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Pendant ce temps que faisait sa compagne ? Elle restait à la maison, et même dans une partie déterminée de la maison, partie réléguée sur la cour intérieure, au premier ou au second étage, sans autre communication parfois avec le reste du logis que par une échelle qu’on retirait ou remettait d’en bas selon les ordres du mari ; c’était là ce qu’on appelait le gynécée : demi-clôture, demi-emprisonnement. Comment la liberté primitive des temps héroïques s’était-elle perdue ? On ne’saurait en dire la vraie cause ; mais évidemment ce fut l’absence prolongée du mari hors du domicile conjugal qui amena ce changement. Ces précautions eurent pour fin de lui assurer toute la liberté d’esprit nécessaire à la politique et aux beaux-arts. La femme restait donc à moitié prisonnière dans le gynécée ; mais qu’y faisait-elle ? Pour elle, pas plu* que pour 1 homme, on n’admettait que le travail bienséant. L’épimélide, la matrone, comme on dira plus tard à Rome, filait de la laine et rien de plus ; puis, sans doute, elle tracassait les esclaves, commérait avec elles. Quant à lire, il n’en pouvait pas être question dans ces temps-là. D’autre part, le soin de la maison ne devait pas être grand’chose, le mobilier n’existant pas encore. La surveillance de la cuisine n’était rien forcément ; les hommes, extraordinairement sobres, vivaient de fruits ; quelques olives, une demidouzaine de figues et une ceinture qu’on serrait après le dîner faisaient toute l’affaire. Le soin, l’éducation "des enfants ? La mère, tout.à fait ignorante, ne pouvait rien enseigner ; les soins matériels incombaient à la nourrice, aux femmes esclaves ; et puis l’enfant du sexe masculin était de bonne heure libéré, sinon de. l’autorité maternelle, au moins du séjour à la maison. On l’envoyait à l’école, et, entre les classes, il jouait, vagabondait dehors ; c’est encore l’usage dans tous les pays méridionaux. L’existence de la femme était donc ^presque absolument vide. On n’a pas besoin de témoignages, de pièces, »ni de documents pour savoir ce qui en résultait ; car les conséquences d’un pareil état de choses sont forcées. La femme, sans idées, sans préoccupations élevées, sans instruction, devait être assez méprisée par son mari, traitée sans beaucoup de respect par ses enfants ; curieuse à l’excès, babil-Iarde, importune, capable par ennui de tomber dans des désordres les plus grands, si la barrière du gynécée n’eut préservé sa vertu toute matérielle. S’il faut en croire Aristophane, les femmes athéniennes auraient été fort adonnées au vin, ce qui n’a rien d’invraisemblable. Comme compensation à tout cela, il y avait une certaine douceur de mœurs, quelque chose de modéré et d humain qui tenait à l’excellence de la race. Ce oui est plus considérable encore, c’est que l’idéal des écrivains, des philosophes du moins, ne s’était jamais abaissé jusqu’à cette réalité si défectueuse. Socrate notamment, et après lui Platon et Xénophon, protestent éloquemment par leurs doctrines sur le mariage. Il y a dans Y Economique de Xénophon telle leçon qui ne laisse rien à désirer, même à la délicatesse moderne, sur l’égalité obligatoire de la femme dans le ménage, la nécessité des attentions et des soins mutuels, le partage de tous les travaux, de toutes les joies, de tous les soucis, et même de tous les intérêts moraux de l’existence. L’école stoïcienne continua, en l’élargissant, la diffusion de ces principes rénovateurs ; elle eut la plus heureuse influence sur les mœurs. D’autre part, la perte de la liberté, de la vie publique, si regrettable à tant d’égards, eut au moins cette conséquehee de ramener le mari au foyer ; c’était désormais le seul intérêt de sa vie, la seule activité d’esprit et de cœur qui lui restât permise. Sans doute la femme et l’homme, si longtemps séparés, se reconnurent alors pour compagnons, et, avec l’égalité, les vertus domestiques qui la suivent.commencèrent à fleurir. C’est à cette

époque-là que se rapportent les Préceptes sur le mariage de Plutarque. Ce livre témoigne, non sans doute que les mœurs domestiques étaient généralement bonnes, — un livre ne peut pas prouver cela, — mais il établit que les esprits élevés de cette époque avaient conçu sur le mariage un idéal net et précis, auquel le christianisme ne pouvait rien ajouter, et auquel il n’ajouta rien, en effet, comme nous le verrons tout à l’heure.

