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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/219

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tures de toute espèce ; les propriétaires ne la renièrent pas ; ils montrèrent le hangar où elle avait été raccommodée ; des traces de poudre y étaient encore. Ils croyaient, dirent-ils, l’avoir louée à des contrebandiers bretons. Ou retraça facilement tous ceux qui y avaient travaillé, celui qui avait vendu le cheval, etc., etc. ; et l’on acquit des indices que ce complot partait des royalistes chouans ! On dépêcha quelques gens intelligents à leur quartier-général dans le Morbihan : ils ne s’en cachaient pas, ne se plaignant que de n’avoir pas réussi ; quelques coupables, par là, furent saisis et punis. On assure que le chef a depuis cherché dans les austérités de la religion l’expiation de son crime ; qu’il s’est fait trappiste.


Conspiration de Georges, Pichegru, etc. – Affaire du duc d’Enghien – Esclave Tobie – Réflexions caractéristiques de Napoléon.


Mercredi 29, jeudi 30.

Je trouve ici, dans mon manuscrit, des détails précieux sur la conspiration de Georges, de Pichegru, de Moreau, et sur le procès du duc d’Enghien ; mais comme il en est question à différentes reprises dans mon journal, je renvoie plus loin ce qui se trouve ici, afin d’en présenter ailleurs l’ensemble complet.

Le petit jardin de M. Balcombe, où nous nous promenions souvent, se trouvait cultivé par un vieux nègre. La première fois que nous le rencontrâmes, l’Empereur, suivant sa coutume, me le fit questionner, et son récit nous intéressa fort. C’était un Indien-Malais qui avait été frauduleusement enlevé de chez lui, il y avait nombre d’années, par un équipage anglais, transporté à bord et vendu à Sainte-Hélène, où il demeurait depuis dans l’esclavage. Sa narration portait tout le caractère de la sincérité ; sa figure était franche et bonne, ses yeux spirituels et encore vifs ; tout son maintien nullement avili, mais tout à fait attachant.

Nous fûmes indignés au récit d’un tel forfait ; et à peu de jours de là l’Empereur pensa à l’acheter pour le faire reconduire dans son pays. Il en parla à l’amiral, dont le premier mot, en défense des siens, fut de prétendre que le vieux Tobie (c’était le nom du malheureux esclave) ne devait être qu’un imposteur, et que la chose était impossible. Toutefois il fit une enquête à ce sujet, et la chose ne se trouva que trop vraie ; alors il partagea notre indignation, et promit d’en faire son affaire. Nous avons quitté Briars, nous avons été transportés à Longwood, et le pauvre Tobie, partageant le sort commun de toutes choses ici-bas, a été bientôt oublié ; je ne sais pas ce que le tout sera devenu.