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Cependant l’étude, une longue étude, lui est indispensable pour acquérir l’ordonnance de l’ensemble et des pensées, d’où naît la clarté et la logique continue ; la pureté de l’élocution, d’où naît le charme ; la flexibilité de la voix, la variété et l’harmonie du geste, la puissance du regard et de la physionomie, en un mot, l’action, qui contribue dans une si grande mesure à produire l’effet cherché. L’étude aussi est nécessaire pour entretenir la mémoire, sans laquelle il ne peut exister d’orateur.

Les anciens traités de rhétorique divisaient l’éloquence en trois genres : le genre démonstratif, embrassant les discours académiques, les panégyriques, les oraisons funèbres, les sermons ; le genre judiciaire, comprenant les actes d’accusation, les réquisitoires, les discours des défenseurs et les répliques ; le genre délibératif, dans lequel se rangent tous les débats relatifs aux matières de politique, de législation et d’administration publique. Pour éviter le vague des termes trop généraux, on préfère ordinairement désigner d’une manière plus directe les diverses branches de l’éloquence, et dire : éloquence de la tribune, éloquence de la chaire, éloquence du barreau, éloquence académique, éloquence militaire.

Si nous remontons aux livres sacrés et aux poëmes, monuments primitifs des civilisations, nous y trouvons des témoignages frappants et souvent admirables de l’éloquence aux premiers âges connus ; mais, à part de bien rares exceptions, ce n’est point la parole même de l’orateur qui nous est ainsi parvenue : nous n’en connaissons guère que l’écho affaibli ou embelli par les écrivains et les poètes. Thucydide, bien qu’il fût le contemporain et l’ami de Périclès, n’a pourtant pas reproduit textuellement les paroles de cet homme d’Etat si renommé pour son éloquence ; il en avertit lui-même le lecteur par l’emploi des formules grecques : « Il prononça à peu près cela ; il dit des choses à peu près telles. » Cela est si vrai que, dans l’oraison funèbre sur les guerriers morts au siège de Samos, Thucydide omet cette délicate image : « Athènes a perdu son printemps ! » citée par Aristote, et par laquelle Périclès pleurait la perte de la florissante jeunesse athénienne.

Après Périclès, ou plutôt après Thucydide, vient Lysias, dont nous possédons vingt-quatre discours, entre autres le célèbre discours prononcé, en 403, contre Eratosthène, chef-d œuvre d’éloquence pathétique et d’indignation contre la tyrannie des Trente. Cinquante ans plus tard, Démosthène commence le cours de ses triomphes en plaidant pour se faire rendre ses comptes de tutelle. Cette période de Périclès à Démosthène embrasse tous les beaux noms de l’éloquence grecque : Isocrate, Platon, Hypéride, Eschine, Lycurgue, Dinarque, tous les orateurs vraiment attiques. Trois styles, d’après Denys d’Halicarnasse, caractérisèrent alors les diverses manifestations de l’art oratoire : le style de Thucydide, grand, élevé, rempli de tous les ornements dont le discours est susceptible ; celui de Lysias, pur, exact, serré, vrai, naturel ; celui d’Isocrate et de Platon, plus clair que le premier, plus orné que le second. « Démosthène, qui vint après tant de grands hommes, dit le même écrivain, avait une si haute idée du style oratoire, qu’il ne s’attacha à aucun d’eux en particulier, tous lui parurent ou médiocres ou imparfaits ; mais, choisissant ce que chacun d’eux avait de meilleur et de plus utile, il en sut composer un tout dont résultait un style en même temps magnifique et simple, travaillé et naturel, figuré et commun, austère et orné, serré et étendu, gracieux et sévère, affectueux et véhément ; tel enfin que le Protée des poètes qui paraissait sous toutes sortes de formes. »

Lorsque l’art oratoire s’éteignit en Grèce, il alla briller à Rome où il trouva déjà fort en honneur une éloquence brute et grossière, mais énergique, l’éloquence de Caton le Censeur, des Scipions et des Gracques. L’influence du génie attique eut bientôt poli ces aspérités ; malheureusement, en bien des cas, elle affaiblit l’énergie et ouvrit la porte à l’emphase asiatique qu’introduisit Hortensius. Toutefois Hortensius lui-même, dans la première partie de sa vie, Crassus, Jules César et plusieurs autres unirent à l’harmonie du style la chaleur, l’éclat et la rapidité de l’élocution. Enfin, le maître de l’éloquence latine, Cicéron, par les dons de la nature et l’étude de toutes les parties de l’art, mérita que ses contemporains et la postérité le missent en parallèle avec Démosthène ; et si celui-ci l’emporte, son rival le suit de bien près au premier rang.

