Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/233

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rendre à Longwood le lendemain. J’en fus bien aise pour mon compte ; depuis quelques jours j’avais pu me convaincre du parti pris d’obliger l’Empereur à déguerpir. J’avais gardé pour moi les communications publiques ou secrètes qu’on m’en avait faites ; je me faisais une loi de lui épargner autant de contrariétés que possible, me contentant d’agir en conséquence. Il y avait deux jours qu’on était venu enlever la tente, sans que nous l’eussions désiré ; l’officier qui en était chargé avait aussi ordre d’enlever en même temps les contrevents de la demeure de l’Empereur. Je pris sur moi de m’y opposer ; cela ne se pouvait pas, lui-dis-je, l’Empereur dormait encore, et je le renvoyai. D’un autre côté, afin de m’effrayer, on me dit, on me confia avec mystère et sous le secret que si l’Empereur demeurait plus longtemps, il était question d’envoyer cent soldats camper aux portes de l’enclos. Je répondis que c’était très bien, et n’en tins nul compte, etc., etc.

Quel pouvait être le motif de cette presse nouvelle ? Je soupçonnai que le caprice de nos geôliers et l’exercice de l’autorité y avaient beaucoup plus de part que toute autre chose.

Nous avions reçu des papiers jusqu’au 15 septembre ; ils devinrent le sujet de la conversation ; l’Empereur les analysa : l’avenir demeurait enveloppé des nuages les plus sinistres. Toutefois trois grands résultats seulement s’offraient à la pensée, disait l’Empereur, le partage de la France, le règne violent, précaire, des Bourbons, ou une dynastie nouvelle, avec des institutions nationales. Louis XVIII, observait-il, avait pu régner facilement en 1814, en se faisant national ; aujourd’hui il ne lui restait plus que la chance, fort odieuse et très incertaine, d’une excessive sévérité, celle de la terreur ; sa dynastie pouvait demeurer, ou celle qui lui succéderait n’être encore que dans le secret du temps. Un de nous ayant fait la remarque qu’il pourrait se faire que ce fût le duc d’Orléans, l’Empereur a, par un mouvement fort serré, fort éloquent, prouvé qu’à moins que le duc d’Orléans n’arrivât au trône par son tour de succession, il eût été dans l’intérêt bien entendu de tous les souverains de l’Europe de le préférer, lui Napoléon, au duc d’Orléans arrivant par un crime ; « car que prétend aujourd’hui la doctrine des rois contre les évènements du jour ? Empêcher le renouvellement de l’exemple que j’ai fourni contre ce qu’ils appellent la légitimité ? Or, l’exemple que j’ai fourni ne se renouvelle pas dans des siècles : celui que donnerait le duc d’Orléans, proche parent du monarque sur le trône, peut se renouveler chaque jour, à chaque instant, dans chaque pays. Il n’est pas de souverain qui n’ait à quelques pas de lui, dans son propre palais, des cou-