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Première section. De tout ce qui est, de tout ce qu’on peut concevoir, une seule chose est souverainement bonne, et bonne pur soi seule : c’est la droite volonté. Une volonté bonne tire su bonté d’elle-même, et est parfaitement indépendante de tout le reste. L’idée d’intérêt ou d’utilité qu’on y veut joindre quelquefois peut, tout au plus, servir de cadre au tableau, mais n’est pour rien dans la beauté intrinsèque du tableau. D’après quoi jugeons-nous une action bonne ? D’après la raison.

La raison est dite pratique en ce qu’elle nous rend capables, non pas seulement du bonheur, pour lequel l’instinct eût été un guide plus, sur, mais du bien absolu, de la faculté d’acquérir une valeur propre, celle de la bonne volonté ou celle du devoir. L’idée du devoir nous montre, dans toute sa pureté, la volonté droite et bonne par soi. Seulement, il faut bien distinguer l’action conforme au devoir et l’action faite par devoir. Une conduite peut être extérieurement correcte, irréprochable, sans avoir pourtant la valeur morale absolue, si elle n’est pas exclusivement motivée et dirigée par le devoir. Une action n’a toute sa valeur morale que quand elle est inspirée par l’unique motif de l’obéissance au devoir, quel que soit, du reste, son résultat ultérieur. Il faut donc définir le devoir la nécessité de faire une action uniquement par respect pour la loi. Mais que faut-il entendre par ce respect de la loi ? Est-ce un sentiment que nous éprouvons envers la loi, et qui est le mobile de nos actes ? Nullement. Ce sentiment, bien loin d’être la cause, est l’effet de notre soumission à la loi. C’est la loi elle-même qui le produit en nous, qui nous l’impose. Il reste à chercher quelle est cette loi, dont l’idée détermine par elle seule notre volonté. Le seul principe qui dirige ainsi la volonté, c’est évidemment cette simple conformité de l’action à une volonté universelle, et le devoir s’exprime tout naturellement dans la formule suivante : « Je dois toujours agir de telle sorte, que je puisse vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. » Exemple : J’ai fait une promesse, je puis la violer. Mais le dois-je ? Pour le savoir, je n’ai qu’à me demander : Pourrais-je vouloir que tout le monde violât aussi ses promesses ? Évidemment, ériger le mensonge en loi universelle, ce serait anéantir la promesse elle-même. Je dis donc : il n’est pas permis, par la raison, de manquer à la promesse donnée.

Seconde section. Élevons-nous maintenant de cette philosophie populaire à une règle des mœurs fondée sur la raison pure et supérieure à l’expérience. Tout être est soumis à des lois ; l’homme seul est soumis à des lois dont il a conscience ; l’homme seul se détermine par sa propre raison, qui devient alors raison pratique. Mais la volonté, l’activité dont l’homme est doué n’est pas nécessairement tenue de suivre les lois de la raison. La raison commande, mais ne contraint pas ; elle donne des ordres qui ne sont que des préceptes ou des impératifs. Mais il y a différentes espèces d’impératifs. En voici, d’après notre auteur, le tableau complet et méthodique :

TABLEAU DES IMPÉRATIFS, D’APRES KANT.
impératifs (ordonnant une action). Hypothétiques (comme moyen). Problématiques (en vue d'un but possible). Techniques (se rapportant à l'art). Formulant des règles de l’habileté. Engendrant des principes pratiques matériels (fins subjectives).
Assertoriques (en vue d'un but réel). Pragmatiques (se rapportant au bonheur). Formulant des conseils de la prudence.
Catégoriques (comme but). Apodictiques (pour et par elle-même). Moraux (se rapportant à la liberté et aux mœurs). Formulant des lois de la moralité. Engendrant des principes pratiques formels (fins objectives).