Telle est l’histoire sommaire de l’éloquence dans l’antiquité. Elle ne florit que chez deux peuples et aux époques de liberté. Aucune faculté humaine, en effet, n’a plus besoin d’un gouvernement libre pour se développer que celle qui consiste à exprimer hautement les pensées, les sentiments, les aspirations des hommes. Aussi ne la trouverons-nous ni sous la théocratie égyptienne, ni sous le despotisme asiatique. Dans la Grèce même, elle ne brille qu’à Athènes, où un régime plus libre s’unit à la culture passionnée des lettres ; elle ne paraît presque pas à Sparte, à Thébes, à Argos ; elle s’éclipse sous les tyrannies et s’enfuit quand les armées étrangères ont asservi la patrie. A Rome, après la mort de la république et l’avènement du pouvoir impérial, elle n’existe plus que dans les Annales de Tacite. Avec la liberté périt l’éloquence : les orateurs grecs font place aux rhéteurs ; les orateurs romains, aux déclamateurs.

En créant de nouvelles convictions, un nouvel enthousiasme, le christianisme produisit une nouvelle éloquence. L’esprit de saint Paul se transmit à ses successeurs. Les Pères de l’Église grecque et de l’Église latine enseignèrent et défendirent la religion du Christ avec une ardeur digne des apôtres. Leurs œuvres ne sont pas seulement des monuments de la foi aux premiers siècles, mais aussi des modèles littéraires ; il suffit de citer saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin, Tertullien, Origène, etc. Après cette radieuse aurore du génie évangélique, le monde civilisé, envahi par les barbares, tombe dans une nuit épaisse où un seul philosophe grec, mal compris et mal reproduit par des moines, Aristote, tient lieu de toutes les connaissances. Au milieu de ces ténèbres, l’éloquence disparaît comme les autres manifestations du génie humain ; de loin en loin seulement, quelques éclairs témoignent qu’elle subsiste encore, avec les saint François d’Assise, les saint Thomas d’Aquin, les Abélard, les saint Bernard. Ces rares lumières finissent par s’éteindre, et, dans la plus grande partie de l’Europe, la chaire chrétienne n’est plus, jusqu’au xviie siècle, qu’ignorance, violences et grossièretés. Le latin s’y mêle à la langue vulgaire d’une façon macaronique ; la crudité des paroles y accompagne l’indécence des idées. Tous les prédicateurs font des sermons dans le goût du dominicain Gabriel Barletta, ou dans celui du cordelier Ménot, qui prêchait ainsi, le second dimanche de carême : « Est una maquerella quœ posuit multas puellas au métier ; ad malum ibit, elle s’en ira le grand galop ad omnes diabolos. Estne totum ? Non, elle n’en aura pas si bon marché, non habebit tam bonum forum ; sed omnes, quas incitavit ad malum, servient ei de bourrées et de cotrets pour lui chauffer les trente côtes. » Du reste, il n’en était pas autrement de Yéloquence judiciaire à la même époque, et quant à l’éloquence de la tribune, elle ne pouvait se déployer avec les institutions politiques alors existantes. Ainsi, les quelques discours dont nous connaissons le texte, parmi ceux prononcés à nos états généraux, sont dans une forme et un ordre d’idées qui ne laissent aucune place aux mouvements de l’éloquence.

