Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/173

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Sire, je refusai ma signature à cette adhésion, soutenant que c’était une insigne folie que de prétendre demeurer successivement le conseiller et l’homme de confiance de deux antagonistes, et que d’ailleurs, si le vainqueur s’y entendait bien, le meilleur gage à présenter à son attention devait être la fidélité et le respect envers le vaincu. – Et vous raisonniez juste, » observa Napoléon.


Paroles vives – Circonstances caractéristiques.


Dimanche 5.

Nous nous trouvions à peu près tous réunis auprès de l’Empereur dans le jardin. Ceux de la ville se plaignaient fort de la manière dont ils y étaient, ainsi que des vexations toujours renouvelées dont ils étaient l’objet. L’Empereur qui, depuis près de quinze jours, avait vainement établi le système de ne rien traiter sur cet article que par écrit, comme la manière la plus digne, la plus convenable et la plus propre à amener des résultats ; qui avait même arrêté une note à ce sujet, laquelle avait dû être remise depuis longtemps et ne l’avait jamais été, y revint plusieurs fois sous différentes formes, et quelques-unes assez piquantes. Tous les raisonnements et toutes les observations indirectes s’appliquaient au grand maréchal. Celui-ci finit par s’en fâcher, car quel bon naturel n’aigrissent pas les infortunes ! Il s’exprima très vivement ; sa femme, très près de la porte, désespérant de neutraliser l’orage, s’esquiva. Je pus observer alors combien toutes les impressions que pouvait créer cette circonstance se succédaient avec rapidité chez l’Empereur. La raison, la logique, on pourrait même dire le sentiment, dominèrent toujours. « Que vous n’ayez point remis cette lettre, si vous la croyiez nuisible, disait-il, c’est un devoir de l’amitié que vous me portez ; mais cela demandait-il un retard de plus de vingt-quatre heures ? Voilà quinze jours que vous ne m’en parlez pas. Si ce plan était juge mauvais, si la rédaction en avait été défectueuse, pourquoi ne pas me le dire ? je vous aurais réunis tous pour la discuter avec moi. »

Nous demeurions tous arrêtés près du berceau, à l’extrémité de l’allée que l’Empereur parcourait seul devant nous, allant et venant. Dans un des moments où l’Empereur était le plus éloigné, le grand maréchal me dit : « Je crains de m’être exprimé inconvenablement, et j’en suis bien fâché. – Nous allons vous laisser avec l’Empereur, lui dis-je ; vous le