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94 DANT DANT DANT


n’avaient eu aucune réalité : eh bien, qu’on fouille l’immense procédure de cette affaire, conservée aux archives de la cour impériale de Paris, on n’y trouvera pas le moindre vestige d’une action quelconque de Danton sur les tueries de septembre.

Et maintenant, qu’il ait dit quelques jours auparavant : « Il faut faire peur aux royalistes ! » cela est possible, mais non certain ; et, dans tous les cas, on ne pourrait inférer de cette phrase, justifiée d’ailleurs par l’effrayante situation du pays, que l’énergique tribun songeât à comprendre le meurtre dans les mesures de défense nationale.

On allègue aussi la trop fameuse circulaire du comité de surveillance contenant l’apologie des massacres, et qui aurait été expédiée dans les départements sous le couvert et le contre-seing du ministre de la justice. La plupart des historiens ont répété cette assertion d’après Mme Roland et Bertrand de Molleville. Eh bien, il existe encore des exemplaires de cette circulaire, qui en outre a été souvent reproduite ; et nulle part elle ne porte le contre-seing ni la griffe de Danton. Qu’un certain nombre d’exemplaires aient été expédiés sous le couvert du ministère de la justice, c’est-à-dire sans doute, avec le timbre de cette administration sur l’enveloppe des paquets, cela n’est pas rigoureusement impossible ; mais cela impliquerait-il nécessairement l’adhésion du ministre ? Cette expédition, si elle a réellement eu lieu, ne pourrait-elle avoir été faite par quelque employé gagné ou intimidé ? Ce qu’il y a de certain, c’est que le contre-seing de Danton, pas plus que celui de son secrétaire général ni d’aucun employé du ministère, ne se trouve au bas de la circulaire.

Enfin, on rapporte encore que les gardes nationaux parisiens qui avaient escorté les prisonniers d’Orléans, et qui n’avaient pu les empêcher d’être massacrés à Versailles, ayant été chargés, par les autorités de cette ville, de déposer au ministère de la justice les effets des victimes, Danton les aurait harangués de cette manière : « Celui qui vous remercie, ce n’est pas le ministre de la justice, c’est le ministre de la Révolution. »

Sans rechercher quel peut être le sens de ces paroles, nous constaterons qu’on ne les rencontre ni dans le Moniteur, ni dans les 'Révolutions de Paris, ni dans Mme Roland, ni dans Peltier, ni dans la prétendue Histoire impartiale, ni dans les Deux amis de la liberté, si acharnés. contre Danton. Les historiens qui les mentionnent ne nous font point connaître la source où ils ont puisé, et nous croyons qu’on ne les trouve dans aucun document contemporain. Il est donc permis d’admettre qu’elles ont été ou dénaturées, ou peut-être entièrement supposées. Qui les a entendues ? Qui en garantit l’exactitude ? Là est toute la question.

En résumé, et sans pousser plus loin ces analyses, il nous paraît de la dernière évidence que Danton n’a eu aucune part directe aux massacres de septembre.

Ce qui n’est pas moins avéré, c’est qu’il n’a rien fait non plus pour les empêcher. Mais on peut adresser le même reproche à Roland et aux autres ministres girondins. Nous examinerons en son lieu ce que pouvaient faire, en de telles circonstances, les pouvoirs publics et les autorités de Paris.

On a supposé aussi que Danton, sans tremper dans les exécutions, les considérait comme inévitables ; qu’il les avait acceptées comme une nécessité fatale. La discussion de cette conjecture nous mènerait trop loin. Bornons-nous à rapporter ici les paroles du ministre Garat, qui appartenait au côté droit, mais qui avait d’ailleurs plus d’impartialité que ses collègues :

« Danton a été accusé de participation aux horreurs de septembre. J’ignore s’il a fermé ses yeux et ceux de la justice quand on égorgeait ; on m’a assuré qu’il avait approuvé comme ministre ce qu’il détestait sûrement comme homme ; mais je sais que, tandis que les hommes de sang auxquels il se trouvait associé, par la plus grande victoire de la liberté, exterminaient, etc., Danton, couvrant sa pitié sous des rugissements, dérobait à droite et à gauche autant de victimes qu’il lui était possible, et que ces actes de son humanité, à cette même époque, ont été relatés comme des crimes envers la Révolution dans l’acte d’accusation qui l’a conduit à la mort. » (Garat, Mémoires, 1794.)

