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Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 8, part. 2, Fj-Fris.djvu/236

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tion personnelle, par quelque moyen que ce fût, il devait désirer, en effet, cette place forte de la police générale, qui lui donnait tant de pouvoir sans l’assujettir à un contrôle bien sérieux, et qui lui assurait des ressources pécuniaires énormes, sans qu’il eût à rendre de comptes rigoureux et réguliers. En outre, cette situation lui permettait de se créer des relations dans tous les camps et de se tenir prêt pour toutes les éventualités.

Avec le plus parfait cynisme, ce révolutionnaire, ce régicide, ce terroriste, se montra dès lors l’ennemi de toutes les libertés. Il ferma les sociétés populaires, supprima d’un seul coup onze journaux, d’ailleurs avec l’assentiment du Directoire, et, bien que fortement attaqué au Corps législatif, il fit arrêter un certain nombre de journalistes.

Pour se donner un vernis d’impartialité, il prescrivit en même temps des mesures contre les chouans de Bretagne et de Vendée ; mais, dans l’application, il tempérait les rigueurs de la loi, moins par humanité peut-être que dans [’intention de se créer des relations dans la faction royaliste. À dater de ce moment, en effet, il eut toujours à sa solde des agents de ce parti, qui lui rendirent dans l’Ouest de grands services.

Toute sa tactique consistait d’ailleurs à se mettre en mesure avec tous les partis. C’est ainsi que, devinant la fortune prochaine de Bonaparte, il s’était rendu Joséphine favorable par de larges subventions provenant du produit des jeux, et d’autres sources plus impures qu’il avait à sa disposition. La future impératrice était pour ainsi dire à sa merci, par suite de ses prodigalités et de ses continuels besoins d’argent ; et comme elle recevait tout Paris dans ses salons, il savait par elle beaucoup de choses, en obtenait de réels services de haute police et se l’attachait par les liens solides de l’intérêt personnel.

Quand Bonaparte accourut d’Égypte avec l’intention de s’emparer de l’autorité, Fouché, avec son flair subtil de grand policier, sentit que la force et l’avenir étaient du côté du jeune général ; il n’eut pas une heure d’hésitation. Avec la plus complète tranquillité, il trahit à peu près officiellement le gouvernement qu’il était censé servir, ferma les yeux de sa police, laissa la conspiration se développer, et prit même une part assez active aux intrigues préliminaires, endormant le Directoire, neutralisant Dubois-Crancé, le seul ministre clairvoyant, recevant les conjurés chez lui et affectant un dévouement sans bornes pour Bonaparte. Il va sans dire qu’il l’eût renié avec enthousiasme si la fortune l’eût abandonné. Cela était bien compris des deux côtés.

Il suivait d’ailleurs d’un œil attentif la marche de la conjuration, toujours prêt à la favoriser ou à la renier, suivant l’événement.

Le 18 brumaire, le succès lui semblant assuré, surtout après le décret des Anciens ordonnant le transfèrement du Corps législatif à Saint-Cloud, il agit ouvertement dans le sens du mouvement, fit fermer les barrières, arrêter le départ des courriers, placarda une proclamation, suspendit les douze municipalités du Paris (qui étaient républicaines), enfin se mit absolument à la disposition de l’usurpateur et de ses complices.

Il fut récompensé de cette connivence doublement coupable par son maintien au ministère de la police, malgré l’opposition de Sieyès, qui voulait le remplacer par Alquier, une de ses créatures. Ce prêtre haineux, comme Fouché le nommait lui-même, réclamait avec acharnement des proscriptions, notamment contre un grand nombre de représentants républicains, parmi lesquels l’illustre Jourdan, le vainqueur de Fleurus. Mais, sur les conseils du ministre de la police, Bonaparte se contenta de soumettre les opposants à la surveillance, au lieu de la déportation, qui avait d’abord été prononcée par arrêté des consuls.

Fouché montra d’ailleurs beaucoup d’habileté et de sang-froid, et, par une modération calculée, contribua à déshabituer la France des institutions républicaines, à la façonner au régime nouveau, qui, suivant ses propres prévisions, ne devait pas tarder à dégénérer en absolutisme pur.

