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créé. Réciproquement, tout ce qui commence doit finir. Ainsi, la matière seule est éternelle, et elle seule est infinie en grandeur comme en petitesse. Le matérialisme admet la division de la matière à l’infini. La matière étant éternelle et infinie, ses lois sont immuables et universelles. Ainsi, point d’intervention surnaturelle, point d’action accidentelle. Ce sont des lois, et non Dieu, qui régissent le monde.

Büchner admet, pour la formation de notre planète, le système des actions lentes ; le grand créateur, c’est le temps.

Voici le problème qu’il pose : N’y a-t-il pas eu un moment sur ce globe où une force nouvelle apparut, la force de la vie ? Non. La vie n’est qu’une combinaison de la matière, et cette combinaison a eu lieu dès que les circonstances favorables se sont produites. A chaque changement survenu dans ces circonstances correspond un changement dans les formes de la vie. À chaque couche terrestre correspond un monde vivant de plus en plus parfait, à mesure qu’on se rapproche de la couche actuelle.

Büchner, comme d’ailleurs l’école allemande, admet les générations spontanées, et pourtant il peut se passer de cette hypothèse en la remplaçant par une autre. Il suppose que les germes, existant de toute éternité, ont attendu, pour se développer, la production de circonstances favorables. Puis il explique par le temps le système de perfectionnement, l’animal passant successivement par toutes les formes inférieures avant d’être homme. Le livre de Darwin est venu appuyer cette théorie.

Arrivé à la question des causes finales, Büchner s’élève avec énergie contre l’hypothèse d’un prétendu dessein dans la nature. Après avoir établi que la force active de la nature ne peut être séparée de la nature elle-même, les matérialistes emploient les mêmes arguments pour présenter cette autre force appelée âme, comme une simple fonction de l’organisation. Le cerveau est l’organe de la pensée ; l’un est toujours en proportion de autre. La forme et la composition du cerveau ne sont pas moins importantes. On a trouvé dans les anfractuosités du cerveau ou circonvolutions cérébrales la cause de la diversité des intelligences. La comparaison des races humaines confirme ces théories. Quelles différences entre les crétins et les hommes ordinaires, entre les nègres et la race européenne ! L’exercice de l’intelligence développe absolument le cerveau comme l’exercice du lutteur développe les muscles. Si l’on compare les crânes modernes aux crânes antiques, il est indubitable que le crâne des Européens a grandi en valeur. Quant à la composition chimique du cerveau, elle est très-complexe : on y trouve des substances spéciales qu’on ne rencontre que là. Certaines matières ont une importance considérable, et Moleschott a pu dire : « Sans phosphore, point de pensée. » Tout en admettant que la pensée n’est qu’une fonction organique, Büchner combat pourtant la célèbre doctrine de Cabanis : la pensée n’est qu’une sécrétion du cerveau. La comparaison est fausse ; car la pensée ne peut être, comme les sécrétions, vue et pesée. La pensée est la résultante de toutes les forces réunies dans le cerveau, résultante invisible, effet probable de l’électricité nerveuse.

Les derniers chapitres du livre de Büchner traitent des idées innées, de l’immortalité de l’âme, de la différence entre l’homme et l’animal. Les solutions de ces questions sont connues et faciles à prévoir par ce qui précède. Cette fin n’est qu’une conséquence naturelle et juste des prémisses.

Pour donner un aperçu de la conclusion du volume, il suffit de citer les apophtegmes qui commencent chaque chapitre. |

Idées innées : Nihil est in intellectu quod non fuerit in sensu. Idée de Dieu : Dieu est un tableau vide sur lequel il n’y a d’autre inscription que celle qu’on y met soi-même. — L’homme se dépeint dans son Dieu. — Le corps humain est une forme modifiée du corps animal. — L’âme humaine est une âme animale à une plus haute puissance.

Conclusion : Les hommes se tromperont toujours quand ils abandonneront l’expérience pour des systèmes enfantés par l’imagination.

— L’homme est l’ouvrage de la nature, il est soumis à ses lois et ne peut s’en affranchir ; c’est en vain que son esprit veut s’élancer au delà des bornes du monde visible, il est toujours forcé d’y rentrer.

