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frappé à sa porte ; si je ne m’y fusse pas trouvé, l’Empereur eût été dans la nécessité d’aller ouvrir lui-même, ou l’amiral y serait encore.

Tous les membres épars de notre petite colonie sont aussi venus de la ville, et nous nous sommes trouvés un instant tous réunis. Chacun a raconté ses nombreuses misères, et l’Empereur les a ressenties d’autant plus vivement.


Horreurs et misères de notre exil – Indignation de l’Empereur – Note envoyée au gouvernement anglais.


Dimanche 22 au mardi 24.

Les ministres anglais, en violant les droits de l’hospitalité auxquels nous nous étions abandonnés avec tant de confiance, semblaient n’avoir rien épargné pour rendre cette violation plus amère et plus sensible. En nous reléguant au bout de la terre, au milieu des privations, des mauvais traitements, des besoins de toute espèce, ils avaient voulu nous faire boire le calice jusqu’à la lie. Sainte-Hélène est une véritable Sibérie ; la différence n’en est que du froid au chaud, et dans son peu d’étendue.

L’empereur Napoléon, qui possédait tant de puissance et disposa de tant de couronnes, s’y trouve réduit à une méchante petite cahute de quelques pieds en carré, perchée sur un roc stérile ; sans rideaux, ni volets, ni meubles. Là, il doit se coucher, s’habiller, manger, travailler, demeurer ; il faut qu’il sorte s’il veut qu’on la nettoie. Pour sa nourriture on lui apporte de loin quelques mauvais mets, comme à un criminel dans son cachot. Il manque réellement des premiers besoins de la vie ; le pain, le vin, ne sont point les nôtres, ils nous répugnent ; l’eau, le café, le beurre, l’huile et les autres nécessités y sont rares ou à peine supportables ; un bain, si nécessaire à sa santé, ne se trouve pas ; il ne peut prendre l’exercice du cheval.

Ses compagnons, ses serviteurs, sont à deux milles de lui ; ils ne peuvent parvenir auprès de sa personne qu’accompagnés d’un soldat ; ils demeurent privés de leurs armes, sont condamnés à passer la nuit au corps de garde, s’ils reviennent trop tard ou s’il y a quelque méprise de consigne, ce qui arrive presque chaque jour. Ainsi se réunissent pour nous, sur la cime de cet affreux rocher, la dureté des hommes et les rigueurs de la nature ! et pourtant il eût été facile de nous procurer une demeure plus convenable et des traitements plus doux.

Certes, si les souverains de l’Europe ont arrêté cet exil, une haine secrète en a dirigé l’exécution. Si la politique seule a dicté cette mesure comme nécessaire, n’eût-elle pas dû, pour en convaincre le monde,