Nommé député de Paris à la Convention nationale, Danton prit place à la Montagne et se démit de ses fonctions de ministre de la justice. Dès la première séance, il fit décréter qu’il ne pourrait y avoir de constitution qui n’eût été ratifiée par le peuple. C’était répondre aux accusations absurdes de dictature et de triumvirat que colportaient déjà les girondins. Ce fut aussi sur sa proposition (amendée par Couthon) que l’Assemblée déclara que la sûreté des personnes et des propriétés était sous la sauvegarde de la nation. Il fit décider ensuite que les juges pourraient être indistinctement choisis parmi tous les citoyens.

On sait que peu de jours après la réunion de la grande assemblée éclata la fatale querelle entre la Gironde et la Montagne. Nous en avons déjà tracé l’esquisse à l’article convention ; ce déplorable sujet reparaîtra nécessairement aux notices sur les girondins et les montagnards, et sur le 31 mai ; nous n’en dirons donc que peu de chose ici, et nous n’en prendrons que ce qui sera indispensable pour expliquer le rôle de Danton.

Aux premières attaques des girondins, ce tribun si véhément fit appel à la concorde, au nom des périls publics, au nom de la patrie menacée par la ligue de tous les rois ; et plus les prétendus modérés multipliaient leurs agressions violentes, plus il s’efforçait de calmer les passions. C’est d’ailleurs un fait bien remarquable et bien connu que, dans ces premiers temps, la mansuétude, l’esprit de conciliation apparaissaient chez les hommes auxquels on reprochait l’exagération des principes, tandis que les sages, les modérés (ou réputés tels) ne se faisaient remarquer que par leurs inextinguibles fureurs. Chaque séance était troublée par les polémiques les plus violentes. Les girondins, qui visiblement s’effaçaient comme parti et dont toutes les candidatures avaient échoué à Paris, s’efforçaient de ressaisir la puissance en écrasant leurs adversaires. De là leurs accusations continuelles contre Robespierre, Danton, Marat, la Commune de Paris et tous les révolutionnaires du parti de la Montagne.

Chose curieuse ! Danton, dont l’esprit net et pratique sentait les nécessités du moment, le besoin d’une politique d’audace et d’énergie, et qui, comme homme d’action, appartenait à la Montagne, se rapprochait cependant des girondins par ses opinions intimes, qui, au fond, étaient très-modérées. De là sa longanimité à supporter leurs accusations, leurs sanglantes injures, les avances qu’il persista si longtemps à leur faire, et sa répugnance à les frapper. Par son génie large et compréhensif, nullement exclusif ou fanatique, par sa tolérance pour toutes les opinions, même pour les passions et les faiblesses, par cette indulgence un peu dédaigneuse qui est un des attributs de la force, il était admirablement doué pour servir de lien, de trait d’union entre les deux grands partis qui divisaient la République ; et l’histoire lui doit cette justice qu’il avait compris ce rôle et qu’il ne négligea rien pour le remplir.

Mais ses adversaires ne le voulurent point ; ils le poursuivirent avec une opiniâtreté de haine dont il y a peu d’exemples dans les luttes de parti, et ils parvinrent enfin, à force de violences et de sanglantes calomnies, à le rejeter définitivement dans le camp de leurs ennemis.

Et cependant, quand ils furent renversés, au moment où l’échafaud se dressait pour eux, cet homme aux emportements farouches avait conservé pour ses insulteurs un reste de pitié et de sympathie. C’est encore Garat qui nous le raconte :

« J’allai chez Danton ; il était malade ; je ne fus pas deux minutes avec lui sans voir que sa maladie était surtout une profonde douleur et une grande consternation de tout ce qui se préparait. Je ne pourrai pas les sauver ! furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche ; et, en les prononçant, toutes les forces de cet homme, qu’on a comparé à un athlète, étaient abattues ; de grosses larmes tombaient le long de ce visage dont les formes auraient pu servir à représenter celui d’un Tartare. »

Ceci se passait en octobre 1793, après une année des plus terribles combats.

