Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Plus tard mon Atlas historique fut une idée heureuse qui m’ouvrit une mine d’or ; ce n’était pourtant alors qu’une véritable esquisse ; mais à Londres tout s’encourage, tout se vend ; et puis le Ciel bénit mes efforts. Débarqué à l’entrée de la Tamise, j’avais gagné Londres à pied, n’ayant que sept louis dans ma poche, sans connaissances, sans recommandations sur ces rives étrangères ; j’en sortis en poste, possédant deux mille cinq cents guinées, ayant fait des amis tendres pour lesquels j’aurais donné ma vie. »

« Mais moi, si j’avais émigré, disait l’Empereur, quel eût été mon sort, mon lot ? » Il parcourait alors inutilement diverses directions, et s’arrêtait constamment sur le militaire. « J’y aurais toujours bien fourni ma carrière, après tout, disait-il. – Cela n’est pas sûr, répondais-je, Sire ; vous vous fussiez trouvé étouffé dans la foule. Arrivé à Coblentz ou dans tout corps français, vous eussiez été classé d’après le rang du tableau ; rien n’eût pu vous le faire franchir, car nous étions stricts observateurs des formes, etc., etc. »

L’Empereur me demandait ensuite quand et comment j’étais rentré. « Après la paix d’Amiens, par le bienfait de votre amnistie ; encore m’étais-je glissé par contrebande dans une famille anglaise, pour atteindre Paris plus tôt. Dès que j’y fus arrivé, de peur de compromettre cette famille, j’allai moi-même faire ma déclaration à la police, qui me donna une carte que je devais faire viser toutes les semaines ou tous les mois ; je n’en fis rien et il ne m’en arriva rien. J’étais décidé à me conduire sagement ; qu’avais-je à craindre ? disais-je. Cependant une fois je vis qu’il eût pu m’en coûter cher : c’était le moment le plus violent de la crise de Georges et Pichegru ; d’ordinaire je passais mes soirées dans des sociétés intimes dans ma propre maison, je ne sortais presque jamais ; mais ici conduit par la fatalité, peut-être par le vif intérêt que je prenais à la chose du jour, je m’égarai un soir assez tard dans le faubourg Saint-Germain ; je manquai le passage du pont Louis XVI, que je connaissais si bien, et allai déboucher sur le boulevard des Invalides, sans plus savoir où je me trouvais. Les postes étaient doubles partout et multipliés ; je demandai ma route à une sentinelle ; j’entendis distinctement son camarade, à quelques pas de là, lui demander pourquoi il ne m’arrêtait pas ; celui-ci répondit que je ne faisais aucun mal. Je gagnai mon gîte à pas redoublés, frémissant sur le danger que je venais de courir : j’étais en contravention formelle vis-à-vis de la police ; mon émigration, mon nom, mes habitudes, mes opinions me classaient parmi les mécontents ; tous les renseignements qu’on eût pris m’eussent été défavorables, je n’au-