Le plus célèbre des philosophes naturalistes de Allemagne dit, au commencement d’un de ses livres : « il n’y a rien d’aussi obscur que la matière. » Les critiques français de Force et matière semblent s’être inspirés de ce mot de Schelling. M. Janet, dans la Revue des Deux-Mondes, Lefaivre et Tissot, dans la Revue contemporaine, sont unanimes à élever ce reproche contre ce qu’ils appellent l’école matérialiste de l’Allemagne, qui revendique le nom d’école matérialiste, et qui prétend n’être point une école à système, mais une école de critiques voulant relever les erreurs des philosophes spéculatifs, erreurs commises à l’égard des sciences naturelles. C’est Janet qui s’est donné le plus de peine pour anéantir totalement l’école matérialiste en Allemagne. À l’entendre, tous les Allemands en seraient les adhérents les plus fervunts, et il n’y aurait guère, dans le vaste pays d’outre-Rhin, d’autres intérêts que ceux qui s’y rattachent. Que Janet se tranquillise ! Molesehott disait, dans son dernier cours à Zurich : « Il faudrait naître dans cent ou deux cents ans pour voir une Allemagne entièrement matérialiste. » Janet a attaqué l’ouvrage de Büchner d’abord dans des cours faits à la Sorbonne, puis dans une brochure, sous ce titre imposant : le Matérialisme contemporain. Quant à Lefaivre (Revue contemporaine du 15 mars 1863), il a donné à son travail la forme pittoresque d’un dialogue dans une promenade sur les bords fleuris du Necker, ou l’action de la Providence est discutée entre plusieurs bouffées de cigares. Son interlocuteur est un personnage dont il a facilement raison. Tissot, dans la Revue contemporaine du 15 juillet 1864, a fait un travail plus consciencieux. Il a parlé en philosophe qui possède bien sa science, sans admettre qu’il puisse y avoir autre chose en ce bas monde ; quant au lecteur impartial qui n’est ni matérialiste ni spiritualiste, il ne peut voir dans Force et matière que l’application savante et sérieuse de la science à la philosophie, et il se borne à admirer la clarté et la rigueur des conclusions de Büchner. Il admettra que la matière ne peut pas plus se définir que le temps, l’espace, l’univers, et quand il verra la raison humaine approfondissant, avec l’aide de la science, ces régions si obscures, il donnera son estime à l’homme qui s’est fait le vulgarisateur de problèmes si ardus. Il regrettera les violences auxquelles Büchner s’est laissé entraîner contre l’école spiritualiste. Les violences compromettent les meilleures causes, et avec la modération de Janet, il cherchera la vérité. « Le temps des grandes constructions métaphysiques est passé, dit le critique de la Revue des Deux-Mondes. La philosophie est aux prises avec le réel, avec l’esprit positif du siècle. Triomphera-t-elle ? parviendrat-elle à maintenir l’idée de l’esprit dans un temps où la matière semble triompher de toutes parts ? Voilà la question qui s’agite en Allemagne, et qui, en même temps, sous une autre forme, s’agite en France. C’est aux philosophes de répondre affirmativement à cette question, plus grave pour eux que pour tous les autres. »


Force du naturel (la), comédie en cinq actes et en vers, de Destouches, représentée à la Comédie-Française le 11 février 1750. Un marquis, près de donner à un comte, son parent, une jeune personne nommée Julie, qu’il croit sa fille, et dans laquelle, malgré une éducation très-soignée, on reconnaît des inclinations grossières, apprend qu’elle a épousé secrètement son intendant, avec lequel elle est sur le point de s’enfuir à l’étranger. En ce moment, une fermière de l’une des terres du marquis, et qui a été la nourrice de ses enfants, arrive à Paris pour régler quelques comptes avec le marquis, et amène avec elle une jeune fille nommée Babet, de laquelle on la croit mère, mais en qui l’on distingue une élévation de caractère peu conforme à son état apparent. La fermière, pressée par des remords secrets, avoue au marquis et à son épouse que, pendant qu’elle nourrissait leur fille Julie, elle l’a changée contre une enfant qui venait de lui naître, et que la prétendue Babet est la vraie Julie. Le marquis et la marquise, comblés de joie de retrouver leur fille, que la fermière a fait très-bien élever, et qui paraît digne de son origine, l’unissent au comte, qui est enchanté de cet échange. On pardonne à la fermière, et celle-ci approuve le mariage de Babet avec l’intendant. Brueys avait déjà traité ce sujet, mais d’une manière différente, sous le titre du Sot toujours sot. La Force du naturel n’eut que treize représentations.

