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tous les jours l’occasion de les vérifier dans nos ménageries. Voici ce que M. Z. Gerbe dit de ces jeux, qui auraient suffi pour appeler sur les grues l’attention des observateurs : « C’est surtout le matin et le soir qu’elles s’y livrent de préférence. Placées en cercle ou rangées sur plusieurs lignes, quelquefois groupées confusément, elles gambadent, dansent les unes autour des autres, tournent sur elles-mêmes, s’avancent en sautant l’une vers l’autre, s’arrêtent brusquement, convulsivement, tendent le cou, le relèvent, le baissent, déploient les ailes, font des sortes de salutations, se livrent, en un mot, a la mimique la plus burlesque qu’il soit possible d’imaginer. D’autres t’ois, plusieurs d’entre elles s élancent rapidement dans une direction, sans que l’on puisse dire quel est le but vers lequel elles tendent. Enfin, ces divertissements extraordinaires des grues vivant en famille sont presque toujours suivis d’autres ébats pris dans les airs. ■

Le genre qui nous occupe renferme une douzaine d’espèces, répandues dans toutes les parties du globe, ha.grue cendrée est l’espèce la plus connue ; les anciens l’appelaient oiseau de Libye ou de Scythie. Cette espèce peut atteindre une longueur totale d’environ im,30. Tout son plumage est d’un gris cendré, avec la gorge, le devant du cou et l’occiput noirâtres ; le sommet de la tête est nu et présente une peau rougeâtre, garnie de poils noirs clair-semés. La grue cendrée habite l’Europe ; il paraît qu’elle y était bien plus répandue autrefois. Elle vivait et se reproduisait dans les lies Britanniques, et on protégeait ses couvées en prononçant des amendes contre ceux qui les détruisaient. Maintenant elle semble être reléguée au nord de l’Europe ; c’est là qu’elle se reproduit. Elle est de passage dans les contrées méridionales au printemps et à l’automne, et pousse ses migrations jusque dans le nord de l’Afrique et le midi de l’Asie. Elle se repose autour des marais du midi de la France, et on en tue tous les ans quelques individus ; mais c’est avec beaucoup de difficulté qu’on parvient à approcher ces oiseaux ; on assure même qu’ils ont soin, de jour comme de nuit, de placer des sentinelles pour avertir la troupe en cas de surprise.

Les détails dans lesquels nous sommes entrés sur les mœurs des grues s’appliquant surtout à cette espèce qu’on a le plus souvent occasion d’observer, nous n’aurons que peu de chose à ajouter ici. La grue voyage par troupes d’une centaine d’individus, qui se serrent quand le vent est violent ou contraire, et se rangent, dit-on, en cercle pour lutter contre la tempête, ce qui est douteux. On prétend que le cri des grues, pendant le jour, est un présage de pluie ; si ce cri est tumultueux, c est un signe de tempête ; si elles s’élèvent paisiblement, c’est un indice de sérénité. Bien que difficile à approcher, il paraît que cet oiseau se laisse prendre quelquefois au lacet ; on léchasse aussi avec le faucon et le gerfaut. Sa chair.de médiocre qualité, a besoin, pour être mangée sans inconvénient, d’être faisandée et fortement assaisonnée. Kn médecine, on l’a préconisée contre les affections nerveuses ; sa graisse passe pour pénétrante et résolutive, bonne en frictions contre la paralysie et les rhumatismes ; on l’a beaucoup vantée contre la surdité.

La grue blanche de Sibérie ou leucogérane est une des plus grandes espèces du genre ; tout son plumage est d’un blanc pur, a l’exception des rémiges primaires de l’aile, qui sont noires ; elle a le bec et les pieds rouges. Cette espèce habite les régions marécageuses du nord et de l’ouest de 1 Asie, et se montre fréquemment dans le midi de la Russie d’Europe. On prétend qu’elle n’émigre que par couples. Eile a les mêmes habitudes que la précédente, mais elle est plus méfiante et plus difficile à approcher. La grue aniigone habite l’Inde et l’Australie, mais elle s’avance jusque dans l’ouest de l’Asie, et on l’a observée quelquefois dans la Russie méridionale. Elle est d’un cendré blanchâtre en dessus, avec des rémiges noires et des papilles rouges sur la tête.

