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cutions, il est aisé de voir qu’on ne possède pas l’œuvre originale, mais une œuvre déjà rajeunie, avant même que Denis Godefroy lui fît souffrir de nouvelles altérations ; il est vrai que ce rajeunissement n’a dû porter que sur le style et n’altère pas le fond.

La Chronique de la Pucelle commence à la première année du règne de Charles VII et s’arrête à la levée du siège de Paris. Cousinot de Montreuil, pas plus que l’auteur de la Geste des nobles, n’a donc poursuivi jusqu’au bout son œuvre. Elle est surtout intéressante pour étudier l’entourage, les conseils du roi Charles VII. « C’est nécessairement, dit son éditeur, l’œuvre d’un homme non-seulement très-éclairé, mais qui occupait auprès du roi une position considérable. Aucun autre chroniqueur du parti français ne s’explique avec une telle aisance et des lumières aussi remarquables sur les plus grandes affaires, aussi bien que sur des particularités morales à la fois très-circonstanciées et très-intéressantes. Cette chronique nous rend compte, pour ainsi dire à chaque page, des séances du conseil privé de Charles VII, et son style, le ton de son langage est, en vérité, celui d’un membre de ce conseil. Il a dû converser, au sujet de certains détails qu’il rapporte, avec les hommes munis sur ces faits de l’autorité la plus haute et la plus compétente. » En enlevant à la Chronique de la Pucelle le prestige qu’on lui avait donné à tort en la faisant passer pour l’œuvre d’un clerc assistant Jeanne dans ses faits d’armes et écrivant sous sa dictée, comme cela se pratiquait beaucoup au XIVe et au XVe siècle, M. Vallet de Viriville ne lui a rien ôté de son autorité.

Pour compléter cet ouvrage, il y a joint un fragment de la Geste des nobles, comprenant le règne de Charles VI, et une chronique normande, qu’il attribue à P. Cochon, semi-homonyme du fameux évêque de Beauvais, chronique inédite de la même époque.

Jeanne Darc d’après les chroniques contemporaines, par M. Guido Gœrres (1834, in-8o). L’érudit allemand qui a composé cet ouvrage a essayé de dégager l’héroïque figure de Jeanne Darc des seuls témoignages contemporains, louable tâche, pour laquelle il lui manquait cependant les vastes travaux d’érudition publiés depuis en France. Aussi, dans ces chroniques dont il s’inspire, a-t-il confondu les fausses avec les véritables, le roman ou plutôt la légende avec l’histoire, et donné de l’importance à des documents sans aucune valeur. Ce livre peut être présenté comme le type de toute une série d’études entreprises sur Jeanne Darc plutôt dans le but de présenter un ouvrage agréable, bien proportionné, où l’anecdote se mêle au récit pour en rompre le cours monotone, que dans celui de restituer aux faits, aux hommes, à l’époque, leur véritable caractère. Ces sortes d’ouvrages sur la Pucelle d’Orléans sont fort nombreux, et, en réfutant celui de l’Allemand Guido Goerres, nous les réfuterons tous.

Le mysticisme vague et larmoyant dans lequel il est conçu est absolument faux, au point de vue de la critique moderne, et suffisait pour vicier les recherches les plus consciencieuses. Mais M. Guido Gœrres n’a même pas mis à profit les documents, si incomplets d’ailleurs, publiés dès le siècle dernier ou au commencement de celui-ci par Lenglet-Dufresnoy, Berryat-Saint-Prix et Lebrun des Charmettes. L’enfance de Jeanne, le voyage à Vaucouleurs et à Chinon, l’entrevue avec Charles VII, y sont racontés d’après des légendes apocryphes. Le rôle infâme des conseillers de Charles VII, est entièrement passé sous silence. Le siège d’Orléans, le sacre de Reims, faits consacrés par l’histoire, sont moins défigurés. Mais comment se fait-il qu’un historien passe sous silence toute la période qui s’étend du sacre au siège de Paris, période si instructive et où il est si facile de deviner les sourdes menées des adversaires de la Pucelle à la cour du roi ? Le procès n’est pas mieux raconté ; les faits sont présentés de manière à faire retomber tout l’odieux de la procédure sur l’évêque de Beauvais, afin de décharger d’autant, malgré l’histoire, tout le clergé de Rouen et l’Université de Paris, si âpres contre la pauvre héroïne. Les consultations des théologiens, — rédigées lors du procès de révision et alors que tout le monde voulait avoir soutenu et protégé Jeanne Darc, sont citées avec complaisance. Leurs mémoires, les fameux douze articles qui servirent de base à la condamnation, sont passés sous silence. On devine dans quel but.