Dès le commencement du xvie siècle, cependant, la parole évangélique avait été ravivée en Allemagne par les luttes de la Réforme. Luther, avec son âme ardente, ses brutalités de langage, sa puissance d’ironie et sa voix sonore, soulevait une partie du monde contre la papauté ; il entraînait dans son audacieuse tentative les princes comme les peuples. Mélanchthon, de son côté, persuadait au moyen d’une douceur sympathique. Mais, chose bien digne de remarque, le protestantisme, après avoir ainsi débuté avec éclat dans la carrière de l’éloquence, s’arrêta et fut hautement surpassé, à partir du xviie siècle, par les prédicateurs catholiques. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu dans la chaire protestante des orateurs remarquables, comme Tillotson, Blair, Sterne, et bien d’autres ; mais il y a chez tous plus de raison que de chaleur, plus de solides déductions que de mouvements enthousiastes. Ainsi le voulait le fond même de la doctrine réformée, établie sur la raison plus que sur la foi, sur la conviction personnelle plus que sur l’entraînement produit par une conviction étrangère ou par de mystérieuses traditions. Le catholicisme, par des tendances toutes contraires, pouvait entraîner les prédicateurs à l’abus des moyens oratoires, aux mouvements mal réglés, à l’exaltation. C’est, en effet, ce qui arriva souvent dans les pays méridionaux, où une tendance naturelle à l’exagération se manifeste jusque dans le langage habituel. Il n’en fut pas de même en France : ici, le goût modérateur et l’esprit d’ordonnance s’unissant aux grands effets de l’inspiration évangélique produisirent les plus beaux modèles qui existent dans l’éloquence de la chaire. Bossuet et Fénelon, Massillon et Bourdaloue, pour ne citer que les plus célèbres, se sont élevés à un rang qui égale celui des plus grands orateurs dans tous les genres. Leurs successeurs ne se sont pas montrés indignes d’eux, et de nos jours encore les Lacordaire et les Ravignan ont approché de ces noms illustres.

En même temps qu’une langue plus épurée, une éducation littéraire mieux comprise et plus étendue produisaient en France les gloires de la chaire, l’éloquence du barreau se polissait, se développait et commençait à briller de cet éclat dont nous voyons encore de nombreuses et vivantes preuves. Elle se signala surtout, au début, dans des mémoires, comme les beaux et pathétiques discours adressés par Pellisson à Louis XIV pour le malheureux Fouquet. Elle prit ensuite un rôle plus vif et plus personnel dans les plaidoyers de Cochin, de Gerbier, de La Chalotais, de Loyseau de Mauléon ; elle alita la verve et l’esprit aux finesses de la dialectique dans les mémoires de Beaumarchais contre Goezman, la tendresse à la raison élevée dans les mémoires de Lally-Tollendal pour son père. Enfin, à travers les orages politiques, après de Sèze, Bergasse, Chauveau-Lagarde, Tronchet, elle produisit les Dupin, Laine, Berville, Odilon Barrot, Mauguin, Paillet, Cremieux, Chaix-d’Est-Ange, Dufaure, Plocque, Allou, Lachaud, Gambetta, tous ces noms remarquables au milieu desquels brillent particulièrement, avec des qualités diverses, les beaux noms de Berryer et de Jules Favre.

L’éloquence politique, éteinte depuis les derniers temps de la république romaine, n’avait jeté jusqu’à la naissance du parlementarisme en Angleterre que de rares éclairs, à l’époque des révolutions éphémères tentées par la démocratie, comme celles de Rienzi et de Savonarole. La liberté, aussi nécessaire à la tribune qu’à l’homme l’air pour respirer, ne reparut dans les choses du gouvernement qu’avec la forme représentative. L’Angleterre, qui, la première, donna au monde cette forme de gouvernement, eut aussi avant les autres nations modernes la gloire de produire des orateurs politiques. Sans remonter aux premiers essais de cette éloquence, il suffit de citer ici lord Chatham, surnommé le grand député des Communes, son fils William Pitt, Fox, Burke, O’Connell, Gratan, lord Brougham, Robert Peel, lord Russell, lord Derby, Disraeli, Gladstone, Bright. En France, les premiers tressaillements de notre grande Révolution soulevèrent dans les âmes cette émotion, cet enthousiasme qui fait les orateurs. Le pays, éveillé à la grande voix de Mirabeau, prenait possession de lui-même ; Barnave, les Lameth, l’abbé Maury, le suivaient dans la carrière. Camille Desmoulins et Danton venaient bientôt à leur tour, et à côté d’eux ce groupe éloquent des girondins, les Vergniaud, les Gensonné, les Guadet, les Brissot, les Ducos, les Boyer-Fonfrède, les Valazé, les Barbaroux, les Lanjuinais, les Rabaut-Saint-Étienne, etc. Ainsi débutait, par une explosion restée sans rivale, avec une large phalange de talents variés et originaux, notre éloquence politique, dont les développements postérieurs, arrêtés à plusieurs reprises par le despotisme, ont toujours fini cependant par retrouver un milieu plus favorable et par triompher des barrières. Là, nous revoyons une partie des hommes que nous avons nommés à propos de l’éloquence judiciaire, et un grand nombre d’autres qu’il serait trop long de désigner. Contentons-nous d’indiquer Benjamin Constant, Manuel, le général Foy, Casimir Périer, Lamartine, Guizot, Thiers, Ledru-Rollin, Montalembert, Michel de Bourges ; n’oublions pas ensuite ceux qui, sans tribune, ont pendant un certain nombre d’années, sous le second Empire, maintenu au Corps législatif les traditions, le prestige de la tribune, et que la voix populaire a recommandés à l’histoire sous le nom des cinq, parmi lesquels se présentent en première ligne MM. Jules Favre, Ernest Picard et Emile Ollivier, lequel depuis… Aujourd’hui, dans l’Europe presque entière et dans une grande partie de l’Amérique, grâce à la courageuse persévérance des défenseurs de la liberté, l’éloquence politique fait chaque jour de nouveaux progrès.