La grue blanche d’Amérique est de taille plus grande que la grue cendrée ; son plumage est blanc, avec une tache derrière le cou et les rémiges noires. Elle est sédentaire ou de passage dans toute l’Amérique du Nord ; on la trouve surtout fort communément dans les terres basses et humides de la Louisiane. Les habitants de la campagne en tuent beaucoup à la chasse et les apportent sur les marchés, où ils en trouvent un prompt débit, parce que la chair de cette espèce est assez estimée. La grue brune ou de la baie d’Hudson est une des plus petites ; son plumage est d’un brun cendré roussâtre ; le sommet de la tête présente un espace dénudé, d’un rouge pâle ; le bec et les pieds sont noirs. Cette espèce habite, comme la précédente, l’Amérique du Nord.

La grue de Numidie est à peu près de la taille de la grue cendrée. Son plumage est d’un gris cendré bleuâtre, avec le cou, la gorge, les scapulaires et l’extrémité des pennes d’un noir brillant ; la tête est surmontée d’une aigrette de plumes blanches, flexibles, longues de oin,10 environ. Le bec, verdâtre à sa base, rougeâtre dans son milieu, est noir à l’extrémité ; les pieds sont de cette dernière couleur. Cet oiseau était connu des anciens. qui lui donnaient le nom de crex. Aujourd’hui, il est encore appelé anthropoïde,

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anthropomime, baladin, bateleur, bou/fon, comédien, danseur, parasite, demoiselle de Numidie, etc. La grue dont nous parlons doit ce dernier nom à son élégance, a sa parure et à l’espèce de pantomime qu’on lui voit exécuter. Elle cherche à se donner bon air, en marchant avec une sorte d’ostentation ; elle s’incline, fait des révérences*, saute et bondit avec joie, comme si elle voulait danser. Elle aime à s’étaler, à se donner en spectacle, et va jusqu’à préférer le plaisir de se montrer à celui même de manger. Elle suit avec coquetterie les personnes qui la quittent, comme pour solliciter un dernier coup d’œil. On trouve fréquemment cet oiseau en Asie, aux environs de la mer Caspienne et de la mer Noire, dans diverses parues du nord de l’Afrique, et surtout dans l’ancienne Numidie. En Égypte, on la voit arriver aux époques de l’inondation du Nil. Ses mœurs et sa manière de vivre sont les mêmes que celles de la grue cendrée ; son cri est semblable à celui de la^rue blanche, mais plus faible et plus aigre. La grue de Numidie niche, d’ordinaire, comme les autres espèces, au milieu des marais, mais cela n’a pas toujours lieu ; en Crimée, où elle est très-abondante, c’est constamment dans les endroits déserts et stériles des steppes qu’elle établit son nid. Tous les mouvements de cet oiseau sont pleins d’agrément.et de souplesse ; il semble avoir quelque chose de précieux et d’affecté ; on dirait qu’il aime à se montrer, à se faire remarquer ; certaines de ses allures paraissent vouloir imiter les gestes et la.coquetterie d’une femme qui affecte de la grâce dans son port et sa démarche. Son caractère est gai et peu farouche ; très-souvent on le voit sautiller, bondir, comme s’il se livrait à la danse ; on a même comparé ses jeux aux danses des bohémiennes. D’après Aristote on prend les grues de Numidie pendant qu’elles dansent ainsi vis-à-vis l’une-de l’autre. Les auteurs anciens rapportent aussi une manière de les prendre plus singulière que vraisemblable. Laissons parler V. de Bomare : « Comme cet oiseau imite les gestes qu’il voit faire aux hommes, on prétend que les chasseurs qui en veulent prendre usent d’un singulier stratagème : ils se frottent les yeux en leur présence avec de l’eau qu’ils tirent d’un vase, et ensuite ils s’éloignent en emportant ce vase, auquel ils en substituent un autre pareil qui est plein de glu ; alors la demoiselle de Numidie vient auprès du nouveau vase, et se colle les yeux et les pieds avec la glu, en imitant les gestes qu’elle a vu faire aux hommes. » On apprivoise facilement a.grue de Numidie ; elle s’habitue sans peine à la captivité. On a vu quelquefois, dans nos ménageries, ces oiseaux vivre, se reproduire, et continuer leurs jeux, tout en se livrant à leurs manœuvres de coquetterie. Ce seraient de très-intéressants oiseaux d’agrément à introduire dans les parcs.

