Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/200

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Je repris : « Sire, il est vrai de dire que s’il y eut faute parmi les officiers de votre maison, elle ne fut pas autre que celle de toute la masse ; faute, du reste, qui a dû nous ravaler étrangement aux yeux des autres nations. Sitôt que le roi a paru, on s’est précipité vers lui, non pas comme vers le souverain que nous laissait votre abdication, mais comme vers celui qui n’avait jamais cessé de l’être ; non pas avec cette dignité de l’homme fier d’avoir constamment rempli tous ses devoirs, mais avec l’embarras équivoque du courtisan qui a été maladroit. Chacun n’a cherché qu’à se justifier ; Votre Majesté se trouva dès cet instant désavouée, reniée ; la qualification d’Empereur disparut. Les ministres, les grands, les plus intimes de Votre Majesté, ne rougirent pas pour eux, pour leur nation, de ne plus dire que Bonaparte. On avait été contraint de servir, disait-on ; on n’avait pas pu faire autrement ; on eût eu trop de mauvais traitements à redouter, etc. » L’Empereur trouvait bien là notre caractère national, nous étions toujours les Gaulois d’autrefois ; la légèreté, la même inconstance, et surtout la même vanité.


Idée de l’Empereur de se réserver la Corse – Opinion sur Robespierre – Idée sur l’opinion publique – Intention expiatoire de l’Empereur sur les victimes de la révolution.


Samedi 18.

Après le travail accoutumé, l’Empereur m’a amené au jardin vers les quatre heures. Il venait de finir la dictée sur la Corse : ayant épuisé le sujet sur cette île, celui de Paoli, et parlé de l’influencé que lui-même s’y était créée si jeune encore, lors de sa séparation politique d’avec Paoli, il a ajouté que dernièrement il eût été bien sûr d’y réunir tous les vœux, toutes les opinions, tous les efforts ; que s’il s’y était retiré en quittant Paris, il eût été à l’abri contre toute puissance étrangère ; il en avait eu la pensée. En abdiquant pour son fils, il avait été sur le point de se réserver la jouissance de la Corse durant sa vie ; aucun obstacle de mer ne l’eût empêché d’y arriver. Il ne le voulut point, pour rendre, disait-il, son abdication plus franche, plus fructueuse pour la France. Son séjour au centre de la Méditerranée, au sein de l’Europe, si près de la France et de l’Italie, pouvait demeurer un prétexte durable pour les alliés. Il préféra même l’Amérique à l’Angleterre, par le même motif et dans la même pensée : il est vrai qu’il n’avait pas prévu, disait-il, et ne pouvait prévoir,