Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/172

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reconnaissance. Le vrai est que toutes nos circonstances étaient forcées ; les gens sages le sentaient et savaient s’y plier. Ce qu’on ignore, c’est que, presque dans toutes les grandes mesures, des sénateurs venaient, avant de voter, me produire à l’écart, et quelquefois très chaudement, leurs objections ou même leurs refus, et qu’ils s’en retournaient convaincus ou par mes raisonnements, ou par la force et l’imminence des choses.

« Si je ne faisais pas bruit de tout cela, c’est que je gouvernais en conscience, et que je dédaignais la charlatanerie ou tout ce qui pouvait être pris pour elle.

« Les votes du Sénat étaient à peu près constamment unanimes, parce que la conviction y était universelle. On a essayé de rehausser beaucoup, dans le temps, une imperceptible minorité, que les louanges hypocrites de la malveillance, leur pure vanité ou tout autre travers de caractère, poussaient à une opposition sans danger. Mais ceux qui la composaient ont-ils tous montré, dans nos dernières crises, une tête bien saine ou un cœur bien droit ? Je le répète, la carrière du Sénat a été irréprochable ; l’instant seul de sa chute a été honteux et coupable. Sans titre, sans pouvoir, et en violation de tous les principes, il a livré la patrie et consommé sa ruine. Il a été le jouet des hauts intrigants qui avaient besoin de discréditer, d’avilir, de perdre une des grandes bases du système moderne ; et il est vrai de dire qu’ils ont complètement réussi, car je ne sache pas de corps qui doive s’inscrire dans l’histoire avec plus d’ignominie que le Sénat. Toutefois, il est juste encore d’observer que cette tâche n’est pas celle de la majorité, et que parmi les délinquants se sont trouvés une foule d’étrangers, au moins indifférents désormais à notre honneur et à nos intérêts. »

Le Conseil d’État, lors de l’arrivée de M. le comte d’Artois, s’agita comme il put pour s’attirer son attention et capter sa bienveillance. Il lui fut présenté deux fois, et sollicita d’envoyer une députation à Compiègne au-devant du roi. Le lieutenant-général du royaume répondit à cette dernière demande que le roi en recevrait volontiers les membres individuellement, mais qu’on ne devait pas songer à lui envoyer une députation. Il est vrai de dire que les gros bonnets, c’est-à-dire les chefs de sections étaient absents. Tout ce mouvement d’ailleurs n’avait d’autre but que de tâcher de ne pas perdre le traitement, peut-être même d’être conservé. Ainsi le Conseil d’État fit tout aussitôt son adhésion aux résolutions du Sénat, évitant, à la vérité, toute expression qui eût pu être injurieuse pour l’Empereur : « Et vous l’avez signée ? me dit l’Empereur. – Non,