La grue couronnée, appelée aussi baléarique et oiseau royal, est encore une fort belle espèce, qui peut atteindre lm,50 de longueur totale ; son plumage est d’un gris cendré bleuâtre sur le dos, fauve sur le croupion, noirâtre sur le ventre : les ailes sont blanches ; la tête est ornée d’un bouquet ou d’une couronne de plumes roides et so3’euses, d’un beau jaune d or, terminées par un pinceau noir, couronne qu’elle peut étaler et redresser à volonté. Cet oiseau habite les contrées chaudes de l’Afrique occidentale ; il est surtout commun au Sénégal. Il fréquente les lieux inondés et se nourrit comme les autres grues. Quelquefois il s’avance dans les terres, où il mange de l’herbe et des graines. Son vol est très-élevé, puissant et soutenu. Sa démarche habituelle est lente et grave, mais il court aussi très-vite. Il perche et passe la nuit sur les arbres. Son cri, qu’on a comparé au son éciatanc d’une trompette, ressemble en réalité à celui de la grue ordinaire, quelquefois aussi à une sorte de gloussement plus sourd que celui de la poule. D’un caractère doux et paisible, la grue couronnée se laisse approcher par l’homme sans montrer la moindre défiance ; on dirait même qu’elle recherche sa société et se plaît à être admirée par lui. Dans son pays natal, elle est si familière, qu’on l’y élève presque en domesticité ; elie vient souvent dans les cases prendre sa nourriture jusque dans les basses-cours, au milieu de la volaille. Elle est facile à apprivoiser, et vit très-bien en France et en Angleterre. « On a vu plusieurs fois, dit V. de Bomare, l’oiseau royal dans différentes ménageries ; ce nom lui a été donné par ceux qui, sous Louis XIV, en apportèrent à la ménagerie de Versailles. On a remarqué qu’il aime à se baigner ; que, dans l’état de repos, il se tient sur un pied, le cou plié ; mais il l’allonge, le redresse et porte la tête haute en marchant, 11 a le pas grave et mesuré ; quelquefois il s’exerce à la course, et alors il plie à demi les jambes, baisse le corps . en avant, et déploie à moitié ses ailes, dont il se soulève ; il vient au-devant des personnes qui se promènent dans le lieu où il est enfermé, et, si c’est dans un jardin, il les suit a la promenade ; il paraît aimer qu’on s’occupe de lui ; quelquefois il agace a coups de bec. »

Une autre espèce très - intéressante, mais peu connue jusqu’à ce jour, est l& grue d’Australie, découverte par M. Gould ; elle habite le nord de l’Australie et la Nouvelle-Galles du Sud. Elle montre une grande aptitude à la domestication, et dans son pays natal on lui donne le nom de compagnon de l’habitant. En

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Europe, ce n’est, jusqu’à présent, qu’un oiseau rare et curieux.

Nous citerons encore la grue caronculée, à plumage noir, qui habite le pays des Cafres ; la grue de paradis, d’un gris ardoisé, qui vit dans les déserts du midi de l’Afrique ; la grue à collier, de l’Inde orientale ; enfin la grue à collier noir et la grue à nuque blanche, qui se trouvent au Japon.

— Mécan. La^rue est une machine composée du treuil et de la poulie, et destinée à élever des corps très-pesants, pour les transporter à une petite distance.

Perrault, dans ses notes sur Vitruve, prétend que la grue n’est autre chose que le corbeau des anciens. Cette machine aurait été alors assez prumptement abandonnée, car, il y a un siècle à peine, on n’employait guère,

fiour les grands travaux, que le levier, le paan, la chèvre et le treuil grossier et primitif, sans engrenages. C’est seulement vers la fin

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du siècle dernier que l’on a commencé à construire des grues tournant sur un pivot, de manière à produire à la fois un mouvement d’élévation et un mouvement de translation. On voit encore aujourd’hui les premières grues, avec engrenages et chaînes, construites en Angleterre pour le déchargement des navires. Ces appareils, extrêmement lourds et difficiles à manoeuvrer, fonctionnaient avec une lenteur incompatible avec les exigences du commerce actuel, et demandaient une installation très-dispendieuse.