Nous avons parlé plus haut des accusations lancées par les girondins et des projets de dictature et de triumvirat qu’ils prêtaient à Robespierre, à Marat et à Danton. Une autre question suscita des polémiques passionnées, celle des dépenses ministérielles pour assurer le succès de la Révolution. Nous en dirons quelques mots en discutant les accusations de vénalité qui ont longtemps pesé sur la mémoire de Danton.

Le 1er décembre 1792, le grand tribun avait été nommé par l’Assemblée commissaire en Belgique avec Lacroix. Il en revint le 14 janvier suivant, vota la mort du roi sans appel ni sursis, et motiva son vote de la manière suivante : « Je ne suis point de cette foule d’hommes d’État qui ignorent qu’on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu’on ne frappe les rois qu’à la tête, qui ignorent qu’on ne doit rien attendre de ceux de l’Europe que par la force de nos armes. Je vote pour la mort du tyran. »

Le 31 janvier, sur un nouvel ordre de la Convention, il repartit en Belgique, laissant sa femme gravement malade (elle mourut le 10 février). Cette mission, coupée par plusieurs voyages à Paris, est demeurée célèbre, moins par les immenses services rendus par les commissaires que par les reproches de concussion qui leur furent adressés. Suivant leurs ennemis, ils se seraient enrichis des dépouilles de la Belgique. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, les biographes et les historiens ont assez généralement répété sans examen les calomnies traditionnelles. Les hommes de la Révolution, d’ailleurs, avec l’étonnante crédulité de la passion, se sont eux-mêmes, au milieu de leurs luttes acharnées, renvoyé les accusations souvent les plus absurdes ; les chefs de la réaction, maîtres définitifs après les grands combats, les ont naturellement reprises en les enrichissant d’inventions nouvelles. Puis sont venus les historiens systématiques, qui, dispensant la réhabilitation à leurs seuls élus, ont sauvé tel ou tel de ces grands citoyens, en abandonnant les autres à leur damnation presque séculaire. De nos jours, cependant, l’histoire de la Révolution a fait de notables progrès, soit par les travaux fragmentaires, soit par ces grandes biographies, toujours un peu exclusives, mais qui ont accumulé de précieux matériaux et porté la lumière sur un grand nombre de points.

Une question qui parait résolue, c’est celle de la prétendue vénalité de Danton. M. Eug. Despois en avait déjà fait l’objet d’une étude dans la Revue de Paris du 1er juillet 1857. M. Bougeart, et ensuite le docteur Robinet, l’ont traitée à fond et d’après les pièces authentiques. Notre cadre ne nous permet pas de suivre les laborieux historiens dans leurs démonstrations péremptoires ; nous ne pouvons que présenter un résumé succinct. On sait que Danton a été accusé de s’être vendu à la cour et d’avoir notamment reçu 100, 000 livres pour le remboursement de sa charge d’avocat aux conseils, qui n’en valait que 10, 000, suivant l’assertion que La Fayette a consignée dans ses mémoires. Or, il est constaté par les pièces officielles qui existent aux archives, où certains historiens eussent dû les rechercher, que les charges d’avocat aux conseils (supprimées par les décrets concernant la vénalité des offices) ont été liquidées à la fin de 1791, les unes à plus de 100, 000 livres, d’autres à 76, 000, etc., suivant leur valeur au moment de la suppression. Celle de Danton a été liquidée à 69, 031 livres 4 sols, prix de l’achat, moins la retenue d’un huitième pour les recouvrements présumés.

D’un autre côté, ni les papiers découverts dans l’armoire de fer et dans le secrétaire du roi, ni les comptes secrets tenus par Montmorin et par l’intendant de la liste civile, Laporte, trouvés après le 10 août et inventoriés par les girondins, ennemis de Danton, ne contenaient rien contre lui. Il faut ajouter qu’au tribunal révolutionnaire les accusateurs, qui avaient en main ses papiers de famille, ainsi que les archives de l’État, ne purent fournir le plus petit indice contre sa probité.

