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bunal. La quemadero (brûloir) de Cordoue est resté célèbre. On faisait des catégories d’hérétiques. On les menait au supplice solennellement et revêtus d’uniformes différents, suivant l’espèce d’hérésie dont ils étaient convaincus. La populace venait assister à ces fêtes comme elle assiste maintenant aux combats de taureaux. Les misérables qui dirigeaient alors l’opinion spéculaient sur la cruauté naturelle du tempérament espagnol et assouvissaient ses instincts de cruauté en même temps qu’ils établissaient dans le pays l’unité politique et religieuse. Llorente, d’après le dénombrement tiré des registres officiels, établit que, de 1478 à 1808, la moyenne annuelle des condamnés à mort ou à des peines infamantes en Espagne pour cause d’hérésie est de plus de 1,100, et l’inquisition ne fut abolie en Espagne qu’au moment de l’invasion française (1808). Elle s’était établie avec les Espagnols sur tous les points du monde où ils avaient porté leur domination, au Mexique, au Pérou, dans toute l’Amérique du Sud, aux îles Philippines et à Goa, où l’inquisition fit périr 80,000 individus dans les flammes.

Jusqu’en 1559, elle ne sévit que contre les juifs et les Maures. Mais l’hérésie de Luther ayant pénétré en Espagne dans les dernières années de Charles-Quint, des poursuites furent dirigées, dans la quatrième année du règne de Philippe II, contre des protestants ou prétendus tels, et deux auto-da-fé eurent lieu à Valladolid. Fernando Valdès, archevêque de Séville, prédécesseur de Torquemada dans la charge de grand inquisiteur, fut investi, par Paul IV et par le monarque espagnol, d’une autorité formidable. Une bulle du pape lui permettait de livrer au bras séculier tout hérétique, même se repentant et abjurant son erreur. C’était l’investir d’un droit de sentence sans contrôle et sans appel ; nul, en face de lui, ne pouvait se croire à l’abri de la mort ou des tourments, puisque toute confession ou rétractation pouvait être considérée comme un moyen d’y échapper.

De là toutes ces cruelles exécutions qui ensanglantèrent le règne de Philippe II. On vit passer devant le redoutable tribunal une masse d’hommes distingués par leur naissance ou leur position, grands seigneurs, magistrats, docteurs, hauts fonctionnaires, et jusqu’à des prêtres, des religieux, des abbés, des évêques et archevêques ! À la suite de Fr. Bartholomé de Carranga, confesseur de Charles-Quint et de Philippe II, archevêque de Tolède, comparurent les archevêques de Grenade et de Saint-Jacques, les évêques de Lugo, de Léon et d’Almeira, en même temps que des théologiens illustres, dont quelques-uns avaient été au concile de Trente ; ils étaient tous accusés de luthéranisme, pour avoir approuvé les Commentaires sur le catéchisme, ouvrage de l’archevêque de Grenade.

Pendant que l’inquisition acquérait en Espagne une si formidable puissance, elle n’était parvenue nulle autre part à s’implanter définitivement ; en France, après l’extinction de l’hérésie des albigeois, elle fut suspendue. Le génie national lui était hostile, et l’influence des tribunaux institués par la royauté annihila l’autorité des inquisiteurs. On vit l’inquisition fonctionner à peine dans le nord de notre pays, sauf dans deux procès extrêmement célèbres : ce furent des inquisiteurs qui instruisirent, à Sens et à Paris, le procès des templiers ; à Rouen, celui de Jeanne Darc.

