peler vers les cinq heures. Il se trouvait déjà seul ; ces messieurs et mon fils étaient partis de bonne heure pour la ville, où l’amiral donnait un bal. Nous nous sommes promenés sur le grand chemin vers James-Town, jusqu’au point d’où l’on découvre, en face, la rade et les vaisseaux, et sur la gauche, dans le fond de la vallée, une jolie petite habitation. L’Empereur l’a considérée longtemps, parcourant avec sa lunette le jardin qui semblait très soigné, et où l’on voyait courir de fort jolis petits enfants, surveillés par leur mère. On nous avait dit que cette habitation appartenait au major Hodson, habitant de l’île. Il a pris fantaisie à l’Empereur d’y descendre, il était pourtant près de six heures. La route est extrêmement rapide, nous l’avons trouvée plus longue et plus difficile que nous ne l’avions pensé ; nous sommes arrivés tout haletants. Après avoir parcouru la petite demeure qu’on voyait bien être appropriée par une main qui comptait l’habiter, et non par celle d’un passager en terre étrangère ; après avoir reçu les politesses du maître, fait quelques compliments à la maîtresse, l’Empereur songea à quitter ce bon ménage ; mais la nuit était venue, nous étions fatigués, nous avons accepté des chevaux qui nous ont fait regagner promptement notre cahute et notre dîner. Cette petite excursion et l’exercice du cheval, délaissé depuis si longtemps, ont semblé faire du bien à l’Empereur.
Il m’avait commandé d’aller au bal, en dépit de ma répugnance. À huit heures et demie, il eut la bonté de remarquer que la nuit était fort obscure, le chemin mauvais, qu’il était temps que je le quittasse, qu’il le voulait, et a gagné sa chambre, où je l’ai vu se déshabiller et se mettre au lit. Il m’a commandé de nouveau de partir ; je le faisais avec un vrai regret ; je le laissais seul, je brisais une habitude qui m’était devenue bien douce.
Je me suis rendu à la ville à pied. L’amiral avait donné beaucoup d’éclat à son bal ; depuis longtemps on ne cessait d’en parler ; il semblait vouloir persuader qu’il n’était que pour nous ; il nous y avait solennellement invités. Convenait-il d’accepter ou de ne pas s’y rendre ? L’un et l’autre pouvaient également se soutenir : les infortunes politiques n’imposent pas l’attitude du deuil domestique ; il n’y a nulle inconvenance, il peut même être utile de se mouvoir au milieu de ses geôliers ; on pouvait donc prendre indifféremment l’un ou l’autre parti. On se décida à y aller ; mais alors quel rôle y tenir ? celui de la fierté ou celui de l’adresse ? Le premier parti avait des inconvénients ; dans notre position, toute prétention blessée devenait une injure. Le second n’en présentait aucun ; recevoir en homme de bonne compagnie, à qui elles sont dues et qui y est accoutumé, les moindres politesses ; ne pas s’apercevoir de celles qu’on n’obtiendrait pas ;