gurer. Je me trouvais bien heureuse, couchée dans un nuage. Oh ! quel plaisir ! Je vis le séjour de l’Éternel. Il n’y avait point ce que l’on m’avait dit qu’on y voyait : de l’or, des rubis, des diamants ; il n’y avait rien de tout ce que l’homme désire tant sur la terre et qu’if espère trouver un jour dans le ciel. Je vis un miroir (je nomme ainsi ce que j’ai vu, car on ne m’en a point appris le nom), je vis un miroir : il était bleu, d’un bleu céleste. Il me présentait des choses que je ne puis dire, puisqu’elles sont absolument étrangères à tout ce que nous voyons, mais j’étais heureuse en contemplant tout ce qui s’offrait à mes yeux. J’approchai, je touchai ce miroir ; j’éprouvai une sensation qui m’était inconnue, mon âme semblait s’exhaler, et je croyais que j’allais en être séparée. Oh ! moment plein de jouissance, que vous avez peu duré ! Je me suis éveillée quand j’étais si heureuse, et, au lieu du nuage, je me trouvai la tête sur le piano, et la pluie et le tonnerre allaient toujours leur train. »
Un jour, et elle était alors presque une enfant encore, elle avait douze ans, un jour qu’elle se promenait, ou, plus exactement peut-être, qu’elle courait sous les grands arbres du Luxembourg, un étudiant du quartier Latin fut frappé de son visage charmant, de toutes les grâces de sa personne, et, ayant fermé le livre dans lequel il lisait, longtemps il la regarda. Le lendemain, le jeune nomme revint au Luxembourg ; il y revint aussi, vous le pensez, le surlendemain, tous les jours, et tous les jours il s’approchait un peu plus de Mme Duplessis, qui souriait à ce jeu. Une après-midi enfin, l’amoureux prit son courage à deux mains et bravement aborda la mère de la jolie enfant qu’il aimait. Vous croyez sans doute que maman Melpomène va être irritée, courroucée comme une duègne : point du tout, elle fut indulgente, elle se montra bonne. C’est que le jeune étudiant était bien élevé, charmant, et que son langage était plein d’irrésistibles attraits ! Il avait nom Camille Desmoulins.
Ne croirait-on pas que V. Hugo venait de lire quelque part ces pages de la vie de Camille Desmoulins, toutes parfumées de candeur et d’amour, lorsqu’il a conté, dans les Misérables, comment vint au cœur de Marius son amour pour Cosette et au cœur de Cosette son amour pour Marius ? Le jeune étudiant en droit fut présenté au père de Lucile, qui, indulgent et bon comme Mme Duplessis, voulut bien autoriser les deux enfants à jouer dès lors ensemble. Suivre pas à pas à travers les allées ombreuses du jardin du Luxembourg et montrer grandissant tous les jours une affection que ne pourra trancher le couperet de la guillotine, qui vivra par delà la tombe, serait une étude charmante à faire et pleine d’intérêt aussi ; mais, en vérité, elle ne serait point à sa place ici. Laissons donc derrière nous quelques années.
Camille Desmoulins vient d’être reçu avocat ; il juge que c’est avoir une « position, » comme on dit aujourd’hui, et demande la main de Lucile. M. Duplessis qui aimait beaucoup le jeune amoureux, mais qui aimait encore plus sa fille, ne pense pas de même, et avec raison ; il ajourne le mariage.
Tout à coup la Révolution éclate, la tourmente qui devait si vite tourner les feuillets et faire arriver au dernier chapitre la charmante idylle dont nous venons de lire les premières pages, emporter, séparer les deux enfants qui s’aimaient. Elle hâta d’abord leur bonheur. Camille devient journaliste. Or, pour M. Duplessis, être journaliste n’était point encore tout à fait avoir une position ; vaincu cependant par cet amour charmant que depuis sept années il voyait grandir sous ses yeux, il finit par accorder la main de Lucile à Desmoulins.
