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celui qui surveille le bétail de la compagnie et commande les Chinois ; il leur a fait, à chacun, une foule de questions relatives à leurs emplois. Il est rentré très fatigué de sa course à pied : nous avions pourtant à peine fait un mille ; mais c’était sa première excursion.

Avant dîner, l’Empereur m’a fait appeler, ainsi que mon fils, pour notre travail accoutumé. Il m’appelait paresseux, et me faisait observer que mon fils en riait sous cape. Il m’en a demandé la raison ; j’ai répondu que c’était sans doute parce que Sa Majesté le vengeait. « Ah ! j’entends, a-t-il dit en riant, je suis ici le grand-père. »


Habitudes et heures de l’Empereur – Son style avec les deux impératrices – Détails – Maximes de l’Empereur sur la police – Police secrète des lettres – Détails curieux – L’Empereur pour un gouvernement fixe et modéré


Lundi 18, mardi 19.

Peu à peu nos heures et nos habitudes se régularisèrent et s’établirent. L’Empereur déjeunait vers les dix heures dans sa chambre, sur un guéridon, parfois il appelait l’un de nous. À la table de service nous déjeunions à peu près à la même heure ; l’Empereur, pour notre agrément particulier, nous avait laissés libres d’en faire les honneurs et d’y inviter qui bon nous semblerait.

Il n’y avait pas encore d’heures fixes pour la promenade ; la chaleur était très forte dans le jour, l’humidité prompte et grande vers le soir. On annonçait depuis longtemps des chevaux de selle et de voiture venant du cap de Bonne-Espérance ; mais ils n’arrivaient point. L’Empereur travaillait dans la journée avec plusieurs de nous ; il me réservait d’ordinaire pour le temps qui précédait le dîner, lequel n’était guère servi que sur les huit ou neuf heures. Il me faisait donc venir sur les cinq ou six heures avec mon fils ; je n’écrivais ni ne lisais plus, à cause de l’état de mes yeux ; mon fils était venu à bout de me remplacer ; c’était lui qui écrivait ce que l’Empereur dictait ; je n’étais plus là que pour l’aider à se retrouver plus tard dans son griffonnage, ce à quoi je m’étais habitué de manière à pouvoir reproduire, presque littéralement et dans leur entier, toutes les paroles de l’Empereur.

La campagne d’Italie était finie, nous la repassions en entier ; l’Empereur corrigeait ou dictait de nouveau. On dînait, ainsi que je viens de le dire, de huit à neuf heures ; la table était mise dans la première pièce en entrant ; madame de Montholon était à la droite de l’Empereur ; j’étais à sa gauche ; MM. de Montholon, Gourgaud et mon fils étaient dans les parties opposées. La salle avait encore de l’odeur, surtout quand le temps était humide ; et quelque peu qu’il y en eût, c’était encore assez pour in-