Au XVIe siècle, la naissance de la Réforme faillit être pour l’inquisition française une occasion de recrudescence. Paul IV, dans une bulle célèbre, essaya de la consolider ; les Guises firent tous leurs efforts pour en amener le rétablissement ; mais les parlements, sous l’influence du chancelier de l’Hôpital, s’y opposèrent énergiquement, et l’édit de Romorantin (1560) stipula que les évêques auraient seuls à connaître, en France, des délits commis contre la foi. En 1567, néanmoins, les états du Languedoc sollicitèrent le rétablissement de l’inquisition dans cette province, et il paraît qu’ils l’obtinrent, car, au milieu du XVIIe siècle, il y avait encore à Toulouse un inquisiteur pensionné du roi. Un arrêt du 25 janvier 1611 porte : « Nous, Pierre Girardet, inquisiteur de la foi, en vertu de l’autorité du saint-siége et du roi, par lettres patentes entérinées en la cour du parlement, fais commandement à tous libraires de me présenter, ou à mes commis, tous les livres qu’ils ont en leur puissance, sans en excepter aucun, ni par soi, ni par personne, sous peine d’encourir la censure de l’excommunication majeure, sans autre sentence ou déclaration requise, outre la confiscation des biens, des livres, et les amendes ordinaires. En foi de quoi nous avons signé et apposé le sceau de notre office. » L’inquisition usait assez peu de ses pouvoirs, tombés en désuétude ; cependant un enfant de neuf ans fut condamné au feu, cette même année 1611, pour vol de reliques, et, en 1635, une autre victime, Jean-Antoine Laghorrée, subit le même supplice pour cause de magie. L’archevêque de Toulouse, Charles de Montchal, dont l’autorité se trouvait amoindrie, fit supprimer l’inquisition de Toulouse par arrêt du conseil du roi du 30 avril 1645. La même année, un arrêt du parlement de Toulouse supprima la cour d’inquisition et lui enleva toute juridiction dans le royaume.

Quoique sans juridiction, l’inquisition continua de subsister abusivement. Les dominicains nommèrent un inquisiteur aux appointements annuels de cent vingt livres, pour l’acquit de leur conscience. Ce dernier représentant de saint Dominique, à Toulouse, fut définitivement écarté en 1772, grâce à l’intervention de la Dubarry. L’inquisition française périt sous le pied d’une courtisane. André Dulort fut le dernier inquisiteur français, et les dominicains cessèrent d’envoyer chaque nuit deux des leurs coucher au couvent de l’inquisition.

En Espagne, elle subsistait, pour ainsi dire, de nom seulement, quand un décret de Napoléon, du 4 novembre 1808, l’abolit : rétablie, en 1814, par Ferdinand VII, elle a disparu en 1820 pour ne plus reparaître. À Rome, elle végète toujours, et procède, non plus contre les personnes, mais contre les livres. L’inquisition , depuis le XVIe siècle, avait, en effet, deux objets : d’une part, elle punissait les écarts commis par des actes ou des paroles contre la foi ; de l’autre, l’établissement de l’imprimerie ayant donné naissance à un autre genre de délits, elle créa le tribunal de l’index, pour agir contre les crimes commis par voie de publicité. Le saint office condamne platoniquement les livres auxquels il ne saurait nuire d’une autre manière.

Valdès a résumé la procédure et la juridiction inquisitoriales dans son Code de l’inquisition d’Espagne (1561) ; une autre règle plus intime avait été formulée, vers le milieu du XIVe siècle, par Jean Gymeric ; c’est le Directorium inquisitorum. Les meilleures éditions de ce livre extraordinaire sont celles de Barcelone (1503) et de Rome (1578), avec des commentaires de Francesco Pegna.