Il sollicita des mesures favorables aux émigrés et se fit ainsi des clients dans le parti royaliste, que le premier consul jugeait alors politique de ménager pour y trouver un point d’appui contre les dernières résistances de la République expirante. C’est dans cette vue que furent opérés un grand nombre de radiations de la liste des émigrés et l’abandon des mesures de rigueur contre les prêtres non assermentés. Un peu plus tard, la plupart des émigrés purent rentrer, et beaucoup obtinrent la restitution de la portion non vendue de leurs biens.

En politique, Fouché, s’il est permis d’employer cette expression, était un roué consommé ; il avait des aptitudes supérieures et de fortes capacités ; mais il était desséché de scepticisme, ne croyait à rien, qu’à la force et au succès. S’il défendait dans une certaine mesure les principes de la Révolution, c’était moins par conviction peut-être que par une réaction de bon sens et parce qu’il avait joué un rôle dans le grand drame. De bonne heure, il avait pris pour règle de conduite et pour toute morale cette idée, que les hautes positions dans la société nouvelle devaient appartenir aux hommes forts, aux capacités révolutionnaires, héritiers naturels de l’aristocratie qu’ils avaient vaincue ; toute sa doctrine était contenue dans l’adage vulgaire : « Ôte-toi de là que je m’y mette ! » Exempt de passion par indifférence de tout principe, il était d’ailleurs capable de modération, quand les intérêts de son ambition n’étaient pas en jeu. La société n’était pour lui qu’un échiquier, le drame des événements une grande partie, et lui-même se considérait comme un joueur, et comme un joueur qui tient surtout à gagner. C’est sous cet aspect qu’il faut le considérer, si l’on veut bien comprendre sa conduite au milieu des événements.

Toute sa préoccupation fut dès lors de garder sa place, de se faire considérer par Bonaparte comme l’homme nécessaire et propre à contenir tous les partis, à déjouer toutes les intrigues hostiles. Entre ces deux grands ambitieux, qui ne s’estimaient guère, il y eut comme une espèce de lutte. Bonaparte, à l’exemple de Louis XV, avait sa police particulière, pour contrôler celle de son ministre, dont il se défiait. Mais Fouché, à l’aide des ressources énormes que lui fournissaient les jeux, la prostitution, etc., s’arrangeait pour n’être jamais pris en défaut. Avec les confidences de Joséphine, celle du secrétaire intime Bourrienne, qu’il gorgeait tous deux d’argent, il était toujours en mesure, connaissait la pensée du maître, et s’amusait à égarer les agents de sa contre-police dans toutes sortes de pièges et de bévues.

La connaissance qu’il avait du personnel républicain, ses nombreux agents répandus parmi les royalistes et un peu partout, sa dextérité, sa clairvoyance, son absence de scrupules, le rendaient d’ailleurs précieux à Bonaparte, qui avait la passion, la superstition des moyens de police, comme il avait celle de la force. Soupçonneux comme tous les tyrans, il était plein de méfiance envers ses sbires, et cependant ne pouvait se passer d’eux.

Fouché fit avorter le complot de Chevallier, Laignelot, etc. ; mais il paraît être resté à peu près étranger aux machinations policières qui firent donner dans le piège d’une prétendue conspiration, vendue d'avance, Topino-Lebrun, Aréna, Cerrachi et autres infortunés, qui payèrent de leur vie la faute d’être tombés dans une souricière tendue par la police du premier consul, qui recherchait alors l’occasion d’un simulacre d’attentat contre sa personne pour étendre son pouvoir.

Dans l’affaire de la machine infernale (3 nivôse an IX — 24 décembre 1800), il soutint que l’attentat était le fait des royalistes (on l’accusait secrètement de protéger les jacobins), et il demanda huit jours pour fournir ses preuves. Son assertion était vraie ; mais il ne céda pas moins servilement aux haines de Bonaparte, qui voulait saisir l’occasion pour frapper les républicains, et il dressa une liste de cent trente démagogues destinés sommairement à la déportation, sous prétexte d’un attentat auquel ils étaient absolument étrangers. Néanmoins, il parvint à sauver quelques-uns de ces malheureux.

Malgré sa puissance, il était souvent obligé de se défendre contre les reproches violents du maître, qui le rendait responsable de tout ce qu’il ne découvrait pas, et qui, d’ailleurs, tout en subissant son influence, le redoutait et ne pouvait lui pardonner de se poser en homme indispensable.