L’éloquence militaire des anciens ne nous est connue que par les ouvrages historiques dont les auteurs ont fabriqué de toutes pièces ou arrangé selon leur propre génie les discours qu’ils rapportent. Celle des modernes nous est parvenue souvent avec le texte même des harangues et des proclamations.

Quant à l’éloquence académique, elle forme un genre littéraire à part, semblable aux panégyriques des anciens, tels que le célèbre Panégyrique de Trajan par Pline le Jeune. Trop souvent aussi elle rappelle les exercices des rhéteurs. Le vide fréquent des sujets, l’obligation des louanges, le désir de briller en écrivain habile amènent bien des mots, des pléonasmes, des périphrases, des images qui, trop souvent, ne recouvrent que des idées vagues ou des semblants d’idées. La force, la logique, les mouvements vrais, le pathétique, l’enthousiasme sont presque toujours bannis de ces joutes oratoires ; et aujourd’hui que l’on demande surtout à l’éloquence des faits, des preuves, un style précis et nerveux ; aujourd’hui que l’on rejette de plus en plus la redondance, l’emphase, les recherches puériles, on hésite à ranger sous le titre d’éloquence un grand nombre des morceaux que l’Académie couronne ou fait entendre. On changerait volontiers la dénomination d’éloquence académique en celle de littérature académique.

Le nom d’éloquence conviendrait bien mieux à des parties d’ouvrages où on la trouve avec toutes ses qualités, quoiqu’ils ne se classent, à proprement parler, dans aucune des branches de l’éloquence. Il y a, dans certaines pages d’histoire, de morale, de philosophie, de roman, même d’économie politique, une éloquence véritable. Il y a des historiens, des moralistes, des philosophes, des romanciers, des économistes vraiment éloquents, bien qu’ils soient souvent incapables de s’exprimer en public et qu’ils aient besoin, pour coordonner leurs pensées et pour en trouver la forme, du travail silencieux et de la méditation du cabinet. Ce sont surtout les grands principes de l’humanité, la violation de ces principes et le désir de les faire triompher qui leur inspirent des paroles éloquentes. En un tel moment, quels qu’ils soient d’ailleurs dans leur conduite et le sentiment, ils réalisent l’adage antique : Vir bonus dicendi péritus. Il en est de même presque toujours des orateurs. Lorsqu’ils s’élèvent à l’éloquence, lorsqu’ils ont sur les lèvres les accents qui font vibrer les sentiments humains, leur âme est pénétrée des saints enthousiasmes, des convictions justes, des haines honnêtes. Que le discours terminé, la passion du bien éteinte, la vie ordinaire reprise, ils retombent dans les petitesses et les erreurs ; peu importe. On peut dire, en général, que le grand orateur, au moment où il fait acte d’orateur, est vir bonus (l’homme de bien), et, à la gloire de l’humanité, il le reste souvent, sa tâche accomplie.

On le comprendra aisément, nous n’avons pas voulu traiter ici de chacun des quatre genres que comprend l’éloquence. Nous ne devions que les indiquer à grands traits, sauf à renvoyer le lecteur aux mots chaire, barreau, judiciaire, militaire et tribune. Il trouvera là non-seulement l’historique de l’éloquence dans chacune de ses branches, mais encore l’exposé des règles auxquelles doivent s’assujettir les divers orateurs, suivant qu’ils appartiennent à la chaire, au barreau, à l’armée ou à la politique.

