyre, accroupi sur le bureau, présente l’encrier au poète ; un autre bambino apporte les médaillons d’Agnès Sorel et de Dunois.

Nous terminerons cette énumération des compositions artistiques consacrées à Jeanne Darc, en signalant une œuvre encore inédite, dont nous avons eu le plaisir de voir l’esquisse dans l’atelier de l’auteur, et que nous croyons appelée à un grand succès. C’est un monument dédié aux Martyrs de l’indépendance nationale. Il se compose d’un piédestal couronné par un groupe représentant Vercingétorix, l’héroïque vaincu de César, et Jeanne, la sublime victime des Anglais. Debout l’un près de l’autre, revêtus de leur costuma de guerre, animés du même enthousiasme, du même patriotisme, ils se tiennent fraternellement la main, et, le regard plongé vers l’avenir où ils semblent lire les hautes destinées de la France, ils foulent au pied un joug. L’auteur de cette belle composition est M. Chatrousse, dont on a admiré, au Salon de 1869, un groupe des plus poétiques, la Source et le Ruisselet.

— Bibliogr. Il n’est peut-être aucun personnage de notre histoire dont l’origine, la vie, la mort et la mémoire, aient été l’objet de plus de recherches que l’humble et sublime bergère de Domremy. Nous allons en donner ici une nomenclature à peu près complète ; viendra ensuite une série de comptes rendus particuliers, par ordre chronologique, puis quelques études plus étendues.

Chronique de la Pucelle, poëme du XVe siècle, publié par M. Vallet de Viriville ; Mystère du siège d'Orléans (XVe siècle ; 25,000 vers) ; Chronique espagnole de la Pucelle (Historia de la Doncella d’Orléans) ; De Gestis Johannae virginis Franciae, poëme latin en quatre chants, de Valesan Vasanius (1501) ; autre poëme latin anonyme, écrit par un contemporain (manuscrit 5970 de la Bibliothèque impériale) ; Sibylla francica, seu de admirabili puella Johanna Lotharinga, etc., dissertatio (1606, in-4o) ; la Parthénie orléanaise, de Symphorien Guyon (Orléans, 1654, in-8o) : la Pucelle, de Chapelain (1656) ; la Pucelle, de Voltaire ; Histoire de Jeanne Darc, vierge, héroïne et martyre d’État, par Lenglet-Dufresnoy (1754, 2 vol.} ; Jeanne Darc, poëme de Southey (1790) ; la Pucelle d’Orléans, drame de Schiller (1801) ; Histoire de Jeanne Darc, par Lebrun des Charmettes (1817, 4 vol. in-8o) ; Jeanne Darc, ou Coup d’œil sur la Révolution de France, par Berriat Saint-Prix (1817, in-8o) ; Vie de Jeanne Darc, par Lemaire (1818, in-12) ; Jeanne Darc, tragédie de Soumet (1825) ; Jeanne Darc d’après les chroniques contemporaines, par M. Guido Gœrres (1843, in-8o) : Jeanne Darc, par Alex. Dumas (1843, in-8o) ; Histoire de Jeanne Darc, par l’abbé Barthélémy de Beauregard (1847) ; Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne Darc, par M. Quicherat (5 vol. in-8o) ; Jeanne Darc, par M. Michelet (1853) ; Vie de Jeanne Darc, par M. Lefontaine (Orléans, 1854) ; Recherches sur la famille de Jeanne Darc, par Vallet de Viriville (1854, in-8o) ; Vie de Jeanne Darc, avec des cartes d'itinéraire, par Abel Desjardins (Firmin Didot, 1854) ; Vie de Jeanne Darc, par Lamartine (dans le Civilisateur) ; Jeanne Darc et les conseillers de Charles VII, par Henri Martin ; Vie de Jeanne Darc, par M. Wallon.

PANÉGYRIQUES DE JEANNE DARC.

