Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/165

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appelle la société, était dans l’ignorance de notre propre législation politique ; on n’avait point du tout d’idées justes du Conseil d’État, du Corps Législatif, du Sénat. C’était un adage reçu, par exemple, que le Corps Législatif, réunion de muets, adoptait passivement, sans opposition, toutes les lois qu’on lui présentait : on attribuait à la complaisance et à la servilité ce qui ne tenait qu’à la nature et à la bonté de l’institution.

Les lois préparées dans le Conseil d’État étaient présentées par des commissaires tirés de son sein à une commission du Corps Législatif chargée de les recevoir : ils les discutaient ensemble à l’amiable, ce qui les faisait souvent reporter sans bruit au Conseil d’État pour y être modifiées. Quand les deux députations ne pouvaient pas s’entendre, elles allaient tenir des conférences régulières sous la présidence de l’archichancelier ou de l’architrésorier ; de sorte que, quand ces lois arrivaient au Corps Législatif, elles avaient déjà l’assentiment des deux partis opposés. S’il existait encore quelque différence, elle était discutée contradictoirement par les deux commissions, en présence de la totalité du Corps Législatif, faisant les fonctions de jury ; lequel, quand il se trouvait suffisamment éclairé, prononçait en scrutin secret, ayant ainsi la facilité d’émettre en toute liberté son opinion, puisque personne ne pouvait savoir si l’on mettait une boule noire ou une boule blanche. « Aucun mode, assurément, disait l’Empereur, ne pouvait être plus convenable contre notre effervescence nationale et notre jeunesse en matière de liberté politique. »

L’Empereur me demandait si la discussion était bien libre au Conseil d’État, si sa présence n’en gênait pas les délibérations. Je lui citai une séance fort longue où il était demeuré constamment seul de son avis, et avait en conséquence succombé. Je fus assez heureux pour lui en rappeler, tant bien que mal, le sujet. Il y fut aussitôt. « Oui, dit-il, ce doit être une femme d’Amsterdam, sous la peine de mort, trois fois acquittée par les Cours impériales, et dont la cour de cassation réclamait encore la mise en jugement. »

L’Empereur voulait que cet heureux concours de la loi eût épuisé sa sévérité à l’égard de l’accusée ; que cette heureuse fatalité des circonstances tournât à son profit. On lui répondait qu’il possédait la bienfaisante ressource de faire grâce, mais que la loi était inflexible et qu’il fallait qu’elle eût son cours. La discussion fut fort longue. M. Muraire parla beaucoup et très bien ; il entraîna tout le monde. L’Empereur, qui était constamment demeuré seul, se rendit en prononçant ces paroles remar-