Somme toute, les chroniques contemporaines dont M. Guido Gœrres fait usage se réduisent à la relation de Pierre de Sala, au Miroir des femmes vertueuses.

La seule étude originale qui accompagne tous ces détails, la plupart controuvés, est relative à la situation des esprits lors de l’apparition de Jeanne Darc. Expliquant le point de vue mystique auquel il s’est placé, M. Guido Gœrres a été conduit à rechercher les autres personnages mystiques, inspirés ou illuminés, prédécesseurs de Jeanne Darc, et en a fait un assez bon tableau.

Malgré ses nombreuses inexactitudes, l’ouvrage de M. Gœrres est assez estimé en Allemagne.

Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne Darc, publiés par M. J. Quicherat dans la collection de la Société de l’histoire de France (1849-1851, 5 vol. in-8o). Les deux procès n’occupent que les trois premiers volumes de cette importante publication, la plus considérable qui ait été faite sur Jeanne Darc ; dans les deux autres, M. J. Quicherat a recueilli tout ce qu’il a été possible de rassembler de documents contemporains ou presque contemporains de l’héroïne, fragments d’historiens du XVe siècle, chroniques, lettres, poëmes. La profonde érudition qui a présidé à la confection de ce recueil, la science des textes, la sagacité de la critique qui les éclaire, les rapproche et en fait sortir des aperçus nouveaux, en ont fait un ouvrage capital. Jeanne Darc y apparaît dans toute la réalité de l’histoire, dépouillée des ornements factices de la légende, et sa sublime figure s’y dessine avec d’autant plus de grandeur.

Le texte des deux procès est à lui seul, pour l’historien, une source très-précieuse ; aussi a-t-il été fréquemment mis à contribution, mais, avec peu de sagacité, avant nos historiens modernes, puisque c’est de divers fragments de ce texte même, mal interprété, qu’on avait déduit des faits entièrement controuvés. Le premier, M. de l’Averdy en avait donné une longue analyse (Notices et extraits des manuscrits, 3 vol. in-8o) accompagnée de remarques intéressantes et de notes historiques sur les personnages qui y figurent comme juges et comme assesseurs. M. J. Quicherat, dans son recueil, a publié les textes authentiques latins, les véritables pièces des procès. Le premier fut rédigé quelque temps après la condamnation, sur leurs notes d’audience, par les notaires ecclésiastiques chargés de cette besogne. La perte de ces notes d’audience, prises en français, est éminemment regrettable ; le cahier manuscrit existait encore lors du procès de réhabilitation, et il y fut produit par l’un des notaires. Il contenait tous les interrogatoires, les procès-verbaux seuls étaient écrits en latin. Cette minute précieuse, qui aurait dû être insérée dans tous les exemplaires du procès de réhabilitation, comme pièce à l’appui, ne le fut que dans un seul, celui de d’Urfé, et deux cahiers, comprenant les douze premières séances, sont perdus ; tout porte même à croire qu’ils étaient déjà perdus dès le règne de Louis XII. On ne possède donc de véritablement complète que la rédaction latine faite sur cette minute française aujourd’hui en partie perdue. Cette minute du procès, revêtue des signatures et des sceaux, fut copiée à cinq exemplaires, l’un pour le roi d’Angleterre, l’autre pour l’évêque de Beauvais, un troisième pour l’inquisiteur ; le quatrième fut envoyé à Rome, lorsqu’on sollicita la révision ; le cinquième enfin parut au procès de réhabilitation et y fut lacéré par sentence. Trois de ces précieux manuscrits existent encore ; l’un d’eux est déposé à la Bibliothèque du Corps législatif, les deux autres à la Bibliothèque impériale.

Les textes du procès de réhabilitation, beaucoup plus diffus, occupent les volumes II et III du recueil de M. Quicherat. Ils se composent, outre le décret royal d’information, de mémoires ou consultations, rédigées par des théologiens du temps, sur ce qu’on appelait alors le fait de la Pucelle, et des dépositions de témoins entendus dans les enquêtes faites à Rouen, à Vaucouleurs, à Orléans et à Paris. On conçoit qu’une enquête faite sur tant de points, par des délégués différents, manque de précision et d’uniformité. On n’en possède que les rédactions latines faites par les greffiers sur leurs minutes d’audience qui sont perdues, excepté la déposition de Jean d’Aulon, écuyer de la Pucelle, qui l’écrivit en français, ne pouvant comparaître personnellement, et que le greffier négligea de traduire. M. Quicherat a composé son édition sur le manuscrit connu sous le nom de d’Urfé, manuscrit incomplet, mais fort précieux en ce qu’il contient une rédaction primitive du procès de réhabilitation, et sur d’autres manuscrits de la Bibliothèque impériale, où est transcrite la grosse définitivement arrêtée par les rédacteurs.