L’inquisition d’Espagne nous fournit le meilleur modèle de son organisation. Le grand inquisiteur était assisté d’agents qu’il nommait lui-même, sous l’approbation du roi. « Les uns, qu’on appelait calificadores, étaient chargés de juger de l’orthodoxie des opinions ; les autres, nommés officiaux, présidaient aux arrestations ; les procureurs fiscaux dirigeaient les poursuites et soutenaient les accusations ; les secrétaires rédigeaient les procès-verbaux et surveillaient, pendant le procès, les accusateurs, les témoins et les accusés ; les sequestradores veillaient à l’administration des biens confisqués ; enfin, les familiers jouaient le rôle d’espions, et prenaient, au besoin, les armes pour faire exécuter les mesures de l’inquisition ou défendre la personne des inquisiteurs. L’inquisition avait des tribunaux dans toutes les villes de la monarchie, même dans les colonies, et des prisons particulières, appelées ordinairement casas santas. La procédure était, avant tout, secrète ; les dénonciations étaient accueillies, de quelque part qu’elles vinssent, et même on les provoquait par l’appât de récompenses. Les catégories de ceux qui pouvaient être soupçonnés d’hérésie étaient nombreuses. Sur le moindre soupçon, on lançait un arrêt de prise de corps. Dès cet instant, il n’y avait plus ni privilège, ni asile pour l’accusé, quel que fût son rang. On l’arrêtait au milieu de sa famille, de ses amis, sans que personne osât opposer la moindre résistance. Aussitôt qu’il se trouvait entre les mains des inquisiteurs, il n’était plus permis à qui que ce fût de communiquer avec lui. Ses biens étaient inventoriés et saisis ; on le plongeait dans un cachot méphitique, où il subissait les plus odieux traitements ; puis on s’attachait à forcer l’individu soupçonné à s’accuser lui-même, en lui appliquant la question et en lui faisant subir les plus atroces souffrances, au milieu d’un appareil propre à inspirer la terreur au malheureux qu’on martyrisait. L’hérétique qui refusait de faire acte d’adhésion à la foi catholique était livré aux flammes, ainsi que le relaps. La seule grâce qu’on faisait à ce dernier, dans le cas où il manifestait l’intention de revenir à la foi, c’était de le faire étrangler par le bourreau avant d’être déposé sur le bûcher. Notons que tout sérieux moyen de défense était refusé à l’accusé. L’inquisition se bornait à prononcer et à faire exécuter les sentences publiquement au milieu de solennités que les Espagnols appelaient auto-da-fé, c’est-à-dire acte de foi (v. auto-da-fé). Le terrible tribunal allait jusqu’à condamner les morts eux-mêmes lorsqu’il jugeait qu’ils avaient été hérétiques, et il faisait exhumer leurs restes pour les livrer aux flammes. Outre la mort par le feu, l’inquisition prononçait diverses autres peines, l’exil, la déportation, la perte des emplois, la confiscation des biens. Quant à ceux qui s’étaient réconciliés et avaient fait une abjuration solennelle, ils étaient astreints, pendant dix ans, à des pénitences publiques véritablement révoltantes. C’est ainsi qu’à toutes les grandes fêtes et tous les dimanches du carême le réconcilié devait se rendre à la cathédrale en chemise, pieds nus, les bras en croix, pour y être fouetté par l’évêque ou par le curé, et il devait porter constamment sur la poitrine deux croix d’une couleur différente de celle de l’habit.

Nos codes ont puisé, dans la procédure inquisitoriale, certaines parties importantes, notamment presque tout ce qui regarde la détention préventive, la mise au secret et l’instruction, pratiques souvent odieuses et qu’on sera contraint prochainement d’abandonner. La police, et surtout le service de sûreté, sont encore, pour leur organisation, un emprunt fait à celle du fameux tribunal.

L’inquisition, guidée par le génie fertile. d’Innocent III et de saint Dominique, inventa des moyens d’action dont l’antiquité ne s’était point avisée et dont ont bénéficié depuis les gouvernements laïques. En matière de procédure, la règle de l’ordre de Saint-Dominique était de n’en point avoir, façon commode de n’être pas responsable. Les supérieurs prescrivaient de s’en remettre à l’inspiration du moment. Les victimes n’avaient à arguer d’aucun texte canonique, et les moindres délégués de l’ordre étaient revêtus d’une autorité indiscutable, qui abrégeait toute espèce de lenteur dans l’accomplissement de leur mandat. Personne ne pouvait être sûr, d’ailleurs, de ne point tomber un jour sous leur juridiction. Qu’on s’étonne maintenant de l’impression produite, par la simple vue de leur froc blanc, sur des esprits disposés, par leur éducation mystique, à une impressionnabilité maladive ! Au commencement de la Réforme, Ulric de Hutten, dans ses Epistolae obscurorum virorum, etc., essaya de rire à leurs dépens. Quand on lit quelques-unes de ses lettres licencieuses et spirituelles, on sent l’effroi percer à travers son humeur badine. Ce devait être bien pis, trois siècles plus tôt. Les raisonneurs contemporains rient de tout leur cœur à ces récits émouvants où un pauvre diable, accusé d’être possédé parce qu’il aboie, ne peut se défendre d’aboyer devant le tribunal, et devant une affluence de quinze cents personnes, lesquelles, atteintes de la contagion, se mettent à aboyer. Ce récit est plus terrible qu’il n’en a l’air, et témoigne d’habitudes mentales peu faites pour exciter le rire ; notre gaieté et notre doute, à cet égard, prouvent seulement que le tempérament public a changé de caractère depuis lors.