Ce jour-là, le journaliste politique oublie la politique et son journal ; l’amoureux écrit à son père : « Aujourd’hui 11 décembre, je me vois enfin au comble de mes vœux. Le bonheur pour moi s’est fait longtemps attendre, mais enfin il est arrivé, et je suis heureux autant qu’on peut l’être sur la terre. Cette charmante Lucile dont je vous ai tant parlé, et que j’aime depuis si longtemps, enfin ses parents me la donnent, et elle ne me refuse pas ! Tout à l’heure sa mère vient de m’apprendre cette nouvelle en pleurant de joie. L’inégalité de fortune, M. Duplessis ayant 20,000 fr. de rente, avait jusqu’ici retardé mon bonheur. Le père était ébloui par les offres qu’on lui faisait. Il a congédié un prétendant qui venait avec 100,000 fr. Lucile, qui avait déjà refusé 25,000 fr. de rente, n’a pas eu de peine à lui donner son congé. Vous allez la connaître par ce seul trait : quand sa mère me l’a donnée, il n’y a qu’un moment, elle m’a conduit dans sa chambre ; je me jette aux genoux de Lucile ; surpris de l’entendre rire, je lève les yeux : les siens n’étaient pas en meilleur état que les miens, elle était tout en larmes elle pleurait même abondamment, et cependant elle riait encore. Jamais je n’ai vu de spectacle aussi ravissant, et je n’aurais pas imaginé que la nature et la sensibilité pussent réunir à ce point ces deux contrastes… De grâce, n’allez pas faire sonner tout cela trop haut. Soyons modestes dans la prospérité… N’attirez pas la haine de nos envieux par ces nouvelles. Comme moi, renfermez votre joie dans votre cœur… » Le mariage fut célébré le 29 décembre 1790. Il eut pour témoins Pétion, Robespierre, Sillery, Brissot et Mercier.
Cependant la Révolution marche, monte en grondant, mais le jeune ménage ferme ses portes et ses volets. Un enfant lui naît, qui vient compléter son bonheur. On lui donne le nom d’Horace, et son père le consacre à Dieu, « mais sans le faire débuter dans le monde par un choix inconséquent entre neuf cents et tant de religions qui partagent les hommes. »
La Révolution montant toujours, le bruit de ses flots envahissants finit par arriver jusqu’à Camille Desmoulins, et Lucile, au cœur grand, généreux, républicain, poussa elle-même son mari en avant dans la mêlée ; elle le poussa lorsque le danger était au bout, visible, inévitable. « Laissez-le remplir sa mission, disait l’aimante et courageuse femme, il doit sauver son pays. »
Sa mission, c’était, pour Camille Desmoulins, de démasquer et de renverser Robespierre, Barère, Saint-Just ; faire ouvrir les portes des prisons à deux cent mille suspects ; c’était enrayer le char révolutionnaire sur la pente fatale où il roulait ; c’était l’impossible.