Quant au compte de dépense des fonds secrets qui lui avaient été alloués dans son ministère, il l’a bien réellement présenté en conseil des ministres (voir, à ce sujet, le Moniteur du 20 octobre 1792).

Relativement à sa mission de Belgique, les historiens que nous avons cités ont également mis à néant las accusations calomnieuses dont il a été l’objet. Ils ont en outre démontré, par les inventaires, liquidation de succession, comptes de tutelle, etc., qu’il ne laissa à sa mort qu’un patrimoine très-modique et à peu près équivalent au prix de sa charge, car c’était là presque toute sa fortune. Tout cela est établi sur pièces authentiques, appuyé de discussions lumineuses, et forme un ensemble tout à fait satisfaisant pour le critique et l’historien.

L’état constaté de la fortune de Danton lors de sa mort amène naturellement cette question : qu’a-t-il donc fait de ces millions qu’il aurait reçus ou soustraits, suivant ses calomniateurs ? Sa vie était insouciante, mais fort modeste, et il ne faut pas oublier qu’il habita, jusqu’à son arrestation, cette noire maison du passage du Commerce qui ne se prêtait guère à un train somptueux et à une vie princière. Ses deux fils ont vécu, à Arcis, du produit de la filature de coton qu’ils avaient établie.

Danton exerçait sur la Convention une influence que l’on peut comparer à celle de Mirabeau sur la Constituante. Souvent attaqué, souvent contesté, quand il parlait, il entraînait tout. Jamais il n’a écrit ni imprimé un discours ; il parlait d’abondance et d’inspiration. Parfois il lui échappait des métaphores gigantesques et d’un goût douteux au point de vue purement littéraire ; mais le plus souvent il était simple, lumineux, précis, toujours au cœur de la question, sobre de développements, et semant dans son discours des mots qui emportaient les âmes, des traits de génie et de passion qui retentissaient longtemps dans la France d’alors, qui retentiront toujours dans notre histoire nationale. Ses discours sont des actes et se lient tellement au drame révolutionnaire, qu’il n’est pas étonnant que, malgré leur beauté, on n’en ait jamais formé un recueil. Il leur faudrait comme commentaire les récits héroïques, un tableau de la grande vie de ce temps. Jamais il n’était plus entraînant, plus énergique et plus grand que dans les moments de péril, quand il s’agissait de relever les cœurs et d’inspirer les grandes résolutions. Pour ne citer qu’un exemple, en mars 1793, au moment de nos plus grands désastres, quand la France semblait entrer dans la mort, il apparaît à la tribune comme le génie de la patrie et de la liberté ; il indique la voie du salut : conquérir la Hollande pour abattre l’aristocratie anglaise :

« Prenons la Hollande, et Carthage est détruite, et l’Angleterre ne peut plus vivre que pour la liberté… Faites donc partir vos commissaires ; soutenez-les par votre énergie ; qu’ils partent ce soir, cette nuit même ; qu’ils disent à la classe opulente : Il faut que l’aristocratie de l’Europe paye notre dette ou que vous la payiez ; le peuple n’a que du sang, il le prodigue… prodiguez vos richesses !… Voyez, citoyens, les belles destinées qui vous attendent ! Quoi ! vous avez une nation entière pour levier, la raison pour point d’appui, et vous n’avez pas encore bouleversé le monde !… Vous qui me fatiguez de vos contestations particulières, au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous répudie tous comme traîtres à la patrie !… Eh ! que m’importe ma réputation ! Que la France soit libre et que mon nom soit flétri !… Conquérons la Hollande ; ranimons en Angleterre le parti républicain ; faisons marcher la France, et nous irons glorieux à la postérité. Remplissez ces grandes destinées ; point de débats, point de querelles, et la patrie est sauvée ! »

Dans les crises suprêmes, un cri de Danton traversait la France, arrachait les volontaires à leurs foyers et les précipitait aux frontières.

Quelles que soient ses fautes, ses violences de langage, qui parfois l’entraînaient au delà de sa pensée, le rôle qu’il a joué dans la délivrance du pays, dans la grandeur de la République, assure à jamais la gloire de son nom.