L’inquisition a rencontré des apologistes. Quelques publicistes, dans l’intention d’en légitimer les rigueurs, admettent qu’elle fut, par rapport aux idées, ce que sont les tribunaux ordinaires par rapport aux actes. De même, disent-ils, qu’il est défendu de commettre certains actes spécifiés par la législation, il peut être défendu de penser d’une manière hostile aux institutions établies. Ils oublient qu’il y a une différence radicale entre une idée et un acte, et que s’arroger le droit de contrôler les idées c’est tendre infailliblement à tuer l’intelligence et l’activité pensante. Le principe même sur lequel repose l’inquisition est donc essentiellement mauvais en soi, et la façon horrible dont l’Église l’a mis en œuvre le rend plus exécrable encore. Néanmoins, les théologiens se sont constamment attachés à faire l’apologie d’une institution que les progrès de la civilisation ont contraint l’Église à abandonner. Au XVIIe siècle, un savant théologien, le P. Macedo, s’exprimait ainsi : « L’inquisition fut, en principe, fondée dans le ciel. Dieu remplit les fonctions de premier inquisiteur lorsqu’il foudroya les anges rebelles. Il continua de les exercer à l’égard d’Adam et de Caïn et des hommes, qu’il punit par le déluge, ou par la confusion des langues lors de la tour de Babel ; Moïse les remplit en son nom quand il punit les Hébreux, dans le désert, par des morts violentes, par le feu du ciel, les serpents ardents ou l’engloutissement dans les abîmes de la terre. Dieu les transmit ensuite à saint Pierre, son vicaire parmi nous, qui en fit usage pour frapper de mort Ananie et Saphira, et les papes, successeurs de saint Pierre, les transportèrent à saint Dominique et à ceux de son ordre. »

Les écrivains catholiques contemporains, qui ont pris le contre-pied de toutes les idées modernes, se sont naturellement faits les apologistes de l’inquisition, chaque fois que l’occasion s’en est présentée. Joseph de Maistre a posé en principe « qu’une société a le droit de se défendre, et que le catholicisme n’a fait qu’user du droit dont usent tous les gouvernements. » Il légitime ainsi les châtiments infligés aux sectateurs de la religion chrétienne par le paganisme et le meurtre des missionnaires par les Chinois et les Japonais. M. de Falloux, dans son Histoire de saint Pie V, s’empresse de justifier l’inquisition, qu’il représente comme un tribunal de famille, naturellement d’une angélique douceur. M. J. Chantrel n’hésitait point à écrire dans le journal le Monde, le 6 avril 1861 : « L’inquisition est une institution établie et longtemps maintenue par l’Église. Il n’y eut jamais sur la terre de tribunal plus juste, plus humain ; l’ignorance ou la mauvaise foi seules peuvent en douter. » Quant à M. Louis Veuillot, qui est à la fois beaucoup moins ignare que M. Chantrel et beaucoup plus net d’allures que M. de Falloux, il n’hésite point à reconnaître que la persécution religieuse a fait d’innombrables victimes ; mais, loin de le déplorer, il n’a qu’un regret, c’est qu’elles n’aient pas été plus nombreuses, et il annonce, avec une vive satisfaction, que nous sommes « à la veille d’un recommencement. »

Tous les sophismes de certains écrivains catholiques ne réussiront pas à rendre la société moderne moins réfractaire à l’inquisition que ne l’ont été le XVe et le XVIe siècle et le moyen âge lui-même. Tout ce qui rappelle l’inquisition est odieux ; son nom même, appliqué à des errements de la justice, est une injure, et pour flétrir certains articles de nos codes, il suffit de dire qu’ils sont empruntés à la procédure inquisitoriale.

Inquisition d’Espagne (HISTOIRE CRITIQUE DE L'), de Juan Antonio Llorente (1818, 4 vol. in-8°). C’est le meilleur livre, en même temps le plus complet et le plus judicieux, que l’on puisse consulter sur l’établissement et les phases successives de cette redoutable institution. Aussi éloigné de déguiser la vérité au profit du clergé que de chercher un effet théâtral dans la mise en scène de ces procédures secrètes et de ces lugubres au-to-da-fé, Llorente a mérité d’être placé au rang des écrivains les plus impartiaux. Il était mieux que tout autre en position de bien voir et de bien juger, puisqu’il fut lui-même secrétaire de l’inquisition de la cour, de 1789 à 1791, époque, il est vrai, où cette institution n’était plus que l’ombre d’elle-même ; mais il put puiser dans les dossiers les plus curieux. L’invasion française, en abolissant le farouche tribunal, permit à Llorente de publier le résultat de ses recherches. Il possédait déjà un très-grand nombre de manuscrits, recueillis curieusement dans les greffes, dans les monastères de dominicains ; la suppression décrétée par Napoléon Ier, en 1808, lui en fit tomber un plus grand nombre encore entre les mains. Quand on songe au secret des procédures, menées de telle sorte que l’accusé lui-même ignorait son propre dossier, et à l’impossibilité, pour le public, de percer ces mystères, on ne s’étonne plus de l’insuffisance, sur ce sujet, des historiens antérieurs à Llorente. L’écrivain espagnol connu sous le nom du curé de Los Palacios, Bernaldez, Hernand del Pulgar, l’historiographe, contemporains de la grande époque de l’inquisition, n’en ont parlé que par ouï-dire. Ils n’ont pu ni bien voir, ni bien comprendre ; les historiens généraux, Zurita et Garibay, sont plus vagues encore. Chez nous, Lavallée (Histoire de l’inquisition religieuse d’Italie, d’Espagne, et de Portugal) est tombé dans des erreurs graves, faute de documents suffisants. Dès son apparition, le livre de Llorente a fait autorité.