Lucile le savait bien, et tout en montrant un front serein, affectant le courage pour en donner à son mari, elle écrit à Fréron : « Revenez, Fréron, revenez bien vite, vous n’avez pas de temps à perdre. Ramenez avec vous tous les vieux cordeliers que vous pourrez rencontrer, nous en avons le plus grand besoin. Plût au ciel qu’ils ne se fussent jamais séparés ! Vous ne pouvez avoir une idée de tout ce qui se fait ici… »
Camille Desmoulins est arrêté dans la nuit du 30 au 31 mars 1794 ; Lucile prend aussitôt la plume et écrit à Robespierre cette lettre indignée : « Est-ce bien toi qui oses nous accuser de projets contre-révolutionnaires, de trahisons envers la patrie, toi qui as tant profité des efforts que nous avons faits uniquement pour elle ? Camille a vu naître ton orgueil, il a pressenti la marche que tu voulais suivre, mais il s’est rappelé votre ancienne amitié ; et aussi loin de l’insensibilité de ton Saint-Just que de tes basses jalousies, il a reculé devant l’idée d’accuser un ami de collège, un compagnon de ses travaux. Cette main qui a pressé la tienne a quitté la plume avant le temps, lorsqu’elle ne pouvait plus la tenir pour tracer ton éloge. Et toi, tu l’envoies à la mort ! Tu as donc compris son silence ! Il doit t’en remercier, la patrie le lui aurait reproché peut-être ; mais, grâce à toi, elle n’ignorera pas que Camille Desmoulins fut contre tous le soutien, le défenseur de la République. Mais, Robespierre, pourras-tu bien accomplir les funestes projets que t’ont inspirés, sans doute, les âmes viles qui t’entourent ? As-tu oublié ces liaisons que Camille ne se rappelle jamais sans attendrissement ? Toi qui fis des vœux pour notre union, qui joignis nos mains dans les tiennes ; toi qui as souri à mon fils, et que ses mains enfantines ont caressé tant de fois, pourras-tu donc rejeter ma prière, mépriser mes larmes, fouler aux pieds la justice ?… Mais quel est donc le crime de mon Camille ?… Je n’ai pas sa plume pour le défendre, mais la voix des bons citoyens et ton cœur, s’il est sensible et juste, seront pour moi. Crois-tu que l’on prendra confiance en toi en te voyant immoler tes amis ? Crois-tu que l’on bénira celui qui ne se soucie ni des larmes de la veuve ni de la mort de l’orphelin ? Si j’étais la femme de Saint-Just, je lui dirais : « La cause de Camille est la tienne, c’est celle de tous les amis de Robespierre… »
Camille Desmoulins fut condamné. Lui mort, Lucile n’eut plus qu’une préoccupation, aller rejoindre celui qu’elle aimait ; mourir, c’était sa seule pensée, le seul vœu qu’elle formait ; or ce vœu était de ceux que la fatalité exauçait vite alors. Accusée d’avoir, avec le général Dillon, formé un complot à l’effet de délivrer les prisonniers, elle fut arrêtée. « Bonsoir, ma chère maman, écrivait-elle de retour dans sa prison après avoir été condamnée ; bonsoir, ma chère maman ; une larme s’échappe de mes yeux, elle est pour toi. Je vais m’endormir dans le calme de l’innocence. »
Ayant fait ce simple et touchant adieu, elle s’occupa de sa toilette qu’elle soigna beaucoup et que vint ensuite compléter avec ses froids ciseaux l’exécuteur des hautes œuvres. Puis elle marcha à l’échafaud avec fermeté et posa sur le billot sa jolie tête de vingt-deux ans.
Desmoulins (Camille) ou les Partis en 1794, drame en cinq actes et en prose, de Julien Mallian et Henri Blanchard, représenté à Paris,
sur le Théâtre-Français, le 18 mai 1831.
Au lendemain des journées de Juillet, alors
que les sujets sur l’époque révolutionnaire
servaient presque exclusivement à alimenter
nos scènes, ce drame ne pouvait avoir qu’un
but, idéaliser des types jusque-là trop souvent
chargés à dessein et même rendus odieux.
L’Ambigu jouait Robespierre, le théâtre des
Nouveautés, les Chouans ou Coblentz et Quiberon ; le Théâtre-Français venait de représenter
Charlotte Corday, qui, deux ans auparavant,
avait déjà figuré dans Sept heures, à la
Porte-Saint-Martin, lorsqu’il donna Camille Desmoulins. La lutte entre Robespierre, d’une
part, et, de l’autre, Camille Desmoulins, Danton
et leurs amis, lutte dans laquelle ces derniers
ont le dessous, forme le nœud principal
de l’action. Desmoulins est représenté comme
un ennemi déclaré de tout excès, et le drame,
écrit d’ailleurs à sa gloire, se plaît à le représenter
sous les traits les plus sympathiques.
