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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/229

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armée, d’un pays, la possession d’un trône. Aussi observait-il qu’on trouvait rarement des généraux empressés à donner, bataille : « Ils prenaient bien leur position, s’établissaient, méditaient leurs combinaisons ; mais là commençaient leurs indécisions ; et rien de plus difficile et pourtant de plus précieux que de savoir se décider. »

Passant à un grand nombre de généraux, et daignant répondre à quelques questions : « Kléber, disait-il, était doué du plus grand talent ; mais il n’était que l’homme du moment : il cherchait la gloire comme la seule route aux jouissances ; d’ailleurs nullement national, il eût pu, sans effort, servir l’étranger : il avait commencé dans sa jeunesse sous les Prussiens, dont il demeurait fort engoué.

« Desaix possédait à un degré très supérieur cet équilibre précieux défini plus haut.

« Moreau était peu de chose dans la première ligne des généraux : la nature, en lui, n’avait pas fini sa création ; il avait plus d’instinct que de génie.

« Chez Lannes le courage l’emportait d’abord sur l’esprit ; mais chez lui l’esprit montait chaque jour pour se mettre en équilibre. Il était devenu très supérieur quand il a péri : je l’avais pris pygmée, je l’ai perdu géant. »

Chez tel autre qu’il nommait, l’esprit, au contraire, surpassait le caractère : on ne pouvait lui refuser de la bravoure assurément ; mais enfin il calculait le boulet, ainsi que beaucoup d’autres.

Parlant d’ardeur et de courage, l’Empereur disait : « Il n’est aucun de mes généraux dont je ne connaisse ce que j’appelle son tirant-d’eau. Les uns, disait-il en s’accompagnant du geste, en prennent jusqu’à la ceinture, d’autres jusqu’au menton, enfin d’autres jusque par-dessus la tête, et le nombre de ceux-ci est bien petit, je vous assure. »

Suchet était quelqu’un chez qui le caractère et l’esprit s’étaient accrus à surprendre.

Masséna avait été un homme très supérieur qui, par un privilège très particulier, ne possédait l’équilibre tant désiré qu’au milieu du feu : il lui naissait au milieu du danger.

« Les généraux qui semblaient devoir s’élever ; les destinées de l’avenir, terminait-il, étaient Gérard, Clausel, Foy, Lamarque, etc. : c’étaient là mes nouveaux maréchaux. »


Situation des princes d’Espagne à Valencey – Le pape à Fontainebleau – Réflexions, etc..


Mercredi 6.

L’Empereur, après m’avoir dicté ce matin, a travaillé successivement