Dans cette comédie, un des acteurs dit, en faisant l’éloge de la jeune fille que représentait Mlle Gaussiu :

…. C’est un pauvre mouton :
Je crois que, de sa vie, elle ne dira non.

Ce trait fit sourire tout le monde, qui se rappelait ce mot de la tendre et naïve actrice : « Cela fait tant de plaisir aux hommes, et cela nous coûte si peu ! »


Force du destin (la), drame espagnol du duc de Rivas, représenté à Madrid en 1835, avec un très-grand et très-légitime succès. Les situations saisissantes abondent dans cette composition, où l’imagination tient une grande place ; mais, comme idée première, le héros du drame, que son destin pousse, malgré sa volonté, dans toutes sortes de malheurs et d’aventures, ressemble un peu au héros de Calderon, dans la Décotion de la Croix, vis-à-vis duquel le destin joue le même rôle. À Séville vit, complètement entouré de mystère, cachant son nom, un jeune homme d’une rare élégance, riche, prodigue, jetant l’or à pleines mains d’une façon dédaigneuse. Personne n’a pu percer les obscurités de sa situation. C’est le fils d’un vice-roi du Pérou : son père s’est révolté contre l’Espagne, s’est allié par mariage à une descendante des Incas et a secoué le joug castillan. Il est mort réputé traître à sa patrie. Son fils, don Alvaro, ce bel inconnu de Séville, est rentré en Espagne avec de grandes richesses, dont il ne peut ainsi avouer la source. Amoureux d’une des filles de la haute aristocratie de Valence, il ne peut demander sa main au père, le marquis de Calatrava, qui, ne sachant d’où il vient, qui il est, comment il a gagné ses richesses, est fort mal disposé à l’accueillir. Mais la fille, Léonor, éprouve pour lui une passion violente, elle se résout, non sans hésitation, sans terreur, à fuir le toit paternel. Au milieu de cette scène très-pathétique survient le père ; don Alvaro s’humilie devant ce visage irrité, et, prenant un de ses pistolets, supplie le marquis de le tuer sur l’heure ; dans le mouvement qu’il fait, le pistolet part, la balle frappe Calatrava en pleine poitrine. Le père s’affaisse et meurt en maudissant sa fille coupable.

Léonor se réfugie loin du monde, au couvent de los Angelis, un couvent d’hommes, pour mieux cacher sa trace ; elle y prend l’habit religieux de novice, et vit isolée, sans même donner aucune nouvelle à sa famille, à plus forte raison à son amant, qu’elle a quitté pour toujours. De son côté, don Alvaro va faire la guerre en Italie ; il y cherchait la mort, il y rencontre la gloire ; les balles l’épargnent, malgré sa bravoure. Le hasard ou son destin lui donne pour frère d’armes, sans qu’il s’en doute, le fils du marquis de Calatrava ; les noms des nobles, en Espagne, favorisent cette invraisemblance, ce fils s’appelant don Félix de Avendaña. Lui-même s’appelle Fadrique de Herreros. Un jour de bataille, Alvaro remet à son ami une cassette pleine de ses papiers les plus précieux ; en cas de mort, don Félix doit les brûler. Sur la nouvelle qu’Alvaro a été mortellement blessé, il ouvre la cassette, et la curiosité le pousse à y jeter un coup d’œil ; il y voit le portrait de sa sœur, dont il a cherché partout le meurtrier. Dès qu’Alvaro est rétabli, il le force de se battre en duel, mais, malgré les efforts de celui-ci pour épargner son adversaire, le fils du marquis meurt dans le combat. Encore une tache de sang !

Don Alvaro revient en Espagne. Son intention est de se faire moine, et il entre précisément au couvent de los Angeles, où se trouve Léonor. Un second fils du marquis découvre le lieu de sa retraite, franchit les clôtures, et le provoque par ses insultes. Léonor, avertie, veut empêcher la rencontre fatale ; elle est poignardée par son frère, qui succombe à son tour sous l’épée de don Alvaro ; celui-ci, las de lutter contre le destin, qui ne cesse de lui imposer des taches sanglantes, poursuivi par la fatalité jusque dans le repos du cloître, se précipite du haut d’un rocher, en faisant entendre un blasphème. À la chute du rideau, on voit les moines, accourus autour du cadavre, tomber à genoux et implorer la miséricorde divine.

