Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/153

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entourer d’égards, de respects, de dédommagements de toute espèce, l’illustre victime vis-à-vis de laquelle elle se dit forcée de violer les principes et les lois ?

Nous nous trouvions tous auprès de l’Empereur ; il récapitulait avec chaleur tous ces faits. « À quel infâme traitement ils nous ont réservés, s’écriait-il. Ce sont les angoisses de la mort ! À l’injustice, à la violence, ils joignent l’outrage, les supplices prolongés ! Si je leur étais si nuisible, que ne se défaisaient-ils de moi ? quelques balles dans le cœur ou dans la tête eussent suffi ; il y eût eu du moins quelque énergie dans ce crime ! Si ce n’était vous autres et vos femmes surtout, je ne voudrais recevoir ici que la ration du simple soldat. Comment les souverains de l’Europe peuvent-ils laisser polluer en moi ce caractère sacré de la souveraineté ! Ne voient-ils pas qu’ils se tuent de leurs propres mains à Sainte-Hélène ! Je suis entré vainqueur dans leurs capitales ; si j’y eusse apporté les mêmes sentiments, que seraient-ils devenus ? Ils m’ont tous appelé leur frère, et je l’étais devenu par le choix des peuples, la sanction de la victoire, le caractère de la religion, les alliances de leur politique et de leur sang. Croient-ils donc le bon sens des peuples insensible à leur morale, et qu’en attendent-ils ? Toutefois, faites vos plaintes, Messieurs, que l’Europe les connaisse et s’en indigne ! les miennes sont au-dessous de ma dignité et de mon caractère : j’ordonne ou je me tais. »

Le lendemain un officier ouvrit tout bonnement la porte, et s’introduisit lui-même, sans plus de façon, dans la chambre de l’Empereur, où j’étais à travailler avec lui. Ses intentions, du reste, étaient bonnes : c’était le capitaine d’un des petits bâtiments venus avec nous, qui repartait pour l’Europe et avait voulu venir prendre les ordres de l’Empereur. Napoléon revint sur le sujet de la veille, et, s’animant par degrés, lui exprima, pour son gouvernement, les pensées les plus élevées, les plus fortes, les plus remarquables. Je les traduisais à mesure et rapidement. L’officier semblait frappé de chaque phrase, et nous quitta, promettant d’accomplir fidèlement sa mission. Mais rendra-t-il les expressions, l’accent surtout, dont je fus témoin ? L’Empereur en fit rédiger une espèce de note, que l’officier aura trouvée bien faible auprès de ce qu’il avait entendu d’abondance.


Vie de Briars, etc. – Nécessaire d’Austerlitz – Grand nécessaire de l’Empereur – Son contenu – Objets, libelles contre Napoléon, etc., abandonnés aux Tuileries.


Mercredi 25 au vendredi 27.

L’Empereur s’habillait de fort bonne heure, il faisait dehors quelques tours, nous déjeunions vers les dix heures, il se promenait encore, et