On doit à ce consciencieux écrivain d’avoir fixé d’une manière précise, en la reculant de beaucoup, la date de l’introduction en Espagne du fameux tribunal. Les auteurs, trompés par les apparences, la reportaient entre 1477 et 1481, époque où l’inquisition fut définitivement constituée, organisée en pouvoir redoutable aux souverains eux-mêmes ; c’est en effet l’époque où fut créé le premier grand inquisiteur, Torquemada ; mais Llorente, sur le vu de nombreux dossiers, a prouvé qu’elle existait dès le XIIIe siècle. Elle apparaît en Espagne, à Séville d’abord, puis à Barcelone, en 1232. Les dominicains, chargés spécialement par le pape des fonctions d’inquisiteurs, avaient déjà fondé en Espagne de nombreux couvents. L’histoire des comtes de Barcelone renferme même des traits curieux de résistance à ce pouvoir occulte naissant, que les historiens ont négligés, et, dès cette époque, Llorente, ses nombreux dossiers à la main, suit la marche et les progrès de l’institution à travers le XIIIe, le XIVe et le XVe siècle, avec son cortège de procédures secrètes, de questions terribles, d’exhumations d’ossements, d’au-to-da-fê en place publique. En 1481, avec Ferdinand et Isabelle, elle s’établit définitivement, redoutablement. Les juifs ne servent en réalité que de prétexte ; le pape applaudit à un projet qui décuple sa puissance ; Charles-Quint se sert de cette arme contre Luther et l’Allemagne ; Philippe II, superstitieux et despote, y voit un moyen de gouvernement. Llorente en cite une preuve singulière ; Philippe II rendit les fraudeurs, les contrebandiers, justiciables de l’inquisition ; frauder le fisc, c’était commettre une hérésie ! Dès ce moment aussi, l’inquisition a des procédures établies partout d’une manière uniforme ; sa souveraineté est reconnue, acceptée ; plus de confrontation de témoins, plus de recours à Rome ; elle n’a même plus à motiver ses sentences. Elle agit avec les pouvoirs les plus étendus qui aient jamais été conférés.

Très-complet dans l’exposition des formes de cette procédure tortueuse, des juridictions diverses, des phases de chaque affaire qu’il étudie dans ses moindres détails, Llorente est surtout curieux dans le récit des nombreux procès dont il analyse les dossiers. Les plus intéressants sont ceux qui se rapportent à l’assassinat de Pierre Arbuès d’Espila, le premier inquisiteur d’Aragon, au faux nonce de Portugal, Perez de Saavedra, à la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, à Barthélémy de Carranza, évêque de Tolède, à don Carlos, à Antonio Perez. Ces deux dernières affaires sont trop connues pour que nous y revenions ; mais c’est dans le livre de Llorente que les historiens ont puisé les documents authentiques sur lesquels on a pu asseoir enfin un jugement définitif. L’assassinat de Pierre Aruès d’Espila donna lieu à l’un des plus dramatiques procès de l’inquisition. L’Aragon résistait ouvertement à l’établissement de ce tribunal abhorré ; le premier inquisiteur, Maître d’Espila, comme on l’appelait, venait à peine d’être installé lorsqu’il fut tué à coups d’épée, dans la cathédrale de Saragosse, au pied d’un pilier où il était en prières, par Juan Espera-in-Deo, l’un des conjurés. Le coupable et deux de ses complices, Vidal Uranso et Juan de Abadia, après une longue détention et des tortures atroces, furent traînés par la ville, les mains coupées ; après qu’ils eurent été pendus, leurs cadavres furent écartelés. L’inquisition voulait noyer la