Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/182

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dinaire les embellissent ; enfin les détails de sa vie privée depuis qu’il avait joué un rôle sur la grande scène du monde. J’ai reporté ailleurs ce que j’ai cru pouvoir en répéter. Il semblait parfois embarrassé d’avoir parlé trop longuement, et d’avoir exprimé des choses trop minutieuses, et me disait alors : « Mais à votre tour à présent, un peu de vos histoires aussi ; vous n’êtes pas conteur. » Je n’avais garde, j’eusse trop craint de perdre quelque chose de ce qui m’attachait si vivement.

C’est dans une de ces promenades nocturnes que l’Empereur disait qu’il avait été fort occupé dans sa vie de deux femmes très différentes : l’une était l’art et les grâces ; l’autre l’innocence et la simple nature : et chacune, observait-il, avait bien son prix.

Dans aucun moment de la vie la première n’avait de positions ou d’altitudes qui ne fussent agréables ou séduisantes ; il eût été impossible de lui surprendre ou d’en éprouver jamais aucun inconvénient ; tout ce que l’art peut imaginer en faveur des attraits était employé par elle, mais avec un tel mystère qu’on n’en apercevait jamais rien. L’autre, au contraire, ne soupçonnait même pas qu’il pût y avoir rien à gagner dans d’innocents artifices. L’une était toujours à côté de la vérité, son premier mouvement était la négative ; la seconde ignorait la dissimulation, tout détour lui était étranger. La première ne demandait jamais rien à son mari, mais elle devait partout ; la seconde n’hésitait pas à demander quand elle n’avait plus, ce qui était fort rare : elle n’aurait pas cru pouvoir jamais rien prendre sans payer aussitôt. Du reste, toutes les deux étaient bonnes, douces, fort attachées à leur mari. Mais on les a déjà devinées sans doute, et quiconque les a vues reconnaît les deux impératrices.

L’Empereur disait qu’il les avait constamment trouvées de l’humeur la plus égale, et d’une complaisance absolue.

Le mariage de Marie-Louise s’accomplit à Compiègne, immédiatement après son arrivée. L’Empereur, déroutant toute l’étiquette convenue, alla au-devant d’elle, et monta déguisé dans sa voiture. Elle fut agréablement surprise quand elle vint à le connaître ; on lui avait toujours dit que Berthier, qui était venu l’épouser par procuration à Vienne, était, pour la figure et l’âge, l’exacte ressemblance de l’Empereur : elle laissa échapper qu’elle y trouvait une heureuse différence.

L’Empereur voulut lui épargner tous les détails de l’étiquette domestique en usage dans pareille circonstance ; on l’en avait, du reste, soigneusement instruite à Vienne. L’Empereur, pour ce qui le regardait personnellement, lui demanda quelles instructions elle avait reçues de ses grands-parents. D’être à lui tout à fait, et de lui obéir en toutes