Parmi les fragments de chroniques et de poëmes dont M. Quicherat fait suivre les deux procès, un des plus intéressants est la chronique de Perceval de Cagny, écuyer du duc d’Alençon, qui combattit aux côtés de la Pucelle à partir de la levée du siège d’Orléans jusqu’au siège de Paris. Cette chronique était inédite, et quoiqu’elle soit brève, rapide, elle a de l’importance, émanant d’un témoin oculaire bien placé pour voir. Ce fragment concernant la Pucelle est détaché d’une chronique des ducs d’Alençon. Jean Chartier, le Journal du siège d’Orléans, la Chronique de la Pucelle, l’Abrëvialeur du procès, ont encore fourni à l’érudit éditeur des morceaux d’histoire considérables, qu’il a complétés par des extraits choisis dans plus de cinquante autres écrivains ou poëtes au XVe siècle. Les pièces justificatives comprennent les lettres de la Pucelie et quelques-unes signées de ses compagnons d’armes, les comptes des villes où il a été fait mention de son passage ou de réquisitions de guerre ordonnées en son nom. Parmi ces lettres de la Pucelle, une surtout est curieuse en ce qu’on en possède l’original ; elle a été trouvée à Riom en 1844 et porte la signature de Jehanne. Jeanne Darc a, en effet, signé quelques-unes de ses lettres en se faisant guider la main.

En résumé, cet ouvrage est le recueil complet des documents et des témoignages que le XVe siècle nous a laissés sur Jeanne Darc.

Jeanne Darc d’après les chroniques contemporaines. Aperçus nouveaux sur l’histoire de Jeanne Darc, par M. Jules Quicherat (1850, in-8o). M. J. Quicherat tient un rang considérable parmi les historiens de Jeanne Darc, par les documents nouveaux qu’il a publiés, par les judicieuses remarques dont il les a accompagnés. Ce serait dire trop sans doute que d’avancer qu’il a fait voir l’héroïne absolument différente de ce qu’on l’avait vue avant lui ; mais il a redressé bien des erreurs, éclairci bien des points obscurs. La chronique de Perceval de Cagny, écuyer du duc d’Alençon, inédite avant lui, a surtout servi au judicieux critique à éclairer un point capital, ce que Jeanne appelle sa mission. Sur la foi du document connu sous le nom de Chronique de la Pucelle et d’une phrase mal interprétée du procès, Villaret, et après lui bien d’autres historiens, avaient établi qu’après la levée du siège d’Orléans et le sacre de Reims, Jeanne croyait sa mission terminée et qu’elle n’accompagna plus le roi qu’à regret, ce qui expliquait ses revers. C’est une légende apocryphe. M. Quicherat montre Jeanne Darc, dans cette période obscure de petits faits d’armes qui s’étend du sacre au siège de Paris, toujours pleine du même héroïsme, de la même activité fiévreuse, au milieu des intrigues de cour qui l’annulent et la font courir à sa perte sans la décourager un instant. D’une phrase de Jeanne, prononcée au cours du procès de condamnation, il conclut que, même près de mourir, elle savait qu’elle laissait sa mission inachevée, qu’il lui restait, suivant sa promesse, « à bouter les Anglais hors de France jusqu’au dernier » et à délivrer le duc d’Orléans, prisonnier en Angleterre. M. Quicherat tire de cette situation, qu’il a le premier bien entrevue, une induction très-forte. La confiance du peuple dans les promesses de la Pucelle avait été très-grande ; l’inaccomplissement de cette mission, dans laquelle il avait la foi la plus entière, ruina le prodigieux ascendant exercé jusque-là par l’héroïne. « Il n’y a qu’une révolution des esprits, dit-il, qui explique l’indifférence de la nation à son martyre, et il n’y a qu’un démenti attribué au caractère dont on l’avait crue revêtue qui explique la révolution des esprits. Comme les intrigues devant lesquelles elle échoua échappaient à la multitude, on la jugea incapable de tenir toutes ses promesses, et cela signifia pour les uns que le diable seul l’avait secondée au commencement, pour les autres que Dieu l’avait abandonnée à la fin. »

En ce qui se rapporte aux visions de Jeanne, en pressant les textes, en comparant les témoignages, M. Quicherat déclare qu’il prévoit de grands périls « pour ceux qui voudront classer le fait de la Pucelle parmi les cas pathologiques. » En effet, après avoir démontré la réalité des visions et cette sorte de prescience dont l’héroïne était douée, il rassemble sur elle tous les témoignages contemporains et fait voir qu’il faut absolument éloigner toute supposition d’hystérie.