Sans doute, il subit tous les emportements de cette époque de lutte ; il provoqua l’établissement du tribunal révolutionnaire, appuya la loi du maximum, la formation de l’année révolutionnaire, et généralement toutes les mesures qui constituèrent la Terreur. Mais il s’associa aussi à toutes les créations utiles, à toutes les grandeurs, à tous les héroïsmes de ce temps prodigieux.

Nous avons rappelé qu’il avait longtemps espéré concilier les deux partis qui divisaient l’Assemblée. Bien souvent, en effet, il avait tendu la main aux girondins ; il avait supporté leurs attaques avec une patience rare ; il avait cent fois fait appel à la concorde ; et c’est à son mépris pour les querelles particulières que se rapportent les magnifiques paroles citées plus haut : « Que m’importe ma réputation ! » etc. Mais, à la fin, lassé de leurs fureurs, indigné de leurs manœuvres, de leurs calomnies contre Paris, de leurs appels aux départements, de leurs tendances rétrogrades, il éclata dans la séance du 1er avril 1793, à la suite de nouvelles diffamations relatives à sa mission de Belgique. Son discours, dont nous avons rapporté quelques passages à l’article convention, fut un véritable cri de guerre. Toutefois il s’apaisa une fois encore, et quand les girondins, implacables dans leurs poursuites, reproduisirent leur éternelle demande de mise en accusation de Marat (qu’ils finirent par obtenir), il fit un nouvel et chaleureux appel à la conciliation et jeta à ses adversaires ce mot énergique et profond : « N’entamez pas la Convention ! »

Quand ces malheureux républicains furent emportés par la tempête qu’eux-mêmes avaient soulevée, Danton les laissa tomber, mais sans prendre aucune part directe au mouvement (du 31 mai au 2 juin).

On sait qu’il avait été frappé d’un coup profond, la mort de sa femme (10 février). De retour de sa mission de Belgique, il l’avait fait exhumer pour la revoir encore une fois et l’embrasser dans l’horreur du drap mortuaire (sept jours après l’ensevelissement !). La pauvre femme, pour donner une mère aux deux enfants qu’elle laissait, et probablement aussi pour tirer son terrible époux de la Révolution, avait elle-même préparé son second mariage avec une jeune personne pieuse comme elle-même et de famille royaliste. Quelques mois plus tard, Danton se remaria en deuil ; et, chose curieuse, ce fils de Diderot, comme l’appelle un historien, cet incrédule emporté par la passion, consentit à s’agenouiller devant un prêtre, et devant un prêtre réfractaire, profanant ainsi, dit M. Michelet, deux religions à la fois, la nôtre et celle du passé. Mais il faut tenir compte de la nature et du tempérament enflammé de Danton, qui s’attachait, qui aimait avec une fureur de sentiment et de passion qui est souvent l’infirmité de la force.

La chute des girondins, qui lui paraissaient un contre-poids utile et avec lesquels il avait quelques affinités d’opinion, et plus encore peut-être son mariage, le plongèrent peu à peu dans un énervement qu’il serait puéril de nier. Nous retrouvons toujours la vieille histoire des anciens, la force enchaînée par l’amour. De temps à autre cependant, il jetait encore des éclairs, des rugissements qui arrachaient des cris d’admiration au peuple et aux montagnards, ravis de retrouver leur Danton, le Danton des grands jours. Mais visiblement il s’affaissait dans le modérantisme. Il eut un beau moment, en août 1793, lorsqu’il fit décréter que les commissaires des assemblées primaires seraient investis des pouvoirs nécessaires pour opérer la levée en masse, et qu’il électrisa ces envoyés de toute la France par ces grands mouvements dont il avait le secret : « … C’est à coups de canon qu’il faut signifier la Constitution à nos ennemis ! J’ai bien remarqué l’énergie des hommes que les sections nationales nous ont envoyés ; j’ai la conviction qu’ils vont tous jurer de donner, en retournant dans leurs foyers, cette impulsion à leurs concitoyens… C’est l’instant de faire ce grand et dernier serment, que nous nous vouons tous à la mort, ou que nous anéantirons les tyrans ! •

Et tous les commissaires, devant la Convention, se levèrent dans un transport inexprimable et jurèrent de sauver la patrie.