La famille romaine est marquée d’un caractère très-particulier qui la distingue profondément : c’est le pouvoir, presque illimité à l’origine, du mari sur sa femme et du père sur ses enfants. Il faut exposer sommairement le droit romain dans ses dispositions premières et dans ses modifications successives relativement aux rapports du mari et du père avec sa famille. Tout d’abord le père, propriétaire de ses fils comme de ses esclaves, a sur eux un droit de vie et de mort. 11 peut les vendre, les exposer, les abandonner en réparation d’un dommage causé par eux, les punir, les condamner à mort, comme juge domestique. Tout ce que l’enfant acquiert par son travail, par son industrie, accroît la fortune du père. Ce droit farouche se conserva, dans presque toute sa rigueur, pendant toute la durée de la république. Il est douteux que l’exercice de ce pouvoir absolu fût propre à rendre le cœur des pères romains bien tendre et bien affectueux, ’ car l’homme néglige rarement d’abuser de la ty FAMI

rannie quand elle lui est permise, et la tyrannie, quelle qu’elle soit, corrompt le caractère ; mais, en tout cas, il est sur que la dépendance absolue des enfants devait leur

inspirer pour leur maître naturel une crainte contraire à toute affection. Le Romain devait attendre trop souvent la mort de son père comme l’heure de sa délivrance ; d’autre part, le jour où il cessait d’être esclave, il devenait maître de ses enfants et même de sa mère ; ce passage si subit exerçait sur son caractère les effets les plus funestes. L’obéissance absolue est une mauvaise préparation au commandement. Tout le monde

connaît l’histoire de Cassius, qui fit mourir ses fils dont l’éloquence agitait la république ;de Fulvius, qui condamna également le sien pour avoir participé à la conjuration de Catilina. On pourrait citer assez d’autres exemples du même fait. Sans doute les empereurs intervinrent pour empêcher les pères de faire mourir leurs enfants ou de leur infliger de mauvais traitements ; mais ce ne fut que très-tard, sous Constantin, que le meurtre du fils par son père fut positivement assimilé à celui du père par le fils. Jusque-là aussi le père conserva le droit d’exposer ses enfants. « Aussitôt que l’enfant est sorti du sein maternel, dit Charles Dézobry, on le dépose à terre aux pieds du père. S’il ordonne qu’on le relève, c’es, t qu’il le reconnaît et, veut qu’on le nourrisse. Au contraire, s’il le laisse a ses pieds, il déclare par là qu’il l’abandonne, et alors on va l’exposer sur une place publique, ordinairement dans le quartier du Vélabre où il meurt de misère, à moins que quelque passant n’en prenne pitié et ne l’emporte chez lui. » Le père décidait seul si cet enfant vivrait ou mourrait ; et la mère, qui venait de le mettre au monde au milieu des tourments, attendait en silence l’arrêt qui devait le lui ôter ou le lui laisser. Voilà une scène qui sûrement lui restait longtemps dans ia mémoire. On pense si l’arrêt, quand il était défavorable, était propre à nourrir dans le cœur de l’épouse l’amour de son mari. Cela seul était capable de la décourager à jamais de la maternité. Quoi d.’étonnant après cela, si, n’étant plus ni épouse ni mère, elle cherchait dans la parurent le libertinage l’intérêt et le motif de l’existence, car encore faut-il que tout être trouve quelque intérêt à vivre ? Ce ne fut que sous Constantin qu’il fut défendu au père d’exposer ses enfants. Il peut les vendre, il est vrai ; mais seulement à l’état de naissance (sanguinolentos) ; encore faut-il qu’il y soit contraint par la misère. S’il veut faire appliquer à ses enfants un châtiment grave, il faut qu’il soumette ses griefs à l’appréciation du magistrat, qui déférera à sa demande ou la rejettera.- La rouille de l’ancienne barbarie était, comme on voit, malaisée à détruire. A l’égard des biens, il fut permis aux enfants de posséder en propre ce qui leur était venu par certaine voie, ce qu’ils avaient gagné dans la profession militaire ou dans l’exercice de quelque fonction civile ou Teligieuse. Le droit romain, à cet égard, se continua pendant des siècles dans le midi de la France. Il ne serait pas exact d’attribuer à l’influence du christianisme les dernières modifications qui rapprochèrent le droit romain de la nature ; ces modifications furent îe dernier terme d’une évolution commencée dès la fin de la république. En second lieu, le christianisme ne paraît pas avoir débuté par exercer dans le monde du droit une influence favorable à la famille ; il commença par ne pas reconnaître le mariage, en haine de la loi civile. Pourvu que l’homme n’eût qu’une femme à la fois, et réciproquement, l’Église ne faisait pas grande différence entre le mariage et le concubinat. Ce qui aidait à cette confusion théorique, il faut le dire, c’est que l’Église regardait le mariage comme un état indigne, un peu moins peut-être que le concubinat, mais pas beaucoup moins ; la virginité était le seul état digne du chrétien ; c’est ce qui explique la toléran.ce du clergé envers les rois et les chefs francs, qui alla jusqu’à leur passer la polygamie, tolérance que la politique" toute seule n’explique pas suffisamment. La morale incertaine de l’Église sur les rapports des sexes, la barbarie, la férocité des nouvelles populations entrées par force dans le monde romain, férocité qui devint contagieuse pour la race plus cultivée des Gallo-Romains, l’instabilité des unions sexuelles, l’atisence de tout pouvoir qui constatât régulièrement les naissances, le défaut de nom patronymique (on ne portait encore que des surnoms), la difficulté des communications et leur danger, tout cela abaissa les mœurs domestiques, durant les premiers siècles du moyen âge, bien au-dessous de l’antiquité. Dans le monde ancien, le père et les enfants étaient peut-être trop étroitement liés ensemble. Ici, au contraire, il n’y a plus de fils ni de père, dès qu’ils se perdent de vue. Il suffit que l’enfant passe de son village dans un village voisin, pour que tous les Tiens soient rompus ; s’il veut se marier, l’Église ne lui demande pas lej consentement de ses parents ; s’il veut tester, la coutume ne lui prescrit de réserve que pour le seigneur. Au bout de quelques années, -la parenté même est impossible à établir. Quant au mari et à la femme, il n’y a pas le divorce, c’est vrai, mais l’Église offre vingt motifs de rompre leur mariage, aux époux qui en sont fatigués ; parenté physique, parenté spirituelle, que sais-je ? Ces abus se continuèrent