Fouché avait, en outre, contre lui une coterie très-forte à la tête de laquelle étaient Lucien, Joseph et Élisa Bonaparte.

Quelque temps après la paix d’Amiens, en septembre 1802, le premier consul lui annonça, avec les remerciements obligés pour ses services, que le ministère de la police allait être supprimé, réuni à la justice, et que, comme compensation, il le nommait sénateur et titulaire de la sénatorerie d’Aix, dont le revenu était de 30,000 fr. (ajoutés à son traitement de sénateur, qui était de 30,000 fr.). En outre, il lui abandonna la moitié d’une réserve de 2,400,000 fr. qu’il avait ménagés sur les fonds de police. En un mot, il lui faisait un pont d’or pour se retirer.

Avec les richesses qu’il avait amassées, les dignités dont il était revêtu, l’influence qu’il avait acquise et les appuis qu’il s’était ménagés un peu partout, Fouché avait encore une grande situation. Il vivait alternativement dans sa magnifique terre de Pontcarré et dans son hôtel de la rue du Bac, recevant une foule de personnages marquants et mêlé activement encore aux affaires. Il faisait même de la police en amateur, car il en avait le goût. C’est ce qu’il appelait « se tenir au courant. »

On l’a même accusé de nouer des intrigues de tous côtés pour susciter des embarras à ses successeurs et se faire regretter. On a été jusqu’à dire qu’il avait secrètement encouragé la conspiration de Georges Cadoudal et celle de Moreau. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait un génie vraiment machiavélique et qu’il se complaisait dans les intrigues les plus diverses et les plus compliquées.

Le premier consul le consultait souvent, et il le comprit même dans une commission chargée d'une négociation avec les délégués des cantons suisses. Fouché lui conseilla la clémence à l’égard de Moreau, et remplit souvent auprès de cet homme si absolu et si entier le rôle de modérateur. On assure que ce fut lui qui, à propos du meurtre du duc d’Enghien, prononça la fameuse parole : « C’est plus qu’un crime, c’est une faute. » On sait que ce mot, d’une immoralité paradoxale, a été attribué également à Talleyrand.

Au commencement de l’Empire, par décret du 10 juillet 1804, Napoléon rétablit le ministère de la police, et désigna Fouché pour occuper ce poste, en lui donnant des attributions plus étendues qu’autrefois. Cet homme, véritablement supérieur dans cette redoutable spécialité, réorganisa le service et en fit cette puissante machine de la police impériale qui pourrait servir de modèle à tous les despotismes. Il avait quatre conseillers d’État pour lieutenants et qui étaient chargés de la correspondance avec les préfets ; il établit dans les principales villes des commissariats généraux ; ses agents innombrables (des deux sexes) étaient répandus dans toutes les classes de la société ; il avait à ses gages, non-seulement des sénateurs et autres dignitaires, mais des grands seigneurs de l’ancien régime titrés de princes. Le réseau de sa police s’étendait également à l’étranger et dans toutes les villes importantes de l’Europe. Il avait aussi dans ses attributions les prisons d’État, la gendarmerie, les passe-ports, les émigrés, les amnistiés, les gazettes étrangères, etc. Un pareil établissement engloutissait des millions prélevés, comme nous l’avons dit, sur les jeux et la prostitution ; ce qui n’empêchait pas l’empereur d’avoir toujours ses contre-polices.

Fouché était bien certainement le second personnage de l’Empire ; et pendant les fréquentes absences de Napoléon, surtout, il avait un pouvoir énorme sur la marche des affaires. Il est juste de dire qu’il n’abusa pas autant qu’on aurait pu le craindre de cette puissance monstrueuse, et que, sans aller jusqu’à compromettre sa position, il sut bien souvent, par son bon sens et sa dextérité, atténuer l’arbitraire et la violence du régime impérial. Toujours prévoyant, il ménageait les royalistes, mais sans persécuter les vieux républicains. Il y avait longtemps qu’il avait abandonné ses idées philosophiques et démocratiques, en supposant qu’il ait jamais été sincère, et il n’avait guère d’autre préoccupation que de jouer un grand rôle, d’exercer le pouvoir et d’édifier une fortune considérable. Cependant il avait trop de sens et d’intelligence pour ne pas s’attacher à sauvegarder les résultats sociaux de la Révolution. Quant aux choses de forme, il y attachait peu d’importance. Ainsi, il appuya la création d’une nouvelle noblesse purement honorifique, car il sentait bien qu’il n’eût guère été possible de rétablir les privilèges de l’ancien régime. Il reçut lui-même le titre de comte, puis celui de duc d’Otrante, avec de riches dotations, ce qui sans doute lui était plus sensible.