Tous les ans, le 8 mai, pendant les fêtes que célèbre la ville d’Orléans, en souvenir de sa délivrance par la Pucelle, il est prononcé à la cathédrale un panégyrique de Jeanne Darc. La plupart de ces morceaux oratoires ne s’éloignent pas du degré de médiocrité habituel à ce genre d’éloquence. Pompeux et vides, remplis de citations des Écritures où la pieuse héroïne se trouve en compagnie de Débora, de Judith et autres guerrières bibliques, ils ne peuvent à aucun point de vue servir l’histoire. Ce qui démontre leur complète inutilité, en dehors de l’espèce de pompe qu’ils ajoutent à la cérémonie, c’est que depuis plus de trois cents ans que cette homélie, toujours la même, est régulièrement prononcée, elle a moins fait en faveur de Jeanne, pour replacer sa physionomie sous son vrai jour, que deux ou trois études d’écrivains contemporains. On peut même aller plus loin. L’un des premiers panégyriques qui aient été conservés, celui qui fut prononcé à Orléans, le 8 mai 1759 (par le jésuite Claude de Marolles, suivant Barbier), n’est destiné qu’à établir deux points : 1° justifier la simplicité de nos pères, qui ont cru à la Pucelle, simplicité que le bon père qualifie d’extrême ; 2° démontrer que ce n’est ni l’iniquité des juges de Rouen, ni l’inertie du roi de France, ni la trahison des conseillers de Charles VII, qui livrèrent l’héroïne au bûcher, mais la Providence, qui avait ses raisons pour cela. En effet, le révérend Père, après avoir raconté cette fable qui fait désobéir Jeanne aux ordres de Dieu, lequel, après le sacre de Reims, lui ordonne expressément de s’en retourner chez elle, fait ainsi parler la Providence, sur le ton de Jérémie : « Écoutez donc ce que dit le Seigneur : Fille trop peu docile aux inspirations du ciel, l’arrêt qu’il va prononcer contre vous est le même dont il effraya jadis un saint prophète, coupable ainsi que vous d’une légère infidélité. Parce que vous avez osé franchir les bornes précises de la commission dont je vous avais honorée, vous serez livrée à des lions furieux, et vous n’aurez pas la consolation de mêler vos ossements avec ceux de vos pères ! Adorons, mes frères, cet épouvantable éclat de la colère d’un Dieu jaloux. » Restons-en à cette adoration.

M. de Géry, dans son panégyrique prononcé en 1779, voit surtout, comme résultat de la mission de Jeanne Darc, la France échapper au danger du schisme religieux qu’elle n’aurait pas manqué de partager si elle fut devenue anglaise. C’est là que le prédicateur voit le doigt de Dieu. Son homélie est du reste toute philosophique ; il fait bon marché des visions et des révélations de Jeanne, de tout ce surnaturel, « que vous refuserez de croire, » dit-il à ses auditeurs, et auquel il ne paraît pas croire beaucoup lui-même. Il entend ménager sur ce point « la délicatesse de son siècle, siècle des philosophes. » Quant au procès de condamnation, il s’en tire adroitement ; ce fut l’œuvre « d’hommes vils et mercenaires qui, dans ces temps encore barbares, avaient usurpé les clefs de la science, aussi ignorants et aussi superstitieux que la multitude qu’ils aveuglaient. » Transformer l’évêque de Beauvais, si savant, si subtil, Thomas de Courcelles, le rédacteur du procès, l’une des lumières du concile de Bâle, les évêques de Lisieux, de Noyon, de Boulogne et de Coutances, qui furent consultés, les soixante docteurs en théologie, chanoines, abbés, archidiacres, qui siégèrent, l’Université de Paris tout entière qui approuva ; transformer, disons-nous, tous ces théologiens en ignorants barbares et superstitieux, c’est un véritable coup de maître. Plus loin, le bon prêtre dit que tous ces hommes, si ignorants, « s’étaient depuis longtemps exercés dans ces sombres détours de la chicane, » afin d’insinuer sans doute pieusement que ce fut le parlement, et non pas l’inquisition, qui fit brûler Jeanne. On n’est pas plus habile.

