Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/170

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il faut prendre un parti : le Corps Législatif, au lieu d’aider à sauver la France, concourt à précipiter sa ruine, il trahit ses devoirs ; je remplis les miens, je le dissous. » Alors il nous fit faire lecture d’un décret qui portait que deux cinquièmes du Corps Législatif avaient déjà épuisé leurs pouvoirs ; qu’au 1er janvier un autre cinquième allait se trouver dans le même cas ; qu’alors la majorité du Corps Législatif serait réellement composée de gens n’y ayant plus de droit ; que, vu ces circonstances, le Corps Législatif était, dès cet instant, prorogé et ajourné, jusqu’à ce que de nouvelles élections l’eussent complété.

Après la lecture, l’Empereur reprit : « Tel est le décret que je rends ; et, si l’on m’assurait qu’il doit dans la journée porter le peuple de Paris à venir en masse me massacrer ici aux Tuileries, je le rendrais encore, car tel est mon devoir. Quand le peuple français me confia ses destinées, je considérai les lois qu’il me donnait pour le régir ; si je les eusse crues insuffisantes, je n’aurais pas accepté. Qu’on ne pense pas que je suis un Louis XVI ; qu’on n’attende pas de moi des oscillations journalières. Pour être devenu Empereur, je n’ai pas cessé d’être citoyen. Si l’anarchie devait être consacrée de nouveau, j’abdiquerais pour aller dans la foule jouir de ma part de la souveraineté, plutôt que de rester à la tête d’un ordre de choses où je ne pourrais que compromettre chacun sans pouvoir protéger personne. Du reste, conclut-il, ma détermination est conforme à la loi ; et, si tous veulent aujourd’hui faire leur devoir, je dois être invincible derrière elle comme devant l’ennemi. » On ne fit pas son devoir !…

L’Empereur, contre l’opinion commune, était si peu absolu et tellement facile avec son Conseil d’État, qu’il lui est arrivé plus d’une fois de remettre en discussion ou même d’annuler une décision prise, parce qu’un des membres lui avait donné depuis, en particulier, des raisons nouvelles, ou s’était appuyé sur ce que son opinion personnelle, à lui l’Empereur, avait influé sur la majorité. Qu’on demande aux chefs de sections surtout.

De même que l’Empereur avait coutume de livrer à des membres de l’Institut toute idée scientifique qui lui venait en tête, de même il livrait toutes ses idées politiques à des conseillers d’État ; souvent même ce n’était pas sans des vues particulières et quelquefois secrètes. C’était un moyen sûr, disait-il, de faire creuser une question, de connaître la force d’un homme, ses penchants politiques, d’essayer sa discrétion, etc. J’ai la certitude qu’en l’an XII il a été confié à trois conseillers d’État l’exa-