Depuis cette époque, les grues ont Subi les modifications les plus diverses, et fourni des types que l’on compte par centaines, appropriés d’une manière plus ou moins heureuse aux nombreuses applications que fait naître chaque jour l’augmentation croissante du mouvement commercial et industriel. Nous nous bornerons.à décrire un des modèles le3 plus communément employés. Les parties I élémentaires d’une grue sont lùg. 1) : un arbre vertical AB, dit poinçon, dont la partie inférieure est engagée dans un massif de maçonnerie qui maintient toute la pièce verticalement. L’extrémité B se termine par un Pivot sur lequel la machine peut tourner. A endroit où l’arbre s’appuie contre le bord de la maçonnerie, se trouve une sorte d’anneau GG, appelé collier à galets, ou simplement collier, destiné à diminuer les frottements que l’arbre pourrait éprouver pendant la rotation de la grue. De l’arbre part une pièce oblique CD, dite volée, destinée à soutenir une autre pièce AE, appelée tirant. Le tirant est formé de deux poutres parallèles, dont l’une cache l’autre dans la figure, et entre lesquelles est fixée la poulie F. À l’autre extrémité du tirant est un treuil T. Une corde, qui part de ce treuil, passe sur la poulie F, puis sur une seconde poulie mobile H, et vient se fixer sur un point K du tirant. La poulie H peut ainsi monter et descendre. Elle supporte un crochet auquel on attache les fardeaux que la machine doit soulever d’un endroit pour les déposer dans un autre. Pour que la corde puisse faire descendre ou monter ta poulie mobile, le treuil autour duquel elle est enroulée se meut par l’intermédiaire d’un système de roues dentées, à l’aide d’une ou deux manivelles montées sur le même axe. Cela posé, pour se servir de la grue, on attache le fardeau qu’il s’agit de déplacer au crochet de la poulie H. On agit sur

Fig. î.

les manivelles tnm (fig. 2), le treuil tourne, la corde s’enroule autour du treuil, la poulie

mobile s’élève et le fardeau arrive aune certaine hauteur. Alors on fait tourner la machine autour de son axe vertical AB, jusqu’à ce que le fardeau plane au-dessus du point où il devra être déposé. En laissant tourner les manivelles, tout en les retenant pour empêcher le mouvement de descente d être trop rapide, le fardeau arrive dans la position voulue.

Le mouvement d’ascension d’un corps soulevé par une grue est toujours très-lent, et c’est pour obtenir un accroissement de vitesse qu’on a recours à différents systèmes de roues dentées, agissant sur le treuil T. La durée et l’effet du travail dépendent donc en partie du système adopté. Prenons pour exemple celui qui est représenté par la figure 2.

T est le treuil Bur lequel est enroulée la corde. Sur l’axe de ce treuil est montée une roue dentée R, tournant avec lui et engrenant avec un pignon P.

À l’axe du pignon P est fixée une roue dentée R’, engrenant avec un pignon P’ placé derrière.

À l’axe du pignon P’ est fixée une roue dentée R", égale à R’, et montée a. la même hauteur. Les deux roues R’ et R" ont deux axes différents ; mais, dans la figure, celui de la première cache l’axe de la seconde.

Au-dessous des deux roues R’ et R", oa voit l’axe des manivelles, qui passe en avant de la roue R’ et en arrière de la roue R". Cet axe porte deux pignons égaux P" et P"’, qui, dans la position actuellement figurée, n’engrènent avec aucune des deux roues R’ et R". Mais, au moyen d’un levier mobile, on peut faire glisser l’axe des manivelles, soit vers la droite, soit vers la gauche, dans le sens de sa longueur. Si on le fait glisser vers la droite, le pignon P" engrènera avec la roue R’. Si, au contraire, on fait glisser l’axe vers la gauche, le pignon P’" engrènera avec la roue R". On dispose donc, a volonté, de deux systèmes d’engrenages dans le même appareil. Cela posé, si l’on fait engrener le pignon P avec la roue R’, le treuil tournera par l’intermédiaire des pignons et roues P", R’, P, R. Les pignons P"’, P’ et la roue R"

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