Il est juste d’ajouter pourtant que les panégyristes de ces dernières années, tout en restant fidèles à ces vieilles traditions léguées par leurs prédécesseurs, se sont généralement tenus dans un niveau plus élevé, et ont essayé de rapprocher leur Jeanne Darc de fantaisie de la Jeanne Darc des historiens. Des orateurs renommés ont consacré leur talent à louer dans la chaire d’Orléans la grande héroïne ; tels sont l’abbé Feutrier (1821 et 1823), l’abbé Daguerry (1828 et 1856), l’abbé Pie, depuis évêque de Poitiers (1844), dont le discours n’est guère qu’une amplification pompeuse entachée d’erreurs historiques ; Mgr Gillis (1857), l’abbé Desbrosses (1861), l’abbé Pereyve (1862). Mais tous ces panégyriques sont primés par ceux que Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, prononça le 8 mai 1855 et eo 8 mai 1869. Dans le premier, il s’est élevé à une grande hauteur oratoire ; ce discours, ou plutôt cette improvisation, car le célèbre prélat aime à laisser beaucoup à l’inspiration du moment, est assurément une des grandes pages d’éloquence contemporaine. En racontant cette touchante histoire, où l’Angleterre joue un rôle odieux, Mgr Dupanloup sut ménager avec un tact exquis nos ennemis d’autrefois, alliés à la France devant Sébastopol ; il remplit toute l’assistance d’une indicible émotion, en parlant de la lâcheté de ceux qui abandonnèrent l’héroïne, et on peut dire qu’il fit courir un véritable frisson sur l’auditoire lorsque, arrivé au procès de Rouen, il s’écria : « J’aperçois parmi les juges un évêque ! ne suis-je pas le premier qui ait ici à baisser les yeux ? » Il est à regretter seulement que, malgré de beaux mouvements oratoires, dans ce panégyrique comme dans les plus médiocres, ce soit toujours, à certains points de vue, la Jeanne Darc de convention qui apparaisse, et non pas la Jeanne Darc historique. Le second discours, prononcé en 1869 devant un véritable concile d’évêques, a eu surtout pour objet de préparer la canonisation de l’héroïne, projet déjà ancien, abandonné et repris, que l’évêque d’Orléans voudrait voir accueilli en cour de Rome.

OUVRAGES HISTORIQUES SUR JEANNE.

Chronique de la Pucelle, ouvrage historique du XVe siècle, publié par M. Vallet de Viriville (1859, in-8o). D’après les conjectures de l’éditeur, il a été composé par Cousinot de Montreuil, neveu du chancelier Cousinot, contemporain de Jeanne Darc et qu’elle connut à Orléans. M. Quicherat lui croit une date quelque peu postérieure et n’y voit guère qu’une compilation faite à l’aide de l’histoire de Jean Chartier, du journal de Liège, et d’une Geste des nobles François depuis Priam, dont elle n’offre à vrai dire qu’une répétition pour ce qui regarde la Pucelle.

Des recherches de M. Vallet, il résulte que la Geste des nobles François, et un autre ouvrage cité par Jean le Féron, au XVIe siècle, sous le nom de Chronique de Cousinot, le chancelier, ne sont qu’un seul et même livre. Mais cet ouvrage qui, pour les premiers temps de la monarchie, n’est qu’une compilation, ne prend un véritable intérêt qu’à partir du règne de Charles VI, où il a toute l’allure d’une chronique contemporaine. La dernière partie, concernant Jeanne Darc, est extrêmement détaillée, et c’est là sans doute ce qui a donné l’idée à un parent de l’auteur, Cousinot de Montreuil, de la détacher du livre primitif, et, en l’amplifiant encore, d’en faire une Chronique de la Pucelle. La Geste des nobles ou Chronique de Cousinot, comme on voudra l’appeler, s’arrête brusquement en 1429, au moment de la campagne de Reims, et tout porte à croire que la rédaction des derniers chapitres est de cette année même. On a donc là un véritable document contemporain. Cousinot de Montreuil, en reprenant vingt ans plus tard cette partie de l’ouvrage de son oncle pour la terminer, a en outre intercalé quelques chapitres dans la partie déjà composée, afin de lui donner un ensemble et des proportions. Ce qui lui appartient en propre mérite assurément moins de confiance que ce qu’il a extrait et copié de la Geste des nobles ; cependant, d’après M. Vallet de Viriville, si l’on aperçoit dans ces passages de grandes ressemblances avec Jean Chartier et avec l’Histoire du siège, c’est la Chronique de la Pucelle qui est l’ouvrage original auquel ont puisé les autres historiens. M. J. Quicherat a plaidé la thèse contraire, et il est assez difficile de décider.

Quoi qu’il en soit, ce livre, contemporain en partie de la Pucelle et dont la rédaction complémentaire n’est pas postérieure à 1467, suivant M. Quicherat (1447, suivant M. Vallet de Viriville), offre un assez grand intérêt. C’est de là qu'ont été extraites les anecdotes les plus authentiques concernant Jeanne Darc, Denis Godefroy en ayant donné dès 1661, d’après l’unique manuscrit qu’on en possède, une édition reproduite plus tard dans la collection Roucher par M. Buchon. Ce document était à peine connu qu’on s’empressa d’y puiser. À la marche générale du style, à certaines lo-