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fpendant toute la durée du moyen âge. Sur es procédés réciproques du mari et de la femme, les soties, les farces et les pièces de toute sorte qui nous sont parvenues concordent admirablement pour nous les montrer aussi détestables que possible. Le cocuaige est peut-être la moindre plaie du mariage, tel qu’ils nous le peignent. La femme hargneuse, le mari brutal, l’un et l’autre également haineux pour-son conjoint, rien n’est plus attristant que cette littérature. Nous ne pouvons pas ici marquer les nuances morales qui appartiennent à telle ou telle période particulière du moyen âge, ni les gradations qui conduisent de cette époque à l’époque moderne proprement dite. Passons donc sans transition au siècle si vanté de Louis XIV. Nous trouvons dans une phrase de Saint-Simon toute l’histoire de la famille dans ce temps-là.

> Le duc de Rohar) ne comptoit ses filles pour rien et ses cadets pour peu de chose ; en donnant aussi peu qu’il voulut (à sa fille aînée), il fut aisé à persuader. « Il consentit au mariage de sa fille avec le comte de Lamarck, ■ qui n’avoit quoique ce fût en France. » Le duc de Rohan n’est pas un père exceptionnel ; c’est le type du père au xvne siècle. L’amour paternel’a onsidérablement faibli. La vanité, l’orgueil de la race, de la maison, qui n’est pas 1 affection pour les enfants, tant s’en faut, bien qu’on prenne souvent l’un pour l’autre, tend à régner exclusivement dans les rapports des parents avec leurs enfants. On n’aime que son aîné ; et encore il n’est pas juste de dire qu’on l’aime. Non, on chérit, on choie en lui un représentant, un autre soi-même ; et chacun veut, puisqu’enfin il lui est impossible déjouer indéfiniment son rôle en personne, dans cette vie, que son représentant y fasse la plus belle figure possible. Pour cela, il faut rassembler sur sa tête tous les biens et tous les titres, les terres et les charges et exclure complètement les cadets et Tes filles. Les cadets iront au régiment ou au couvent, à leur choix ; les filles au couvent, sans choix, à moins qu’elles ne trouvent quelque gentilhomme pauvre, quelque cadet d une autre maison, qui consente à faire avec elles le mariage • de la faim et de la soif, » comme disait Saint-Simon. En effet, chassés par monsieur leur frète, les cadets sortent de la maison paternelle, qui avec une petite compagnie qu’on a bien voulu lui acheter, qui avec son justaucorps et son épée tout simplement. Habitués à. la fortune, à un grand ordinaire, orgueilleux d’ailleurs de leur nom et incapables de rougir d’autre chose que de la pauvreté, ces hommes-là commettront fièrement toutes sortes de turpitudes, et même des crimes. L’officier grossira son revenu aux dépens de la paye de ses soldats, et si ces insolents coquins réclament, il les bâtonnera. L’autre, sans grade, sera chevalier, mais d’industrie ; il vivra dans les tripots, les brelans, aux frais des dupes, ou sera entretenu par les femmes, ou trouvera sa subsistance chez un grand, chez’un fermier général, en qualité de flatteur, de factotum honorable, peut-être même de pourvoyeur non honorable.