Malgré ses complaisances intéressées, il blâma le projet gigantesque et absurde du système continental, ainsi que l’expédition d’Espagne. En revanche, avec une indiscrétion courtisanesque, il conseilla le divorce à Napoléon (dont il savait que c’était le désir secret).

Après la bataille de Wagram, les Anglais étant débarqués à Walcheren et menaçant toute la Belgique, Fouché (alors chargé par intérim du ministère de l’intérieur) organisa rapidement la garde nationale, en donna le commandement à Bernadotte, quoique ce général fût en disgrâce, et força par ses mesures énergiques les Anglais à se rembarquer. Mais dans une proclamation, l’ancien conventionnel se réveillant en lui, il avait osé dire : « Prouvons à l’Europe que, si le génie de Napoléon peut donner de l’éclat à la France par ses victoires, sa présence n’est pas nécessaire pour repousser les ennemis. »

L’empereur, choqué et du choix du général et de ce qu’un de ses ministres eût osé supposer que la nation pouvait se passer de lui, se plaignit avec aigreur à son retour de Vienne. Au reste, Fouché avait eu très-souvent à souffrir de ses emportements et de ses défiances, et il lui avait fallu toute son habileté et sa souplesse pour se maintenir, car il avait de nombreux et puissants ennemis, et il suscitait lui-même les soupçons du maître par les intrigues dont il nouait les fils de tous les côtés.

Dans l’espoir d’atténuer ces préventions et de prévenir la disgrâce dont il se sentait menacé, il s’engagea imprudemment dans une véritable aventure. Napoléon, après son mariage avec Marie-Louise, avait montré quelques velléités pour la paix générale. Pensant n’être point désavoué, Fouché, pour sonder le terrain, envoya en Angleterre le célèbre fournisseur Ouvrard, pendant que, de son côté, l’empereur envoyait secrètement un autre agent. Le ministre anglais, le marquis de Wellesley, travaillé de deux côtés à la fois, crut à une mystification, et il éconduisit les deux agents.

Quand Napoléon, à l’aide de sa contre-police, eut pénétré la cause de cette mésaventure humiliante, il entra dans une violente colère. En plein conseil, il interpella rudement Fouché : « Ainsi, vous faites la guerre et la paix sans ma participation !»

Le lendemain, le portefeuille de la police fut donné à Savary. Fouché était définitivement disgracié. Ce changement ne rassura point le public ; car, malgré sa servilité, Fouché offrait encore des garanties de modération, tandis que Savary n’était que l’instrument brutal des volontés du maître. La police générale se trouvait désormais confondue avec la police personnelle du chef de l’État.

Le duc d’Otrante, en manière de compensation, fut nommé gouverneur de Rome. Mais il n’entrait pas dans les vues de l’empereur qu’il prît réellement possession de ce poste important ; cette nomination d’apparat n’avait d’autre but que de sauver les convenances gouvernementales en voilant sa disgrâce aux yeux du public.

Fouché Feignit d’être dupe de cette comédie officielle ; il fit bruyamment ses préparatifs de départ, fit inscrire sur ses voitures : Équipages du gouverneur de Rome, et monta sa maison comme s’il prenait sa position au sérieux.

Appelé naturellement à mettre son successeur Savary au courant de ses fonctions, il le joua comme jamais les Mascarilles de comédie n’ont joué les tuteurs et les Gérontes, enleva les papiers les plus importants, lui supprima avec soin les renseignements les plus essentiels, l’égara à plaisir dans le labyrinthe de la grande police, en un mot le mit perfidement en état de commettre les bévues les plus grossières.