On voit, par ce tableau, qu’il n’y a qu’un seul impératif qui soit catégorique, absolu, universel, indépendant de toutes les autres données de l’expérience ou de la raison : c’est celui que Kant résume dans la formule suivante : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en une loi universelle de la nature.» Cette règle permet, du premier coup, de distinguer le devoir parfait ou strict du devoir imparfait. Quand il serait absolument possible à la raison de se représenter une nature où régnerait la maxime mauvaise, cette maxime est contraire au devoir strict ou élémentaire. Si l’on peut, à la rigueur, supposer l’existence d’une nature où elle régnerait, elle n’est contraire qu’au devoir imparfait en histoire. Kant explique et justifie sa formule par des exemples correspondant aux trois grands chapitres de la morale : morale individuelle, morale sociale négative (justice) et morale sociale positive (charité). Il montre ainsi qu’en chaque occasion où nous transgressons notre devoir, nous ne le faisons qu’à titre d’exception apportée, en notre faveur, à la loi commune. Par conséquent, pour nous maintenir dans le devoir, il suffit de considérer la loi commune comme inviolable, aussi bien par nous que par autrui. Mais est-ce bien une loi nécessaire, également nécessaire pour tous les êtres raisonnables, d’agir toujours d’après des maximes susceptibles d’être érigées en lois universelles ? Pour qu’un impératif catégorique soit possible, ou, en d’autres termes, pour que notre raison puisse nous imposer comme une loi absolument indépendante de toutes les circonstances telle ou telle conduite, il faut qu’il y ait quelque chose dont l’existence en soi ait une valeur absolue, comme fin en soi. Kant établit qu’en effet l’homme, en tant que créature raisonnable, est une fin en soi, et ne peut être considéré comme moyen subordonné à tel ou tel autre objet. Au-dessus du règne des choses, où toute valeur est conditionnelle et relative, existe le règne des personnes, dont le propre est que chacune est une fin en soi. De là cette nouvelle expression de l’impératif catégorique : « Agis de telle sorte que tu traites toujours l’humanité, soit dans ta personne, soit dans la personne d’autrui, comme une fin, et que tu ne t’en serves jamais comme d’un moyen. » C’est de cette formule que dérive tout naturellement le respect de soi-même : par exemple, le devoir de s’interdire le suicide, la paresse, la négligence et, en général, tout ce qui amoindrirait en nous l’humanité. C’est là ce qu’on nomme le principe de la dignité personnelle. Une troisième et dernière formule dérive des précédentes ; car pourquoi faut-il se considérer et se traiter toujours comme fin, jamais comme moyen ? C’est pour faire régner sa volonté, sa propre liberté. Pourquoi encore faut-il agir de façon à pouvoir ériger ses maximes en règle universelle ? C’est encore pour que la volonté règne absolument et sans restriction du dehors. Tirons de là ce précepte : « Agis de telle sorte que ta liberté n’obéisse jamais qu’à elle-même. » C’est ce principe que plus tard a répété Fichte en réduisant la morale à cette prescription : « Réalise ta liberté. » C’est la théorie même des stoïciens grecs et romains : le sage seul est libre et maître de soi, parce qu’il agit toujours volontairement en harmonie avec sa nature, c’est-à-dire d’après sa raison. C’est ce que Kant appelle d’un mot très-juste et devenu classique : « L’autonomie de la volonté. » La volonté n’étant pas autre chose que la raison pratique, elle s’obéit à elle-même quand elle obéit à la raison, Arrivé ainsi au dernier mot de cette admirable synthèse morale, Kant combat, de ce point de vue, tous les systèmes qui donnent à la moralité un autre principe que celui-là : « Sois libre et n’obéis qu’à ta raison. » Tous les autres systèmes rentrent dans ce qu’il nomme l’hétéronomie de la volonté, c’est-à-dire qu’ils font dépendre la détermination morale d’un autre motif que le respect pour la loi morale elle-même, et alors, pour décider la volonté, il faut invoquer un attrait secondaire, étranger au devoir, un intérêt d’un ordre quelconque. Tantôt on fait intervenir le sentiment, et on ôte à la morale sa majesté en la ramenant à n’être que la satisfaction d’une sentimentalité sans fondement ; tantôt on fait appel à une sanction extérieure, qu’on érige à tort en principe moral, par exemple, la volonté de Dieu ou le désir de la perfection ; tantôt on retombe jusqu’à des causes tout à fait intéressées et subalternes pour expliquer la moralité, en l’attribuant" à la crainte des punitions ici-bas ou dans un autre monde, à l’habitude, à l’éducation, etc. Tous ces principes sont hétéronomes, c’est-à-dire déterminent la raison d’après autre chose que la raison elle-même. Kant en dresse le tableau de la manière suivante. D’après lui, les principes pratiques matériels de détermination qu’on peut donner comme fondement à la moralité sont :

SUBJECTIFS
OBJECTIFS
EXTERNES.
INTERNES.
INTERNES.
EXTERNES.
L’éducation (suivant Montaigne.)
La condition civile (suivant Mandeville).
Le sentiment physique (suivant Épicure).
Le sentiment moral (suivant Hutcheson).
La perfection (suivant Wolf et les stoïciens).
La volonté de Dieu (suivant Crusius et d'autres).

