Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/169

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comme vous l’êtes ici, ceux qui leur appartiennent, ceux dont ils répondent sont, dès cet instant, hors de toute police. Voilà quelles sont mes maximes. » Et comme le coupable continuait à ne rien dire : « Les devoirs d’un conseiller d’État envers moi sont immenses, conclut l’Empereur, vous les avez violés, Monsieur, vous ne l’êtes plus. Sortez, ne reparaissez plus ici ! » En sortant, comme il passait assez près de la personne de l’Empereur, l’Empereur lui dit en jetant les yeux sur lui : « J’en suis navré, Monsieur ; car j’ai présents la mémoire et les services de votre père. » Et quand il fut sorti, l’Empereur ajouta : « J’espère qu’une pareille scène ne se renouvellera jamais ; elle m’a fait trop de mal. Je ne suis pas défiant, je pourrais le devenir ! Je me suis entouré de tous les partis ; j’ai mis auprès de ma personne jusqu’à des émigrés, des soldats de l’armée de Condé ; bien qu’on voulût qu’ils m’eussent assassiné, je dois être juste, tous m’ont été fidèles. Depuis que je suis au gouvernement, voilà le premier individu auprès de moi qui m’ait trahi. » Et se tournant vers M. Locré, qui rédigeait les séances du Conseil d’État : « Vous écrirez trahi, entendez-vous ? »

Quel recueil que ces procès-verbaux de M. Locré ! Que sont-ils devenus ? On y trouverait mot pour mot tout ce que je raconte.

Quant à la dissolution du Corps Législatif, le Conseil d’État fut convoqué le dernier ou l’avant-dernier jour de décembre 1813. Nous savions que la séance devait être importante, sans pourtant en connaître l’objet : la crise était des plus graves, l’ennemi entrait sur le territoire français.

« Messieurs, dit l’Empereur, vous connaissez la situation des choses et les dangers de la patrie. J’ai cru, sans y être obligé, devoir en donner une communication intime aux députés du Corps Législatif. J’ai voulu les associer ainsi à leurs intérêts les plus chers ; mais ils ont fait de cet acte de ma confiance une arme contre moi, c’est-à-dire contre la patrie. Au lieu de me seconder de leurs efforts, ils gênent les miens. Notre attitude seule pouvait arrêter l’ennemi, leur conduite l’appelle ; au lieu de lui montrer un front d’airain, ils lui découvrent nos blessures. Ils me demandent la paix à grands cris, lorsque le seul moyen pour l’obtenir était de me recommander la guerre ; ils se plaignent de moi, ils parlent de leurs griefs ; mais quel temps, quel lieu prennent-ils ? n’était-ce pas en famille, et non en présence de l’ennemi qu’ils devaient traiter de pareils objets ? Étais-je donc inabordable pour eux ? Me suis-je jamais montré incapable de discuter la raison ? Toutefois