Le rédacteur du Vieux Cordelier, l’époux
de la charmante et malheureuse Lucile, aimant
et cultivant les lettres, est attaché à
son foyer et mène de front les vertus domestiques
et les vertus civiques. Rappelons au
quatrième acte le tableau d’une des séances
du tribunal révolutionnaire, tableau animé
dont, toutefois, et c’est M. Th. Muret qui en fait
la remarque, la mise en scène convenait mieux
au boulevard qu’au théâtre de Phèdre et du
Misanthrope. N’oublions pas non plus le monologue
de Robespierre, au cinquième acte ;
il est curieux à reproduire ici au point
de vue de l’histoire des idées : « Voyons
ce message diplomatique ; il est important,
m’a-t-on dit… tant mieux ; il fera diversion
aux pensées tumultueuses qui m’agitent. (Il décachète et lit.) Ah ! de Londres !… Les princes français !… Ils m’offrent de l’or !
Ne savent-ils pas que je le méprise ? Ils
croient qu’on peut tout corrompre… Un haut
rang ! ne suis-je pas au premier ? mais combien
il me coûte !… Une conspiration existe,
j’en ai la certitude… Ce Dillon !… Camille
aura-t-il voulu révéler ?… C’était le seul
moyen de se sauver. Je le vois maintenant, je
n’aurai de repos que dans la tombe… Du repos !
qui sait encore ? La calomnie insultera peut-être
à mes cendres… Ô postérité ! toi seule
peux me juger : oui, tu diras que mon projet fut
grand, car, si je tombe, la Révolution me survivra.
Elle survivra ; mais quelle force ne faut-il
pas avoir là (Il se prend le front) pour marcher
à mon but ? Opposer sans cesse la régularité
de l’échafaud aux fureurs sans cesse
renaissantes de la guerre civile !… Les malheureux
! ils envient ma puissance ! Eh ! que
suis-je ? Un esclave de la patrie, un martyr
vivant de la République, la victime et le fléau
du crime. Il suffit de me connaître pour être
calomnié ; on pardonne aux autres leurs forfaits,
on me fait un crime de mon zèle pour
la patrie. Ôtez-moi ma conscience, je serai le
plus malheureux des hommes. Ils m’appellent
tyran !… Si je l’étais, ils ramperaient à mes
pieds ; je les gorgerais d’or, je leur assurerais
le droit de commettre tous les crimes, et ils
seraient reconnaissants ! Si je l’étais, les rois
que nous avons vaincus, loin de me dénoncer,
me prêteraient leur coupable appui ; je
transigerais avec eux. Dans leur détresse,
qu’attendent-ils, si ce n’est le secours d’une
faction protégée par eux, qui leur vende la
gloire de notre pays ? Je dis chaque jour à
la Convention, mais en vain : « Si nous laissons
flotter les rênes de la Révolution, vous
verrez le despotisme militaire s’en emparer,
et le chef des factions renverser la représentation
nationale avilie. » Peuple, souviens-toi
que si, dans la République, la justice
ne règne pas avec un empire absolu, et
si ce mot ne signifie pas l’amour de l’égalité
et de la patrie, la liberté est un vain nom !
Peuple, toi que l’on craint, que l’on flatte et
que l’on méprise, toi, souverain reconnu qu’on
traite toujours en esclave, souviens-toi que
partout où la justice ne règne pas, ce sont
les passions des magistrats, et que le peuple
a changé de chaînes et non de destinées. Ô peuple ! sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés
d’avoir trahi seront accusés d’ambition ; que
ta confiance et ton estime seront des titres
de proscription pour tous tes amis ; que les
cris du patriotisme opprimé seront appelés
des cris de sédition, et que, n’osant t’attaquer
toi-même en masse, on te proscrira en détail
dans la personne de tous les bons citoyens. »
Après Robespierre, c’est Danton qui trace son propre portrait et s’attribue toutes les vertus civiques. Un noble rôle est donné par les auteurs au général Dillon, qui regrette le trône constitutionnel de Louis XVI, tout en défendant le sol de la France. Cette pièce fut en beaucoup d’endroits couverte d’applaudissements. Des gilets blancs à grands revers, reproduisant la mode de 1793, furent aussitôt adoptés et s’appelèrent gilets à la Camille Desmoulins.