Ce drame est un des premiers efforts du théâtre espagnol pour renaître de sa longue atonie ; c’est le premier élan du romantisme. Il y a trop d’aventures, d’invraisemblances, de meurtres ; mais la beauté des vers, la richesse du langage poétique rachètent ce qu’il y a de trop mélodramatique dans les situations.


Force du destin (la), opéra italien, musique de Verdi. V. Forza del destino.


Force (ancienne prison de la). Cette prison, si célèbre dans nos annales révolutionnaires, et supprimée aujourd’hui, était située rue Pavée, n° 22, au Marais, et rue du Roi-de-Sicile, n° 2. Elle tire son nom de l’illustre famille de La Force, dont elle était le domaine avant de servir à sa triste destination. Les bâtiments originaires furent construits, en 1265, par Charles, roi de Naples et de Sicile, d’où la dénomination de rue du Roi-de-Sicile, que porte encore aujourd’hui la rue avoisinante. En 1292, l’hôtel de Sicile (comme on l’appelait alors) passa aux mains du duc d’Alençon, et, en 1389, à celles du roi Charles VI. Il fut ensuite successivement habité par le roi de Navarre, le comte de Tancarville et les cardinaux de Moudon et de Birague. Ces deux derniers le firent reconstruire au xvie siècle, et c’était alors un des plus charmants hôtels de la Renaissance en même temps qu’un des plus somptueux et des plus vastes. En 1583, cet hôtel devint la propriété du duc de Roquelaure, qui le revendit au comte de Saint-Paul. Au comte de Saint-Paul succéda le comte de Bouthilier, à ce dernier M. de Chavigny, et enfin à M. de Chavigny le duc de La Force, qui lui donna définitivement son nom. Sous le duc de La Force, cette riche demeure, aux nombreuses cours, aux bâtiments vastes et infinis, vit des fêtes brillantes dont les contemporains nous ont laissé le souvenir. Plus tard, Sous Louis XV, l’habitation princière fut occupée par le bureau des saisies réelles du vingtième et par la ferme des cartes, en un mot par les contributions de l’époque. Ce fut peu de temps après que la régie fit place à la prison. Louis XVI régnait, et la Révolution commençait à gronder ; les demandes de réformes se multipliaient. Parmi ces réformes nombreuses, une des plus utiles, la réforme du régime des prisons, frappa surtout Necker, alors ministre. On sait, en effet, ce qu’étaient autrefois les prisons de la monarchie, cachots obscurs et malsains, qui équivalaient souvent, pour les captifs, à une sentence de mort. Le 30 août 1780, sur le rapport de Necker, Louis XVI déclara supprimées les anciennes prisons du For-l’Evèque et du Petit Châtelet, et ordonna l’établissement d’une prison nouvelle, dans les meilleures conditions possibles d’aération et de salubrité, à l’ancien hôtel de la Force. Les bâtiments ayant été ju-


