Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/201

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d’après la confiance de ses démarches, l’injuste et violente déportation à Sainte-Hélène.

Plus tard l’Empereur, parcourant divers points de la révolution, s’est arrêté sur Robespierre, qu’il n’a pas connu, il est vrai, mais auquel il ne croyait ni talent, ni force, ni système. Il le pensait néanmoins le vrai bouc émissaire de la révolution, immolé dès qu’il avait voulu entreprendre de l’arrêter dans sa course ; destinée commune, du reste, observait-il, à tous ceux qui, jusqu’à lui, Napoléon, avaient osé l’essayer. Les terroristes et leur doctrine ont survécu à Robespierre ; et si leurs excès ne se sont pas continués, c’est qu’il leur a fallu plier devant l’opinion publique. Ils ont tout jeté sur Robespierre ; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu’il était étranger aux dernières exécutions ; que, depuis six semaines, il n’avait pas paru aux comités. Napoléon confessait qu’à l’armée de Nice, il avait vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels, qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc., etc. Cambacérès, qui doit être une autorité sur cette époque, observait l’Empereur, a répondu à l’interpellation qu’il lui adressait un jour sur la condamnation de Robespierre, par ces paroles remarquables : « Sire, cela a été un procès jugé, mais non plaidé, » ajoutant que Robespierre avait plus de suite et de conception qu’on ne pensait ; qu’après avoir renversé les factions effrénées qu’il avait eues à combattre, son intention avait été le retour à l’ordre et à la modération. « Quelque temps avant sa chute, ajoutait Cambacérès, il prononça un discours à ce sujet, plein des plus grandes beautés : on ne la point laissé insérer au Moniteur, et toutes les traces nous en ont été enlevées. »

Ce n’est pas la première fois que j’ai entendu parler d’une lacune d’exactitude dans le Moniteur. Il doit y avoir, vers ce temps-là, dans les transactions de l’Assemblée, une époque tout à fait infidèle, les procès-verbaux ayant été arbitrairement rédigés par l’un des comités.

Ceux qui sont portés à croire que Robespierre, étant lassé, gorgé, effrayé de la révolution, avait résolu de l’arrêter, disent qu’il ne voulut agir qu’après avoir lu son fameux discours : il le trouvait si beau qu’il ne doutait pas de son effet sur l’Assemblée. S’il en est ainsi, son erreur ou sa vanité lui coûtèrent cher.

Ceux qui pensent différemment objectent que Danton et Camille Desmoulins avaient précisément la même pensée, et que pourtant Robespierre les immola. Les premiers répondent que ce ne serait pas une raison ; que Robespierre les immola pour conserver sa popularité, quand il jugea