Mais les deux points principaux que M. J. Quicherat a élucidés sont d’abord les intrigues de cour auxquelles Jeanne Darc dut sa perte, la sourde opposition de la Trémoille et de Regnault de Chartres, la bienveillance obtuse du conseiller Limaçon, le dédain et l’envie de Raoul de Gaucourt ; en second lieu, la prétendue trahison du gouverneur de Compiègne, Guillaume de Flavy. Avec autant d’autorité qu’il a établi ces ténébreuses intrigues, cette incurable malveillance des conseillers de Charles VII, il a réfuté cette légende apocryphe de la trahison de Compiègne et montré qu’elle n’apparaît que dans des textes bien postérieurs à l’événement. La trahison vint de la Trémoille et de l’évêque Regnault de Chartres, mais elle se manifesta par des manœuvres et non par un guet-apens. M. Quicherat voit la preuve de ces manœuvres dans la cynique satisfaction que laisse échapper l’évêque dès qu’il sait que Jeanne est prise (Lettre de Regnault de Chartres à la municipalité de Reims). Dans cet abominable document, l’évêque Regnault annonce, ainsi que nous l’avons dit plus haut, cette capture des Anglais comme une marque de la justice divine, qui avait voulu châtier une orgueilleuse, et déclare que d’ailleurs Jeanne a déjà un remplaçant à la tête de l’armée en la personne d’un berger visionnaire, qui accomplira bien mieux sa mission.

Le livre de M. Quicherat n’a pas la prétention d’être une histoire ; il ne se compose que d’une suite de réflexions inspirées à l’auteur par la laborieuse étude des textes. Ce sont des aperçus, fondés sur la comparaison des documents, et non pas un récit.

Recherches sur le nom et la famille de Jeanne Darc, par M. Vallet de Viriville (in-8o, 1854). Ce consciencieux érudit s’est appliqué à rechercher d’assez nombreuses particularités concernant Jeanne Darc ; il a plutôt éclairci les abords de son histoire qu’il n’a pénétré dans l’histoire même ; on lui doit sur ce sujet quelques découvertes heureuses.

En ce qui concerne le nom, M. Vallet de Viriville conclut qu’on doit l’écrire Darc et non d’Arc, et ruine l’hypothèse qui le ferait dériver du village d’Arc en Barrois, berceau supposé de la famille de Jeanne. Un des derniers descendants de la Pucelle, Charles du Lis, expose, dans une requête à Louis XIII, qu’un de ses ancêtres, Jean du Lis, réclamait en 1492 les anciennes armes de sa famille « qui étoient d’azur à l’arc d’or mis en fasce, chargées de trois flèches entre-croisées, les pointes en haut férues, deux d’or ferrées et plumetées d’or, et le chef d’argent au lion passant de gueules. » Ces armes des Darc, différentes de celles des du Lis, octroyées à la Pucelle, à ses frères et à leurs descendants par Charles VII en 1429, seraient en contradiction avec les termes mêmes de la patente royale, qui, en anoblissant Jeanne, dit que l’héroïne n’est pas de race noble et doute même qu’elle soit de condition libre : Non obstante quod ipsi… ex nobili genere ortum non sumpserint et forsan alterius quam liberae condiiionis existant. Quant à l’héroïne elle-même, interrogée au cours de son procès sur ce que l’on appelait alors le surnom, et ce que nous appelons le nom de famille, elle déclara d’abord ne pas connaître le sien ; puis, se ravisant le lendemain, elle dit se rappeler que son père se nommait Darc et sa mère Romée, et qu’on lui donnait, à elle Jeanne, indifféremment ces deux noms dans son pays. L’usage du nom de famille était alors peu répandu.