Invité à aller attendre dans sa terre ses ordres de départ, il se retira à son château de Ferrières, qui formait, réuni à Pontcarré, un domaine de quatre lieues. C’était un bien national qu’il avait successivement accru. (Il appartient aujourd’hui aux Rothschild et fut occupé par Bismark dans la dernière guerre.) Il n’y fut pas longtemps paisible. Napoléon lui fit réclamer impérieusement sa correspondance privée et divers papiers importants. Il assura les avoir brûlés. En réalité, il entendait les garder pour se couvrir, pour prouver que les actes violents venaient de l’empereur, non de lui. Ce fut une véritable lutte. Menacé d’arrestation, et peut-être de pis que cela, il fila rapidement en Italie, et, sur des avis de plus en plus alarmants, se décida à s’embarquer pour les États-Unis. Mais il fut vaincu par le mal de mer, et on fut obligé de le débarquer à demi mourant.

Alors il se résigna à une transaction, demandant simplement, en échange des papiers, un titre quelconque d’irresponsabilité pour tous les actes de son administration, ce qui lui fut accordé. Il put se retirer au chef-lieu de sa sénatorerie, à Aix. Le danger qu’il avait couru ne l’avait point corrigé de ses habitudes invétérées de tout connaître et d’être mêlé à tout. Au moyen d’émissaires, il recevait régulièrement les nouvelles importantes, et avait pour ainsi dire sa contre-police. En juin 1811, il obtint de retourner à Pontcarré. Mais Napoléon, tout en le consultant quelquefois, n’avait pas cessé de se défier de lui. En partant pour l’expédition de Russie (que Fouché avait désapprouvée), il eut même un moment l’idée de le faire arrêter, ainsi que Talleyrand. Après l’affaire Mallet, il le soupçonna jusqu’à ordonner une enquête secrète, qui fut sans résultat. Enfin pendant la campagne de 1813, inquiet de le voir à Paris, il l’appela au quartier général, à Dresde, et l’envoya en Illyrie comme gouverneur général, puis à Rome, après l’occupation des provinces illyriennes par les Autrichiens ; enfin à Naples, avec la mission de retenir Murat dans les intérêts de la cause impériale. Fouché, qui depuis plus de deux années jugeait la chute de Napoléon infaillible et prochaine, ne se compromit d’abord avec Murat ni dans un sens ni dans l’autre, et ne lui donna que de vagues conseils, celui, par exemple, d’avoir de bonnes troupes, de s’entourer d’hommes de mérite, etc. Mais il paraît certain que, finalement, il encouragea ses tendances à se jeter dans la coalition.

Considérant sa mission comme terminée lors des premières opérations militaires de Murat, sur lesquelles il n’y avait plus à se méprendre, il se retira à Florence, auprès de la grande-duchesse Élisa. Il y demeura jusqu’à l’envahissement de la Toscane par les troupes du roi de Naples, puis reprit la rouie de France, non sans avoir conseillé au prince Eugène, vice-roi d’Italie, de ne pas conduire son armée dans les Vosges, comme l’empereur lui en donnait l’ordre.

Arrivé à Lyon, en mars 1814, absolument convaincu du triomphe des alliés et de la chute de Napoléon, il s’attacha à détourner Augereau et les principaux fonctionnaires du projet d’une défense désespérée de la ville, reçut des autorités l’ordre de se retirer à Valence, alla ensuite à Avignon, et, vu la difficulté des communications, ne put parvenir à Paris qu’après les événements. Il en ressentit un amer dépit, car il avait espéré faire partie du gouvernement provisoire. En plein Sénat, il affecta un grand zèle pour les Bourbons. Cependant, il est à croire qu’en sa qualité d’ancien régicide, il eût mieux aimé une autre solution. Il avait songé à une régence avec le roi de Rome, à un prince d’Orléans, etc. Au reste, il s’arrangeait toujours pour avoir un pied dans tous les camps et sa carte dans toutes les intrigues, nouant des relations partout et se ménageant des chances pour tous les événements. Un grand nombre de royalistes le regardaient comme un homme nécessaire, et Louis XVIII le fit plusieurs fois consulter. Lui-même s’offrit pour le ministère, car la passion du pouvoir était chez lui une maladie invétérée ; et cependant, dans le même temps, il complotait avec plusieurs partis le renversement des Bourbons. Dans les quelques jours qui précédèrent le retour de l’île