Eloquence de la chaire. V. chaire.

Eloquence judiciaire. V. barreau et judiciaire.

Eloquence militaire. V. militaire.

Eloquence politique ou de la tribune. tribune.

Éloquence de la chaire (dialogues sur l’), ouvrage de Fénelon, publié seulement après la mort de l’auteur (1718). Il ne renferme que trois dialogues, dans lesquels l’évêque de Cambrai a imité la manière de Platon ; le premier de ces entretiens contient même une rapide analyse du Gorgias. Toutefois, il est à observer que Fénelon, n’ayant pas à mettre en scène des chefs célèbres d’écoles opposées, comme a dû le faire le philosophe grec, se contente de distinguer ses interlocuteurs par les lettres a, b, c, ce qui est un intérêt de moins pour la discussion.

L’éloquence de la chaire a pour domaine la morale. Le but qu’elle cherche à atteindre est d’inspirer aux hommes la bonté, la bienfaisance, l’équité, la charité universelle ; d’instruire son auditoire, de le consoler, de l’encourager ; de rendre le vice odieux, la vertu aimable, le devoir attrayant. Pour réussir, il faut suivre les élans de son âme, obéir à cette éloquence du cœur qui séduit et entraîne. Telle est la pensée originelle de ces Dialogues de Fénelon, qui prêchait ici d’exemple.

L’occasion de l’entretien est la critique d’un sermon où un prédicateur s’est montré plutôt bel esprit qu’orateur, par le choix de son texte et par les divisions artificielles qu’il y a établies. Dans les deux premiers dialogues, l’auteur traite de l’éloquence en général, de son but, de ses principes, de ses moyens et de ses règles ; le troisième est particulièrement consacré à l’éloquence religieuse. Cette dernière partie, dans laquelle l’auteur a développé des principes dont l’application est excellente, manquait encore aux traités et à l’enseignement de l’art oratoire ; il est vrai que les grands orateurs de la chaire donnaient des leçons pratiques de cet art.

Fénelon n’avait point écrit ces Dialogues pour le public. En exposant dans ce travail ses idées sur l’éloquence de la chaire, il s’était proposé de se rendre compte de ses propres sentiments sur l’objet du ministère de la parole évangélique, et de rechercher la méthode la plus sûre et la plus utile, celle qui peut permettre de recueillir tous les fruits de la prédication. Il n’eut ni l’intention de critiquer les abus qu’il apercevait dans la méthode ordinaire, ni la prétention de produire un système nouveau. L’auteur des Dialogues pense que les prédicateurs ne doivent point composer des discours qui aient besoin d’être appris et débités par cœur. « Considérez, dit-il, tous les avantages qu’apporte dans la tribune sacrée un homme qui n’apprend point par cœur. Il se possède, il parle naturellement, il ne parle point en déclamateur, les choses coulent de source ; ses expressions (si son naturel est riche pour l’éloquence) sont vives et pleines de mouvement. La chaleur même qui l’anime lui fait trouver des expressions et des figures qu’il n’aurait pu préparer dans son étude. L’action ajoute une nouvelle vivacité à la parole ; ce qu’on trouve dans la chaleur de l’action est autrement sensible et naturel ; il a un air négligé et ne sent point l’art… Voilà le véritable art d’instruire et de persuader ; sans ces moyens, on ne fait que des déclamations vagues et infructueuses. » Fénelon convient que, pour pouvoir exercer avec succès le ministère de la parole, sans le secours de la mémoire et d’une composition préparée, il faut une méditation sérieuse des premiers principes, une connaissance étendue des mœurs, la lecture de l’antiquité, de la force de raisonnement, etc. Il est opposé aux divisions et aux sous-divisions généralement adoptées dans les sermons ; cet ordre est arbitraire et nuisible à l’effet du discours. Il désire que les prédicateurs s’attachent davantage à instruire les peuples de l’histoire de la religion. Il blâme l’usage assez moderne de fonder tout un sermon sur un texte isolé. Les prédicateurs devraient prêcher souvent, et les sermons devraient être courts.

Les idées de Fénelon sur l’éloquence de la chaire ont soulevé des objections nombreuses. Il est bien rare de trouver un orateur que ses talents et ses connaissances mettent en état de parler sur toutes sortes