Acteurs qui ont joué cette pièce : Firmin, Camille Desmoulins ; Beauvalet, Danton ; Perrier, Robespierre ; David, Arthur Dillon ; Geffroy, Fouquier-Tinville ; Guiaud, Westermann ; Desmousseaux, l’abbé Bérardier (l’ancien professeur de Camille Desmoulins et de Robespierre) ; Rose Dupuis, Lucile ; Eulalie Dupuis, Cornélie Dupleix.
DESMOULINS (Antoine), naturaliste français,
né à Rouen en 1796, mort en 1828. Il fit
ses études de médecine, passa son doctorat
en 1819, et, renonçant à la pratique de son
art, s’occupa avec autant d’ardeur que de succès
d’histoire naturelle. Il entra alors en relation
avec Valenciennes, Pentland, Laurillard,
Blainville, Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier, gagna
les bonnes grâces de de Humboldt, qui se
trouvait alors à Paris, et, sous la direction
de tels hommes, il fit des progrès si rapides que
Bory de Saint-Vincent n’hésita pas a lui confier
la rédaction de la partie zoologique et
anatomique des mammifères, dans son Dictionnaire classique d’histoire naturelle (1821).
Doué d’une vive pénétration et d’une grande
sagacité naturelle, Desmoulins dirigea surtout
ses études et ses recherches sur le système
nerveux, enrichit la science d’un grand
nombre de faits nouveaux et émit des opinions
qui ont appelé à juste titre l’attention des savants. « C’est lui, dit le docteur Isidore Bourdon,
qui a prétendu que les nerfs du cerveau et de
la moelle épinière ne sont pas nécessairement
liés à l’existence de la moelle et du cerveau,
c’est-à-dire que ces nerfs peuvent subsister
alors même que l’un de ces centres
nerveux fait défaut. C’est lui qui affirme
avoir vu les nerfs du genre raie s’interrompre
près de la moelle épinière, sans en pénétrer
la substance ni la joindre. C’est lui qui atteste
que certains poissons n’ont point de glande
pinéale. Il affirme également qu’on peut enlever
les hémisphères du cerveau et du cervelet
sans priver de tout sentiment l’animal ainsi mutilé.
Suivant lui, c’est la protubérance cérébrale,
ou pont de Varole, qui serait le siège
ou l’instrument de la perception, ou autrement,
comme il le dit, de la sensation avec conscience. Enfin Desmoulins ne préjuge pas de
la puissance cérébrale et intellectuelle, ainsi
que l’a fait le docteur Gall, uniquement d’après
le volume des cerveaux et leurs protubérances
locales ; il attache à l’étendue des
surfaces, c’est-à-dire au nombre des plicatures
et des circonvolutions, et à la profondeur
des sillons ou des anfractuosités, autant de
signification et peut-être plus de valeur qu’au
volume même ; c’est ainsi qu’il a trouvé qu’après
l’homme ce sont les singes et les dauphins
qui ont les cerveaux les plus étendus
en surface, les cerveaux les plus plissés,
tandis que les animaux les plus stupides ont
des cervelles sans plis, et pour ainsi dire
d’une venue, sans enfoncements ni saillies. »
Ses recherches sur le cerveau amenèrent Desmoulins
à penser que, chez les vieillards, cet
organe est moins volumineux que chez les
adultes, parfois même atrophié, moins dense,
et par conséquent moins propre au travail de
la pensée. Il émit ces idées dans un mémoire
qu’il lut à l’Académie des sciences, en présence
de savants pour la plupart sexagénaires.