Ceux d’entre les cadets que leur père avait destinés de bonne heure a, l’Église, sur des signes bien équivoques de vocation, tels qu’une certaine patience à l’étude, une certaine tranquillité de caractère, ceux-là n’étaient pas si malheureux. Ils avaient en partage les plantureuses abbayes, les riches prébendes, et, s’ils étaient de grande maison, les évêchés, les archevêchés. L’Église possédait le cinquième au moins de la fortune immobilière de la nation ; il y avait là de (quoi entretenir bien des cadets de la noblesse, et c’est en effet de quoi on en entretenait grassement une partie. Cet immense trésor de l’Église, que tous les siècles et toutes les classes avaient contribué à former pour les pauvres, était devenu, en résultat définitif, ’. comme un appoint énorme à la fortune déjà j si considérable de l’ordre des nobles. Les i filles, même très-nobles, ne trouvaient pas tout à fait les mêmes avantages dans la carrière ecclésiastique ; comme c’était leur seul débouché, il y avait trop de concurrence. Quand on connaît ces vices de la famille, sous l’ancien régime, vices qui avaient pour effet de remplir les couvents et les paroisses de prêtres et de nonnes involontaires, on ne s’étonne plus des mauvaises mœurs si communes autrefois parmi les nonnes et le clergé de tout rang. C’est ce que disait déjà Fléchier, l’illustre évêque de Nîmes, en parlant des religieuses qui jetaient le froc aux orties. ■ Je ne m’en étonne pas, disait-il ; on les contraint pour des intérêts domestiques ; on leur ôte par des menaces la liberté de refuser, et les mères les sacrifient avec tant d’autorité, qu’elles sont contraintes de souffrir le coup sans se plaindre. • Aussi les désordres les plus scandaleux, les débordements les plus effrontés étaient-ils en ce temps-là l’histoire de tous les jours ; et les peuples, corrompus par l’exemple de ceux qui étaient établis pour leur prêcher la morale et leur en faire leçon, suivaient dans le mauvais chemin leurs guides et leurs pasteurs. C’est ainsi que le relâchement des mœurs privées et domestiques avait pour résultat définitif de gâter les mœurs publiques. L’opinion qui regarde la famille.comme la pierre angulaire de la société peut trouver dans l’histoire de

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cette époque une confirmation malheureusement trop évidente. Il ne faut pas croire, d^ailleurs, que la pécheresse des sentiments fût particulière à la noblesse. Celle-là, nous l’avons dit, donnait l’exemple de l’orgueil, cause de tout le mal, et les autres classes suivaient cet exemple. Dans la bourgeoisio comme chez les grands seigneurs, c’était à qui formerait une bonne maison en accumulant tous les biens sur la tète d’un seul fils. Les mœurs domestiques, dira-t-on, étaient du moins plus saines chez le peuple. D’abord, on n’en sait trop rien ; il est fort difficile do préciser au juste quels étaient les sentiments et Tes us intérieurs du peuple dans un temps où nul chroniqueur ne songeait à parler de lui ; en second lieu, il est peu probable que là se fussent réfugiées les bonnes mœurs chassées des hautes classes ; le penchant que les petits ont d’imiter les grands ne permet guère de le penser. Ce qui le permet encore moins, c’est l’excessive misère des classes laborieuses sous l’ancien régime ; la dureté constante du sort n’est pas propre, on le sait bien, à incliner l’homme à la douceur ni même à l’équité. Concluons donc, ce qui est certain pour les hautes classes et très-vraisemblable pour le peuple, que les mœurs