Troisième section. La liberté est la propriété d’un être raisonnable, dont la causalité (volonté) peut agir indépendamment de toute action étrangère. Mais cette liberté, comme toutes les forces qui existent, n’agit pas au hasard : où elle est un non-sens, où elle obéit à certaines lois. Ces lois sont tirées de la volonté même, et c’est en ce sens que la liberté est dite autonome. Volonté autonome ou volonté exclusivement soumise à la loi morale, ces deux expressions sont parfaitement synonymes. Mais, maintenant que nous venons d’étudier le concept et d’analyser les caractères d’une telle liberté, demandons-nous si réellement elle existe quelque part. Kant répond : « D’abord, la liberté est, chez l’homme, une notion nécessaire. » Mais comment expliquer l’existence réelle de cette liberté pour l’homme, puisque, dans le monde où il vit, tout est soumis à la loi de la causalité, c’est-à-dire à la nécessité ? On sait comment Kant tranche le débat : il met l’homme à la fois dans le monde sensible, comme phénomène, sous la domination de la loi de causalité, et, en même temps, comme noumène dans le monde suprasensible ; il suppose le même homme libre et n’obéissant qu’à la raison. Ainsi, comme êtres sensibles, nous appartenons au monde de la nécessité ; comme êtres raisonnables, nous sommes d’un autre monde, où la loi morale règne seule. Hétéronomie dans l’un, autonomie dans l’autre : telle est notre condition. Si nous étions uniquement confinés dans le monde sensible, nous serions condamnés à vivre en une perpétuelle hétéronomie ; si nous étions citoyens du monde idéal seulement, nous n’aurions pas de chaînes. Dans notre situation intermédiaire, nous avons à subir une double loi : notre volonté est au-dessous de l’une, au-dessus de l’autre. De là vient que le devoir et le vouloir ne sont pas identiques chez nous, ce qui revient à dire que nous ne sommes pas des êtres purement raisonnables. Si tel est notre état, comment l’impératif catégorique peut-il s’expliquer autrement que comme une loi de la raison pure s’imposant à une raison qui n’est pas pure, et s’imposant, dès lors, comme ordre absolu, impérieux, sans réplique, auquel il faut que les inclinations inférieures plient et se sacrifient. Ces explications données, il resterait une question suprême à résoudre. Kant, qui l’a posée dès le début et longtemps ajournée, l’aborde enfin pour avouer qu’elle ne reçoit pas de réponse rationnelle satisfaisante. Cette question est la suivante : « Comment une simple idée, une pure notion de la raison peut-elle avoir la puissance d’agir sur notre volonté, de déterminer nos actes, de régir et d’étouffer même nos passions ? » Ne faut-il pas à la morale une force de plus, un Dieu, une sanction, une base prise ou dans l’intérêt ou dans quelqu’une de nos facultés, autre que la raison pratique ? Non, répond tout simplement notre philosophe : c’est un fait que le devoir parle, commande et se fait obéir par sa seule autorité. Non-seulement il ordonne, mais il provoque des plaisirs, des joies, des remords, des sentiments de toute nature. Comment ? On ne peut l’expliquer ; mais c’est le propre de la raison d’arriver à l’incompréhensible, comme terme dernier, d’expliquer tout par un suprême et inexplicable principe que tout présuppose et qui lui-même ne suppose plus rien. « Et ainsi, dit-il en terminant, si nous ne comprenons pas la nécessité pratique inconditionnelle de l’impératif moral, nous comprenons du moins son incompréhensibilité, et c’est tout ce qu’on peut exiger raisonnablement d’une philosophie qui cherche à pousser les principes jusqu’aux limites de la raison humaine. »

FONDER v. a. ou tr. (fon-dé — lat. fundare ; de fundus, fond). Constr, Jeter, poser les fondements de : Fonder un édifice sur le roc, sur le sable, sur pilotis. Fonder une ville. || Établir, instituer, organiser : Fonder un empire. Fonder une Académie. Fonder une société de secours mutuels. Fonder une religion, une Église. Fonder une maison de commerce. Fonder un journal. Les mêmes vertus qui servent à fonder un empire servent aussi à le conserver. (Montesq.) Le guerrier couvert de gloire peut fonder un empire, il ne saurait fonder une religion. (Thiers.)