Cette irrévérencieuse opinion fut, comme
on le pense, fort mal goûtée par la docte assemblée.
Quelque temps après, Desmoulins
commit une faute encore plus grave. Dans
la préface d’un écrit sur les races humaines,
il attaqua avec une violence injustifiable Cuvier,
qui lui avait constamment témoigné
la plus grande bienveillance. Il ne se borna
pas à déprécier la valeur des ouvrages de
l’illustre savant, il le tourna en ridicule
comme homme politique, et termina par ces
mots inqualifiables :’Messieurs, ayons pitié
de M. Cuvier. » Cuvier répondit à cette inconvenante
agression en demandant à l’Académie
que ses portes fussent fermées à
l’avenir pour Desmoulins. Après cette incartade,
le jeune naturaliste quitta Paris, et il
mourut peu de temps après, dans l’isolement,
d’une maladie de poitrine. Ses principaux
écrits sont : Anatomie du système nerveux des
animaux à vertèbres (1825, 2 vol.), avec un
atlas, en collaboration avec Magendie ; Histoire naturelle des races humaines du nord de l’Europe, de l’Asie boréale et de l’Afrique australe, d’après les recherches spéciales d’antiquités, de physiologie, d’anatomie et de géologie, appliquées à la recherche des anciens peuples, à la science ethnologique, à la critique de l’histoire (1826, in-8o). On a, en outre, de Desmoulins plusieurs articles, des mémoires
sur le système nerveux, sur le nerf pneumo-gastrique, etc.
DESMOUSSEAUX (Félicité-Auguste Saillaud, dit), artiste dramatique, sociétaire de la Comédie-Française, né dans le département de la Marne en 1785, mort en 1854. Il vint jeune à Paris et fut placé chez un avoué, où il se lia avec le futur vaudevilliste Armand Dartois, un de ses collègues en procédure. Abandonnant bientôt l’étude de leur patron, les deux jeunes gens se livrèrent à leur passion favorite, le théâtre, et, pendant que Dartois se faisait auteur comique, Desmousseaux chaussait, chez Doyen, le cothurne tragique. Doué de certains avantages physiques, il se fit surtout remarquer par ses dispositions naturelles. Protégé par le ministre d’État et le surintendant des théâtres, Desmousseaux, sans passer par les classes du Conservatoire, obtint un ordre de début pour la Comédie-Française, où il parut pour la première fois le 18 août 1812, dans le rôle de Tancrède, et successivement dans ceux de Rodrigue, d’Horace, de Bayard, de Vendôme. Reçu pensionnaire avec gratification, il fut admis comme sociétaire, six ans après, le 1er avril 1818. À dater de cette époque, il s’éloigna peu à peu de l’emploi des jeunes premiers tragiques, pour prendre de préférence les rôles de pères nobles et de rois, qui convenaient à sa taille élevée, à son jeu grave et sévère ; il remplissait également les rôles sérieux dans le répertoire du drame et de la comédie : le père, du Menteur ; Cléante, de Tartufe ; le médecin, des Deux frères. Dans le théâtre contemporain, Desmousseaux a créé notamment : Raymond, de Louis IX ; Melvil, de Marie Stuart ; François de Paule, de Louis XI ; Nangis, de Marion Delorme ; Brabantio, du Maure de Venise, et don Bustos, du Cid d’Andalousie. Homme instruit, Desmousseaux se montra souvent très-utile à notre première scène, dans les crises diverses qu’elle eut à traverser, et la tunique d’Agamemnon laissa plus d’une fois paraître l’ancienne robe noire du clerc d’avoué. Après vingt-huit ans d’honorables services, Desmousseaux fut, par ordre du ministre, mis à la retraite en 1840, avec