gés insuffisants, on acquit l’hôtel de Brienne, qui leur était contigu, et cet hôtel, auquel on donna dès lors vulgairement le nom de petite Force, fut affecté à la détention des filles de mauvaise vie, lors de la suppression de l’ancienne prison Saint-Martin, en 1783. La petite Force, qui d’abord ne communiquait pas avec la Force proprement dite, garda sa destination jusqu’à la fin du règne de Charles X, époque à laquelle elle fut remplacée par Saint-Lazare. L’hôtel de la Force, ou pour mieux dire la Force, nom sous lequel on prit l’habitude de désigner la nouvelle prison, fut, dès 1782, aménagé en six départements, dont voici les divisions : 1o logis du concierge et des employés ; 2o prisonniers qui n’avaient pas payé les mois de nourrice de leurs enfants (ceci est textuel et constitue un curieux trait des mœurs de l’époque) ; 3o débiteurs civils (le Clichy du temps) ; 4o prisonniers de police ; 5o femmes ; 6o mendiants. Mais, dès 1791, ces divisions cessèrent d’être observées, et la Terreur, en remplissant les prisons pêle-mêle, en rendit d’ailleurs l’observation impossible. Le grand et sombre épisode de la Force fut celui des massacres de septembre 1792, qui ne furent pas moins sanglants là qu’à l’Abbaye, et le meurtre de la malheureuse princesse de Lamballe. On a pris trop souvent plaisir à raconter dans tous ces détails la fin tragique de l’ancienne amie de Marie-Antoinette, pour que nous revenions sur cette mort, qu’il eut peut-être été facile à Mme de Lamballe d’éviter. Quoi qu’il en soit, on montra longtemps la petite fenêtre ronde et grillée, située au troisième étage de l’ancien hôtel de Brienne (devenu la petite Force), et qui éclairait le cachot de l’infortunée princesse. C’est de ce cachot qu’elle sortit pour se rendre au guichet de la rue des Ballets, où la mort attendait ses hésitations, excusables sans doute, mais mortelles. Si les massacres de septembre furent sanglants à la Force, il est juste de dire aussi que le peuple, au milieu de sa fureur, sut distinguer plus d’un innocent, et même épargna plus d’un coupable. Un des prisonniers, Maton de La Varenne, dans son curieux récit intitulé Ma résurrection, déclare lui-même que, vers sept heures du matin, le 3 septembre, il entendit les meurtriers répandus dans la galerie, dire qu’on avait fait justice des traîtres et qu’il fallait lâcher les autres. Maton de La Varenne fut relâché, et avec lui Guillaume l’aîné, et un frère du ministre Bertrand de Molleville. Ce dernier prisonnier, qui a, lui aussi, laissé la relation de sa captivité à la Force, rapporte dans ses mémoires particuliers qu’ayant offert à ses libérateurs une poignée d’assignats, ces hommes rudes, encore tout couverts de sang, les repoussèrent en disant : Le bonheur de vous avoir sauvé vaut mieux que ça. Puis ils insistèrent pour le reconduire chez sa belle-sœur, auprès de laquelle il manifestait l’intention de se rendre, car, dirent - ils, ça nous ferait bien plaisir de vous voir contents l’un et l’autre. Ajoutons que là, comme à l’Abbaye, une sorte de tribunal siégeait, et que le président de ce tribunal, non moins heureux que Maillard, parvint à soustraire à la mort plus d’une victime. » Beaucoup d’acquittements, dit un historien contemporain, eurent lieu à la Force après le meurtre de Mme de Lamballe. On mit successivement en liberté Mme de Septeuil, Mme de Navarre, Chamilly, valet de chambre du roi, et le frère de lait de Marie-Antoinette, l’Autrichien Weber, un des plus fanatiques ennemis de la Révolution. La délivrance de ce dernier mit vivement en relief cet élan patriotique, qui, associé à des accès de rage, est le signe caractéristique des journées de septembre :

« Vous êtes libre, dit le président à Weber ; « mais la patrie est en danger, il faut vous « enrôler et partir sous trois jours pour la « frontière. » Et quand Weber sortit, protégé encore par deux gardes qui lui donnaient le bras, des femmes du peuple, remarquant qu’il avait des bas blancs, invectivèrent les gardes en ces termes, attestés par Weber lui-même dans ses Mémoires : Prenez donc garde, vous faites marcher monsieur dans le ruisseau. » Un autre historien fixe à 159 hommes et une femme le nombre des victimes de septembre à la prison de la Force ; mais ce chiffre aurait besoin d’être contrôlé, bien qu’il ne forme guère que la moitié des prisonniers qui s’y trouvaient alors renfermés.

Le tribunal avait adopté une formule pour prononcer une condamnation : « À l’Abbaye ! » Dans cette dernière prison, on disait de même : « À la Force !» quand on voulait envoyer un condamné à la mort. On a prétendu que les égorgeurs voulaient ainsi épargner à leurs victimes la connaissance du sort affreux qui les attendait au delà du guichet et leur laisser la croyance illusoire qu’il s’agissait d’un simple transfèrement.

Nous devons nommer, un an plus tard, pendant la Terreur, parmi ceux que la sombre prison reçut et ne rendit qu’à l’échafaud : le duc de Villeroy, Mme de Koley, femme du fermier général, le baron de Trenck, le directeur de l’Opéra Francœur, le banquier Vandenhyven et sa famille, la comtesse du Barry, M. de Sombreuil et l’avocat Linguet.

Après la Révolution, la Force continua à servir de prison, et, sous Louis-Philippe, d’importants changements furent apportés dans la division des six départements. La Force fut alors partagée en huit cours ou préaux ayant chacun leur destination : 1o la