domestiques ont été mauvaises pendant toute la durée de l’ancienne monarchie, contrairement au préjugé trop répandu en faveur du bon vieux temps, et qu’elles ne se sont relevées chez nous qu’après la Révolution, et, grâce à elle. Nous n’entrerons pas dans 1 exposition de l’état actuel, que chacun peut juger en regardant autour de soi ; qu’il nous suffise de djre que, si l’homme et la femme ne sont pas encore sur un pied assez égal dans le ménage, aussi égal qu’il le sera plus tard, du moins l’égalité établie entre les enfants a rendu l’amitié, l’affection fraternelle possible. Le père et la mère, en devenant forcément plus équitables, sont devenus plus chers et plus vénérables à leurs fils. La source des jalousies, des haines de famille, les pires que l’on connaisse, a été ■ à peu près tarie ; et tout cela a été l’effet des justes dispositions que la Révolution a mises dans nos codes et qu’elle seule pouvait y mettre.

On peut disputer sur le plus ou moins d’étendue des prérogatives du père de famille et de ses obligations ; mais le principe ne varie pas. Le père est le tuteur naturel de ses enfants, et, à défaut du père, la mère, si elle survit ; mais l’État est leur cotuteur légal et permanent. À ce titre, la puissance publique doit intervenir, sur simple réquisition, pour prêter main-forte à la puissance paternelle en cas de désobéissance et de révolte ; mais, par contre, elle impose au père des devoirs, et le sanctuaire domestique n’est pas tellement fermé que la loi ne puisse y pénétrer pour s’assurer que les obligations naturelles qu’elle a confirmées de son sceau sont remplies. C’est en vertu de ce principe que la loi fixe la limite minimum de l’âge d’entrée des enfants dans les manufactures et qu’elle règle les heures de leur travail. En cas d’infraction, elle punit. Y a-t-il sévice, elle est plus sévère. L’infanticide, qui chez les anciens passait à peine pour une faute légère, est mis au rang des crimes et puni de mort. La loi enfin tient les parents en garde contre le caprice de ieurs affections ou de leurs préférences, et, par un compromis qui a suffi pour changer la face de la société, elle ne leur laisse plus la disposition entière de leurs biens. Nous voilà bien loin du despotisme romain et du moyen âge. Dans certaines classes de la société, il est de bon ton, nous le savons, de crier contre cotte tyrannie légale qui ne permet plus d’accumuler toutes les successions sur la tète de l’aîné de la famille en jetant les cadets dans la rue et les filles dans les couvents. Ces vieux échos du passé se réveillent parfois dans nos assemblées législatives, mais ils y meurent au milieu du silence universel. Pour nous, loin de trouver la loi tyrannique, nous la croyons trop douce encore, et nous estimons que, dans le partage de l’autorité, l’État aurait pu se réserver une part plus large. Mais, pour déterminer cette part, il faut dire en quoi consistent les obligations du père de famille, et comment, pour le contraindre à les remplir, l’État peut procéder par voie de coercition.

Le père peut-il se croire quitte envers ses enfants lorsqu’il a pourvu à leurs besoins matériels jusqu’à l’âge où ils peuvent se passer de son aide et de sa protection ? Non, les animaux en font autant, et les devoirs du père de famille sont plus étendus. Outre le pain du corps, il doit à son enfant le pain de l’âme, qui n’est pas moins nécessaire. La nature n’a fait que des enfants ; c’est à lui de former des hommes et de cultiver les précieux germes d’intelligence et de moralité qui sommeillent dans ces jeunes êtres. On nous dira que personne ne conteste cette obligation, c’est vrai ; mais les partisans du despotisme paternel n’en font qu’un devoir de conscience dont le père de famille ne serait comptable qu’à Dieu. Contrairement à cette opinion, nous soutenons, nous, que la loi de nature doit être corroborée ici par une sanction légale et positive. En quittant le foyer domestique, les enfants entreront un jonr dans cette grande famille qui s’appelle la patrie, et, au nom de celle-ci, la société a le droit d’exiger qu’on lui fournisse des hom-## famille s. f. ##