Le glaive fait les rois, agrandit les États ;
Mais, s’il fonde un empire, il ne l’affermit pas.
VIENNET.

|| Assigner un fonds, un revenu pour : Fonder un lit à l’hôpital. Fonder une rente perpétuelle. Fonder un prix académique. — Fig. Établir, donner une base, un fondement, l’existence à : L’arbitraire est l’ennemi de toutes les transactions qui fondent la prospérité des peuples. (B. Const.)

Je consens entre nous que tout soit oublié,
Mais non jusqu’à fonder un semblant d’amitié.
E. Augier.

|| Faire reposer, appuyer : Fonder ses raisonnements sur de faux principes. Fonder ses prétentions sur des motifs peu avouables. Fon- der ses espérances sur des données certaines. J’ai besoin de l’hypothèse de Dieu pour fonder l’autorité de la science sociale. (Proudh.)

Malheureux l’homme qui fonde
Sur les hommes son appui!
Racine.

— Fam, Fonder sa cuisine sur, Pourvoir à sa nourriture par le moyen de : La religion chrétienne est partout incorporée à l’État, et, depuis le pape jusqu’au dernier capucin, chacun fonde son trône ou sa cuisine sur elle. (Volt.)

Se fonder v. pr. Être fondé, établi : L’amour de la gloire se fonde sur ce qu’il y a de plus élevé dans la nature de l’homme. (Mme de Staël.)

— S’appuyer, s’étayer : Le libéralisme, ayant la prétention de se fonder uniquement sur les principes de la raison, croit d’ordinaire n’auoir pas besoin de tradition ; là est sou erreur. (Renan.)

Sur quelque préférence une estime se fonde.
Molière.

— Syn. Fonder, ériger, établir, instituer. V.ériger.

Antonymes. Abolir, détruire, renverser, ruiner.

FONDERIE s. f. (fon-de-rî — rad. fondre). Techn. Art de fondre et de purifier les métaux : Connaître, étudier la fonderie. La statue équestre de Louis XIV, qui, en 1699, fut élevée par la ville de Paris sur la place Vendôme, peut être regardée comme l’un des chefs-d’œuvre de la fonderie. (F. Ratier.) || Établissement où se fondent et se coulent les métaux : Construire une fonderie. Une fonderie de bronze, de cuivre, d’éiain. Une fonderie de caractères d’imprimerie. Une fonderie de canons.

— Lieu où le cirier fond sa cire,

Encycl. Pour les fonderies de fer, on distingue deux classes d’usines : 1° celles où l’on traite directement le minerai pour obtenir de la fonte, dite de première fusion, travail qui a lieu dans les hauts fourneaux ; 2° celles où la fonte de première fusion, en gueuses ou en saumons, est refondue une deuxième fois dans des fourneaux disposés à cet effet, et dite de seconde fusion.

Les gangues qui accompagnent le minerai exigent ordinairement, pour être fondues, des agents particuliers appelés fondants (v. fondants) ; quelquefois aussi le métal lui-même en a besoin pour que sa fusion soit possible. Pour déterminer la fonte du minerai, on cherche, en général, à produire des silicates multiples, laitiers ou scories ; les matières silicatées étant plus légères, le métal fondu forme toujours la couche inférieure. Lorsque les matières métalliques sont combinées avec le soufre, elles prennent le nom de mattes ; elles renferment quelquefois de l’arsenic et de l’antimoine ; mais alors ces corps forment. une partie plus dure qui porte la nom de speiss ; dans certains cas, enfin, il se forme une autre couche qui est du métal libre. On distingue quatre sortes de fontes : la fonte simple ou fonte crue, la fonte oxydante, la fonte de réduction, la fonte de précipitation.

Fonte crue. Elle a pour but de déterminer la fusion de la matière métallique ou terreuse sans réaction chimique spéciale. La condition essentielle est de produire la température le plus économiquement possible, et d’appliquer la chaleur exclusivement à la fusion de la matière. Cette opération se fait soit dans un four à cuve, soit dans un four à réverbère, suivant les cas.

Fonte oxydante. Cette fonte se rappro-