M. Vallet de Viriville a dressé une généalogie de Jeanne Darc, mais elle ne remonte qu’au père et aux deux oncles de l’héroïne. À partir de l’anoblissement, le nom change, et la famille se continue dans les du Lis. Les frères de Jeanne, Jean et Pierre du Lis, sont ses compagnons d’armes, et leur descendance paraît s’être maintenue dans un rang honorable. On voit parmi les fils et petits-fils de Jean un procureur fiscal à Domremy, un gentilhomme du duc de Guise, un commissaire d’artillerie, un chevalier de Malte, un écuyer du duc de Lorraine (1616) ; parmi ceux de Pierre, Jean du Lis, échevin d’Arras, Charles du Lis, avocat général à la cour des aides (1630), Luc du Lis, secrétaire du roi (1628). L’anoblissement n’ayant porté que sur Jeanne, son père et ses frères, ses autres parents continuèrent le nom Darc ; mais sauf un seul, Jean Darc, nommé arpenteur du roi en 1436 (à la rentrée de Charles VII à Paris), leur trace généalogique est perdue. Les du Lis se sont éteints au milieu du XVIIe siècle.

L’anoblissement conféré par Charles VII ne fut guère pour cette famille qu’une faveur stérile. Pierre du Lis, frère de la Pucelle, reçut près d’Orléans un petit domaine, l’Isle-aux-Bœufs, d’un revenu si insuffisant qu’il se mit, comme nous l’avons déjà dit, à la solde d’une fausse Jeanne Darc, connue sous le nom de la dame des Armoises, et fit semblant de reconnaître en elle sa sœur afin de retirer de cet expédient quelques ressources. Les comptes de la ville d’Orléans font mention de sommes si minces, qui lui furent données vers cette époque, qu’on ne peut les considérer que comme des aumônes. M. Vallet de Viriville, qui a recueilli sur la famille de Jeanne Darc tant de renseignements intéressants, paraît avoir ignoré ces curieux détails concernant le plus proche parent de la Pucelle.

Jeanne Darc, par M. Henri Martin (1857, in-8o). Écrite après la publication des documents considérables réunis par M. Quicherat, éclairée par toutes les recherches des érudits modernes, cette histoire peut être considérée comme le monument définitif élevé à la gloire de l’héroïne. D’autres historiens illustres, tels que Michelet et Lamartine, avaient pour ainsi dire pressenti, en l’absence de documents, le véritable caractère de cette vie tragique. Venu le dernier, M. Henri Martin a confirmé la vérité de ces aperçus et l’a appuyée sur des pièces historiques. Ce qu’il a victorieusement établi, ce sont les trahisons calculées des conseillers de Charles VII et surtout de l’évêque de Reims, Regnault de Chartres, « âme desséchée et sceptique, perfidement envieux de tout ce qui dépasse sa courte vue et ses vulgaires visées, » trahisons qui se poursuivirent jusque après la mort de l’héroïne, dont elles obscurcirent la mémoire, sous prétexte de la réhabiliter, vingt ans après le bûcher. La publication des pièces des deux procès a, dit l’historien, « révélé des mystères d’iniquité. » Ce sont ces mystères que M. Henri Martin a éclaircis, malgré les protestations des écrivains catholiques, MM. Dufresne de Beaucourt, Nettement et autres, décidés à ne voir absolument rien dans les nouveaux documents.

La période de la vie de l’héroïne qui a été la plus obscurcie par les historiens, soit qu’ils ne l’aient pas comprise, soit qu’ils n’aient pas voulu la comprendre, est celle qui suit le siège de Paris. M. H. Martin montre l’entourage du roi arrachant la Pucelle à ses hauts faits, à ses compagnons d’armes, lui faisant manquer sa mission pour la dépopulariser, suscitant ou accueillant des aventuriers, des moines extatiques pour la contrefaire. Il montre que son martyre ne commença pas seulement dès qu’elle fut prise à Compiègne, et qu’elle eut plus de douleur peut-être encore à se voir ainsi abandonnée, trahie, qu’à tomber entre les mains des Anglais.

Le procès de condamnation, avec ses demandes captieuses et tout cet appareil scolastique dans lequel on essaya d’envelopper la naïve victime, est pour M. H. Martin l’objet de l’examen le plus attentif. Il a fait ressortir avec une grande force l’iniquité des juges, des prêtres, des docteurs de l’Université de Paris, qui prêtèrent les mains à cet acte odieux. Les figures des deux docteurs Jean d’Estivet et Thomas de Courcelles, celui que l’on appela « la lumière du concile de Bâle, •